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Français
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UTLS - la suite (Réalisation), UTLS - la suite (Production), Alain Carpentier (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/x7c5-zj58
Citer cette ressource :
Alain Carpentier. UTLS. (2004, 18 janvier). Xéno-transplantation cardiaque ou coeur artificiel : un défi pour la médecine de demain , in Les nouvelles thérapies, soigner demain. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/x7c5-zj58. (Consultée le 20 mai 2024)

Xéno-transplantation cardiaque ou coeur artificiel : un défi pour la médecine de demain

Réalisation : 18 janvier 2004 - Mise en ligne : 17 janvier 2004
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Descriptif

Tous les jours on entend parler de nouvelles maladies qui menacent, qui se développent, qui renaissent, qui virulent à nouveau, mais on entend assez peu parler de l'insuffisance cardiaque et des moyens de la traiter. Parmi ces moyens il y a, pour l'avenir, la xeno-transplantation cardiaque et le coeur artificiel. Un traitement complexe porteur d'espoir mais encore limité étant donné les nombreux problèmes qui se posent comme le manque de « donneurs » ou les phénomènes de rejet.

Intervention
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Transcription de la 521e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 18 janvier 2004

Alain Carpentier « Xéno-transplantation ou cSur artificiel, un défi pour demain »

L'insuffisance cardiaque

L'insuffisance cardiaque est une perte de la force de contraction du cSur. Terme ultime des maladies cardio-vasculaires, c'est une affection extrêmement fréquente, en fait la première cause de mortalité chez l'homme avant le cancer. Elle affecte chaque année 600 000 personnes en France et cinq millions de personnes aux Etats-Unis, donc proportionnellement un peu plus aux Etats-Unis qu'en France. Les hommes sont deux fois plus touchés que les femmes, mais du fait de l'évolution des comportements, en matière de tabagisme notamment, l'écart tend à se réduire. Cette maladie est très grave puisque 45 % des malades arrivés au stade de grave insuffisance cardiaque meurent au cours de l'année suivant cette découverte.

Comment se manifeste-t-elle et comment la traiter ? Pour répondre à cette double question, il faut d'abord rappeler ce qu'est le cSur et pour cela faire appel à nos souvenirs de lycée. Le cSur est une pompe qui sert à faire circuler le sang dans tous nos organes. Il comporte deux chambres contractiles, le ventricule droit et le ventricule gauche. Le ventricule droit reçoit le sang veineux, désoxygéné venu de nos organes et le propulse dans les poumons pour qu'il se charge d'oxygène. Le ventricule gauche reçoit le sang oxygéné et le propulse par nos artères vers les organes qui y puisent les nutriments dont ils ont besoin. L'insuffisance cardiaque apparaît lorsque la force de contractilité de l'un ou l'autre des ventricules diminue. Lorsque le ventricule gauche est en cause, le malade s'essouffle à l'effort puis de manière permanente. Si c'est le ventricule droit qui est atteint, un gonflement des jambes et des douleurs dans la région du foie apparaissent. Le plus souvent, les deux ventricules sont impliqués dans l'insuffisance cardiaque et les signes s'additionnent. La moins bonne contraction des ventricules induit un ralentissement de la circulation. Les organes sont donc moins bien nourris. Un cercle vicieux s'installe dans lequel l'état d'un organe retentit sur les autres jusqu'à l'issue fatale. Ainsi, l'insuffisance cardiaque n'est pas seulement une souffrance du cSur, c'est une souffrance de tous les organes. Le moyen d'y pallier est de rendre au cSur sa force contractile.

La médecine a fait, ces cinquante dernières années, des progrès considérables. Auparavant, les seuls remèdes étaient la caféine, l'extrait de digitale et la saignée. Souvenons nous des médecines de Molière : la purge et la saignée résumaient tout leur art. Les saignées soulageaient effectivement le cSur parce qu'il avait ainsi moins de sang à pomper, mais elles rendaient les gens anémiques, ce qui était bien pire. Aujourd'hui, comme pour beaucoup d'autres maladies, le traitement de l'insuffisance cardiaque est une plurithérapie, c'est à dire qu'il recourt à plusieurs médicaments, chacun agissant sur l'une des composantes de la maladie : les vasodilatateurs dilatent les vaisseaux et ainsi diminuent les résistances qui s'opposent au travail du cSur, les tonicardiaques renforcent la contractilité des ventricules, les bêtabloquants ralentissent le cSur, rendant sa contraction plus efficace.

