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Français
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UTLS - la suite (Réalisation), UTLS - la suite (Production), Robert Vautard (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/bezk-k758
Citer cette ressource :
Robert Vautard. UTLS. (2003, 31 octobre). La pollution de l'air à Paris : origines et tendances , in ça c'est Paris. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/bezk-k758. (Consultée le 19 mars 2024)

La pollution de l'air à Paris : origines et tendances

Réalisation : 31 octobre 2003 - Mise en ligne : 31 octobre 2003
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Descriptif

Comme toutes les grandes agglomérations mondiales l'atmosphère Parisienne est soumise à une pollution atmosphérique dont les origines sont très variées : trafic routier, industrie, évaporation de solvants, etc… Toutefois la pollution en Ile-de-France n'a pas pour seule origine l'Ile-de-France. Paris se trouve dans un vaste « bassin d'air » incluant le Nord-Ouest de l'Europe. Je montrerai, à travers des analyses d'observations et des simulations numériques comment la chimie et le transport des polluants interagissent pour former des épisodes aigus de pollution, avec un accent sur la pollution par l'ozone. J'analyserai les évolutions passées et les prévisions futures des tendances de la pollution en Ile-de-France et plus généralement en Europe. Enfin, je montrerai l'origine et la structure du grand épisode de pollution photochimique associé à la canicule de cet été, en tentant d'examiner l'impact qu'auraient eu, sur la pollution ambiante, des scénarios théoriques de réduction d'émissions.

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Texte de la 506e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 31 octobre 2003

Robert Vautard « La pollution atmosphérique à Paris et en Europe : origine et tendance »

Lorsqu'on fait référence à la pollution en Ile-de-France, on s'imagine la Tour Eiffel noyée dans un épais smog, constitué d'un mélange de particules et de gaz polluants. On peut alors s'interroger sur ce qu'on respire. En fait, pour connaître la teneur en polluants dans l'atmosphère, il suffit de se renseigner auprès d'AIRPARIF, agence chargée de la surveillance de la qualité de l'air en Ile-de-France, qui a contribué à la réalisation de cet exposé. Mais si l'on veut comprendre la pollution de l'air au-dessus d'une agglomération comme celle de Paris, il faut s'intéresser à la composition verticale de l'atmosphère. On s'aperçoit alors de la présence d'une couche polluée près du sol, surmontée d'une couche non polluée. Cela s'explique par le fait que la pollution est émise en grande partie à partir du sol, et se mélange dans une « couche turbulente » dont la hauteur est limitée. En effet, lors des journées ensoleillées, le soleil chauffe le sol et crée des mouvements turbulents, qui brassent l'atmosphère au voisinage du sol. Ce brassage s'arrête à une certaine altitude, appelée « hauteur de mélange » et qui est un paramètre déterminant dans les phénomènes de pollution.

La pollution respirée dépend donc de deux facteurs fondamentaux : les émissions polluantes dans la couche et la hauteur de mélange, autrement dit, le volume dans lequel ces polluants pourront être dilués. Ce volume dépend à son tour de la météorologie. C'est pour cela que certains jours, nous sommes en présence d'une atmosphère claire et d'autre jours d'une atmosphère extrêmement polluée. Les concentrations de polluants peuvent ainsi varier d'un facteur dix d'un jour à l'autre : l'intensité de la pollution est extrêmement variable.

Les polluants qui composent cette couche de pollution peuvent être classés en deux catégories : les polluants primaires, émis directement dans l'atmosphère, et les secondaires, produits par des réactions chimiques à partir des précurseurs primaires.

Parmi les polluants primaires, on trouve les composés gazeux, tels que le dioxyde de soufre, les monoxyde et dioxyde d'azote, le monoxyde de carbone, qui proviennent essentiellement de l'industrie et du trafic. Nous avons également une famille de composés gazeux, les COV ou composés organiques volatils, composés de carbone, d'hydrogène et parfois d'oxygène. Ils sont émis à partir des sources déjà citées, mais aussi à partir d'autres sources comme par exemple l'application de peinture ou les solvants. En plus de ces sources anthropiques, ces composés sont émis par des sources naturelles. Ainsi, certains arbres émettent des COV. Ces composés, qui ne sont pas polluants en soi, peuvent néanmoins amplifier la pollution d'origine humaine.

