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Français
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UTLS - la suite (Réalisation), UTLS - la suite (Production), Israël Nisand (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/35c6-3190
Citer cette ressource :
Israël Nisand. UTLS. (2005, 11 janvier). Les nouvelles méthodes de procréation et leur impact sur la famille , in La Famille aujourd'hui. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/35c6-3190. (Consultée le 19 mars 2024)

Les nouvelles méthodes de procréation et leur impact sur la famille

Réalisation : 11 janvier 2005 - Mise en ligne : 11 janvier 2005
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Descriptif

La légitimité de mettre en oeuvre des techniques d'aide médicale à la procréation repose en fait sur notre capacité à donner du sens à ces pratiques au delà du simple énuméré des possibles. Cette démarche complexe ne s'est pas produite correctement dans le domaine du DPN où, aujourd'hui encore, les objectifs de cette pratique médicale qui touche la totalité des grossesses en France ne sont pas clairement définis. En l'absence d'objectifs collectivement élaborés, c'est la technique et son pouvoir magique qui fascine et qui réifie qui dicte les comportements médicaux et de fait celui des familles.

La règle du jeu reste alors celle-ci : il faut voir tout ce qu'il est possible de voir du foetus à l'échographie, malgré les retentissements psychologiques et médicaux parfois désastreux qui peuvent en résulter. Le pire pour certains médecins serait de ne pas voir une anomalie qui pourrait théoriquement être visible, attentant ainsi à la superpuissance médicale de cette « Big Médecine ». L'application au dépistage pour toutes les grossesses de France a des conséquences insuffisamment évaluées : le fait de demander à chaque femme (et personne n'oublie du fait de la pression médico-légale) ce qu'elle ferait de sa grossesse si une pathologie devait être suspectée n'est sûrement pas dénué de conséquences d'autant que le doute porté sur un enfant in utero retentit sur la relation ultérieure entre les parents et l'enfant.

En AMP, les pratiques plus encadrées ont évolué différemment dans le temps laissant plus de temps à la réflexion et à la recherche de sens. Il y a 4 degrés de complexité progressivement croissante au plan éthique dans les différentes techniques d'aide médicale à la procréation. A chaque étape franchie les questions qui se posent au plan éthique mettent en jeu des argumentaires de plus en plus complexes.

1°) La stimulation simple avec ou sans insémination par le sperme du conjoint et la FIV avec ou sans ICSI constituent le 1er niveau de complexité et de difficulté. Il s'agit de remédier par une méthode médicale à la stérilité d'un couple qui, sans ces techniques ne pourrait pas avoir d'enfant. Il n'y a donc pas a priori de problème éthique. Mais cependant, même à ce premier niveau, 3 problèmes peuvent se poser :

-le problème des grossesses multiples issues de ces pratiques

-le sort réservé aux embryons congelés

-l'innocuité incertaine de ces techniques en particulier de l'ICSI

2°) Les baïonnettes de filiation qui nécessitent un don de sperme ou d'ovule, le don d'embryon et les maternités de substitution constituent le 2ème degré de difficulté éthique. Là aussi, la légitimité médicale initiale peut apparaître évidente. Mais les problèmes éthiques posés par ces techniques sont plus complexes et ont un retentissement potentiel plus grave:

-conséquences psychologiques sur le couple receveur et sur le donneur

-problèmes de l'homoparentalité avec ou sans élision de l'autre sexe -motivation diverses des donneurs

3°) Le DPI qui est la rencontre de l'AMP avec le DPN constitue le 3ème niveau de difficulté. Les familles prises en charge jusqu'ici en France ont des histoires cliniques si chargées, qu'il ne viendrait à l'idée de personne de contester les DPI réalisés en France jusqu'à ce jour. La transparence de cette pratique et la publication régulière des indications et des résultats permettent d'en attester s'il en était besoin. Mais les problèmes posés à la société par le DPI émergent peu à peu:

-« social sexing » réalisés ici ou là en Europe

-adjonction d'une recherche de compatibilité HLA à la recherche génique initiale -réalisation d'un DPI pour une simple recherche HLA

4°) Le clonage reproductif constitue le 4ème niveau de difficulté éthique. Le don de gamète anonyme peut être culturellement impossible pour des couples issus de culture où la filiation est sacralisée. Il peut alors sembler plus acceptable d'obtenir une filiation à partir d'une cellule adulte paternelle plutôt que d'avoir recours à un don anonyme de sperme. Même si on ne sait pas encore si cette technique est réalisable chez les primates, la discussion éthique est nécessaire pour dire si on accepterait son occurrence ou pas en cas de disponibilité de la méthode. Nous sommes donc au début des pratiques et la réflexion est importante pour essayer d'entrevoir les conséquences psychologiques possibles de cette rationalisation de la procréation visant à éviter tout risque pour l'enfant et ses parents. Mais faire un enfant, n'est-ce pas courir le plus grand et le plus beau des risques ?

Intervention
Thème
Documentation

Cest un honneur et un plaisir pour moi dêtre ici ce soir pour aborder des questions qui me tiennent à cSur puisque cela fait trente ans que je moccupe de médecine fStale et de diagnostic prénatal, vingt ans que je mintéresse et moccupe des médecines de la reproduction. Cette médecine de la reproduction, nouvelle et complexe, ne peut raisonnablement se pratiquer sans accompagner cette pratique dune réflexion éthique sur le sens et sur les enjeux de cette médecine. Ouvrir publiquement le débat au sein de la société civile sur ces questions et interrogations : un enjeu important pour que les évolutions techniques restent toujours secondes par rapport aux réflexions éthiques de la société.

