Entretien avec Lionel Lavarec / Créations Collectives #1

Retranscription

Helena JUNQUEIRA
Bonjour Lionel Lavarec, bienvenue dans le podcast « Créations Collectives », le podcast animé par le Master Design Transdisciplinaire Cultures et Territoires.
Moi, c'est Helena.

Arthur GOUJON
Moi, c'est Arthur.

Coline LAURENT
Et moi, c'est Coline.

Helena JUNQUEIRA
Nous sommes étudiants et étudiantes en première année du Master DTCT à l'Université Toulouse – Jean Jaurès et nous avons aujourd'hui le plaisir de vous accueillir pour une interview et un débat sur des sujets qui nous touchent. Nous vous remercions de votre présence au studio aujourd'hui avec nous, merci beaucoup.

Lionel LAVAREC
Merci à vous pour cette invitation et pour cette discussion autour d'un livre que j'ai eu plaisir à travailler et auquel de nombreux auteurs ont contribué.

Helena JUNQUEIRA
Vous avez en effet dirigé cet ouvrage qui vient de paraître aux éditions CNRS qui
s'appelle Design et Communication, Création Collective. Il s'agit d'un ouvrage en
co-écriture avec plusieurs intervenants et intervenantes et dans cet ouvrage
vous abordez toutes les questions qu'englobent les concepts de contribution, de
coproduction, d'interdisciplinarité et de collaboration dans les projets de design.
Vous avez par ailleurs écrit sur ces sujets aussi depuis plusieurs années et vous
pratiquez ces méthodes au sein de votre activité professionnelle en tant que
Strategic Communication Senior Manager au sein de l'entreprise Dassault
Systems.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l'ouvrage et expliquer à tout le
monde qui nous écoute dans quelle démarche est-il né, s'il vous plaît ?

Lionel LAVAREC
Oui très bien. Alors je suis designer à la base, j'ai fait l'école Boulle. Donc j'ai
une vision du design qui est celui d'un designer. C'est ce que j'ai pratiqué
pendant très longtemps dans les entreprises dans lesquelles j'ai pu travailler :
SAGEM, Safran et maintenant Dassault Systems. Le recul que je peux avoir c'est
d'avoir fait une thèse de doctorat en sciences de l'information et de la
communication qui est née d'une volonté d'avoir, de progresser un peu plus
dans les sciences humaines, d'apprendre plus de choses pour pouvoir pratiquer
un peu mieux mon métier qui a dérivé au fur et à mesure sur la communication.
Je fais de la communication maintenant depuis quelques années.
En parallèle de mon travail à Dassault Systems, je fais partie d'une revue qui
s'appelle la revue Hermès, qui est la revue du CNRS pour tout ce qui est
communication, cognition et politique. Cette revue, elle interroge un certain
nombre de sujets, c'est sa particularité, sous le prisme de la communication.
Alors pourquoi ? Le but n’est pas de sortir des ouvrages et de parler uniquement
de communication in abstracto. L'intérêt c'est de confronter la communication
avec la vie réelle, c'est-à-dire plusieurs sujets, plusieurs domaines, notamment,
je vais vous dire de façon très globale, il y a des choses qui vont de l'Amérique
latine, les classements des universités, les parfums, le journalisme, la confiance.
Ce sont des notions ou des domaines ou des métiers qui sont toujours
confrontés. Il y a une vision qui peut se faire par le prisme de la communication.
C'est cette entrée qui guide tous les ouvrages de la revue.
On a fait une proposition en bureau, en disant qu’il y a une notion qui est très
intéressante mais qui est très peu vue à travers la communication, qui est le
design. Ce qu'on a commencé à faire. En bon designer, le design, très souvent,
la façon dont il est décrit, même en termes de recherche, c'est à travers le
résultat. On va regarder ce que font les designers, on va regarder des
architectures.
Alors petit aparté, le design on l'a vu au sens large. On ne l'a pas vu uniquement
au sens européen, qui est le sens créateur, si je peux faire un raccourci, mais on
l'a regardé au sens global, qui est celui des concepteurs et des créateurs. C'est-
à-dire la vision anglo-saxonne et la vision européenne. On y reviendra peut-être
après, mais c'était pour faire un petit aparté.
Donc on a regardé, ce qui existe c'est le résultat. On regarde d'où, quelle est
l'intention de départ. Et à la fin, on a le résultat. Et étonnamment, c'est toujours
ou très souvent une connotation très positive autour du design. Et on s'est dit, si
on parle de communication, parce que c'est la pertinence de la revue : « Est-ce
que le sujet design est pertinent pour la revue Hermès ? » Oui. En fin de
compte, on a trouvé une façon d'aborder le design qui n’est pas le résultat, mais
le processus. Au lieu de regarder ce qui se passe avant et après, on a regardé
comment les choses se font au milieu.
Et on est arrivé avec des choses assez intéressantes, c'est-à-dire que le design
n'est pas toujours positif. Si vous regardez en termes de processus, le design
peut avoir des aspects très positifs, d'émulation, pour guider, pour arriver à
trouver à plusieurs des choses intéressantes mais il peut être aussi inhibiteur.
Dans le design, il y a aussi la notion de méthode, il y a aussi la notion de
processus un peu réglé, qui fait qu'on a peut-être, quelquefois, l'ambiguïté de
suivre quelque chose en se disant qu'on va arriver forcément à quelque chose de
positif. On n'interroge pas forcément la dynamique de groupe. Cette dynamique
de groupe, qu'on a retravaillée, qu'on a plutôt interrogée à travers la
communication, elle a besoin d'avoir une compréhension qui est plutôt liée aux
sciences humaines.
Donc c'était un petit peu l'approche de l'ouvrage, de se dire « on n'interroge pas
le résultat, on interroge le processus », ça nous oblige à regarder à travers les
sciences humaines, et notamment la notion de communication. C'est une
particularité de l'ouvrage, parce que, très sincèrement, il y a très peu de livres,
en termes de recherche, qui regardent le design de cette façon. Ça nous
intéressait, et je pense que ça intéressait aussi beaucoup d'auteurs, de
contribuer sur cet aspect qui est peu interrogé et peu communiqué.

