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Langue :
Français
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Mission 2000 en France (Production), Jacques Lanxade (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/amnv-0s72
Citer cette ressource :
Jacques Lanxade. UTLS. (2000, 21 septembre). Les conflits et les guerres de demain , in Artifices. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/amnv-0s72. (Consultée le 29 mai 2024)

Les conflits et les guerres de demain

Réalisation : 21 septembre 2000 - Mise en ligne : 20 septembre 2000
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Descriptif

La conférence débutera par une présentation de l'évolution de la situation stratégique du Monde après le bouleversement introduit par la fin de la guerre froide. Il s'agira de montrer comment nous vivons une période de transition de l'ordre international bipolaire vers un nouvel ordre. Une deuxième partie proposera une typologie des crises et des conflits qui devraient marquer les années à venir. Elle précisera les cadres dans lesquels ces conflits pourraient être gérés. La troisième partie exposera les caractéristiques des armées de demain. Elle montrera l'évolution d'armées nombreuses, reposant sur la conscription, vers des forces professionnalisées utilisant le progrès technologique.

Intervention
Thème
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Texte de la 265e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 21 septembre 2000.

Les conflits et armées de demain

Par Jacques LANXADE

Le 9 novembre 1989 tombait le mur de Berlin. Cet événement considérable, qui marquait la fin de l'empire soviétique et de la Guerre froide, engageait un véritable bouleversement de l'équilibre mondial.

Ce bouleversement a fait naître le rêve d'un ordre international tourné vers la paix, la stabilité et le développement. Quelle est la réalité, dix ans plus tard ? Que sera notre avenir ? Telles sont les questions qui sont au cSur du débat.

Un nouvel ordre international

Au temps de la Guerre froide, l'ordre international était caractérisé par la confrontation entre le bloc de l'Ouest et celui de l'Est et il était régulé par la dissuasion nucléaire. Cinq puissances nucléaires officielles, membres permanents du Conseil de Sécurité où elles avaient le droit de veto, constituaient une sorte de directoire suprême. Cependant, tout était dominé par la relation spéciale que leurs capacités de dissuasion nucléaire imposaient aux deux superpuissances, les États-Unis et l'URSS, qui constituaient ensemble une sorte de condominium. L'équilibre stratégique était celui de la terreur et il était garanti par la stricte application du traité ABM sur les armements antibalistiques et par la mise en Suvre des accords de limitation SALT, puis de réduction START des armements nucléaires. Il fallait en effet qu'aucun des deux grands ne puisse obtenir une supériorité momentanée sur l'autre, ce qui aurait comporté le risque corrélatif qu'il soit tenté d'en user. Dans le même temps, chacun des deux blocs cherchait à accroître la zone qu'il contrôlait : aucune partie de la planète n'échappait aux règles de la bipolarité.

Cet ordre international était injuste mais relativement stable dans la mesure où les crises et les conflits devaient être soigneusement contenus dans leur extension géographique sinon dans leur violence, afin d'éviter qu'ils ne mettent les deux superpuissances en confrontation directe.

Ce monde bipolaire disparaît en 1989 à partir de la chute du mur de Berlin puis de l'éclatement et la disparition de l'Union soviétique. Un nouvel ordre mondial s'établit. Une seule superpuissance subsiste, les États-Unis. La dissuasion nucléaire continue d'exister mais elle perd sa fonction régulatrice et aucun autre système de régulation ne se met en place.

Le système de l'économie libérale s'impose et il détermine les motivations des acteurs internationaux et d'une certaine façon, la confrontation économique se substitue à la confrontation stratégique, mais elle n'en assume pas la fonction régulatrice.

Ce processus de dérégulation de l'ordre international est amplifié par le développement technologique, en particulier les progrès de l'information qui font que le phénomène de globalisation affecte l'ensemble des activités mondiales.

L'interdépendance est aujourd'hui telle entre les différentes régions du monde que toute crise qui éclate en un lieu a des répercussions immédiates sur le reste de la planète.