Au cours du temps, progressivement, ces traitements perdent leur efficacité. Il faut alors se tourner vers la chirurgie. Elle offre plusieurs solutions. Certaines ne sont que palliatives : ce sont les appareils d'assistance dont, faute de place, on ne parlera pas dans cet exposé. D'autres sont radicales et comportent purement et simplement le remplacement du cSur par le cSur d'un autre homme, ou par un cSur artificiel.

Transplantation cardiaque

La transplantation cardiaque est le remplacement du cSur malade par un cSur pris sur un autre être humain. Il s'agit d'une opération chirurgicale spectaculaire et fort émouvante.

En 1967, beaucoup d'équipes de recherche travaillaient sur ce sujet lorsque, venue d'Afrique du Sud, la nouvelle arriva que Christian Barnard avait procédé à la toute première transplantation d'un cSur chez l'homme. La nouvelle fit l'effet d'une bombe - à la fois médiatique et médicale car elle représentait un nouvel espoir pour de nombreux malades. Beaucoup d'équipes tentèrent alors l'aventure avec trop de hâte et peu de succès. A l'hôpital Broussais où je travaillais à l'époque, nous étions prêts depuis longtemps ayant réalisé de nombreuses transplantations sur le chien sous la direction du professeur Jean-Paul Cachera. En avril 1968, un père dominicain, le père Damien Boulogne, arrivé au stade terminal d'une insuffisance cardiaque, vint voir notre chef de service, le professeur Charles Dubost et lui proposa d'être son premier opéré. Celui-ci accepta et réalisa, avec l'aide du professeur Cachera et de moi-même, la première transplantation cardiaque réalisée avec succès en Europe.

Une transplantation cardiaque présente aujourd'hui encore de grandes difficultés.

La première concerne le prélèvement du cSur sur le donneur d'organe. On ne peut faire ce prélèvement que sur un homme décédé, mais ceci le plus tôt possible pour que le cSur fonctionne encore. L'espace de temps dont on dispose est très court et très souvent à l'époque le cSur se révélait inutilisable. C'est alors qu'on réalisa que la mort n'est pas tant l'arrêt du cSur que l'arrêt de toutes les fonctions du cerveau. Cette nouvelle définition de la mort était capitale car elle permettait de prélever des organes encore sains chez un sujet dont le cerveau ne fonctionnait plus. Ainsi aujourd'hui le prélèvement d'un organe ne pose plus les graves problèmes éthiques qu'il soulevait autrefois. D'après les textes officiels, toute personne majeure dont le cerveau est mort est déclarée légalement décédée et devient un donneur d'organes potentiel, à moins qu'elle n'en ait manifesté le refus de son vivant. Dans la pratique, c'est la famille qui est sollicitée pour donner son accord. Pour des raisons éthiques, elle ne l'est jamais par le chirurgien transplanteur, mais par un médecin spécialisé. Une fois qu'un organe est disponible, que l'équipe de prélèvement a vérifié son bon fonctionnement, il faut choisir le receveur parmi les malades figurant sur la liste d'attente. Un choix douloureux car il y a toujours trop de malades en attente pour le petit nombre de cSurs disponibles. Le choix se porte sur le malade le plus urgent ou sur celui qui attend depuis le plus longtemps et surtout sur celui qui est le plus compatible, c'est à dire qui tolérera le mieux le coeur étranger. De même que les transfusions de sang ne se font qu'entre personnes de groupes sanguins compatibles, la même règle est respectée pour les organes. Théoriquement, il faudrait étudier aussi les groupes de compatibilité des tissus découverts par le grand scientifique français Jean Dausset. Mais le temps que nécessitent ces tests ne permet pas d'en tenir compte pour la sélection des malades.

La deuxième difficulté est l'opération elle-même. Dès que le receveur a été identifié sur la liste, il est immédiatement convoqué. C'est le temps zéro de l'opération. A partir de cet instant, une lutte contre la montre est engagée, chaque minute compte, aussi bien du côté du malade qui, pour être opéré, doit arriver d'urgence à l'hôpital, que du côté du donneur qui doit être prélevé dans les meilleurs délais. Une équipe de prélèvement est envoyée à l'hôpital où le donneur a été accueilli. Avant de prélever les organes, elle procède à leur protection par des liquides physiologiques réfrigérés. Le transfert du cSur doit être effectué en moins de trois ou quatre heures par avion ou par ambulance. Pendant ce temps, le malade à opérer est arrivé à l'hôpital et les derniers contrôles biologiques sont pratiqués. La transplantation peut alors avoir lieu. Le chirurgien ouvre largement le thorax et branche un cSur-poumon artificiel sur la circulation pour suppléer la fonction des poumons et du coeur pendant qu'il procèdera à l'ablation du cSur malade et à son remplacement par un cSur sain. C'est une émotion toujours vive de voir le thorax soudain vidé de son organe vital retrouver un cSur tout neuf. Celui-ci est suturé aux vaisseaux du malade. Les vaisseaux sont déclampés. Le cSur ne se remet à battre qu'après une ou deux minutes. Parfois les battements se font attendre plus longtemps, suscitant un nouveau moment d'intense émotion. Il est alors possible d'arrêter le cSur-poumon artificiel.