Coline LAURENT
Justement, vous avez un parcours qui est assez multidimensionnel, vous
travaillez à Dassault Systèmes depuis 2009. C'est une entreprise qui a débuté
en 1981 avec le développement des logiciels de modélisation 3D pour la
conception de maquettes aérodynamiques. L'activité de l'entreprise a évolué
jusqu'à la commercialisation de logiciels professionnels dans des domaines
industriels comme la défense, l'ingénierie, la construction, en s'appuyant sur
l'idée de virtualisation du monde.
Actuellement, dans votre poste à Dassault Systèmes, vous avez connu
l'évolution des outils de communication. Notamment avec ceux de la
technologie. Comment percevez-vous cette évolution ? Voyez-vous des enjeux
de communication pour les générations futures dans le cadre du design ?

Lionel LAVAREC
Effectivement, la partie qui nous intéresse à Dassault Systèmes est la partie de
développement de logiciels au service des créateurs, des concepteurs. Le but,
c'est d'arriver à des objets réels. Ce n'est pas dans le domaine de
l'entertainement, ce n'est pas pour faire des films ou du jeu vidéo. Le but, in
fine, c'est de faire des vrais produits, des vrais services, des vrais soins,
traitements, etc. Donc les activités sont assez larges. Quand vous travaillez sur
ces aspects, ce ne sont pas des personnes qui travaillent toutes seules dans leur
coin.
Par exemple, le développement d'une voiture, d'un vaccin, d'un bâtiment, ça
nécessite beaucoup de personnes. Vous avez des outils, des métiers pour
chaque personne, vous avez des gens qui vont faire de la modélisation, vous
avez des gens qui vont travailler sur la structure, vous avez des gens qui vont
travailler sur la notion de système, sur la simulation, après sur
l'industrialisation, etc. Ce sont des applicatifs métiers qui sont destinés à chaque
personne, en fonction de son rôle, de ses capacités, etc. Vous avez aussi des
outils qui sont plus transversaux, qui sont des outils de collaboration. Vous avez
un certain nombre de personnes qui ont leurs capacités, mais à un moment
donné, ces gens-là travaillent ensemble. Vous avez eu des révolutions dans le
monde industriel.
Par exemple, vous êtes passé d'un mode de travail qui était plutôt en série,
c'est-à-dire que vous aviez des personnes qui se suivaient avec des métiers, des
applicatifs différents, à un mode de travail plutôt concurrentiel, qui est un mode
de travail où on regroupait tous les gens en plateau. Donc on est passé en mode
projet. Et ça a changé beaucoup de choses. Ce qui a changé, c'est que tous les
professionnels se sont retrouvés ensemble. Ils n'étaient plus tributaires du
travail des professionnels d'avant, mais ils étaient tous ensemble pour trouver
des solutions ensemble, et pour discuter ensemble du développement de leurs
produits. Donc ça nécessite, au-delà de l'aspect métier, un autre aspect qui est
l'aspect collaboratif.
Ces outils collaboratifs, ils sont arrivés un petit peu plus tard, puisqu'ils sont
arrivés après les applicatifs métiers, mais ils ont un rôle de plus en plus
important au sein de grandes structures, mais aussi de structures plus petites
parce qu’à partir du moment où vous êtes plus que un, vous avez forcément
besoin de transmettre de l'information, vous avez forcément besoin de
confronter un point de vue, sur une base commune, différents aspects liés à
votre produit ou à votre service. Et c'est cette base commune qui est
importante.
C'est pour ça que « j'ai fait ma thèse ». C'était pour essayer de mieux
comprendre les dynamiques collectives et donner des indications, pouvoir aller
un peu plus loin sur ces aspects, sur ces outils. Parce qu'il y a beaucoup d'outils
qui existent, qui donnent des choses. D’un point de vue, on donne des espaces
de collaboration, on donne des moyens pour communiquer mais on se rend
compte que ça ne suffit pas. Et dire ça, ce n'est pas suffisant. Quand on veut
aller un petit peu plus loin, on fait un petit peu de recherche en sciences
humaines, on regarde ce qui se passe, notamment autour des sciences de
l'information et de la communication parce que c'est un peu le cœur de la chose.
Petite distinction entre pourquoi on dit « information » et « communication ». Il
y a une grosse différence. Pendant la communication, vous avez quelqu'un en
face. Ce qui n'est pas le cas de l'information. Pendant l'information, vous allez
donner une information. Vous n'allez pas forcément avoir le soin de savoir
comment la personne en face le reçoit ou le retraduit. Par contre, quand vous
êtes dans une dynamique de communication, vous avez quelqu'un en face qui
s'appelle l'autre, et il ne comprend pas les choses comme vous, il n'a pas la
même culture, il n'a pas le même ressenti, etc. Donc faire attention à l'autre,
être dans une posture de communication, c'est très différent d'être dans une
posture d'information. Et pour l'instant, on a énormément d'outils qui proposent
des choses intéressantes, mais qui sont peut-être trop dans une posture
d'information. On va pousser quelque chose, et on ne va pas forcément attendre
ou travailler sur l'échange.
Il y a quand même eu des grandes avancées dessus. C'est-à-dire que les
derniers outils un petit peu communautaires ou conversationnels permettent
d'avoir plutôt un mode de communication, de considérer l'autre, etc.

Arthur GOUJON
Justement, vous nous parlez de ces outils de collaboration, de communication.
Est-ce que vous avez justement un ou des concepts représentatifs qui seraient
faciles à visualiser, ou à mettre en place, pour faciliter la communication au sein
de l'entreprise où vous êtes, mais plus largement aussi au sein d'un projet de
design ? Et aussi des concepts qu’en tant qu'étudiants, nous pourrions réutiliser
pour nos futurs projets de collaboration ?