La famille est bousculée depuis longtemps. Avant la famille, dans lhistoire de lespèce humaine, il y avait le clan et une des différences entre famille et clan, cest bel et bien la paternité reconnue comme tel.

Le clan, antérieur à la famille, peut se définir comme un groupe dhumains partageant un même espace de vie. Des femmes enfantent et la paternité exacte de ces enfants est imprécise voire inconnue. La découverte de la paternité dans lespèce humaine est récente (quelques millénaires) car il nétait pas évident de découvrir quil y avait un lien entre les hommes qui avaient eu des rapports sexuels avec les femmes et les enfants qui en naissaient neuf mois plus tard. Lorsque lespèce humaine a découvert la paternité, cest à dire que les hommes ont reconnu leurs propres enfants, les familles sont apparues. Ce qui caractérise la période daujourdhui, par rapport à ces temps reculés de la préhistoire, cest la vitesse à laquelle les choses se transforment. Avant il fallait des siècles pour quon observe une toute petite modification dans les règles immémoriales de lengendrement. De nos jours dimportantes modifications se produisent pour chaque génération quand ce nest pas plus rapidement encore.

Je voudrais vous rendre attentif au fait que les familles viennent de vivre, il y a une cinquantaine dannées, un événement dune importance considérable dont nous navons pas encore évalué tous les retentissements et toutes les retombées ; je veux parler de la contraception. La contraception et son corollaire, le déplacement du centre de gravité de la paternité au sein de la famille, est un événement considérable dont je ne parlerai pas ici. Je ne parlerai pas non plus de linterruption volontaire de grossesse, autre grande modification des règles de lengendrement. Je ne parlerai pas non plus des remariages et des recompositions familiales qui sont tous des événements, des évolutions sociologiques qui modifient très profondément la famille.

Je vais centrer mon propos sur les deux événements les plus récents qui ont également des incidences sur la famille que sont, laide médicale à la procréation (AMP) et la médecine fStale avec en particulier sa composante diagnostique, le diagnostic prénatal (DPN).

Ces deux pratiques médicales ne sont pas dexercice libre en France et sont encadrées par la loi. On ne peut pas faire ce genre de médecine sans sastreindre à certaines obligations réglementaires. Les lois bioéthiques ont pour thème principal lorganisation et lencadrement de ces pratiques.

I. Laide médicale à la procréation

Laide médicale à la procréation se définit comme étant lensemble des techniques médicales qui permettent daider un couple à avoir des enfants. La France est un des pays qui a la plus grande disponibilité au monde de ces techniques (une centaine de centres de fécondation in vitro) mais aussi la meilleure prise en charge par la sécurité sociale qui rembourse à 100 % tous les traitements de stérilité. Cette accessibilité exceptionnelle, exemplaire pourrait-on dire, a deux conséquences inattendues :

1°) Laugmentation de la stérilité des couples

La première conséquence de cette grande offre de soin en matière de stérilité, est une augmentation, au moins apparente, de la stérilité des couples dans notre pays. En effet, les couples qui connaissent la puissance médicale dans lautre domaine qui est celui de la contraception (efficacité de près de 100 %) en ont inféré à tort une efficacité identique dans le domaine de la fécondité déficiente. Or, on en est loin, et jamais dailleurs les techniques dAMP nauront de telles performances. Si la médecine est très efficace pour empêcher les grossesses non souhaitées, en revanche son efficacité est beaucoup plus modérée dans le domaine du « faire venir un enfant là où il ne vient pas ». Les médecins se sont constitués comme une adresse à laquelle on peut solliciter une aide lorsque ne vient pas lenfant désiré trois mois après quon ait décidé « de faire un enfant ». Bien sûr, les bonnes pratiques médicales et lenseignement de la médecine apprennent au médecin de ne pas intervenir tout de suite car le simple fait dintervenir, même sil ne sagit que de quelques tests diagnostics, laisse entendre au couple quil est malade et cest un bon exemple pour montrer que parfois la démarche médicale elle-même peut rendre malade. Cet effet que lon appelle « iatrogénèse » est très marqué dans notre pays et il provoque une augmentation constante du nombre de couples qui ont recours aux techniques de procréation médicalement assistée. Ce paradoxe sillustre par un fait mesurable : laide des médecines nécessaire pour faire le premier enfant ne lest plus pour les autres qui eux désormais « viennent tous seuls ». Il ne sagit donc pas dune pathologie organique dans tous ces cas mais bel et bien dun trouble psychosomatique enrichi, voire même provoqué, par la grande disponibilité des médecins si facile daccès dès la moindre angoisse sur ce thème.

2°) Le recul de lâge de la première grossesse

La deuxième conséquence inattendue de cette grande diffusion de laide médicale à la procréation, est le recul de lâge de la première grossesse dans notre pays. Ainsi, en 1950 lâge moyen des femmes lors du premier accouchement était de 22 ans. En 2004, lâge moyen au premier enfant est de 29 ans et 4 mois et continue de saccroître. Ce phénomène de vieillissement de la population obstétricale entraîne une augmentation significative de la pathologie maternelle et fStale que le grand public ignore totalement et que les médecins sous estiment.

Certaines femmes arrivées à la quarantaine après une carrière professionnelle aboutie se tournent vers les médecins pour quils les aident à avoir des enfants. Elles ont du mal à comprendre quelles sont déjà stériles du fait dun vieillissement ovarien précoce. Si la vie sest allongée, la période de reproduction ne sest pas allongée. Et, de fait, la stérilité augmente.