Ensuite, parmi les composés primaires, nous avons une famille de composés non gazeux, appelés particules d'aérosols. Il s'agit de matière liquide et/ou solide en suspension dans l'air. Elles proviennent des sources déjà citées, mais aussi de nombreuses autres, comme la combustion, ou les chantiers de construction. En raison de la diversité de ces sources, il est difficile de les recenser et de contrôler leurs émissions.

Enfin, nous avons une molécule essentielle dans les phénomènes de pollution, l'ozone, formé à la suite d'une série de réactions chimiques à partir des précurseurs primaires. Il n'est pas émis directement et est donc un composé secondaire.

Les émissions de polluants

Pour parler de pollution, on doit s'intéresser tout d'abord aux émissions des principaux polluants primaires tels que le dioxyde de soufre, le monoxyde et le dioxyde d'azote, les COV, et le CO2, et à leur répartition en fonction des différents secteurs d'activité.

Le dioxyde de soufre provient ainsi essentiellement de l'industrie et principalement des centrales thermiques, alors que les oxydes d'azote et le monoxyde de carbone, proviennent très largement du trafic (typiquement 50%). Il faut souligner qu'il n'y a pas que le trafic qui émet des oxydes d'azote (50%), il y a aussi d'autres sources, industrielles et résidentielles (chaudières).

En ce qui concerne, les COV, la dispersion des sources est assez grande : le trafic routier n'explique qu'un tiers des émissions, alors que le secteur d'activité résidentiel ou tertiaire en explique également un tiers.

Où sont les principaux émetteurs en Ile-de-France ? Les fortes émissions de dioxyde d'azote sont bien entendu situées au niveau de l'agglomération parisienne, mais les grands axes routiers apportent aussi une contribution significative à ces émissions, puisqu'elles sont importantes lorsque les voitures roulent à grande vitesse. Il existe également des sources ponctuelles assez fortes correspondant à des installations industrielles.

D'un point de vue européen, Paris n'est pas la seule ville émettrice de polluants. En effet, la densité moyenne des émissions annuelles de la France reste au-dessous de celles des pays de l'Europe du Nord, non pas pour des raisons politiques, mais simplement parce que la France du Centre et du Sud est très peu peuplée. Si les émissions sont fortes au niveau du Benelux et de l'Allemagne de l'ouest, c'est en raison d'une forte densité de population. La plus forte zone d'émissions se retrouve entre l'Angleterre, le Benelux, l'Allemagne et l'Italie du Nord. Ainsi, lorsque les vents viennent de l'est ou du nord, l'Ile-de-France est couramment soumise à un phénomène de transport de pollution venant de l'extérieur, qui vient s'ajouter à la pollution locale. Ce phénomène peut être très important pour l'ozone.

Concernant l'évolution des émissions, on s'aperçoit que la tendance actuelle est très nettement à la baisse. Ainsi, l'augmentation séculaire des émissions d'oxydes d'azote a cessé en 1990. Cette hausse observée jusqu'en 1990 n'était plus tenable et s'est traduite par une prise de conscience générale, conduisant à l'utilisation de véhicules moins polluants et de nouvelles technologies industrielles, qui respectent mieux l'environnement.

Naturellement, la réduction des émissions entraîne celle de la pollution. C'est ce qui s'est passé depuis les années 1950, avec le dioxyde de soufre. En fait, dans les années 1950, suite à un accident très grave dû à la pollution par le soufre, qui a causé des milliers de morts à Londres, les états ont pris conscience de ce problème et ont décidé d'agir en baissant les émissions de dioxyde de soufre. Ainsi, depuis cet événement, les concentrations des oxydes de soufre ont baissé d'un facteur dix à vingt. Les mesures prises ont donc été efficaces.

En ce qui concerne les oxydes d'azote, la situation est différente, puisquils proviennent en grande partie du trafic. Or le trafic a fortement augmenté ces dernières années, même si des technologies nouvelles ont produit des véhicules moins polluants. La tendance à la baisse est donc assez peu marquée, car elle n'a commencé qu'au début des années 1990.