Lionel LAVAREC
Je ne sais pas si c'est en termes conceptuels qu'on peut donner une solution. Il
y a une chose qui est assez vraie et c'est là où le design a un rôle à jouer. On
s'est rendu compte, au fur et à mesure des développements des outils, quand on
a travaillé en mode plateau, on avait besoin d'avoir une représentation
commune à l'ensemble des métiers. Vous avez un mode de travail qui fonctionne
très bien, qui était le plan, qui est une représentation codifiée.
Cette représentation codifiée, elle n'est pas compréhensible par tout le monde
même si elle paraît très simple, même si elle paraît plus ou moins accessible.
Elle n'est pas compréhensible par tout le monde parce qu'autour de la table,
vous avez des gens qui sont aussi du marketing, vous avez des gens qui sont
sur des études, vous avez des gens qui sont dans la finance, etc. Donc, ça ne
leur permettait pas d'avoir une compréhension et un accès au projet. Par contre,
vous avez des gens qui ont la capacité de travailler, dessiner, faire des
représentations tridimensionnelles.
Après, vous avez eu les maquettes. Après, vous avez eu ce qu'on appelle des
modèles numériques qui permettent de voir comme une maquette, mais qui sont
un petit peu plus souples, dans le sens où vous pouvez faire des mises à jour en
temps réel, des changements. Votre maquette, si vous faites une mise à jour,
vous allez finalement dégrader un peu la maquette pour voir ce que vous êtes
obligé de refaire.
Donc, pas forcément en termes de concept. Par contre, en termes de
représentation, oui. Et en quoi c'est intéressant ? C'est que la représentation, ce
n'est pas toujours la même. Vous pouvez la faire évoluer en fonction de ce que
vous avez besoin de communiquer. Et encore une fois, quand on dit
communiquer, c'est que vous faites attention à la personne qui va réceptionner
l'information en face. Si vous faites attention à ça, vous n'allez pas donner à voir
uniquement ce qui vous semble bon, mais vous allez faire attention à ce que les
autres vont pouvoir comprendre aussi de ce que vous allez pouvoir leur montrer.
Vous êtes en posture de communication donc vous vous adaptez.
L'adaptation de la représentation, la flexibilité à ce niveau-là, elle est fortement
rattachée au profil des designers. Encore une fois, au sens large, parce qu'il y a
une capacité à pouvoir représenter les choses, à pouvoir changer un petit peu le
mode de représentation en fonction de ce qu'on a à montrer, à faire évoluer
aussi certains schémas, etc. Donc, la réponse qui me semble la plus appropriée
est plutôt une réponse de représentation.
Pour revenir à l'ouvrage, on a fait un chapitre entier sur cette notion. On n'a pas
donné uniquement une vision de design stricto sensu. On a essayé de l'ouvrir.
C'est pour ça que le premier chapitre est plutôt sur la notion de représentation
et langage. Pourquoi ? C'est ça qui nous permet d'ouvrir un petit peu plus et de
relier à la notion de communication. Pourquoi langage ? On a un article très
intéressant sur la notion de narration.
La notion de narration, elle n'est pas forcément présente quand on enseigne le
design. Par contre, on se rend compte dans le monde professionnel qu'on a
besoin aussi d'aller un peu plus loin que juste donner à voir un objet, et puis on
peut raconter des choses un petit peu autour. Qu'est-ce qui se passe autour de
l'objet ? Comment il est utilisé ? Qu'est-ce qui fait qu'il pourrait être
intéressant ? Il y a toute une notion nouvelle qui est apparue, qui s'appelle le
design fiction.
Si vous dites représentation, ce n'est pas une représentation puisque ça passe
par le langage. La communication, elle apparaît à travers le langage et la
représentation qui est le premier chapitre, qui nous a semblé intéressant
puisque, pour nous, c'est la base pour pouvoir après travailler sur le compromis,
qui est le second chapitre. C'était une bonne façon de rentrer un petit peu en
matière avec des choses qui sont parfois factuelles pour certains. Avec les deux
notions, langage et représentation, on a des contributions qui sont plutôt
novatrices par rapport au monde du design.

Coline LAURENT
Pour revenir un peu à l'ère numérique et à tous les objets de communication par
le numérique, vous semblez convaincu par l'intérêt primordial de la
communication par le numérique, ou en tout cas, vos sujets de recherche en
témoignent, et semblez en même temps, par vos discours et par l'ouvrage,
convaincu par celui du rapport d'humain à humain. Comment pallier un équilibre
entre ces deux notions ? Est-ce que c'est vraiment dissociable ou pas ?

