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Français
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UTLS - la suite (Réalisation), UTLS - la suite (Production), Jean-Marie Mouchel (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/txy8-jd35
Citer cette ressource :
Jean-Marie Mouchel. UTLS. (2003, 1 novembre). Les égouts et l'évacuation des déchets , in ça c'est Paris. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/txy8-jd35. (Consultée le 19 mars 2024)

Les égouts et l'évacuation des déchets

Réalisation : 1 novembre 2003 - Mise en ligne : 1 novembre 2003
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Descriptif

Après de nombreux siècles où l'alimentation en eau de Paris, et par voie de conséquence, son réseau d'égout sont restés fort limités, un essor considérable a été donné au réseau au milieu du 19e siècle, et il s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui. Parmi les projets initiaux, certains prévoyaient la création d'une ville souterraine, où seraient réalisées nombreuses des basses besognes nécessaires au fonctionnement et au prestige de la partie visible (et "hygiénisée") de la ville. Les réseaux souterrains devaient ainsi assurer le transport de l'eau mais aussi de nombreuses marchandises ou déchets. Dans le même temps, l'alimentation en eau potable généralisée, et l'élimination des eaux souillées hors de la ville, devenait un objectif prioritaire pour des raisons sanitaires. Les épidémies de choléra du milieu du siècle furent un des facteurs déclenchant le développement des projets de Belgrand à l'époque ou Haussmann rénovait la partie visible de Paris. Une particularité des égouts de Paris est la taille des canalisations, qui les rend en tout point visitables, ce qui leur confère un cachet tout particulier. Ils ont d'ailleurs toujours été visités, par les égoutiers chargés de leur entretien en premier lieu, mais aussi par de nombreux visiteurs qui accèdent aujourd'hui au musée des égouts situé dans le réseau. Dans la dernière partie du 19e siècle fut instauré le principe du tout-à-l'égout, mais sa mise en oeuvre complète, visant à l'élimination de toutes les fosses chez les particuliers, dura plusieurs décennies et se poursuivit au début du 20ième siècle. Le réseau devint unitaire, évacuant à la fois les eaux usées et les eaux de chaussées (eaux du lavage de rues, eaux de ruissellement pluvial etc.). Pour des raisons techniques, et pour éviter des déversements en Seine à l'intérieur de Paris, Belgrand a basé l'architecture du réseau sur un collecteur central qui rejoignait directement la Seine à Clichy.

Le développement de la ville, et la mise en oeuvre du tout-à-l'égout ont considérablement augmenté la quantité de pollution déversée. A la fin du 19ième siècle, une solution basée sur l'épuration par le sol fut développée pour traiter les eaux avant leur arrivée en Seine. Des champs d'épandage furent installés dans la presqu'île de Gennevilliers puis plus à l'aval (Achères, Triel…), la ville de Paris devint propriétaire fermier et favorisait une intense activité de maraîchage. Au moment de l'exposition universelle à la toute fin du siècle, presque toutes les eaux collectées étaient envoyées vers les champs d'épandage. Cependant, la course en avant devait continuer, de plus en plus d'eau étant utilisée et devant être évacuée puis traitée dans une ville en constante expansion, alors que la pression foncière réduisait la superficie des champs d'épandage. Dès le début du 20ième, les rejets d'eaux usées en Seine reprirent de plus belle. Après de nombreux essais menés sur les pilotes par la ville de Paris, la première station d'épuration moderne à boues activées fut construite à Achères en 1938 (aujourd'hui "Seine-Aval"), et ne fut réellement alimentée que plusieurs années après la guerre. Dans les filières de traitement d'une telle station, comme dans le sol, des micro-organismes se développent en digérant les matières organiques et les transforment en gaz carbonique et en sels. Les matières solides transportées dans l'eau des égouts et les micro-organismes produits au cours du traitement sont rassemblés pour constituer les boues d'épuration. D'autres filières sont chargées du traitement des boues qui sont épaissies, pressées, éventuellement digérées avant d'être épandues sur des terres agricoles, mises en décharge ou encore incinérées. Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le processus de construction de nouveaux réseaux et de nouvelles stations de traitement des eaux n'a cessé de se développer. A partir des années 70, on cessa de créer des réseaux unitaires pour passer au système séparatif. Dans un réseau séparatif, les eaux pluviales sont collectées dans un réseau séparé des eaux usées domestiques ou industrielles. Les eaux pluviales sont évacuées directement vers le milieu récepteur, alors que les eaux usées sont envoyées vers les stations d'épuration. Un avantage très significatif de ce type de collecte est que les flots reçus par les stations de traitement sont beaucoup plus réguliers, et qu'il n'y a pas de risques de surcharge du système en temps de pluie. Par contre, ce système nécessite une surveillance accrue des "mauvais branchements" d'eaux usées sur le réseau pluvial, et ne permet pas de traiter les eaux de ruissellement qui peuvent être fortement contaminées. Les stations de traitement sont devenues plus efficaces et plus flexibles dans leur gestion, ce qui permet notamment de traiter une fraction toujours croissante des eaux de temps de pluie dans les réseaux anciens unitaires, et de résoudre en grande partie graves problèmes dues aux déversements de temps de pluie dans le réseau unitaire. De nouvelles stations ont été construites en différents points de l'agglomération parisienne pour des raisons techniques, parce qu'il devenait techniquement difficile d'acheminer les eaux sur de très longues distances vers un point de traitement unique à l'aval, mais aussi pour des raisons éthiques et politiques pour que soit mieux partagées les nuisances dues au traitement. Le devenir des boues est toujours un problème aujourd'hui car elles peuvent contenir des contaminants persistants en quantité excessive. Alors que les matières organiques contenues dans les boues constituent des amendements utiles aux cultures, les contaminations doivent être évitées. Des efforts très importants ont été faits dans l'agglomération parisienne pour limiter le rejets de contaminants dans le réseau. Cette politique de réduction à la source a porté ses fruits puisque les teneurs en certains métaux dans les boues de la station "Seine-Aval" ont diminué de plus qu'un facteur 10 en 20 ans. L'évolution actuelle va vers des réseaux et des méthodes de traitement plus diversifiées. Le développement de stations de traitement va se poursuivre en différents points de l'agglomération parisienne, alors que l'interconnexion du réseau unitaire devient une réalité, qui permet une meilleure gestion des eaux en temps de pluie. Dans le même temps les eaux pluviales sont de plus en plus souvent retenues ou traitées à l'amont des bassins versants pour limiter le ruissellement excessif. Il aura donc fallu plus d'un siècle pour que la grande ligne directrice "tout vers l'aval" qui avait été instaurée par Belgrand soit remise en cause. Il aura fallu un siècle également pour que l'objectif "zéro rejets par temps", atteint au début du siècle lors de l'exposition universelle, soit de nouveau atteint. Le réseau d'assainissement fait donc bien partie de ces patrimoines techniques urbains fondamentaux qu'il faut gérer aujourd'hui en pensant aux générations futures.