De plus, les oxydes d'azote présentent une forte variation saisonnière : la pollution est plus importante en hiver qu'en été, car le volume dans lequel les émissions sont diluées est plus petit en hiver, en raison d'un chauffage plus faible.

Les aérosols

Les aérosols sont des constituants majeurs de l'atmosphère au même titre que les polluants gazeux, cependant, leur diversité en taille et en composition chimique liée à la variété de leurs sources en fait l'un des constituants les plus complexes de l'atmosphère.

Ce sont des particules multiphasiques (solides et/ou liquides) complexes, parce qu'elles sont constituées d'un grand nombre de substances : un noyau solide, qui peut être une petite bille de suie, un cristal, un métal ou un minéral, entouré d'une enveloppe liquide et visqueuse, contenant des substances polluantes, sous forme d'ions, tels que l'ammoniac, l'acide nitrique et sulfurique, des substances organiques ou du sel.

Lorsqu'on regarde un aérosol au microscope, on s'aperçoit que cette description simpliste, n'est que rarement vérifiée. En réalité, une particule n'est jamais toute seule. Elle est constituée d'agglomérats de petites particules sphériques, des sortes de chapelet, formant un ensemble hétérogène.

Pour caractériser une population d'aérosols, ensemble extrêmement complexe, on peut s'intéresser à leur distribution en nombre (nombre de particules en fonction de leur taille). On s'aperçoit alors que la plupart des particules sont de très petite taille, de l'ordre du centième de micron jusqu'au dixième de micron. Or, ce sont justement les particules les plus fines, qui sont les plus toxiques, puisqu'elles pénètrent plus profondément dans le système respiratoire.

Où trouve-t-on le plus de particules ? En fait, on les retrouve principalement là où elles sont émises : autour des centres villes et sur les grands axe de circulation.

Pour connaître leurs concentrations, on dispose des stations de mesures au sol et des modèles numériques. La mesure de particules est en fait très délicate : on mesure aujourd'hui les particules inférieures à dix microns, en utilisant une technologie qui a fait ses preuves, même si elle comporte encore des incertitudes. Mais, il existe encore assez peu de sites qui mesurent les concentrations des particules et surtout leur granulométrie, c'est-à-dire leur distribution en taille, ou sur leur spéciation chimique sont assez peu documentées. La modélisation est donc actuellement le seul moyen d'obtenir tous ces renseignements.

Le centre de Paris est la plus forte zone d'émission de particules, et en fonction du vent, elles peuvent être transportées, et transformées, s'agglomérer, se condenser. De nombreux processus se produisent dans le panache, sous le vent de l'agglomération parisienne. Les Parisiens ne sont donc les seuls concernés par la pollution particulaire.

Concernant l'évolution des émissions, même si aujourd'hui on a assez peu de recul et si les technologies de mesure des particules ont fortement varié dans les années passées, il est raisonnable de penser que la pollution particulaire baisse fortement, et probablement aussi fortement que la pollution soufrée, c'est-à-dire d'un facteur dix par rapport aux années 1950.

Cependant, il faut mentionner un autre problème, commun aux autres polluants : si l'on a une baisse au niveau de l'Ile-de-France et de la France, cette baisse ne se vérifie pas nécessairement au niveau mondial, les émissions polluantes augmentant au niveau mondial.

L'ozone

Intéressons nous maintenant au polluant secondaire dont on parle le plus : l'ozone.

L'ozone est un composé naturel, extrêmement abondant dans la stratosphère (couche d'atmosphère située approximativement entre 10 et 100 kilomètres d'altitude), pour des raisons d'équilibre physico-chimique : 90% de l'ozone se trouve dans la stratosphère. C'est d'ailleurs cet ozone là, considéré comme le « bon ozone », qui nous protège du rayonnement ultraviolet. Le trou d'ozone se produit dans la stratosphère, principalement au-dessus de l'Antarctique, et cette destruction pose un réel problème pour l'environnement.