Un autre défi commence alors, la lutte contre le " rejet ". Qu'est-ce donc que ce rejet dont on parle tant ? Notre corps est défendu contre les agents pathogènes qui nous entourent, virus, microbes ou autres, par un système de défense très élaboré appelé " système immunitaire ". C'est grâce à lui que nous luttons, victorieusement le plus souvent, contre les infections. Le problème est qu'il ne fait pas la différence entre un microbe qui menace la vie et un cSur qui a été transplanté pour la sauver. Dès que le système immunitaire reconnaît un intrus, il mobilise ses armes - des cellules sanguines appelées lymphocytes - pour le détruire. Dans le cas d'une transplantation d'organe, c'est ce que l'on appelle le rejet immunologique. Pour s'opposer à ce rejet, un seul moyen : neutraliser l'action des lymphocytes les plus agressifs par des médicaments. Des boucliers en quelque sorte. Ils s'appellent stéroïdes, azathioprine et ciclosporine. A l'époque de la transplantation du père Boulogne, ce dernier médicament, le plus efficace, n'était pas disponible et les résultats des transplantations n'étaient pas aussi bons qu'aujourd'hui. Mais l'histoire de la découverte de cette ciclosporine vaut une parenthèse car elle est représentative de la manière dont le progrès se fait en sciences.

Les entreprises pharmaceutiques sont sans arrêt à la recherche de nouveaux antibiotiques pour lutter contre les nouvelles infections. Ces antibiotiques, de même que leur ancêtre la pénicilline, sont le plus souvent des champignons ramassés au hasard de collectes systématiquement organisées par ces entreprises dans les forêts, les champs, les ruisseaux et même les dépôts de détritus. L'un de ces limiers, ramasseurs de champignons, s'appele Jean-François Borel. Il est chercheur des laboratoires Sandoz à Bâle. Un jour, il rapporte des forêts de Norvège toute une collection de prélèvements hétéroclites. L'un d'eux contient un champignon qui, bien qu'inefficace contre les bactéries, est en revanche capable de tuer les lymphocytes impliqués dans le rejet immunologique. Tout excité par cette découverte, il en parle à son directeur qui, déçu devant l'inefficacité du champignon contre les bactéries, lui demande d'abandonner ses recherches. Jean-François Borel persiste au contraire de façon semi-clandestine et c'est grâce à son acharnement que nous disposons aujourd'hui d'un médicament merveilleux, la ciclosporine, si efficace dans les transplantations d'organe. C'est ainsi que procède souvent la recherche : une expérience ne donne pas le résultat escompté, la plupart des gens abandonne. Le véritable chercheur au contraire persiste et trouve l'inattendu. C'est le cas de Pasteur, de Fleming et de bien d'autres.

Le principal obstacle à la transplantation du cSur n'est pas tant les difficultés que l'on vient de voir que le manque crucial de donneurs et cela est vrai aussi pour les autres organes, rein, foie, pancréas. En France, un malade sur trois meurt faute de recevoir l'organe dont il aurait besoin. Autre obstacle de taille : il est psychologiquement très pénible pour un malade de fonder ses espoirs de guérison sur la mort de quelqu'un. Le recours à un cSur prélevé sur un animal (ou xénotransplantation) peut seul résoudre ces problèmes. Le porc en la matière est le plus proche par sa taille mais là deux difficultés surgissent. Les réactions immunologiques entre l'animal et l'homme sont précoces, hyperaiguës, foudroyantes. Il faut donc trouver des moyens plus efficaces encore pour les combattre. Seconde difficulté, le risque de transmission de maladies animales à l'homme, ce qu'on appelle les zoonoses. C'est ce risque qui a imposé un moratoire à l'équipe de Cambridge en Angleterre qui était prête à faire les premières xénotransplantations chez l'homme il y a quatre ans.
Les recherches continuent néanmoins pour relever ce double défi. En attendant, d'autres chercheurs travaillent sur le second type de remplacement du cSur, le cSur artificiel.