Le recours de plus en plus fréquent à laide médicale à la procréation augmente sensiblement le nombre de grossesses multiples dans notre pays. La courbe daugmentation des jumeaux en France est inquiétante. Bien que les futurs parents se réjouissent en général lorsquon leur annonce, après un traitement de stérilité, quune grossesse gémellaire en est le résultat, les médecins sont quant à eux inquiets. En effet, la grossesse gémellaire est source de pathologies innombrables, la plus importante dentre elles étant laccouchement prématuré. La moitié des accouchements prématurés en France sont des accouchements prématurés liés aux grossesses gémellaires iatrogènes. Et sur ces accouchements prématurés, plus de la moitié sont des accouchements prématurés graves dont on connaît le retentissement fréquent sur le handicap de lenfant, notamment cérébral. Si le handicap cérébral augmente actuellement, alors que nous avons beaucoup de centres de néonatalogie extrêmement performants, cest en partie à cause du recul de lâge à la première grossesse qui entraîne un recours plus important à des techniques de procréation médicalement assistée qui elles-mêmes génèrent 25 % de grossesses gémellaires.

Prenons un exemple sur le recul de lâge de la première grossesse. Une femme qui accouche au-delà de quarante ans a 45 fois plus de risques de décéder au cours de laccouchement quune femme qui accouche avant trente ans. On pense dailleurs que les résultats français en matière de mortalité maternelle, qui ne sont pas excellents, sont largement obérés par la structure dâge des femmes au moment de laccouchement.

Un autre exemple pour montrer les conséquences de lâge plus avancé à la première naissance, cest le nombre denfants trisomiques 21 conçus dans notre pays. En effet, la fréquence de la trisomie 21 est étroitement liée à lâge de la mère, un peu moins étroitement liée à lâge du père. Le nombre de naissances en France denfants atteints de trisomie 21 en 2004 est presque le même quen 1970. Or en 1970 nous ne pratiquions pas de diagnostic prénatal de la trisomie 21 comparé à 2004 où il y a un programme national de dépistage de la trisomie 21 sur lequel nous reviendrons plus loin. Chaque année, il y a 1600 interruptions médicales de grossesse pour trisomie 21. Ainsi, le diagnostic prénatal (avec son coût psychologique et éthique) a pour seul effet de maintenir au même niveau le nombre de naissances denfants trisomiques 21. Il faut rappeler quaujourdhui lespérance de vie dune personne trisomique 21 est la même que celle dune personne qui na pas danomalie chromosomique.

Laugmentation de lâge des mères à la première naissance a donc des conséquences considérables sur la santé des enfants avec des pathologies pour certaines graves et incurables.

Revenons à lAMP. Les pratiques sont encadrées et ont évolué différemment dans le temps, laissant du champs pour la réflexion et à la recherche de sens. Il y a quatre degrés de complexité progressivement croissante au plan éthique dans les différentes techniques daide médicale à la procréation. À chaque étape franchie, les questions qui se posent au plan éthique mettent en jeu des argumentaires de plus en plus complexes. Les questions posées ici ne trouvent pas forcément de réponses.

Premier degré de complexité : AMP avec les gamètes du couple parental.

La fécondation in vitro, la stimulation ovarienne, linsémination artificielle constituent le premier niveau de complexité et de difficulté. Il sagit de remédier par une méthode médicale à la stérilité dun couple qui, sans ces techniques, ne pourrait pas avoir denfant. Fonction fondamentale de la médecine où elle remédie par des techniques à des fonctions défaillantes. Il ny a donc pas a priori de problème éthique. Mais cependant, même à ce premier niveau, trois problèmes à forte connotation éthique peuvent se poser :

- le problème des grossesses multiples issues de ces pratiques

- linnocuité incertaine de ces techniques

- le sort réservé aux embryons congelés

Les grossesse multiples

Laugmentation du nombre de grossesses gémellaires implique, comme nous lavons vu précédemment, une augmentation de la morbidité et de la mortalité fStale, néonatale et maternelle. Dès que ces techniques dAMP sont utilisées, la santé des enfants est altérée par le seul biais des grossesses gémellaires. Il y a des pays (comme la Belgique ou les pays scandinaves) où lors des deux premières tentatives un seul embryon est replacé dans lutérus des femmes jeunes (sans quoi le traitement nest pas pris en charge par les assurances sociales). Notre pays a un retard dans lencadrement des pratiques médicales et dans la prévention des grossesses gémellaires ce qui entraîne un coût en santé et en argent considérable.

Linnocuité incertaine de ces techniques

On estime que les médicaments utilisés pour stimuler lovulation augmentent probablement le cancer de lovaire et probablement le cancer du sein. On ne sait pas trop mesurer le degré daugmentation mais on a de bonnes preuves pour dire que ces techniques ne sont pas sans conséquences du point de vue carcinologique.

Mais plus grave encore, le retentissement de linfertilité mais aussi des techniques dAMP sur les taux de malformations est à ce jour mal précisé. Certaines techniques comme lICSI (injection intracytoplasmique dun spermatozoïde pour remédier à la stérilité masculine) pourraient augmenter certaines pathologies de lenfant par défaut de lempreinte génomique. Ces pathologies rares sont graves. Et si on ne sait pas répondre de manière précise à la question du risque pour lenfant de ces pratiques, cest bien parce que les parents qui ont recours aux techniques dAMP ne veulent pas, dans bon nombre de cas, que leur enfant fasse lobjet dun suivi particulier qui risquerait de le stigmatiser. Il y a donc ici conflit dintérêt entre lépidémiologiste qui devrait pouvoir suivre létat de santé des enfants et la liberté des parents de ne pas accepter ce suivi.