La régulation politique du nouvel ordre international devrait être celle des Nations unies, agissant au nom des la communauté internationale. La France s'est efforcée, à partir de 1989, de donner au Conseil de Sécurité un rôle central dans la gestion de la paix. Elle s'est heurtée à la réticence des grandes puissances et surtout à celle des États-Unis qui ne souhaitent pas mettre leur politique sous la conduite d'une organisation dont ils considèrent qu'elle doit être réformée.

Quant à la régulation économique, qui est la responsabilité des institutions de Bretton Woods auxquelles sont venus s'ajouter le G7 ou G8, elle a donné longtemps le sentiment d'être inefficace et il aura fallu les crises économiques en Asie pour que la situation commence à se modifier.

Cette dérégulation a des conséquences importantes car elle favorise le développement de l'instabilité dans le monde et la propagation des nouveaux risques.

Les crises liées aux rivalités entre États ou groupes ethniques ou religieux se multiplient. Les zones les plus pauvres du monde dont l'intérêt stratégique a beaucoup diminué ne sont plus les bénéficiaires d'une coopération politique et surtout économique et le sous-développement s'y accroît. Le terrorisme, la drogue, les mafias trouvent dans ce monde instable des terrains propices à leur extension.

Alors que l'on avait espéré en 1989 un monde régi par la communauté internationale et orienté vers la paix et le développement, tout se passe comme si l'on revenait au conflit des intérêts et donc au jeu des puissances.

On peut cependant avoir une vision plus optimiste de l'évolution du monde en disant que nous vivons une période de transition qui nous mènera à un nouvel ordre international.

Il faudra pour cela trouver les moyens d'assurer la régulation politique et économique par la communauté internationale, c'est à dire par un ensemble d'institutions au sommet desquelles se trouveront effectivement les Nations unies. Il n'est pas certain qu'un monde géré par un consortium de quelques grandes puissances, celles du G8, puisse être un monde stable si le moyen n'est pas trouvé d'y associer l'ensemble de la communauté internationale.

À quels types de conflits pouvons-nous être confrontés ?

Clausewitz distinguait les guerres totales des guerres limitées. Mais il réfléchissait à l'affrontement entre les États, et l'arme nucléaire n'existait pas. Aujourd'hui, la multiplication des conflits, leur forme de plus en plus complexe et le caractère interne des crises font appel à une autre classification : le conflit nucléaire, le conflit de type classique c'est-à-dire la guerre entre des États avec des moyens conventionnels et les crises internes aux États.

Le conflit nucléaire est demeuré virtuel durant tout la Guerre froide.

La fin de l'opposition entre les blocs a modifié cette donne dans la mesure où la confrontation a fait place à la coopération avec une Russie déterminée à entretenir avec le reste du monde une relation fondée sur la paix et le développement. Si les armes nucléaires continuent d'exister, la dissuasion est néanmoins devenue, pour le moment implicite.

Cependant cette situation a commencé à se modifier pour deux raisons :

- les Américains développent un système de défense anti-missile, la National Missile Defense ou NMD, sorte d'avatar de la guerre des étoiles destinée à préserver le territoire américain de toute agression nucléaire. Ce projet pose de nombreuses questions : y a t-il une véritable menace ? Si oui, y a-t-il d'autres moyens de s'en préserver ? Enfin, le risque de relancer une course aux armements n'est-il pas très lourd en regard de l'avantage de se doter d'une protection à l'efficacité non confirmée ? La Russie s'en inquiète fortement et rappelle son attachement au traité ABM, tandis que la Chine, dont les forces nucléaires sont encore relativement restreintes, pourrait être encouragée à développer son arsenal stratégique.

La seconde raison qui modifie les perspectives de la dissuasion est l'accession à la puissance nucléaire d'autres pays que les cinq puissances reconnues, notamment l'Inde et le Pakistan.