Références utilisées dans cette conférence : "Atlas du Paris Souterrain", par Gilles Thomas et Alain Clément, Ed. Parigramme, 2001. "Paris Sewers and Sewermen, realities and representations", par D. Reid, Harvard University Press, 1991. "Les égouts de Paris, une ville sous la ville", plaquette de présentation des égouts, Mairie de Paris "Rendre l'eau à la vie, 1970/1995, 25ième anniversaire du SIAAP", par M.F. Pointeau, Ed. CEP Euro Editions. "La Seine en son Bassin", M. Maybeck, G. de Marsily et E. Fustec (editeurs), publié par Elsevier en 1998.

Intervention
Thème
Documentation

Texte de la 507e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 1ernovembre 2003

Jean-Marie Mouchel « Les égouts de Paris »

Toutes les villes ont des rapports étroits et multiples avec l'eau. Elles se sont très souvent établies sur les berges des rivières ou sur les cotes, elles utilisent l'eau pour les besoins de leurs habitants, pour développer leur industrie (source d'énergie, matières première, transport de froid ou de chaleur, ou encore moyen de nettoyage...). Dans le même temps les eaux doivent être évacuées après usage, de même de que les eaux de pluie, et le problème est rendu plus compliqué encore par l'imperméabilisation des sols urbains qui augmente les volumes ruisselés, ou lorsque les villes sont construites en bordure de rivière, sur d'anciens terrains marécageux comme c'est le cas à Paris.

L'évacuation des eaux, c'est la ville sous la ville[1], la ville secrète, le réseau souterrain et les cheminements cachés, parfois hostile mais toujours fascinant.

Sur le site de Paris, les premiers égouts furent ceux de Lutèce, où les Gallos-romains avaient captés des sources, et installé des thermes reproduisant le mode de vie romain en plus petit. 2000 ans plus tard, le réseau d'égouts parisien fait plus de 2000 km de long, auxquels s'ajoutent encore des plusieurs milliers de kilomètres de canalisations dans le reste de l'agglomération parisienne. La moyenne de un kilomètre de canalisation par an depuis le commencement cache plusieurs transformations majeures, et des périodes d'intense développement ou de stagnation. L'évolution du réseau des égouts est évidemment lié à celle de la ville elle-même, de sa superficie, de son nombre d'habitants, et à ses relations avec l'eau.

Les égouts de Paris, dans leur configuration moderne, ont vu le jour au milieu du XIXe siècle, ils sont l'Suvre d'Eugène Belgrand à l'époque où le baron Haussmann a entrepris les grands travaux bien connus qui donnent encore à Paris son visage d'aujourd'hui. Les choix qui ont été faits à cette époque résultent à la fois d'une longue histoire de l'évacuation des eaux dans la capitale et de nouvelles contraintes qui sont apparues à cette époque. Ils perdurent jusqu'à aujourd'hui et commencent seulement à être partiellement remis en cause.

Les eaux importées et des eaux pluviales

Les premiers égouts construits sur le site de Paris sont des égouts romains. Toutes leurs traces ne sont pas clairement établies mais il est certain que les eaux de source (sources de Rungis) que les Romains avaient captées grâce à un aqueduc dont le tracé suit exactement l'aqueduc d'Arcueil d'aujourd'hui étaient évacuées vers la Seine par un cloaque, au sens latin du terme. Plusieurs thermes avaient été construits dans la Lutèce Gallo-romaine. Plusieurs canalisations de quelques centaines de mètres de long évacuaient probablement les eaux utilisées sur la rive gauche de la Seine, des traces de l'égout qui évacuait les thermes dits de Cluny ont été retrouvés le long de l'actuel Boulevard St Michel. En fonction des caractéristiques physiques de l'aqueduc (pente et dimension), on estime qu'un débit de 2000 m3 par jour pouvait être acheminé vers Lutèce. A la fin de l'époque romaine, l'aqueduc a probablement encore été utilisé durant quelques siècles, sans qu'on puisse préciser l'époque à laquelle il fut abandonné, puis Paris ne fut plus alimenté en eau par des aqueducs, mais seulement par la Seine et des puits.

Dans la deuxième partie du moyen âge (XIe au XIIIe siècle) le captage des sources situées sur la rive droite de la Seine (sources de Belleville et du Pré St Gervais) a été réalisé. Il fut principalement le fait d'abbayes (Saint Martin des Champs, Saint Lazare, Hôpital Saint Louis), les autorités de la ville ne prenant que peu de responsabilités dans ces travaux. Peu d'eau finalement arrive jusqu'à l'intérieur de la capitale. Les sources alimentent quelques fontaines avec un débit inconstant, le volume journalier ainsi distribué est estimé à environ 300 m3.

Aux XVIe et XVIIe siècle, de nouveaux efforts sont engagés, par Henri IV puis Catherine de Médicis. On construit la pompe hydraulique de la Samaritaine, puis celle du Pont Neuf. L'aqueduc de Médicis reprendra exactement le tracé de l'aqueduc romain, dont les traces furent recherchées pour l'occasion. Cet aqueduc est capable d'amener à Paris 1000 m3 par jour quand tout va bien. Mais de multiples privilèges et droits spéciaux limitent le débit dont peuvent bénéficier les parisiens, à l'arrivée aux fontaines publiques. A cette époque seront également engagés des travaux pour l'amélioration des fontaines publiques et des canalisations, souvent fuyantes ou encore colmatées par le calcaire.