Lionel LAVAREC
Là où il y a danger, c'est quand vous raisonnez numérique uniquement ou quand
vous raisonnez humain uniquement. Je vais vous expliquer pourquoi. Dans les
entreprises, depuis qu'on a donné un peu plus de flexibilité, qu'on est moins sur
une organisation taylorienne où chacun a son rôle et doit s'y coller, il y a
quelque chose qui est apparu et qui est devenu naturel, qui était de faire des
réunions.
Paradoxalement, il y a des études qui sont autour des réunions, il y a dix ans ou
maintenant, qui considèrent que les réunions font perdre du temps aux gens. On
s'est dit qu’on veut que les gens travaillent ensemble, on veut que les gens
construisent des choses ensemble, on veut éviter que les gens travaillent tout
seuls dans leur coin parce que chacun a des talents particuliers, chacun a un
point de vue et la richesse des points de vue, c'est ce qui fait le succès d'un
produit ou d'un service sur lequel on travaille. Et à côté de ça, vous dites, dans
ce cas-là, « on met les gens ensemble dans une salle et puis on les fait
travailler ». Est-ce que c'est suffisant ? Non, malheureusement.
Il y a tout un groupe de méthodes qui arrivent et qui vous disent « Bah non, la
réunion, il faut la faire comme ci, comme ça, il y a des règles, etc. » Est-ce que
c'est suffisant ? Non. Pourquoi ? Très souvent, on se rend compte que les gens
ne comprennent pas toujours la même chose. Il y a tout un tas de contingences
de réunions qui fait qu'il faut avoir un objectif, il faut que les gens aient
conscience de toutes les étapes sur lesquelles il faut passer pour aboutir à cet
objectif à la fin de la réunion, etc.
Globalement, il y a une compréhension qui n'est pas forcément la meilleure.
Qu'est-ce qu'on a fait pour que cette compréhension soit meilleure ? Alors, je
vous en ai un petit peu parlé, c'est qu'on a créé des outils progressivement qui
sont devenus numériques, des représentations qui sont devenues numériques.
Et la représentation numérique a cet intérêt de pouvoir rassembler.
La plupart des gens comprennent quand on est en représentation numérique
tridimensionnelle, ils voient les choses comme dans la vraie vie. En fin de
compte, ils comprennent une pièce, un assemblage de pièces, une voiture, parce
qu'ils la voient pour de vrai, en phase deux. Ils ont, en plus, la possibilité de
retravailler des choses. C'est la flexibilité du numérique. Ils ont la possibilité de
changer de vue. Par exemple, vous voulez une vue en éclaté, puisque vous avez
vu un assemblage de différentes pièces, mais vous voulez voir finalement un peu
mieux chaque pièce : ça, vous le faites instantanément, ce que vous ne pourriez
pas forcément faire avec une maquette physique. Vous voulez voir un autre
angle ? Vous voulez voir les choses en transparence ? Vous voulez voir une
simulation pour voir comment est le comportement ? Vous pouvez le faire grâce
au numérique.
Par contre, si on reste uniquement sur la partie numérique, vous allez perdre le
reliant avec la réalité. Finalement, quand vous avez l'humain plus le numérique,