La dissuasion nucléaire, telle que nous la concevons, repose sur une analyse rationnelle de leurs vulnérabilités réciproques par les États nucléaires. Cette rationalité n'est sans doute pas celle qui existe entre l'Inde et le Pakistan. Ces deux puissances sont engagées dans une guerre larvée qui mobilise leurs opinions publiques. Si les affrontements conventionnels devaient se développer et faire que l'un des camps estime que ses intérêts vitaux sont menacés, il n'est pas certain que l'on puisse contrôler le processus de la violence et éviter de passer de la virtualité à la réalité. Il y a donc un risque qui n'est pas nul de guerre nucléaire en Asie, qui serait peut-être limitée mais dont les conséquences seraient considérables pour beaucoup de régions du monde. En outre, le tabou nucléaire serait levé.

Le deuxième type de conflit est celui des guerres classiques entre États. L'invasion du Koweït par l'Irak, la guerre entre l'Éthiopie et l'Érythrée en sont des exemples clairs. La fin du monde bipolaire, en supprimant les contraintes que faisait peser le maintien de l'équilibre stratégique entre le deux blocs a laissé le champ libre à des conflits régionaux.

Cependant, en même temps, le développement des institutions internationales donne à la communauté internationale davantage de moyens pour limiter le recours à la force, pour résoudre les oppositions et pour mettre un terme aux engagements par l'arbitrage ou la médiation.

Le troisième type de conflit est celui des crises internes aux États, dont on voit bien qu'elles se multiplient. Elles naissent d'oppositions ethniques, religieuses ou culturelles qui trouvent souvent dans le sous-développement un terrain favorable à leur naissance puis à leur croissance.

L'émergence de ces crises est facilitée par une certaine indifférence des grandes puissances lors qu'elles concernent des zones dont l'intérêt stratégique a beaucoup diminué et dont l'intérêt économique dans le système libéral qui domine aujourd'hui est limité. Le sous-développement s'y accroît de ce fait, ce qui favorise l'instabilité interne des États. L'Afrique subsaharienne est la zone la plus touchée par ce processus.

L'éclatement de l'Union soviétique et la disparition du bloc communiste sont une autre cause de l'extension des crises internes. Ainsi le Caucase, l'Asie Centrale et les Balkans sont le théâtre de multiples affrontements.

LA GESTION DES CRISES ET DES CONFLITS

La communauté internationale est confrontée à cette situation d'un monde instable et incertain et il lui faut désormais gérer cette phase de transition vers le nouvel ordre international. C'est à elle, et non aux seules grandes puissances qu'il revient de créer les conditions de la stabilité, de la paix et de promouvoir le développement. L'ONU et les organisations régionales telles que l'OSCE pour l'Europe ou l'OUA pour l'Afrique devraient ainsi être les acteurs essentiels de maintien de la paix.

Du point de vue du droit international, la compétence de l'ONU est clairement reconnue lorsqu'il s'agit de conflits entre États. La charte des Nations unies a été bâtie sur le principe de la souveraineté des États et ses différents articles donnent au Conseil de Sécurité la capacité de dire le droit. Il n'en est pas de même dès lors qu'il s'agit de crises internes. Se pose alors le problème de l'ingérence . Lorsque les Droits de l'homme sont bafoués ou que des agressions sont commises contre des minorités au sein d'un État, le Conseil de Sécurité est encore largement incompétent.

Cependant, sous la pression des opinions publiques, des avancées significatives ont été réalisées depuis la fin de la Guerre froide comme en témoignent par exemples les interventions en Irak au profit des Kurdes, puis des Chiites après la guerre du Golfe, l'intervention en Somalie ou encore plusieurs opérations en ex-Yougoslavie. Il reste néanmoins à compléter le droit international en ce domaine, comme cela a été fait en créant des tribunaux internationaux.

En tout état de cause, c'est bien au Conseil de sécurité qu'il revient de légitimer une intervention, que celle-ci vise à rétablir le droit international battu en brèche par un État ou qu'elle s'attache à résoudre une crise interne.

Ensuite, et avec un mandat précis, l'intervention militaire proprement dite pourra être le fait d'une force des Nations unies, d'une organisation internationale ayant une capacité militaire, telle que l'OTAN, ou enfin d'une coalition ad hoc. Cette intervention sera donc, dans la très grande majorité des cas, une intervention internationale.

Modes d'action

Les modes d'action que l'on a vu se développer pour le maintien ou le rétablissement de la paix et qui devraient continuer à être mise en Suvre à l'avenir peuvent se réduire à trois.