Les embryons surnuméraires

Le problème le plus important lié à la fécondation in vitro est la problématique des embryons surnuméraires. Lorsquun couple « fait un enfant » on est dans une décision de linstant et dans un événement de linstant. Le phénomène naturel de la fécondation est instantané. En AMP au contraire, on a la possibilité de congeler des embryons. Cette opération permet dutiliser successivement tous les embryons obtenus sans avoir les replacer tous ensemble dans lutérus avec des conséquences que lon sait. De plus la congélation évite des stimulations ovariennes au cas où cela ne marcherait pas du premier coup. Jusquici la légitimité médicale a fait valoir sa vérité et tous les centres dAMP congèlent des embryons qui peuvent devenir surnuméraires lorsque le projet des parents à leur sujet disparaît pour raison ou pour une autre (liée à lintroduction du temps dans le processus de fécondation). Ces embryons surnuméraires ne sont pas sans poser des problèmes.

Dans le service dans lequel je travaille il y a plusieurs milliers dembryons surnuméraires dont plusieurs centaines sont déjà orphelins, cest-à-dire que soit le père soit la mère est décédé. Et il y a aussi plusieurs centaines de ces embryons pour lesquelles nous navons plus de nouvelles daucun des deux parents qui ne répondent plus ni aux courriers ni aux différentes sollicitations que nous faisons. Enfin, il y a de très nombreux embryons qui sont issus de couples qui sont depuis longtemps séparés, remariés chacun de son côté, et qui ne veulent plus entendre parler de ces embryons surnuméraires issus dune liaison antérieure. Il a donc fallu que le législateur se prononce sur le sort de ces embryons, en particulier lorsquil ny a plus de parents à interroger. Et que faire lorsque la mère nous demande la réimplantation de ses embryons alors que le père est décédé ? Actuellement, la position du législateur est de dire : on ne crée pas délibérément des orphelins. Cest une position, quà titre personnel je conteste car cela équivaut à répondre à une femme qui vient de perdre son mari alors quelle avait un projet denfant avec lui, que ses seules options sont de donner ses embryons à une autre femme ou de les faire détruire. Cette réponse ne me satisfait pas et je pense que la loi devra évoluer sur ce point particulier. La gestion des embryons surnuméraires pose donc un vrai problème éthique qui tourne autour du statut juridique de lembryon.

Deuxième degré de complexité : Les dons de gamètes et dembryons

Les baïonnettes de filiation que réalisent le don de sperme ou dovule voire le don dembryon constituent le deuxième degré de difficulté éthique. Lorsque lun des membres du couple na pas dovules ou de spermatozoïdes il faut aller chercher ailleurs des spermatozoïdes, des ovules ou même un embryon issu dun autre couple. Des dizaines de milliers de personnes dans notre pays, qui sont pour certains des adultes puisque cette technique existe depuis plus de quarante ans, doivent la vie au don de sperme. La légitimité médicale initiale peut apparaître évidente. Mais les problèmes éthiques posés par ces techniques sont plus complexes et ont un retentissement potentiel plus grave dont je ne peux faire ici que la simple évocation de la problématique :

- conséquences psychologiques sur le couple receveur et sur le donneur et problème du secret

- problèmes de lhomoparentalité avec ou sans élision de lautre sexe et maternité pour autrui

Les conséquences psychologiques sur le couple receveur et sur le donneur et problème du secret

Il nest pas simple de recevoir du sperme dun donneur, des ovules dune donneuse et encore plus lourd de recevoir un embryon dun autre couple, ce quon a appelé un peu à tort ladoption prénatale. Le législateur est dailleurs intervenu pour empêcher la recherche de paternité dans ces situations de don de sperme. Une des problématiques les plus complexes est représentée par la gestion du secret. Dun côté, chacun sait que le doute ou les secrets sur les origines sont susceptibles de créer des troubles psychologiques chez les enfants. Mais dun autre côté la confusion fréquente entre fécondité et virilité empêche certains hommes daccepter que ne soit révélé leur stérilité et le recours à un donneur. De plus, certaines situations, en particulier dans le don dembryons, pourraient être fort mal vécues par les enfants issus de ces pratiques : savoir que lon a été conçu par un couple qui, pour une raison ou pour une autre, na pas voulu poursuivre le processus et a préféré donner lembryon à un autre couple peut être considéré dune certaine manière comme pathogène. Savoir que lon a un frère ou une sSur issu biologiquement des deux mêmes parents alors que soi-même on provient dun don de gamète ; quelle inégalité entre les enfants dune même fratrie. Il ny a pas de bonne réponse toute faite et chaque choix pourrait être regretté ultérieurement. Actuellement cest au couple de décider ce quils souhaitent même si ultérieurement il ne sera pas facile de gérer la complexité psychologique issue de ces situations. Privilégier la vérité affective sur la vérité biologique ; oui mais quid du droit à connaître ses origines invoquées de plus en plus souvent dans ce contexte.