ça vous permet de mieux comprendre certaines choses et de prendre, peut-être,
de meilleures décisions ensemble.
Un autre exemple qui n'est pas un exemple industriel. Quand vous êtes dans une
ville, vous avez plusieurs personnes qui sont les organes de décision de cette
ville. Comment ils travaillent ? La plupart du temps, ils ont des dossiers, ils ont
des rapports, par exemple sur les problématiques de transport. « Est-ce qu'on
lance une ligne ? Une nouvelle ligne de tram, de métro, etc. ? ». Les
équipements, tous ces aspects. C'est assez compliqué de prendre une décision,
très souvent, puisque vous avez plusieurs éléments qui sont assez disparates.
L'intérêt de votre maquette numérique, c'est déjà de vous donner une
représentation compréhensible, au-delà de rapports, de tableaux, mais c'est
aussi de rassembler tous ces éléments, sur une seule vue. Vous avez, pour
quelqu'un qui est un décisionnaire de ville, quelque chose qui est plus
appréhendable pour lui. Il est aussi un petit peu plus sûr d'avoir l'ensemble des
éléments d'information, parce que sinon, il y a un risque.
Quand vous avez beaucoup d'informations que vous oubliez, parce que l'humain
est fait de telle façon qu'il ne peut pas retenir trop de choses non plus, vous
avez une cohabitation humain-numérique qui est utilisée. Je vous ai donné un
cadre, on avait vu des cadres un peu plus industriels. Là, c'est un cadre qui est
complètement différent, qui est un cadre plutôt de ville, de décision.
Le numérique est tout à fait compatible avec l'humain, et il y a une capacité
d'augmentation. Il y a des gens qui ont peur du numérique, parce qu'ils ont peur
que ça remplace, et ça arrive sur certains aspects. Dans la majorité des
applicatifs, c'est plutôt qu'il y a un côté augmentation, c'est-à-dire que vous
comprenez mieux les choses. Dans le cadre de la ville par exemple, vous pouvez
pousser l'exercice jusqu'à un moment donné, vous avez une représentation qui
est compréhensible par le plus grand nombre. C'est pas uniquement pour les
décisionnaires, c'est-à-dire que les décisionnaires peuvent se dire, « cette
représentation, je veux que les citoyens de la ville puissent l'avoir, parce qu'il
faut qu'ils puissent voir quels vont être les projets, comment on va passer,
comment vont avancer ces projets, et qu'ils se rendent compte par eux-mêmes,
et à la limite, si je leur demande ce qu'ils en pensent, ils peuvent donner leur
avis en toute conscience, parce qu'ils auront vraiment vu et compris le projet. »
On peut aller jusque-là.
Et c'est en ça que c'est intéressant, pas uniquement pour certaines catégories
de personnes, mais ça peut être intéressant pour tout le monde. L'humain tout
seul peut être problématique, même si ça paraît étonnant, par les aspects liés
aux réunions. Le numérique tout seul, aussi, peut être problématique, parce
qu'il enferme dans une réalité qui n'est pas la bonne. Le but, c'est que quand
vous faites du numérique pour faire des vrais objets il faut qu’il y ait une
possibilité d'ouverture. Elle existe. Elle va être mieux comprendre, pour mieux
décider, pour mieux réfléchir aussi.