Cependant, le trou d'ozone n'est pas le sujet de l'exposé et nous allons étudier le comportement de l'ozone dans les basses couches de l'atmosphère.

Les concentrations de l'ozone dans la troposphère, couche située entre 0 et 10 kilomètres d'altitude, sont nettement plus faibles. En effet, par rapport à la stratosphère, où sa concentration avoisine 1 à 10 parties par millions, c'est-à-dire une (à dix) molécule(s) d'ozone pour un million de molécules d'air, la troposphère est le siège de rapport de mélanges dix à cent fois moins forts. Il y a une sorte de barrière entre les deux couches, qui limite les échanges de l'air.

Lorsque l'on parle de la pollution à l'ozone, on s'intéresse davantage à ce qui se passe dans le premier kilomètre, appellé la couche limite. Dans cette couche limite polluée, les concentrations d'ozone sont de l'ordre de la centaine de ppb lors d'un épisode de pollution. Un ppb est une partie par milliards, donc une molécule pour un milliard de molécules d'air.

La molécule d'ozone qui va se trouver dans la troposphère ou dans la couche limite polluée provient de deux sources. La première est l'enrichissement de la troposphère par l'intrusion de l'ozone stratosphérique, en particulier lors d'événements très ventés, de tempêtes, de passages de dépressions. La deuxième source de production d'ozone est la pollution photochimique. Il est important de rappeler que l'ozone est un gaz intervenant dans plusieurs composantes de l'environnement terrestre : au-delà des phénomènes de pollution estivale que l'on peut vivre en Ile-de-France, c'est un gaz à effet de serre, qui participe donc au réchauffement de l'atmosphère terrestre.

Il n'y a pas seulement des mécanismes de production d'ozone, mais aussi des mécanismes de perte. L'ozone se dépose au sol, notamment sur la végétation. On voit assez fréquemment des feuilles de végétaux abîmées par l'ozone : il empêche la croissance de certaines céréales. Un autre mécanisme, prépondérant en altitude, est la perte chimique de l'ozone avec la vapeur d'eau.

Evolution de l'ozone

Les mesures qui ont été faites au dix-neuvième siècle au sommet du Pic du Midi dans les Pyrénées, puis sur d'autres sites, donc sur des sites réellement propres, montrent une hausse très forte des concentrations d'ozone. En effet, à la fin du dix-neuvième siècle, les concentrations étaient de l'ordre de dix ppb, alors qu'aujourd'hui elles sont de l'ordre de 50 ppb. Les concentrations d'ozone sur les sites propres, c'est-à-dire de l'ozone de fond, ont donc augmenté d'un facteur cinq en un siècle. Par contre, sur les années 1990 des mesures récentes montrent très peu de tendance, sauf peut-être au niveau des minima, qui ont tendance à augmenter, alors que les maxima restent sensiblement les mêmes d'une année à l'autre.

La prévision de l'évolution de l'ozone est incertaine, en raison de deux effets contradictoires : d'une part, les émissions globales de gaz précurseurs d'ozone augmentent, conduisant ainsi à une augmentation du niveau de fond d'ozone. D'autre part, les émissions en France et en Europe baissent et, localement, les concentrations maximales d'ozone ont tendance à baisser. La prise en compte de ces phénomènes contradictoires conduit donc à un résultat assez incertain. Il est probable que les maxima d'ozone vont baisser, mais les minima et les moyennes vont augmenter.

A Paris et dans son agglomération, comme dans les plus grandes agglomérations européennes, les concentrations d'ozone augmentent, en réponse à deux phénomènes. D'une part le niveau de fond augmente, mais il est fort peu probable qu'entre 1992 et 2002, cette augmentation ne puisse expliquer à elle seule, l'augmentation observée (50 pour cents). Un autre phénomène se produit : en diminuant les émissions d'oxydes d'azote (NO et NO2), l'ozone augmente en raison de réactions chimiques.

En général, une masse d'air arrivant sur une ville contient toujours un peu d'ozone, typiquement 50 ppb. Lorsqu'elle rentre dans la zone agglomérée, très rapidement (en quelques minutes), l'ozone et le monoxyde d'azote réagissent ensemble pour produire du dioxyde d'azote (NO + O3à NO2). Mécaniquement, l'ozone baisse donc, et les concentrations de dioxyde d'azote augmentent, la somme des deux restant pratiquement constante.