Au milieu du XVIIIe, environ 2000 m3 d'eau sont distribués chaque jour par 85 fontaines publiques. La deuxième partie du XVIIIe siècle verra l'avènement de pompes à vapeur sur les berges de la Seine, beaucoup plus efficaces que les pompes hydrauliques. Deux banquiers, les frères Périer ont fondé la première compagnie de distribution de l'eau en 1771. En 1785 elle aura un quasi-monopole de la distribution après avoir absorbé d'autres compagnies gérant des pompes hydrauliques ou à vapeur. On instaure le service d'eau chez les particuliers avec des canalisations spécifiques et un système d'abonnement.

A la fin du XVIIIe siècle 8000 m3 d'eau sont ainsi distribués journellement. Ce ne sont évidemment pas les seules ressources des 600000 parisiens de l'époque. De nombreux puits ainsi que des porteurs d'eau contribuent également à l'alimentation des parisiens. L'ingénieur Girard, qui développa le réseau des égouts dans la première moitié du XIXe siècle, dénombrera 3000 puits à Paris en 1830, on en comptera 30000 au cours du siège de Paris en 1870. Comme on pouvait le craindre, la qualité des eaux est très médiocre, voire foncièrement mauvaise. Des teneurs en azote de plus de 100 milligrammes par litre d'eau de puit pour les puits anciens, soit mille fois plus que ce qu'on attend aujourd'hui d'une rivière de qualité moyenne.

Au début du XIXe, la volonté est forte de beaucoup mieux alimenter Paris en eau. Un des objectifs importants est de laver les rues qui sont souillées par les multiples activités artisanales, par la circulation des animaux, et par une évacuation insuffisante des déchets. Paris est sale et boueux. L'hygiène et le lavage sont de mise, les atmosphères confinées sont réputées malsaines, même si les explications paraissent farfelues aujourd'hui, les germes pathogènes ne seront mis en évidence par Pasteur que beaucoup plus tard, dans les années 1880.

Depuis plusieurs siècles, les rues sont utilisées pour entasser ordures et boues, et les services de nettoiement sont insuffisants. De tous temps, on a cherché à mettre en place un service de nettoiement fonctionnel. Des tombereaux étaient utilisés pour évacuer les déchets hors de la ville, service régulier ou passager, public ou privé, réglé par décret ou laissé au bon soin des édiles[2]..., aucune solution n'a apporté de remède satisfaisant au problème. La ville reste sale, et les eaux pluviales entraînent une partie des immondices.

La construction du canal de l'Ourcq a débuté en 1805, le canal sera complètement percé en 1822 et tous les travaux achevés en 1839. Il a la double vocation de permettre la navigation et l'alimentation en eau de Paris, jusqu'à 10000 m3/jour principalement destinés au lavage des rues. Dans le même temps, un système très étudié de bornes-fontaines est mis en place avec des pentes et contre-pentes dans les rues pour que les eaux de lavage atteignent bien les secteurs voulus, et soient finalement dirigées vers l'égout destiné à les évacuer.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le baron Haussmann veut faire de Paris la Rome des temps modernes, et comme Rome, Paris devra être alimenté en eau et naturellement pourvu d'un réseau d'égouts. L'exemple de Londres, plus avancée à l'époque, est aussi là pour motiver le projet. Le grand programme est lancé pour révolutionner l'alimentation de Paris en eau, ainsi que son système d'évacuation. Cette double mission est confiée à l'ingénieur Eugène Belgrand.

Eugène Belgrand est convaincu que l'alimentation par des eaux de sources est la meilleure solution possible. Il sera pas toujours facile de faire accepter l'idée que les eaux de sources sont de meilleure qualité que les eaux de Seine, alors même que ces dernières reçoivent de multiples rejets et sentent au point que de nombreuses plaintes sont déposées. Mais Belgrand gagne provisoirement cette bataille et un programme de captage d'eaux de source pour alimenter Paris est lancé. Il alimentera le réseau privé qui dessert les habitations.. En même temps, de plus en plus grandes quantités d'eau sont captées dans les cours d'eau (Marne et Seine) pour alimenter le réseau dit public destiné au lavage des rues ou encore au curage des égouts. Les progrès seront considérables et ils seront poursuivis par les successeurs de Belgrand, après 1879, avec l'augmentation des capacités d'acheminement par l'Ourcq grâce à de nouvelles pompes prélevant l'eau de la Marne (nouvelle capacité de 80000 m3/j en 1868), la construction des aqueducs de la Dhuis (40000 m3/j en 1865), de la Vanne[3] (100000 m3/j en 1875), de l'Avre (100000 m3/j en 1893, destinés au réseau public), du Lunain (100000 m3/j en 1893), puis de la Voulzie au XXe siècle, à la construction d'usines élévatoires en Seine et Marne en amont de la confluence de ces deux rivières (50000 m3/j dans la Marne à St Maur en 1869), et dont les capacités seront encore augmentés en améliorant la puissances des pompes. En outre, des lits filtrants de 300000 m3/j chacun sont installés à Ivry et St Maur à partir de 1890. L'eau de source n'est donc plus destinée uniquement au réseau privé, ni l'eau de rivière au réseau public. On distribuera à Paris environ 240 millions de m3 à la fin du XIXe siècle, soit 650000 m3/j. On en distribue aujourd'hui plus du double intra muros, sans compter la banlieue.

On peut fournir par ailleurs un ordre de grandeur des quantités moyenne d'eau de pluie qui tombent annuellement sur le sol parisien, soit 180000 m3/j dans les limites actuelles de Paris (hors bois de Boulogne et bois de Vincennes), 70000 m3/j dans les limites de l'enceinte des Fermiers Généraux, avant l'annexion de 1860, et seulement 15000 m3/j sur le Paris limité par l'enceinte de Charles V. Evidemment, la variabilité de la pluviométrie influence grandement ces quantités, et comme il s'agit de valeurs moyennes sur l'année, des volumes plus élevés devaient être évacués durant chaque journée pluvieuse.