Arthur GOUJON
Aujourd'hui, les entreprises se veulent compétitives au niveau, entre autres, de
leur recrutement, mais aussi dans les usages de leurs salariés. C'est intéressant,
ce que vous nous expliquiez tout à l'heure, sur le plan et le plateau, de comment
les gens ne travaillent plus à la chaîne, tous ensemble. Les logiciels de PAO,
donc de Publication Assistée par Ordinateur, qui ont été conçus et ont évolué
dans un esprit de compétitivité entre graphistes, où la collaboration n'a pas de
place au sein même du logiciel. Une question me vient alors à l'esprit, comment
est-ce que vous appliquez votre méthodologie de projet collective dans une
grande entreprise, et, encore une fois, comment nous, à notre échelle
d'étudiants, on pourrait l'appliquer au sein de nos projets ?

Lionel LAVAREC
Quand vous êtes dans une posture d'information, vous faites les choses comme
vous les ferez pour vous, et vous les poussez. Globalement, c'est comme ça que
ça peut fonctionner dans une entreprise. Malheureusement, vous vous rendez
vite compte que ce n'est pas le plus approprié, parce que les gens ne
comprennent pas tout ce que vous communiquez. Vous avez relevé le fait qu'il y
a des outils, effectivement, qui sont un peu fermés, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas
été pensés, pour travailler en mode collaboratif. Tous les outils ne sont pas
collaboratifs. Il faut peut-être le dire, parce que même si ça paraît évident, il y a
beaucoup d'outils qui sont des outils-métiers, qui ne sont pas faits pour être en
mode collaboratif, parce qu'il y a un mode d'expertise qui est assez particulier.
Quand vous commencez à ouvrir, dans une entreprise par exemple, vous êtes en
posture de communication. Ce que j'essaye de faire, c'est de donner à voir des
choses qui sont moins expertes, mais qui sont plus compréhensibles. Par
exemple, quand vous avez à communiquer une stratégie de communication,
donc c'est une partie de mon travail, vous pouvez l’écrire ; c'est une façon de
faire, mais ce n’est pas forcément la façon la plus communicable. L'écrire, c'est
un peu un travail que je considère préliminaire.
Par contre, j'ai un travail de communication. Si je reste sur le premier travail,
qui est juste de donner les renseignements, je suis dans une posture
d'information, ce qui se passe la plupart du temps. L'étape d'après, ça demande
un autre investissement, ça demande un peu de temps, ça demande de la
recherche, ça demande aussi, parfois, d'interroger les gens. C'est un second
travail, mais pour moi, ça fait partie du travail complet. Travailler sur un sujet,
ce n’est pas juste renseigner le sujet. C'est aussi savoir comment on va
communiquer sur le sujet. C'est quelque chose qu'on a peut-être naturellement
quand on fait du design. Le problème, c'est que c'est naturel. Le souci, je vais
vous dire pourquoi, c'est qu’on le fait sans s'en rendre compte. Et du coup, on
ne donne pas de valeur à ce travail.
La deuxième chose, c'est que parfois, ce travail, comme on ne l'a pas pensé en
étant en posture de communication, on va être un peu en posture d'expert.
C'est-à-dire qu'on ne va pas faire attention à ce que l'autre va pouvoir
comprendre et recevoir. Se rendre compte de ce travail de communication, c'est
être un peu plus à l'écoute et finalement de changer un tout petit peu la façon
dont on va donner pour pouvoir s'assurer d'une meilleure réception. C'est ne pas
être juste dans la façon de travailler sur un projet, il y a un autre aspect quand
on ne travaille pas tout seul. La plupart du temps, je pense que vous ne
travaillerez jamais tout seul. Il faut penser à cette seconde étape qui est une
étape de communication. Comment je donne à voir ou j'explique ce que j'ai
pensé, réfléchi et formalisé pour moi ? Ce n'est plus pour moi, c'est aussi pour
l'autre.