Les problèmes de lhomoparentalité et la maternité pour autrui

Les homosexuels disent que le réel a changé et quil nest plus indispensable aujourdhui, pour faire des enfants, de se rapprocher de lautre sexe. Alors que la loi de la France interdit toutes ces techniques de procréation médicalement assistée sil ne sagit pas dun couple marié ou vivant ensemble depuis au moins deux ans, les homosexuels demandent que cesse cette discrimination à leur égard sur leurs orientations sexuelles. Ils dénoncent limpossibilité daccéder à des techniques médicales disponibles pour eux dans de nombreux pays riverains. Dans le contexte légal actuel dailleurs, les enfants issus dunions homosexuelles nont pas les mêmes droits que les autres enfants. Est-il normal quun enfant qui voit sa mère biologique décéder, soit confié à la DDASS alors quil a encore un autre parent, au simple motif que ce parent nest pas reconnu comme tel ? Au nom de légalité des droits entre les enfants issus de couples hétérosexuels et les enfants issus de couples homosexuels, ils souhaitent que la loi change et ceci concerne des milliers denfants issus de couples homosexuels. A titre personnel, ma réflexion sur cette question a été modifiée par des observations et des demandes de couples homosexuels qui mont fait changé mon opinion initialement assez conservatrice dans ce domaine.

Jai ainsi rencontré un couple de femmes, vivant ensemble depuis dix ans, qui mont expliqué leur fidélité réciproque et leur désir bien réfléchi, après avoir rencontré un couple dhommes homosexuels dont lun dentre eux accepte de donner son sperme et dêtre père complètement, que lune dentre elle porte et mette au monde un enfant. Elles ajoutent que cet homme sappellera « papa », quil participera de léducation de lenfant et que lautre femme du couple ce sera la « marraine ». Elles soutiennent ne pas constituer un moins bon couple parental que certains couples hétérosexuels qui font leur enfant « dans une nuit divresse ». La présentation de ce couple et de sa demande étaient strictement identiques à celle de tous les couples en mal denfant. Il était bien sûr impossible de soutenir que leur aptitude à élever un enfant pouvait être mise en doute.

En revanche, la demande qui mest parvenue par téléphone il y a quelques mois dun couple homosexuel où la femme de quarante ans qui venait de quitter son mari et ses enfants pour sétablir en ménage avec son ami-e me pose plus de problème. En effet, elle souhaitait que lon prélève ses ovules, quon les insémine avec le sperme dun donneur anonyme et quon replace les embryons ainsi obtenus dans lutérus de sa compagne. Leur souhait était expliqué ainsi : « nous voulons que lenfant soit un peu de nous deux femmes ». Peut-être est-ce une réaction masculine mais lélision de la paternité qui est codée dans cette demande-là me dérange, car le projet apparaît fou et susceptible de nuire à lenfant ne serait-ce que par limpossibilité de nommer correctement les membres de cet environnement familial là.

Ces deux vignettes cliniques sont très différentes lune de lautre. Pour la première, à titre personnel et au nom de mes valeurs, jaurais tendance à dire oui car il ny a pas de risque prévisible pour lenfant et pour lautre, toujours à titre personnel et au nom de mes valeurs personnelles jaurais tendance de dire que ce nest pas raisonnable. Le législateur est donc confronté à une situation dune difficulté extrême, mais il ne pourra pas persister infiniment dans labstention. Cest à dire quil va falloir débattre de ce sujet-là.

Les maternités pour autrui (encore appelées « mères porteuses) comportent deux catégories très différentes selon que la femme porte un embryon venant dun autre couple ou quelle porte un embryon pour lequel elle a fourni lovule (qui est donc son enfant génétique).

La prohibition totale actuelle amène les patientes françaises vers des réseaux outre-atlantique dont le moins que lon puisse dire est quils outrepassent largement les règles éthiques habituellement de mise en Europe. Le choix de la mère porteuse sur catalogue et la tarification différente en fonction de critères « de qualité » sapparente gravement à une réification difficilement acceptable.

Or certaines situations médicales pourrait justifier que lon chercha à aider ces couples en France. Par exemple, la perte de lutérus chez une femme qui na pas denfant au cours dun accident obstétrical grave pourrait constituer larchétype dune demande acceptable. Quand on sait que certaines femmes souhaitent rendre un service comme celui-là par générosité pure et simple et que souvent les femmes de la famille sont demandeuses pour aider qui une sSur, qui une belle-sSur, il semble injustifié de ne pas prendre en considération ces demandes sous une forme ou sous une autre.

La grossesse pour autrui et les parentés homosexuelles sont des sujets sur lesquels il faudra que notre société se penche pour décider si la loi reste simplement prohibitive globalement et pour tout le monde, ou si lon accepte de prendre en charge en France certaines situations bien définies ce qui éviterait alors à ces couples de tomber dans les rais de véritables marchands desclaves aux États-Unis et au Canada qui nont dégal dans la malhonnêteté que le profit quils réalisent.

Troisième degré de complexité : Le diagnostic préimplantatoire

Le diagnostic préimplantatoire implique simultanément les techniques de procréation médicalement assistée et de diagnostic prénatal. Les familles prises en charge jusquici en France ont des histoires cliniques si chargées quil ne viendrait à lidée de personne de contester la légitimité des indications des diagnostics préimplantatoires réalisés en France jusquà ce jour. La transparence de cette pratique et la publication régulière des indications et des résultats permettent den attester sil en était besoin. Mais les problèmes posés à la société par le DPI émergent peu à peu :