Le premier est la coercition par la force aérienne, qui vise à obtenir des parties en conflit qu'elles cessent leur affrontement sous peine d'être soumises à des frappes de l'aviation ou des missiles de croisière. C'est ce mode d'action qui a été employé dans la guerre du Golfe face à l'Irak ou plus récemment contre la Serbie au Kosovo. Il permet de tirer le maximum de profit de la supériorité technologique et de réduire les risques de pertes.

Au plan politique, la mise en Suvre de ce mode d'action est une sorte de pari sur le comportement des parties en présence. Si la dissuasion joue, le pari est gagné. Mais le risque existe de voir l'un des camps, confronté à un ultimatum, faire le choix de la guerre. Dès lors, la violence s'ajoute à la violence et ce sont les populations qui en subissent les conséquences ; comme la crise du Kosovo l'a montré.

Le deuxième mode d'action est l'interposition, c'est à dire le placement des forces internationales entre les parties opposées pour arrêter les combats et stabiliser la situation. Ce mode d'action a été utilisé à de nombreuses reprises en Croatie et en Bosnie.

Mis en Suvre avec l'accord des parties, il présente l'avantage politique de permettre une intervention très en amont dans la crise, mais militairement, il comporte un risque sérieux si l'un des deux camps cesse à un moment donné d'appliquer les accords qu'il a signés.

Le troisième mode d'action est l'occupation du terrain qui peut se faire soit avec l'accord de ceux qui s'affrontent, soit dans le cas contraire par la force. Il vise à contrôler la zone occupée afin d'en assurer la sécurité tant interne que vis-à-vis de l'extérieur.

L'occupation du terrain est en tout état de cause nécessaire après une campagne aérienne afin de concrétiser le résultat et de permettre la mise en Suvre du processus de résolution durable de la crise.

Cependant, ce mode d'action pose très vite la problème du maintien de l'ordre public, c'est à dire d'une justice pour dire le droit et d'une police pour le faire respecter.

Il faut enfin insister sur le point que le rétablissement de l'ordre par les forces armées n'est que la condition préalable à l'engagement d'un processus de résolution durable de la crise qui relève d'une action politique et économique.

L'ÉVOLUTION DES FORCES ARMÉES

Il appartient aux responsables politiques de chaque État d'apprécier les menaces qui pèsent sur le pays, d'évaluer, dans son environnement les soutiens qui peuvent être obtenus et enfin de définir, compte tenu des choix de politique étrangère, la politique de défense.

Il n'est donc pas aisé de catégoriser les différentes armées qui se développeront dans le futur mais il est possible de dégager les grandes tendances d'évolution pour l'avenir.

La première de ces tendances est la recherche d'un progrès qualitatif des forces au détriment de leur volume. Cette tendance résulte de la sophistication croissante des armements. La complexité des moyens utilisés s'accroît considérablement.

La deuxième tendance est que les opérations militaires seront de plus en plus des opérations mettant en service des forces de différentes natures dont il faut coordonner les actions. Ainsi, les opérations sont non seulement interarmes, par exemple la combinaison de blindés et d'infanterie sur le champ de bataille, mais aussi inter-armées, associant les moyens spécifiques des trois armées (marine, air, terre).

La troisième tendance est le passage des armées de conscription à des armées professionnelles. Elle trouve sa justification :

- d'une part dans la modification de la menace qui, en Europe en particulier, fait passer du concept de défense à celui de sécurité. Il s'agit de plus en plus pour les armées des grandes puissances de contribuer à la gestion des crises plutôt que d'être en mesure de contrer une menace directe contre le territoire national.

- d'autre part, dans la sophistication croissante des armements qui s'accommode difficilement d'un service militaire dont la durée est généralement égale ou inférieure à une année.

Certes le service militaire permet aux armées de disposer de personnels déjà formés, tels que des informaticiens ou des scientifiques. Mais dans l'ensemble, la formation et l'entraînement requis sont trop longs et coûteux pour être dispensés à des appelés qui ne sont présents sous les drapeaux que pour un temps court et ne peuvent facilement être employés en opération extérieure.