Ces ordres de grandeur mettent cependant en évidence une autre manifestation de la révolution qui a été opérée dans la deuxième partie du XIXe siècle, car c'est à cette époque que le volume des eaux importées dans Paris par des aqueducs ou des pompages en rivière est devenu supérieur au volume des eaux de pluie. Ainsi, la vocation du réseau d'évacuation des eaux changeait complètement, devant prendre en compte l'évacuation des eaux domestiques et industrielles, des eaux publiques destinées au lavage des rues et au curage des égouts, en plus de celle des eaux pluviales. L'importance relative des eaux importées par rapport aux eaux pluviales ne fera que s'accentuer ensuite tout au long du XXe siècle.

L'évacuation des eaux.

Le Paris du Moyen Age a été construit principalement sur la rive droite de la Seine, dans un secteur marécageux, sur des îles et en partie sur la rive gauche ou se trouvait l'université. Dans leur morphologie habituelle, les rivières ont des rives très raides à l'extérieur des méandres et beaucoup plus plates dans la partie interne des méandres. A Paris, on observe le contraire ; les collines de Belleville ou Montmartre en rive droite sont plus éloignées de la Seine que la Montagne Sainte Geneviève en rive gauche. Cette particularité topographique, qui a des grandes conséquences sur l'assainissement de Paris en rive droite, est due à un changement de lit de la Seine qui a coupé son ancien méandre. L'ancien cours de la Seine passait approximativement au niveau des boulevards Poissonnière, Bonne Nouvelle et St Martin, soit à la frontière des quatre arrondissement centraux de Paris, qui marque aussi le lieu de l'enceinte de Charles V. Ainsi, le sens naturel d'écoulement des eaux pour la plus grande partie de la rive droite de Paris va vers cet ancien méandre, d'autant plus que l'exhaussement progressif des quais de Paris limite encore les écoulements vers la Seine.

Dans le Paris de la fin du Moyen Age, les fossés de l'enceinte fortifiée seront utilisés comme exutoire aux quelques égouts maçonnés construits alors, qui collectent les eaux de ruissellement drainées par des ruisseaux tracés au milieu des rues. Au XVIIe siècle, alors que limites de Paris débordent largement des anciennes fortifications, les anciens fossés seront maçonnés et très partiellement couverts ; c'est le Grand Egout. On a alors environ 10 km d'égouts à Paris, dont 2,3 seulement sont couverts. Cet égout est particulièrement malsain. On tentera plus tard d'installer sans grand succès un système de chasse grâce à un réservoir alimenté par les eaux de Belleville.

Alors que les eaux du canal de l'Ourcq sont amenées à Paris pour le lavage des rues dans la première moitié du XIXe siècle, le réseau d'égout se développe. Il atteindra près de 150 km en 1850 contre 26 seulement au début du siècle. Cependant, la structure du système de collecte n'est pas modifiée. Le Grand Egout est toujours chargé d'évacuer les eaux de la partie septentrionale de la rive droite de Paris, et il est terriblement saturé.

L'évacuation vers la Seine via les égouts n'est pas la seule voie d'élimination des eaux usées. En effet, les matières fécales et les urines sont partiellement collectées dans des fosses sous les maisons. Elles sont vidangées régulièrement, et les matières sont évacuées vers les voiries (de Montfaucon puis de Bondy) où elles sont transformées en un engrais très prisé, la poudrette. Ce commerce nauséabond permet le développement d'une activité artisanale florissante. Cependant, toutes ces fosses ne sont pas étanches, bien qu'elles doivent l'être par décret, et des quantités importantes de matières organiques, d'azote et de germes pathogènes s'en échappent et contaminent la nappe alluviale qu'on prélève par les puits. Par ailleurs, les rues parisiennes étaient moins imperméables qu'aujourd'hui, les eaux pluviales souillées, probablement stagnantes dans les quartiers centraux de Paris, s'infiltraient également vers la nappe. De plus, on a signalé l'utilisation de puits perdus pour favoriser l'élimination de ces eaux. Il fut encore percé de nombreux puits d'absorption à Paris durant une grande partie du XIXe siècle, bien qu'un décret exigeât qu'une autorisation exceptionnelle soit délivrée pour chacun d'eux. Ils se colmataient cependant rapidement et sentaient mauvais, avec évidemment de forts risques de contamination de la nappe.

Dans la deuxième partie du XIXe siècle, alors que l'alimentation en eau moderne de Paris prend forme et que les volumes d'eau importée augmentent très fortement, de grandes décisions sont prises concernant l'évacuation des eaux. En 1852 une loi impose l'évacuation des eaux pluviales et des eaux ménagères vers un égout, ce qui impose que des égouts soient construits sous toutes les rues.

Belgrand va également révolutionner le schéma de construction des égouts parisien, il impose une vision nouvelle là où ses prédécesseurs avaient fait simplement progresser le système. Belgrand est un des pères de l'hydrologie; il raisonne en termes de bassins versants, de capacité hydraulique des exutoires en fonction de la superficie qu'ils ont à drainer. Il est convaincu que le bassin versant naturel de Paris, avec ses pentes et ses fonds susceptibles d'accueillir ruisseaux et égouts, ne pourra pas suffire à drainer les nouveaux apports d'eau prévus.

Belgrand va donc concevoir un nouveau bassin versant pour Paris, nouveau bassin versant qui ne sera pas fondé sur la topographie naturelle du site. Pour gagner de la pente, et permettre des écoulements plus rapides et l'entraînement des déchets provenant des chaussées et des branchements domestiques, Belgrand conçoit des collecteurs souterrains qui suivent la pente moyenne de la vallée de la Seine et non plus ses méandres. Un nouveau bassin versant est ainsi crée sous le bassin versant naturel. Les deux premiers collecteurs de Belgrand, qui seront mis en eau en 1860 sont ainsi les collecteurs d'Asnières et de Saint Denis. Il sont toujours en service aujourd'hui, et atteignent la Seine non plus dans Paris mais au niveau de Clichy et de Saint Denis soit dans le méandre suivant. C'est le début du développement intense du réseau d'égout, sous chaque rue pour que les habitations puissent y être connectées et pour que la récupération des eaux pluviales et des eaux de lavage soit facilitée. On comptera plus de 1000 km d'égouts à la fin du XIXe siècle. Ce sont des lieux de visite très courus, on s'y promène en wagonnet ou en bateau. On peut toujours les visiter au musée des égouts de la Ville de Paris, au pont de d'Alma, entièrement installé dans des égouts en fonctionnement.