- adjonction dune recherche de compatibilité HLA à la recherche génique initiale

- réalisation dun DPI pour une simple recherche HLA

- social sexing réalisé ici ou là en Europe

Donnons un exemple dindication légitime du diagnostic préimplantatoire : un couple qui a déjà mis au monde un enfant atteint dune myopathie de Duchesne et passe sa vie et son énergie à essayer de faire en sorte que lenfant ne soit pas trop dans la souffrance. Ce couple a 25 % de chance de transmettre cette maladie incurable à chaque nouvel enfant. Lors de la grossesse suivante une amniocentèse montre que, manque de chance, le deuxième enfant est aussi atteint. Et le couple doit se résoudre à une interruption médicale de grossesse, qui na rien à voir avec une interruption volontaire de grossesse. En effet, ici la grossesse est initialement désirée et les parents, qui ne peuvent assumer un deuxième enfant aussi lourdement atteint, doivent se résoudre à demander une interruption médicale de grossesse pour la même affection que celle qui est lobjet de tous leurs soins le frère aîné. Situation tragique sil en est. Insupportable disent-ils après coup. Et les femmes confrontées à cette situation dexpliquer au médecin quelles avaient limpression quon leur arrachait la moitié du cerveau lors de cette IMG. Une solution existe pour leur permettre davoir un enfant sans en passer par lépreuve du diagnostic prénatal. Il faut pratiquer une procréation médicalement assistée et au troisième jour, lorsque lembryon humain est à huit cellules, aspirer deux des huit cellules et les tester pour ne réimplanter que des embryons qui nont pas lanomalie génétique. Cest lobjet du diagnostic préimplantatoire. Une centaine denfants issus de ces techniques sont nés en France depuis 1999. Tous les dossiers français étaient issus de situations cliniques identiques ou proches de lexemple ci-dessus.

Adjonction dune recherche de compatibilité HLA à la recherche génique initiale

Vous avez déjà entendu parlé des « enfants médicaments ». Cette appellation qui heurte les couples confrontés au problème doit à mon sens ne plus être utilisée. Je lai utilisé moi aussi jusquau jour où jai rencontré un couple dont la femme ma fait comprendre à quel point cétait humiliant pour elle et son mari. Son seul tort était de vouloir à tout prix la survie de leur enfant atteint dune anémie de Fanconi et qui allait mourir si on ne lui faisait pas une greffe de moelle. Pour ce couple, ne pas tout faire pour sauver leur enfant serait fautif et on peut les suivre dans cette analyse. Pour sauver lenfant, une solution consiste à pratiquer un diagnostic préimplantatoire pour lenfant suivant, et regarder à la fois si les embryons nont pas lanémie de Fanconi, mais aussi regarder si parmi les embryons sains, il y en a lun ou lautre qui soit HLA compatible avec lenfant malade pour pouvoir servir de donneur de moelle. Dans la pratique à la naissance, il va simplement donner le sang de son cordon ombilical et ceci peut sauver la vie de son grand frère ou de sa grande sSur. Cest désormais possible en France depuis deux ans et cest bien ainsi. Cest bien que lon puisse en même temps quon fait un diagnostic préimplantatoire de toute façon nécessaire, regarder un autre gène et forcer le hasard pour un autre enfant aîné.

Réalisation dun DPI non nécessaire pour lenfant à naître

Des parents dun enfant atteint de leucémie aiguë en rémission savent quen cas de récidive la greffe de moelle serait le seul recours. La leucémie ne justifie un diagnostic préimplantatoire. Mais les parents peuvent demander à ce que leur prochain enfant puisse servir de réservoir de moelle pour le cas où laîné ferait une récidive de sa leucémie aiguë. Là il ny a pas besoin de faire un diagnostic préimplantatoire pour lenfant à naître mais les parents le demandent pour que lenfant suivant soit un donneur compatible avec lenfant précédent. On a glissé dun cran dans la complexité et la demande est ici plus délicate sur le plan éthique. Ceci est interdit en France actuellement.

Social sexing

Le social sexing est la dénomination quutilisent les anglo-saxons pour désigner le choix du sexe de lenfant à naître. Cette pratique est réalisée dans certains pays dEurope. Le diagnostic préimplantatoire permet facilement de choisir le sexe. Cette indication nest pas autorisée en France.

Ces quelques exemples montrent quune même technique peut être utilisée dans des contextes différents et perdre alors son sens. En passant de lenfant anémique Fanconi, indication fort légitime, à lenfant petit frère de leucémique où la légitimité est moins bonne ou à labsence totale de légitimité de ces techniques dans le social sexing on voit que les médecins proposent des moyens techniques, mais cest bien à la société de dire ce qui lui paraît acceptable et ce qui ne lest pas.

Quatrième degré de complexité: Le clonage reproductif

Le clonage reproductif constitue le quatrième niveau de difficulté éthique. Même si lon ne sait pas encore si cette technique est réalisable chez les primates et chez lhomme, la discussion éthique est nécessaire pour dire si lon accepterait son occurrence ou pas en cas de disponibilité de la méthode.

Cette technique est interdite dans la plupart des pays occidentaux, mais il y a des scientifiques qui sont favorables à un clonage reproductif « maîtrisé ».

Qui est demandeur de clonage reproductif ? Des mégalomanes qui estiment avoir un génome suffisamment extraordinaire pour vouloir le dupliquer à linfini. Je ne cite personne mais vous les reconnaîtrez. Il y a une grosse demande aux États-Unis de parents dun enfant mort qui « veulent le même ». Ça ne me dérange pas que lon veuille exactement le même chat moyennant cinquante mille dollars. Cela me dérange infiniment pour un enfant. Mais cest dans la troisième catégorie de demandeurs que se trouve le risque de promouvoir ces techniques. Le don de gamète anonyme peut être inacceptable pour des couples issus de cultures où la filiation est importante voire sacrée. Il peut alors sembler plus acceptable dans ces contextes culturels dobtenir une filiation à partir dune cellule adulte paternelle plutôt que davoir recours à un don anonyme de sperme. Des pays comme la Corée et la Chine travaillent à un très haut niveau scientifique sur le clonage reproductif car ils nont pas le même système de valeurs judéo-chrétiennes que celui que nous avons en occident.