Ce changement considérable dans la nature des forces armées, si elle trouve sa justification du point de vue opérationnel, n'est pas sans présenter par ailleurs de sérieux inconvénients notamment la suppression d'un lieu d'intégration de la société à une époque où les migrations de population sont relativement importantes.

Une dernière tendance est le souci croissant de donner une priorité élevée à la réduction des pertes humaines. Le concept de zéro mort qui s'est développé aux États-Unis, notamment à cause du Vietnam, commence à faire son chemin en Europe. Les responsables politiques prennent conscience de cette nouvelle contrainte qui s'impose lorsque les opérations ne sont pas reliées à la défense du territoire national. C'est pourquoi ils sont enclins à choisir les modes d'action opérationnels qui mettent à profit la supériorité technologique pour imposer la force avec le minimum de risques.

Si l'on regarde maintenant les capacités qui sont requises pour constituer une armée moderne, c'est-à-dire adaptée à l'évolution des concepts opérationnels et au progrès technologique, on peut distinguer :

- les capacités classiques qui sont celles permettant de mener un combat terrestre aérien ou maritime. Tous les États du monde en disposent, à des niveaux divers ;

- des capacités générales, qui sont l'apanage des puissances mondiales ou régionales et qui couvrent un ensemble de domaines beaucoup plus large, allant de la dissuasion nucléaire à la projection des forces loin du territoire nationale. On les qualifie quelquefois de multiplicateur de forces.

Ce sera la cohérence obtenue par le dosage entre les capacités classiques et les capacités générales qui déterminera la qualité d'un système de forces considéré.

Il ne suffit pas cependant pour disposer d'une armée moderne efficace d'accumuler les moyens. Il faut en plus disposer des hommes formés et entraînés à la mise en Suvre des systèmes complexes. Il faut aussi que dans l'État les responsables politiques, diplomatiques et militaires soient organisés pour élaborer une doctrine de défense puis déclencher le processus de décision politico-militaire aux opérations militaires proprement dites. Au sein des forces elles-mêmes doit exister enfin une organisation de commandement opérationnel qui soit capable de constituer les groupements de forces nécessaires à l'exécution des missions.

En France c'est dans des conseils ministériels restreints auxquels participent le Premier ministre, les ministres de la défense et des Affaires étrangères et le chef d'État-Major des armées que le Président de la république élabore ses décisions. Ces réunions de conseil, dont le rythme est adapté à la situation internationale, sont préparées par une cellule de crise qui fonctionne au Quai d'Orsay et à laquelle participent les différents ministres concernés par la crise.

Ainsi est assurée la cohérence des décisions politico-militaires puisque le Président, chef des Armées, est en mesure de donner ses instructions au chef d'État-major des armées en présence du Premier Ministre et du gouvernement.

Ensuite, le chef d'État-major des armées conduit les opérations militaires à partir du centre opérationnel interarmées, qui continue la chaîne opérationnelle jusqu'au théâtre d'engagement des forces.

Quelles sont les capacités générales importantes ?

La première est un système de recueil de renseignements qui est essentiel car la connaissance de la situation est à la base de toutes les opérations : des satellites d'observation optique et radar, des stations d'écoute, des avions et des drones de reconnaissance et, sur le terrain, le renseignement humain. Ces différents moyens sont complémentaires.

Il faut ensuite traiter les informations et les acheminer vers ceux qui dans la chaîne opérationnelle en ont le besoin.

Aujourd'hui, seuls les États-Unis et la Russie détiennent la totalité d'un tel système, mais la France, et surtout l'Europe, ont décidé de s'en donner les moyens. Progressivement, l'Union européenne disposera de son propre système de renseignement, élément indispensable à une gestion autonome des crises.

La deuxième capacité générale est celle de commandement. Elle correspond à l'ensemble des systèmes informatisés mis en Suvre pour les différentes forces et aux moyens de transmission qui les relient. Disposer d'un système de commandement qui assure en temps réel une parfaite intercommunication entre les États-majors et les forces jusqu'au plus bas échelon de l'action est un facteur d'efficacité. Mais il faut aussi que ce système puisse être connecté avec ceux des autres pays qui interviennent ensemble dans une opération.