Les égouts et collecteurs sont dessinés selon un nombre limité de sections (un peu plus d'une dizaine). Ils sont tous "visitables"[4], ce qui est une des particularités du réseau parisien. Le type le plus répandu, dit "T12bis", sert aux petites lignes sous les chaussées ; il est ovoïde, d'une hauteur et largeur intérieures de 2 mètres et 1,40 mètres respectivement et muni d'une cunette. La cunette est très importante, elle permet la circulation des eaux de temps sec (eaux domestiques et eaux de lavage de rues) alors que la partie plate qui la borde peut être utilisée par les égoutiers pour circuler. Les parties plates, dans tous les types de canalisations permettent aussi l'utilisation de plusieurs types de vannages mobiles (wagons-vannes et bateaux-vannes) utilisés pour le curage des égouts. En effet, les multiples réservoirs de chasse installés en tête de presque toutes les petites lignes permettent de faire écouler les particules les plus légères mais des sables s'accumulent dans le fond des cunettes, finissant par les rendre inopérantes.

Le travail de curage des canalisations est une des tâches les plus importantes des égoutiers, il est encore réalisé aujourd'hui selon des méthodes très proches de celles qui avaient été instaurées au XIXe siècle. En particulier des wagons-vannes et bateaux-vannes conformes aux anciens modèles sont toujours utilisés. Le principe d'une opération de curage consiste à pousser progressivement les sables accumulés vers une chambre à sable d'où ils pourront être évacués. Ces chantiers avancent lentement, il faut plusieurs semaines pour curer un collecteur. Les vannes mobiles, situés à l'avant des bateaux-vannes ou wagons-vannes, sont descendues dans le collecteur et forment barrage. Les eaux sont ainsi forcées à passer sous la vanne où elles s'écoulent avec force, provoquant la mise en mouvement des sables situés immédiatement à l'aval de la vanne. Une fois le curage réalisé sur une toute petite partie du collecteur les vannes sont déplacées et l'opération est renouvelée. On procède ainsi jusqu'à atteindre la chambre à sable.

Assez rapidement, le déversement d'eaux souillées à Clichy et Saint Denis provoque des plaintes. L'eau de la Seine est réputée bleue à l'amont de Paris, verte dans la capitale (à cause de proliférations d'algues planctoniques probablement) et noire à l'aval des rejets. Le Service de la Navigation doit demeurer extrêmement vigilant et curer régulièrement les fonds de la Seine car les bateaux s'y échouent parfois sur des atterrissements, tant les fonds évoluent rapidement à cause des matières déversées.

Ces problèmes, plus les odeurs désagréables dont se plaignent les riverains, ainsi que l'idée que le pouvoir fertilisant des eaux usées est gaspillé par des déversements en Seine, amènent les ingénieurs à proposer l'idée de l'épandage agronomique des eaux. Les premiers essais ont démarré en 1865, à partir des eaux surnageantes des bassins de la voirie de Bondy ; les résultats furent exceptionnels en termes de rendement agricole. Les essais furent poursuivis à Clichy puis débouchèrent sur la mise en eau des champs d'épandage de la presqu'île de Gennevilliers en 1872. L'objectif était de passer 4 mètres d'eau usée par an sur ces terrains en plus des 0,70 mètres naturellement reçus par la pluie. Mais les maraîchers installés sur les terrains n'étaient pas demandeurs de telles quantités d'eau et, en particulier, n'en avaient pas du tout besoin en automne ou en hiver. Il fallu donc étendre les terrains destinés à l'épandage vers Achères et Pierrelaye et réviser les accords passés avec les maraîchers. Ces champs étaient alimentés par une usine élévatoire située à Colombes, grâce au "L'emissaire général". On arrivait ainsi à traiter un peu plus de 200 millions de m3 par an à la fin du siècle (figure 1), ce qui constituait approximativement le volume total des eaux à traiter et le débouché de l'émissaire de Clichy en Seine fut solennellement fermé en 1899. A la même époque, le tout-à-l'égout est devenu obligatoire (loi de 1894), supprimant les fosses d'aisance et l'industrie de la poudrette, les eaux usées sont donc de plus en plus chargées en matières fécales humaines. On était parvenu à traiter la quasi-totalité des eaux usées parisiennes, juste à temps pour l'exposition universelle de 1900.

A l'époque, des voix hostiles à l'épandage agricole des eaux usées se sont fait entendre, comme celle de Pasteur qui, au nom de ce qui deviendra le principe de précaution, indiquait qu'on ne pouvait pas prévoir ce que deviendraient les grandes quantités de bactéries pathogènes épandues sur les sols et qu'il était complètement déraisonnable de poursuivre dans cette voie. Il préconisait de poursuivre les émissaires jusqu'à la mer où les eaux usées pourraient être déversées sans risque. Néanmoins, les opérations étaient très engagées, et furent poursuivies.

Ensuite, il ne se passera plus grand chose en ce qui concerne l'épuration des eaux usées de Paris jusqu'à la deuxième guerre mondiale (figure 2). Les volumes traités par les champs d'épandage ont tendance à diminuer notamment par ce que ces terrains résistent mal à la pression foncière urbaine et industrielle. Dans le même temps, les consommations d'eau à Paris ne cessent d'augmenter et la banlieue se développe, construit son réseau d'assainissement, mais très peu d'usines de traitement. Seules quelques lits bactériens seront construits localement (au Mont Mesly à Créteil notamment), mais les volumes traités sont dérisoires, même si la capacité de traitement ramenée à la surface au sol utilisée est 20 ou 30 fois supérieure à celle de l'épandage et préfigure le développement des techniques modernes d'épuration avec concentration de la biomasse dans les réacteurs biologiques.