Personnellement, je regrette davoir écrit dans le Monde en 2002 un article intitulé « Clonage reproductif, crime contre lhumanité ». Je ne pourrais plus aujourdhui écrire ce papier. Les philosophes mont fait remarquer que mettre au monde un enfant quel que soit le moyen ne pouvait pas être appelé un crime, sauf à risquer le contresens. Mais de plus, dire quun enfant, parce quil est issu dun clonage ressemblera à celui dont il est issu, constitue une erreur scientifique. Nous savons que les veaux clonés nont pas les taches noires aux mêmes endroits les uns par rapport aux autres. Michel Onfray dans son livre « Féeries anatomiques, généalogie du corps faustien » explique quil a quarante-quatre ans et quil sait très bien quun enfant issus dune de ses cellules de peau qui naîtrait quarante-quatre ans après lui ne serait pas le même car il naurait pas été élevé dans le même contexte. Cet enfant naurait ni une ressemblance physique avec lui, ni une ressemblance psychologique. Lêtre humain nest pas quun amas de cellules et dun tas de gènes, cest autre chose, cest une histoire, cest une culture et nous ne sommes pas résumés par notre biologie et nos gènes.

Le clonage reproductif, sil est possible, aura lieu. Il est légitime de linterdire au nom de « ne fait pas à autrui ce que tu ne voudrais pas quon te fasse ». Beaucoup aimeraient être le premier « cloneur », personne na envie dêtre le premier cloné. Jestime, à titre personnel, que mon père a déjà eu assez de poids comme cela sur ma destinée en terme de conditionnement psychologique. Cest une chance qui constitue ma liberté quil nait pas pu avoir quelque chose à dire sur mon corps qui est unique au monde et qui est le résultat dune loterie absolue. Je suis heureux dêtre issu de cette loterie et je naurais pas voulu que quelquun puisse dire quelque chose sur mon corps physique au delà du hasard qui ma constitué comme je suis.

On peut dire enfin que le clonage reproductif, sil a lieu un jour, loin dattenter à la diversité humaine, laugmentera, puisquil y aura en plus des êtres humains issus dune reproduction par clonage. Quant à lhypothèse dun dictateur qui voudrait semparer de ces techniques pour disposer dune armée aux ordres, les moyens de clonage psychologiques sont bien plus performants et efficaces&

II. Diagnostic prénatal et médecine fStale

Je voudrais aborder très rapidement le diagnostic prénatal et de la médecine fStale qui se définissent comme étant lensemble des moyens et des techniques permettant de savoir si lenfant à naître sera normal et en bonne santé et le cas échéant de le soigner in utero. La médecine fStale a une particularité cest quelle a une avance considérable en diagnostic alors que la thérapeutique est peu développée. Cest une médecine récente qui a bénéficié des progrès de lélectronique et de limagerie. On peut donc voir de très nombreuses choses chez le fStus. En revanche nous ne sommes pas capables de réparer grand chose. Cette asymétrie entre diagnostic et thérapeutique explique en partie que la médecine fStale les nombreuses situations où linterruption médicale de grossesses est demandée par les parents. Lorsquon découvre une anomalie dune particulière gravité incurable au moment du diagnostic, la loi française autorise, quel que soit le moment de la grossesse, daccéder à la demande des parents dinterrompre la grossesse.

Les années de 1970 à 1990 ont été marquées par lefflorescence du diagnostic prénatal. Depuis 1990 ces techniques de diagnostic sont transposées à un tout autre programme qui sappelle le dépistage. Qui dit dépistage dit que la cible est désormais constituée par toutes les femmes enceintes de France. Certes ces programmes ne sont ni discriminatoires ni coercitifs. Mais les accidents médico-légaux où des médecins qui navaient pas détecté des anomalies in utero ont été condamnés par les tribunaux à subvenir à lentièreté des besoins denfants trisomiques 21 (dont ils nétaient pas directement responsables) les poussent désormais à se protéger de diverses manières. Linformation obligatoire des parents, mais aussi langoisse des médecins font quau bout du compte, on est pas loin dune certaine forme de coercition larvée. Plus aucun médecin en France ne se permet de ne pas informer une femme sur les possibilités dont elle dispose en matière de dépistage prénatal. On demande à toutes les femmes ce quelles feraient si le dépistage prénatal amenait à découvrir une anomalie dune particulière gravité. Les conséquences pathogènes de cette demande commencent dapparaître et je me trouve donc chanceux dêtre né avant le diagnostic prénatal car ma mère na pas eu à formuler à mon sujet (avec des mots et des phrases) ce quelle aurait fait de moi si javais été malade. Je suis venu et jai été une bonne surprise pour elle comme jaurais pu être une mauvaise surprise mais cétait comme ça. Aujourdhui, plus aucune femme de France néchappe à linformation obligatoire car les médecins sils ninforment pas, manquent à une de leurs obligations. Voici deux vignettes cliniques pour illustrer mon inquiétude dans cette diffusion nationale à marche forcée de programmes de dépistage prénatal.