A la sortie de la ville, la réaction inverse se produit : les concentrations de dioxyde d'azote vont baisser suite à sa photolyse et on retrouve du monoxyde d'azote et de l'ozone. Cependant, la somme de ces deux produits aura légèrement augmenté. Cette augmentation n'est pas due aux réactions que nous venons de voir, mais à un cycle de réactions chimiques beaucoup plus complexes. En simplifiant, elle est due principalement au rayonnement et à son action sur les gaz contenus dans l'atmosphère.

L'énergie solaire a tendance à casser un certain nombre de molécules pour former des molécules instables, comme par exemple une molécule qui contient un atome d'hydrogène et un d'oxygène, appelée radical hydroxyle OH. Lorsque ce radical rencontre un COV (émis par le trafic, l'industrie, mais aussi d'autres sources), une réaction chimique forme un nouveau produit, qui attaque les molécules d'oxyde d'azote pour former une molécule de NO2. Or, nous avons vu que NO2 est en équilibre avec l'ozone.

C'est cette chaîne de réactions qui conduit à la formation d'ozone autour des agglomérations urbaines. Mais, ce n'est pas fini : la dernière réaction de la chaîne va recréer le premier radical OH. On est donc face à un cycle de réactions, et il suffit en réalité d'un radical pour oxyder une grande quantité des émissions de COV et d'oxydes d'azote, pour former beaucoup d'ozone.

Si l'on effectue une réduction urbaine des émissions, (en réduisant le trafic par exemple), le dioxyde d'azote diminue sur la ville, et l'ozone en contrepartie (comme la somme des deux reste constante) augmente. Mais la chaîne de réactions précédente produit moins d'ozone en aval de la ville. Une réduction des émissions entraîne donc une augmentation de l'ozone en ville et une réduction en aval.

Episodes de pollution à l'ozone

Maintenant, nous allons nous intéresser à une simulation numérique de l'épisode d'ozone du 17 juillet 1999, effectuée dans notre laboratoire. Ce jour-là, un léger vent de sud-est pousse les concentrations vers l'ouest de l'agglomération parisienne et à 12h UTC (14h locales), les fortes concentrations d'ozone se forment dans la région de Poissy. Ensuite, à 14h UTC, elles augmentent pour atteindre leur maximum vers 16h UTC. Le maximum des concentrations d'ozone apparaît donc en fin d'après-midi, non sur la ville, mais à 25-50 kilomètres de la ville, parce que d'une part, les réactions chimiques conduisant à la formation d'ozone prennent un certain temps et d'autre part, leur efficacité de réaction est plus forte hors de la ville. Si on laisse encore évoluer le système, à 18h et 20h, cette « bulle d'ozone » formée à partir de l'agglomération parisienne se détache progressivement, puis est poussée sur d'autres régions.

En comparant ces simulations numériques aux observations, on peut voir qu'elles sont assez réalistes. En fait, ce jour-là, nous avions fait une campagne de mesures, avec l'utilisation d'un avion, qui a quadrillé l'Ile-de-France. Ainsi, en début d'après-midi, les concentrations d'ozone sont assez fortes juste derrière l'agglomération parisienne et en fin d'après-midi, elles sont très fortes à peu près au même endroit que pour les simulations.

Après un jour de formation d'ozone, une bulle est formée. Si la situation météorologique persiste plusieurs jours, plusieurs bulles seront émises de la même ville ou d'autres villes et vont s'accumuler dans l'atmosphère. C'est ce qui s'est passé lors de l'épisode de la canicule de début août 2003.

Ainsi, à l'échelle de l'Europe de l'ouest, le 1er août, la simulation donne des concentrations très fortes au niveau de l'agglomération parisienne. Ensuite, les 3, 5 et 8 août, l'ozone s'accumule sous la forme d'un énorme nuage d'ozone, qui couvre le nord de la France. On a donc une accumulation des différents panaches, provenant de différentes villes.