Une première tranche de station d'épuration "Seine-Aval", située à Achères fut mise en eau en 1940. Il s'agit d'une station d'épuration à boues activées. Située au cSur des champs d'épandage, elle devait être alimentée par les eaux de l' émissaire général. Mais la guerre et les multiples restrictions économiques qui l'ont accompagnée ont grandement perturbé son lancement. En 1956 un second émissaire fut construit pour alimenter cette usine d'épuration. Puis jusqu'en 1978, la capacité de l'ensemble fut améliorée par la construction de nouvelles tranches pour le traitement et de nouveaux émissaires pour les alimenter. La logique instituée par Belgrand est respectée, le bassin versant souterrain artificiel s'accroît, toujours selon la direction donnée par la vallée de la Seine et non par ses méandres. La capacité actuelle de la station "Seine-Aval" est de 2,1 millions de m3/jour, ce qui dépasse largement le traitement des seules eaux parisiennes. En effet, la SIAAP[5] a repris les missions de l'ancien département de la Seine, il collecte et traite également les eaux des départements périphériques.

Une seconde révolution dans l'assainissement des villes apparut à partir des années 1960 : celle du réseau séparatif qui équipe aujourd'hui la plupart des villes de banlieue. Dans un réseau séparatif, les eaux pluviales et les eaux usées ne sont pas collectées dans les mêmes tuyaux. Seules les eaux usées sont acheminées vers les usines d'épuration, alors que les eaux pluviales sont déversées dans le milieu naturel sans traitement. Un fort avantage des réseaux séparatifs par rapport au réseau unitaire construit par Belgrand est que le débit et la composition des eaux reçues par les usines d'épuration sont beaucoup plus constants, car les forts débits en temps de pluie sont évités. De même, on évite les surverses d'orage du réseau unitaire, où de forts volumes d'un mélange d'eaux usées et d'eaux pluviales sont déversés dans le milieu naturel par temps de pluie, là ou le réseau unitaire est saturé. Ces surverses peuvent occasionner des nuisances graves comme des mortalités piscicoles massives, heureusement de plus en plus rares aujourd'hui. Par contre, le défaut des réseaux séparatifs est que les eaux de ruissellement ne sont pas traitées du tout alors qu'elles transportent la pollution des voiries et des toitures, ainsi que celle due aux mauvais branchements domestiques[6].

D'autres usines de traitement ont également été construites par le SIAAP. A Noisy-le-Grand pour 28000 m3/j qui seront bientôt portés à 60000 m3/j, à Valenton en 1987 puis 1992 pour 300000 m3/j au total, qui seront bientôt portés à 600000 m3/j, et à Colombes en 1998, pour 240000 m3/j. En outre, d'autres stations ont été développées dans la banlieue parisienne au delà du secteur où le drainage et le traitement sont placés sous la responsabilité du SIAAP (stations de Saint Thibault des Vignes, de Versailles, de Neuville sur Oise, d'Evry et de Corbeil), et de nouvelles stations sont projetées par le SIAAP (station de La Morée en Seine St Denis, des Grésillons à l'aval de "Seine-Aval". On assiste donc à un éparpillement du potentiel de traitement des eaux usées sur le territoire qui remet en cause le concept du grand bassin versant souterrain unique de Belgrand. Ce développement est évidemment planifié et répond à plusieurs problèmes. D'une part les structures de transport de l'eau qu'il faut construire pour acheminer de l'eau vers l'aval deviennent de plus en plus gigantesques au fur et à mesure que la ville grandit, et les collecteurs existants sous ou autour de Paris ne peuvent plus acheminer les eaux usées des banlieues nouvelles situées à l'amont de la Marne et la Seine. D'autre part, les riverains des grosses usines situées à l'aval acceptaient mal les nuisances occasionnées par le traitement d'eaux usées produites à grande distance de chez eux. Enfin, les progrès de l'épuration, comme du traitement des eaux potables, ont permis d'installer sans risque des rejets d'eaux traitées à l'amont des prises d'eau destinées à la production d'eau potable.

Le plan d'assainissement actuel, en cours de réalisation, prévoit la diminution de la capacité de traitement de la station "Seine-Aval" en temps sec, alors que des facilités de traitement de temps de pluie ont été construites. Ils prévoient également la construction de nombreux bassins de stockage et d'interconnexions entre les sous-bassins versants de Paris. Ils permettront de mieux utiliser les capacités de transport et d'éliminer les rejets directs en cas de travaux sur une partie du réseau. Le temps est à la redondance des capacités, qui donne au gestionnaire le moyen de réagir en temps de crise.

Comment fonctionne l'épuration des eaux ?

Le principe des boues activées fut découvert en Angleterre au début du XXe siècle. De l'eau usée placée dans un verre s'épure naturellement, épuration qu'on peut contrôler par la diminution des teneurs en matières organiques ou en azote. On a remarqué que, après avoir réalisé plusieurs fois l'opération qui consiste à enlever l'eau épurée et la remplacer par de l'eau usée tout en gardant les dépôts au fond du verre, la vitesse d'élimination de la pollution devient de plus en plus rapide. Par ailleurs, on n'observe pas la même augmentation de la vitesse d'épuration sur les boues enlevées du bécher à chaque étape. On conclut que la boue restant au fond du bécher joue un rôle important dans l'épuration, qu'elle devient de plus en plus active d'où le nom "boues activées" utilisé pour décrire le procédé d'épuration le plus utilisé de nos jours.

Comment ça marche ? En réalité, l'épuration des matières organiques est essentiellement de fait de bactéries, ou biomasse hétérotrophe, qui se nourrissent de diverses matières organiques pour leur propre croissance. Plus on nourrit le système avec de nouvelles matières organiques à dégrader, plus les bactéries se développent ; elles constituent en réalité la boue activée des essais du début du siècle. Par ailleurs, plus on a de bactéries, plus la vitesse d'épuration sera rapide en retour. Le principe de base de fonctionnement des stations d'épuration à boues activées consiste à conserver au sein de l'usine épuratoire une grande quantité de biomasse pour que l'épuration puisse se faire le plus vite possible. Plus l'épuration est rapide, plus court peut-être le temps de séjour de l'eau usée dans l'usine, ce qui permet de construire des bassins de moins grande taille, et donc de limiter à la fois les coûts de construction et les terrains nécessaires.