Le premier cas est celui dune femme qui en 1999 consulte pour obtenir là une interruption médicale de grossesse à 20 semaines daménorrhée. Elle est en pleurs car elle est en milieu de grossesse. Elle a fait le dépistage de la trisomie 21 et celui-ci cest révélé anormal. Elle a été voir son médecin qui a fait une amniocentèse. Le résultat de lamniocentèse était le suivant : « translocation équilibrée ». Un morceau de chromosome détaché de lendroit où il se trouve normalement est allé se mettre sur un autre chromosome. Le généticien lui a dit que ce nest pas grave et que lun des parents devait être porteur de cette translocation. Lanalyse des chromosomes des parents a malheureusement montré quaucun des deux nétait porteur de la translocation. Il sagissait donc dune mutation nouvelle et on ne pouvait se rassurer de son absence deffet. Le généticien fait son travail dinformation. Il explique à la mère quil ne peut pas lui assurer quil ny a pas un peu de matériel génétique perdu et il lui annonce un risque de 1 % de retard mental. La femme est dans un premier temps rassurée pour son troisième enfant. Elle sent quil va bien et le sent bien bouger. Tout va bien et 1 % cest rien du tout. Cétait sans compter sur lenvironnement familial et médical. Le mari lui dit que si elle ramène un enfant handicapé il ne pourra pas lassumer et la quittera. Et son médecin traitant lui fait prendre conscience quun handicap qui avait été prévu est encore plus difficile à tolérer. Sous cette pression de lentourage elle finit par demander, un mois plus tard et la mort dans lâme, une interruption médicale de grossesse.

Lors de la consultation, la proposition lui est faite de suivre la grossesse très minutieusement en regardant le cerveau et à la moindre anomalie qui apparaîtrait et quel que soit le moment de la grossesse, une interruption médicale de grossesse, alors légitime, serait réalisée. La patiente accepte avec enthousiasme cette proposition et la grossesse se poursuit.

Personne ne voit monter langoisse au cours de la grossesse qui confine par moment à une véritable panique. Cest juste après avoir accouché, elle se redresse affolée sur lit et demande « est-ce que mon enfant est normal ? ». La sage-femme lui répond « oui il est normal, il a froid je vais aller lhabiller et la langer ». Lorsquelle revient la mère demande à nouveau si son enfant est normal. La sage-femme lui répond que la petite fille est tout à fait normale, quelle a bien les mamelons un peu écartés mais quil y a des gens qui ont les mamelons écartés et dautres qui ont les mamelons rapprochés et que ce nest pas grave. La mère dit quon ne la pas prévenue lors de léchographie et décompense dans une véritable crise dangoisse.

Le pédiatre est appelé à 3 heures du matin pour examiner lenfant de haut en bas. Il rassure la patiente et prescrit pour plus de certitude des examens cérébraux et langoisse continue de croître. Tous les résultats de ces examens reviennent normaux. Je revois cette femme six semaines après laccouchement et, satisfait du résultat, je lui demande si elle satisfaite des décisions qui ont été prises. La femme répond négativement : le bébé mange tout le temps, et il pleure tout le temps et elle, elle aussi elle pleure tout le temps.

Huit mois plus tard je reçois une assignation en justice pour avoir empêché cette femme davorter. Elle a depuis retiré sa plainte mais lenfant a six ans et les choses vont mal. La catastrophe est totale. Avec notre luxe dinvestigations et dinformations, nous avons cassé la relation entre lenfant et sa mère. Lenfant a été vécu pendant des mois comme une véritable menace grave pour sa mère. Tout le monde médical a fait son travail correctement mais le résultat nest pas bon.

Le deuxième cas par lequel je vais terminer commence par un courrier. Une femme mexplique quelle a accouché dans mon service il y a vingt ans alors que je nen étais pas encore chef de service. Je reçois cette femme et elle raconte quelle a eu quatre enfants et quelle va parler de sa troisième grossesse. Un samedi après-midi au deuxième mois de grossesse elle est prise dune douleur abdominale. Elle consulte dans le service. La sage-femme et linterne lexaminent très consciencieusement et bredouillant linterne se tourne vers la sage-femme en lui disant « tout va bien ; elle a un peu besoin de se faire chouchouter » et renvoie la patiente à son domicile. Le lendemain elle a un ventre de bois, et revient en urgence. Le chirurgien qui la reçoit lui sauve la vie en lopérant dune appendicite aiguë perforée. Dans les suites il linforme à juste titre de ce que lappendicite aiguë peut provoquer une fausse couche. La patiente se souvient qualors elle a souhaité secrètement que la grossesse sinterrompe. Elle a rendez vous à léchographie un mois plus tard et la grossesse est toujours évolutive. La sage-femme examine le fStus et dit à la fin de lexamen « il est un peu petit il va falloir le gaver ». Elle donne un rendez-vous de contrôle un mois plus tard. Et pendant tout ce temps la patiente se souvient avoir souhaiter secrètement que son enfant meure. Un mois plus tard la sage-femme lui redit la même chose. Elle accouche à terme dun enfant pesant 2 700 grammes, ce qui est dans la norme.

La patiente reconnaît aussi quelle ne sest pas comportée avec cet enfant de manière normale. Elle a été trop précautionneuse à chaque maladie infantile. Elle pense avoir trop couvé cette enfant, tant elle avait été inquiète à son sujet. À douze ans sa fille fugue une première fois. À quatorze ans elle se drogue et a frôlé la mort par overdose. Et jusquau jour de la consultation, après une anorexie mentale qui a failli lemporter, la mère na pas un contact normal avec cet enfant alors quil ny a aucun problème avec les trois autres enfants nés avant et après cette fille.

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