Le cSur artificiel

Le manque d'organes de transplantation et les difficultés que posent les xénogreffes justifient pleinement les recherches qui visent à réaliser un cSur artificiel. Il s'agit ici du vrai cSur artificiel, le cSur artificiel complet et totalement implantable destiné, comme la greffe cardiaque, à remplacer le cSur du malade. Et non pas ces appareils d'assistances ventriculaires, improprement appelés parfois cSurs artificiels, qui sont utilisés seulement comme assistance d'un cSur malade laissé en place en attendant une greffe cardiaque disponible.

Comme le cSur naturel, un cSur artificiel comporte deux ventricules droit et gauche. Chaque ventricule est cloisonné par une membrane pulsatile en deux chambres. L'une contient le sang, l'autre un liquide alternativement injecté et aspiré par une moto-pompe qui lui est accolée. Ce mouvement de va-et-vient du liquide mobilise la membrane qui tour à tour aspire le sang veineux puis le refoule dans les artères tout comme un ventricule normal.

Si le concept est relativement simple, sa réalisation pose des problèmes considérables. Le premier est la miniaturisation. Le cSur artificiel étant destiné à remplacer le cSur malade, il doit avoir une taille à peu près semblable à celui-ci. Une gageure car il s'agit de concentrer dans un même volume réduit les deux ventricules, les groupes moto-pompes et l'électronique de commande. Pour réussir, il faut faire de nombreuses études par ordinateur des espaces anatomiques disponibles et de nombreuses maquettes de forme exactement adaptée.

Le second problème est la régulation médicale, c'est à dire le pilotage informatique des moteurs et des pompes pour adapter à tout moment la fonction du cSur aux besoins de l'organisme, quelles que soient les conditions, repos, effort, position couchée ou debout. On dispose pour cela de capteurs et d'un système de recueil en continu des données physiologiques: pressions et volumes enregistrées à l'intérieur de chaque ventricule.

L'énergie animant les moteurs est dispensée par des batteries. L'une intra-corporelle permet une autonomie de quelque 15 minutes - le temps de prendre une douche - les autres, plus volumineuses, extra-corporelles, sont connectées à la batterie intra-corporelle et la rechargent en permanence le reste du temps.

Dernier problème et non le moindre, le cSur artificiel doit être hémocompatible, c'est à dire qu'il ne doit pas donner lieu à la formation de caillots sanguins, complication la plus fréquente de tous les appareils médicaux destinés à être en contact avec le sang. Heureusement, il existe des matériaux spéciaux, notamment des matériaux dits " bioprothétiques " développés en France il y a plusieurs années qui remplissent ce rôle.

La mise au point d'un cSur artificiel nécessite un grand nombre d'études et d'essais. Le mode d'expérimentation a beaucoup changé au cours de ces quinze ou vingt dernières années. Jusqu'alors les expérimentations étaient effectuées sur l'animal, le veau généralement. C'est de moins en moins le cas. La relève est prise par des tests sur bancs hémodynamiques et des simulations sur ordinateur. L'ère de l'informatique permet maintenant de simuler des cSurs artificiels et leur comportement dans un réseau artificiel. Des bancs hémodynamiques sophistiqués permettent de construire des réseaux reproduisant toutes les caractéristiques du système vasculaire, un homme artificiel en quelque sorte ! Grâce aux ordinateurs, on peut prévoir les performances d'un cSur artificiel avec plus de précision et à un moindre coût que les expériences sur animaux. On peut même se placer dans des conditions extrêmes telles que le froid, le chaud ou des maladies diverses.

Pour conclure sur une note d'optimisme, soulignons que le progrès le plus remarquable de la cardiologie moderne n'est pas la mise au point d'appareillages complexes aussi utiles soient-ils mais la connaissance des facteurs de risques qui président au développement des maladies du cSur. Il est possible aujourd'hui de dire avec certitude que tel facteur héréditaire, tel comportement, tel mode de vie encourent un risque accru de telle ou telle maladie. Pour la première fois, l'homme peut peser sur son propre destin en déjouant ces risques, par exemple en évitant le tabac, la sédentarité, le surpoids. De son côté, le médecin surveillera et corrigera une tension artérielle trop haute, un diabète débutant, une tendance à l'obésité. De cette alliance entre le médecin et le patient naît la médecine dite préventive, celle qui évite le recours aux solutions ultimes et salvatrices que sont greffes cardiaques et cSurs artificiels.

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