Pour pousser, les bactéries utilisent leur nourriture à deux fins : pour constituer leur propre biomasse, et aussi comme source d'énergie. Comme la plupart des organismes, elles obtiennent cette énergie en respirant, soit en transformant une partie des matières organiques qu'elles assimilent en gaz carbonique tout en consommant de l'oxygène. La fraction des matières organiques est transformée en biomasse, pourra être assimilée à son tour. L'auto-consommation de la biomasse est en général insuffisante (sauf dans les systèmes à très long temps de séjour comme les lagunes), et une partie de la biomasse formée doit être éliminée par extraction des boues. On a ainsi trois voies de sortie des matières organiques hors du système : (i) l'atmosphère, sous forme de gaz carbonique (ii) les boues, constituées de la partie décantable des eaux usées et de l'excédent de biomasse et (iii) l'exutoire de la station ou se trouve encore une fraction des matières organiques qui n'ont pas pu être éliminées du système.

Les boues formées doivent encore être traitées. Elles sont souvent digérées, ce qui permet de produire du biogaz en dégradant ce qui peut encore l'être dans les boues. Le biogaz sera le plus souvent transformé en énergie électrique sur le site de l'usine. Elles doivent être encore séchées, par centrifugation ou pressage, pour éliminer une partie de la grande quantité d'eau qu'elles contiennent encore. L'eau éliminée retournera au traitement de l'eau. Les boues concentrées seront enfin épandues sur des parcelles agricoles ou incinérées.

L'art de l'ingénieur concepteur d'usine d'épuration consiste à définir le système le plus fiable possible, c'est à dire le moins sensible possible aux perturbations et le plus économique possible à la fois au moment de la construction et en cours d'utilisation. En particulier, l'apport d'oxygène est un poste très coûteux en énergie dans le fonctionnement d'une usine d'épuration. Dans certaines situations, lorsque l'emprise au sol doit être limitée notamment, on privilégiera la compacité du système, avec une quantité de biomasse plus forte en fonctionnement normal, mais aussi des apports d'oxygène qui doivent être plus intenses.

Parmi les perturbations, on citera les fortes variations de débit, qui réduisent le temps de séjour des eaux et l'efficacité du traitement, qui peuvent également nuire au bon fonctionnement de la décantation des boues, au point d'aboutir à l'expulsion des boues à l'aval de la station. Les conséquences sont alors graves : d'une part, des eaux mal épurées sont rejetées dans le milieu naturel, d'autre part une partie de la biomasse nécessaire au bon fonctionnement de l'usine est éliminée et il faudra plusieurs jours pour qu'elle retrouve son niveau optimal et que l'usine fonctionne de nouveau dans de bonnes conditions. Lorsque les usines n'ont pas été prévues pour supporter de fortes variations de débit, il est préférable de ne pas traiter la partie des eaux excédentaire, et donc de la déverser sans traitement ou après un traitement partiel, plutôt que de perturber le bon fonctionnement de la station pour une longue période.

De telles difficultés surviennent en particulier dans le cas des réseaux unitaires. On cherche alors à limiter les excédents de débit dus à la pluie par des bassins de stockage ou en favorisant le stockage dans les canalisations.

Une autre solution consiste à concevoir des usines d'épuration moins sensibles au variations de débit. Même si on ne peut guère lutter contre le fait qu'un temps de séjour plus faible diminue l'efficacité du traitement, il est possible d'éviter les pertes de biomasse. Une solution adoptée aujourd'hui consiste à utiliser des supports, généralement des petites billes poreuses de quelques millimètres de diamètre, sur lesquelles la biomasse pourra se développer, mais qui pourront être facilement retenues dans les réacteurs où elles sont placées, même en cas de débit plus important. Les boues en excès sont éliminées par lavage régulier. Dans l'agglomération parisienne, l'usine Seine-Centre, mise en eau à Colombes en 1998, fonctionne selon ce principe. Placée sur le collecteur Clichy-Achères, elle permet d'éviter les surcharges de la station Seine-Aval et limite fortement les déversements d'eau usées à Clichy.

Les usines d'épuration modernes éliminent également la contamination azotée ainsi qu'une plus grande partie du phosphore des eaux usées, par voie physico-chimique[7] ou biologique.

L'élimination de l'azote suit une voie foncièrement différente de celle des matières organiques. L'azote ammoniacal est d'abord transformé en nitrate par des bactéries spécifiques, nitrifiantes, qui consomment beaucoup d'oxygène et ont des vitesses de croissance inférieures à celles des bactéries hétérotrophes. Il faut donc des bassins plus grands avec des temps de séjour plus long et des boues plus vieilles également pour que les bactéries nitrifiantes soient présentes en nombre et puissent faire leur office. Les lits fluidisées permettent également d'atteindre de très bonnes performances pour l'élimination de l'azote avec des volumes de réacteur plis faibles. Ensuite il faut éliminer les nitrates, c'est la dénitrification. La dénitrification est le fait des bactéries hétérotrophes, elle a lieu lorsque ces dernières ne trouvent plus d'oxygène pour respirer, elles se replient alors sur l'oxygène des nitrates qui sont réduits en azote gazeux à son tour éliminé vers l'atmosphère. est exactement équivalente à la dégradation des matières organiques. On a donc aujourd'hui des circulations compliquées dans les stations d'épuration, ou les eaux nitrifiées, après un temps de contact assez long dans les bassins, doivent retourner en tête de station, en présence des matières organiques nouvellement apportées et en absence d'oxygène pour que la dénitrification opère.