La modélisation de la qualité de l'air s'effectue à partir de modèles numériques, qui utilisent une grille. Pour le modèle du Laboratoire de Météorologie Dynamique, cette grille représente des mailles de 50 km par 50 km, sur lesquelles une équation mathématique complexe est résolue. Cependant, pour la résoudre à l'échelle de quelques kilomètres, pour par exemple connaître la pollution en Ile-de-France, un zoom est nécessaire.

Pour terminer, nous allons nous intéresser plus en détail à cet épisode de la vague de chaleur que nous avons eu au mois d'août. Cet épisode est tout à fait particulier, et a été marqué par une forte surmortalité. En fait, la part de la mortalité due à la pollution reste aujourd'hui très incertaine. Malgré l'incertitude sur ce sujet, il est important de connaître la dynamique des épisodes de pollution lors de tels événement et de savoir si cette pollution aurait pu être limitée par des baisses d'émissions.

Du 1 au 13 août 2003, l'épisode de pollution à l'ozone a concerné l'Europe du Nord et de l'Ouest. Ainsi, un nuage d'ozone, au départ sur l'Allemagne vers le 1 août, progresse vers l'Alsace puis traverse la France, pour le 8 et le 9 août se retrouver sur la Bretagne (qui n'a jamais d'habitude des concentrations d'ozone aussi élevées), puis sur l'Angleterre. L'évolution du panache, selon un mouvement rotatif, est du à la présence d'un anticyclone. L'échelle du phénomène est celle du continent européen lors de cet épisode : il ne peut pas être compris et décrit seulement en regardant une région comme l'Ile-de-France. Ceci a des implications : si l'on veut réduire la pollution, il faut agir à une échelle assez grande.

Impact des réductions des émissions sur la pollution

Aurions-nous pu évité une telle pollution ?

Pour répondre à cette question, nous pourrions nous demander, par exemple, quel serait l'apport d'une limitation ou d'une interdiction des voitures. En fait, nous avons simulé des scénarios plus simples et plus théoriques, à l'aide du modèle numérique appelé CHIMERE que nous avons développé à l'Institut Pierre-Simon Laplace. Tout d'abord, nous considérons une simulation de référence, avec les émissions les plus probables pour l'année 2003. Puis, nous modifions ces simulations en utilisant des scénarios de réduction d'émissions.

Le premier scénario étudié prend en compte les émissions polluantes prévues pour 2010 : la question est donc de connaître les conséquences d'une vague de chaleur comme celle d'août 2003 si elle se reproduisait en août 2010. Pour les hypothèses d'émissions en 2010, on utilise les valeurs d'émissions promises par les États au niveau européen. En effet, suite au protocole de Göteborg, en 1999, la plupart des pays européens se sont engagés à baisser leurs émissions d'un certain taux. Typiquement, par rapport à 1999, la France s'est engagé à baisser ses émissions de dioxyde d'azote d'environ 40 %, et d'à peu près autant ses émissions de COV. On applique donc une baisse de 40 % aux émissions de 1999, comme si on était en 2010, pour le scénario d'août 2003.

Ceci est une vision future, mais quel aurait pu être l'impact, en 2003, de réductions d'émissions effectuées dans l'urgence ? L'expérience du premier octobre 1997 en Ile-de-France, mettant en place la circulation alternée, a selon les estimations, conduit à une baisse d'environ 20 % des émissions du trafic. En se basant sur ce chiffre, nous avons donc testé une baisse des émissions de 20 % sur toute l'Europe, sur toute la France ou sur la région parisienne.

Pour nos comparaisons, nous utilisons comme paramètre le nombre d'heures simulées du dépassement du seuil d'information (180 µg/m3, seuil réglementaire européen).

Pour la référence, pendant les quinze premiers jours d'août, la pollution à l'ozone est forte autour de l'Ile-de-France, avec beaucoup d'heures de dépassement du seuil d'information. Mais ce n'est pas la seule région concernée : la région marseillaise, la région de la plaine du Pô, l'Alsace et la vallée du Rhône sont également concernées par cette forte pollution.