Arthur GOUJON
C’est une forme d'empathie, où il faut se mettre à la place des personnes visées,
d'où elles viennent, ce que vous disiez tout à l'heure, de leur culture…

Coline LAURENT
De la compassion, oui.

Arthur GOUJON
De la compassion, peut-être, aussi.

Lionel LAVAREC
C'est un peu fort. Empathie, compassion. Mais il y a un peu de ça.

Coline LAURENT
C’est un ancrage dans son contexte, en fait.

Lionel LAVAREC
Oui, oui. C'est-à-dire que vous savez que ce n'est pas que pour vous, alors que
la plupart du temps, on n'y pense pas. Et quand on n'y pense pas, on ne fait que
pour nous, malheureusement.

Helena JUNQUEIRA
Oui, parfois, ce n'est pas évident. Les choses qui sont dans notre tête, ce n'est
pas dans la tête de l'autre. Et c'est difficile de faire cet exercice de se mettre à
la place de l'autre pour essayer de comprendre comment l'autre va percevoir
l'information qu'on lui donne. C'est super important. Nous pourrions échanger
sur ces sujets qui nous concernent beaucoup, surtout en tant qu'étudiants et
étudiantes qui vont pratiquer le design, mais nous allons devoir écourter cet
épisode.
La bonne nouvelle, c'est qu’il y aura tout de suite une table ronde qui va suivre
avec d'autres intervenants et intervenantes et avec aussi nos camarades de
master. J'invite tout le monde qui nous écoute à aller voir cet épisode aussi.
Avant de finir notre épisode d'interview, Lionel, voulez-vous donner le mot de la
fin, s'il vous plaît ?

Lionel LAVAREC
Le mot de la fin, il sera simple. Le design et la communication sont des notions
très complémentaires. On a essayé, à travers plusieurs exemples et plusieurs
intervenants, d'avoir une richesse de traitement, puisque ce qu'on a essayé de
faire, ce n'est pas un livre de designer pour les designers. C'est vraiment un
livre qui est beaucoup plus ouvert. C'est un livre qui cherche à confronter des
points de vue, qui est globalement centré sur la notion de collaboration et de
processus de travail en commun.
La richesse c'est qu'on a essayé d'être à peu près sur trois tiers. On a un tiers
de personnes qui sont des gens du design côté créatif. On a un tiers des gens
qui sont du design côté plutôt ingénierie. Et on a un tiers de sciences de
l'information et de la communication. Pourquoi ? On a beaucoup plus de
richesse, on a un équilibre intéressant entre recherche et pragmatisme. La
plupart des auteurs ont été jusqu'à donner des exemples de terrains,
d'expérimentations, d'observations.
Et cet ouvrage, il n'est pas uniquement « intellectuel ». C'est un ouvrage qui se
confronte à la réalité. C'est aussi l'intérêt de cette collection des essentiels de la
revue Hermès qui est de donner une sorte d'état des lieux très riche et très
concret, avec des notions de recherche sur lesquelles vous pouvez après
creuser, puisque vous avez des aspects bibliographiques, etc. Donc, le design et
la communication, c'est intéressant, parce que ça permet de mieux connaître à
la fois le design, mais aussi la communication.

Helena JUNQUEIRA
Merci beaucoup pour votre temps et pour cette interview.

Lionel LAVAREC
Merci à vous.

Coline LAURENT
Merci beaucoup.

Arthur GOUJON
Merci beaucoup.

Podcast M1 DTCT : Interview de Lionel LAVAREC
26.03.2024