L'élimination du phosphore est encore plus étonnante. Le principe est de stresser les bactéries en les faisant séjourner régulièrement dans des conditions totalement anoxiques en tête de station. Seules les bactéries capables d'accumuler beaucoup d'énergie au cours des séjours en présence d'oxygène peuvent survivre à de tels traitements et elles se concentrent dans la biomasse présente dans l'usine. Ces bactéries stockent en grande partie leur énergie sous forme de composés phosphorés, qu'elles concentrent en quantité. De grandes quantités de phosphore peuvent alors être éliminées au travers de l'extraction des boues. On conçoit que la mise en Suvre de ces procédés biologiques complexes demandent de concevoir des usines complexes également, et qui doivent être contrôlées et opérées avec des méthodes plus élaborées que par le passé pour que les bonnes biomasses puissent s'y développer.

Les stations modernes atteignent aujourd'hui des rendements tout à fait remarquables, soit près de 98% pour la DBO5[8], le paramètre le plus utilisé pour caractériser la charge des eaux usées.

Des ouvrages de grande envergure

Tous ces efforts ont des conséquences heureuses sur la qualité des eaux de la Seine. Son niveau d'oxygénation s'accroît en valeur moyenne, et les fréquences de déversement d'eaux usées dues aux fortes pluies ou aux mises en chômage technique d'une partie du réseau diminuent également. Alors que dans les années 1870, les concentrations en oxygène étaient nulles à l'aval de Clichy (figure 3) et que cette situation a perduré pratiquement un siècle, mis à part le bref épisode de l'Exposition Universelle de 1900, on observe aujourd'hui de très notables améliorations sur tout le cours de la Seine dans le secteur urbanisé. Les teneurs en azote ammoniacal diminuent également suite à la mise en Suvre de techniques de nitrification et dénitrification dans les stations parisiennes (figure 4) alors que les teneurs en oxygène remontent (figure 5). C'est clairement l'effort constant entrepris depuis les années 1950-1960 qui finit par porter ses fruits. La qualité de l'eau ira encore s'améliorant avec la mise en Suvre prochaine de l'élimination de l'azote sur la station "Seine-Aval".

On notera aussi tout au long de l'histoire brièvement rapportée ici que les échelles de temps caractéristiques de l'évolution du système sont forts longues. Il fallut cinquante ans à Belgrand et ses successeurs pour atteindre leurs objectifs. Il fallut trente ans pour que les décrets sur le tout- à- l'égout soient complètement appliqués par des propriétaires réticents aux dépenses supplémentaires occasionnées par les nouveaux branchements à réaliser. Il fallut soixante ans pour que les efforts d'épuration par de nouvelles usines aboutissent à une qualité d'eau retrouvée dans la Seine, un siècle pour que le concept de réseau unitaire commence à être battu en brèche dans les nouvelles banlieues équipées en séparatif.

L'évidence est que les équipements d'assainissement ont la propriété de durer et que les politiques mises en Suvre ne peuvent être rapidement infléchies en réponse aux nouvelles demandes de la société. Bien qu'ils soient masqués et de l'ordre du déchet, les réseaux d'assainissement font clairement partie de ces infrastructures qu'il faut savoir gérer et entretenir dans la durée. Malgré les coûts induits, les collectivités doivent maintenir la pérennité de leur parc.

En regardant vers l'avenir cette fois, nous devrions aujourd'hui être capable de prendre des décisions pour les cinquante prochaines années, l'exercice est périlleux mais la question ne doit pas être éludée. Les plans d'assainissement actuels ont un horizon de quinze ou vingt ans en général, il nous faudrait pouvoir aller au delà.

Quelques ouvrages pour compléter et illustrer.

Sabine Barles (1999), La ville délétère. Médecins et ingénieurs dans l'espace urbain. XVIII e -XIX e siècles, Editions Champ Vallon, pp 372.

Emile Gérards (1908). Paris souterrain. Edition Sides, ré-édité en 1991

Jean Favier (1997), Paris, deux mille ans d'histoire. Editions Fayard.

Bernard Védry (1996), Ballade écologique au fil de la Seine en 1900. Petite histoire illustrée de l'assainissement de la région parisienne il y a cent ans, Editions Graphein.

Maurice Frantz Pointeau (1995), Rendre l'eau à la vie. 1970/1995, 25 e anniversaire du SIAAP, Editions CEP Euro.

Michel Meybeck, Ghislain de Marsily, Eliane Fustec (1998), La Seine en son bassin. Fonctionnement écologique d'un système fluvial anthropisé. Edition Elsevier.

Alain Clément et Gilles Thomas (2001) Atlas du Paris Souterrain. La doublure sombre de la ville lumière. Editions Parigramme

[1] Sous les rues les égouts de Paris, les collecteurs portent le nom de rues sous lesquelles ils courent, on y voit même des plaques de numérotation de maisons.

[2] La Reynie notamment, qui fut le constructeur du grand égout de ceinture, avait tenté d'instaurer une taxe sur les boues, et qui était destinée à financer le ramassage des déchets. Chacun devait également nettoyer la voirie devant chez lui, sous peine d'amende.

[3] L'aqueduc de la Vanne reprend exactement le tracé de l'aqueduc de Médicis dans son cours aval, il utilise même une partie de sa maçonnerie. Cette belle constance dans les tracés depuis l'époque romaine est à la fois due à la topographie de la vallée de la Bièvre qui se resserre en un seul point, et au bénéfice qu'il y a à réutiliser les fondations et ouvrages anciens.

[4] On peut y marcher debout.

[5] Syndicat Interdépartemental pour l'Assainissement de l'Agglomération Parisienne

[6] Malgré tout le soin porté au contrôle des branchements domestiques, les mauvais branchements sot trop fréquents. Le cas typique est celui de la machine à laver installée dans le garage, et dont les eaux ne peuvent être évacuées que vers le réseau pluvial.

[7] Floculation par des oxydes de fer ou d'aluminium et décantation.

[8] La DBO5 est une unité couramment utilisée en assainissement, elle a été développé dans la première moitié du XXe siècle. Plutôt que de faire une mesure directe de la quantité de pollution présente dans une eau, on mesure la quantité d'oxygène qui est nécessaire à la dégradation des matières organiques qu'elle contient.

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