Pour le scénario de 2010, les résultats sont sans équivoque. Si les Etats appliquent leurs promesses, en 2010, la baisse des phénomènes de pollution à l'ozone sera spectaculaire. Le nombre d'heures de dépassement du seuil d'information devrait baisser de 82%, soit d'un facteur cinq.

En baissant de 20 % les émissions sur l'Europe, la baisse reste importante, quoique plus faible : environ la moitié des heures de dépassement du seuil d'information sont supprimées. De plus, la pollution a du mal à se propager sur des zones comme la Bretagne et les zones de l'ouest de la France, comme c'était le cas avec la référence. Donc, une baisse des émissions de 20 % sur toute l'Europe aurait une efficacité assez impressionnante sur l'ozone.

Si maintenant la baisse des émissions ne concerne plus que la France, l'impact est moins net, notamment sur les pays étrangers. Sur l'Allemagne par exemple, l'impact est quasi-nul, en raison d'un vent essentiellement de secteur est durant cet épisode. Pour la France, l'efficacité est bonne en Ile-de-France, par rapport au scénario de base. Avec des baisses de pollution de 14 % sur toute l'Europe et des baisses plus fortes sur la France, les résultats sont encourageants.

Pour compléter ces résultats moyens sur quinze jours, on peut regarder plus en détail l'efficacité des réductions partielles, en s'intéressant à une heure particulière, celle du 8 août 2003 à 14 h UTC, qui correspond au pic de pollution en Ile-de-France comme dans d'autres régions.

Avec 20 % de réduction sur l'Europe, la réduction est efficace et correspond bien aux zones les plus polluées.

En comparant maintenant l'efficacité d'une baisse sur la France par rapport à une baisse sur l'Europe, nous obtenons l'effet de la contrepartie purement française des émissions. Il apparaît en fait que 40 % des réductions d'ozone sont dues aux réductions étrangères et 60 % aux réductions françaises. Les réductions doivent donc avoir lieu à une échelle suffisamment importante.

Pour une réduction de 20 % des émissions seulement autour de l'Ile-de-France, l'effet est quasi-nul à peu près partout, sauf évidemment en Ile-de-France. De plus, environ 50% de l'ozone observé en Ile-de-France vient de l'extérieur de la région francilienne. Donc, en n'effectuant des réductions qu'en Ile-de-France, l'efficacité sera au plus de moitié par rapport à des réductions à l'échelle européenne.

Conclusion

Paris est soumis à sa propre pollution pour la plupart des polluants, en raison de fortes émissions primaires. Cependant pour l'ozone, le phénomène est plus complexe : schématiquement, la moitié de l'ozone lors des épisode de pollution estivale est due aux émissions parisiennes et l'autre moitié aux émissions externes (hors de l'Ile-de-France). Le transport à longue distance est donc assez important, d'autant plus lors des épisodes très chauds en été, lorsque les vents sont d'est ou de nord-est et permettent un transport de pollution venant d'Allemagne ou du Benelux.

En Europe et à Paris, les concentrations de la plupart des polluants baissent. Seul l'ozone augmente, à cause de certaines réactions chimiques et par augmentation du niveau de fond mondial.

Les réductions d'émission sont efficaces durant les épisodes de pollution. Ainsi, en cas de nouvel épisode comme celui du mois d'août 2003, la pollution pourrait être limitée par des réductions d'émissions d'au moins 20 %. Il reste à savoir évidemment si une baisse d'émissions de 20 % est réalisable en pratique. Cela aura certainement un coût, qu'il faudra évaluer. Mais en théorie ce n'est pas inatteignable, puisque cela a été réalisé dans le cas de l'Ile-de-France par la circulation alternée. De plus, pour vraiment attaquer le problème, la baisse des émissions doit concerner une surface très grande, englobant au moins tout le nord de la France, voire plus. Il faudrait même coordonner une action à un niveau européen pour éviter ces dépassements dans l'immédiat.

Enfin, il faut être assez optimiste pour les années à venir, puisque les baisses d'émission promises pour 2010 devraient faire disparaître la majorité des épisodes. Cependant, il faut bien garder en tête que ces réductions doivent être appliquées dès maintenant.

Université René Descartes Paris-5

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