La troisième capacité est celle de dissuasion nucléaire. Je n'y insisterais pas car elle est bien connue.

La capacité de frappe de précision à grande distance est une quatrième capacité générale. Elle est aujourd'hui le fait de missiles de croisière dont la portée est de l'ordre du millier de kilomètres et qui sont lancés par des navires ou des avions.

La mise en Suvre de ces missiles oblige à disposer d'un véritable système qui va de l'observation des objectifs jusqu'au guidage. La décision de frappe relève du plus haut niveau de l'État ou de l'alliance qui conduit les opérations. Le choix des types d'objectif est une responsabilité politique que les autorités de l'exécutif n'entendent pas déléguer à un commandant d'opération sur le terrain.

La dernière capacité est celle de protection des forces à distance. Elle vise à permettre le déploiement rapide à grande distance des bases nationales de groupements de forces significatifs, puis à assurer leur protection et enfin leur soutien logistique.

Les moyens requis sont un ensemble d'avions de transport d'hélicoptères lourds, de navires capables d'embarquer des éléments terrestres et des hélicoptères de combat. La protection des forces déployées doit pouvoir être assurée et il faudra être capable de contrer la menace de missiles balistiques de courte ou moyenne portée tels que les Scuds utilisés par les Irakiens.

Ces diverses capacités générales, ajoutées aux capacités classiques, détermineront à l'avenir le véritable niveau des armées.

Les capacités classiques sont définies par chacune des trois armées.

Du point de vue conceptuel, l'espace aérospatial est celui qui sera le moins marqué, du moins en apparence, par les mutations technologiques. Il a bénéficié jusqu'à ce jour d'un effort continu de modernisation des progrès employés. Dans cet espace, l'objectif recherché est d'en assurer le contrôle.

Dans l'espace aérien national, les systèmes de défense aérienne reposent sur une combinaison de radars pour la détection d'avions spécialisés dans la défense aérienne et de batteries de missiles, complétés par l'artillerie anti-aérienne. Les progrès se situeront du côté des avions ou des missiles attaquants qui doivent être de plus en plus furtifs et résister au brouillage offensif adverse.

Inversement, s'il s'agit de prendre contrôle de l'espace aérien adverse, il faut

- détruire l'infrastructure de radar et de transmissions afin de rendre inopérant le système de défense aérien. Ceci peut être fait initialement par les missiles de croisière et poursuivi par les avions d'attaque dont la furtivité alliée à la précision de leurs missiles seront à l'avenir les qualités essentielles.

- réduire l'aviation de défense aérienne adverse en l'attaquant au sol si possible et en l'engageant ensuite en l'air par les avions de défense aérienne guidés par des gros avions radars, les Awacs.

L'espace aéroterrestre est celui qui, à l'inverse, devrait voir les progrès les plus importants se réaliser dans l'avenir.

Le premier de ces progrès est la capacité, par une combinaison de moyens, d'établir en temps réel la situation des forces sur le terrain. La détection sera de plus en plus le fait d'avions, d'hélicoptères ou de drones équipés de radars qui utilisent l'effet Doppler permettant la localisation et l'identification des mobiles. Toutes les informations seront centralisées puis restituées aux forces armées sur le terrain, terrain qui aura lui-même été numérisé à cette fin.

À partir de cette connaissance de la situation, le deuxième domaine de progrès est dans la capacité des systèmes d'armes agissant dans cet espace, c'est-à-dire l'infanterie, les blindés, l'artillerie et les hélicoptères, d'opérer de nuit ou par mauvais temps. Cette capacité tout temps, déjà largement acquise, va modifier profondément la physionomie du combat terrestre qui pourra se dérouler de manière continue.

Le troisième domaine de progrès est celui de la portée et de la précision des missiles offensifs utilisés tant par les forces terrestres elles-mêmes que par les hélicoptères armés et par l'aviation d'assaut qui leur apporte son soutien. Le fantassin enfin disposera d'un ensemble de moyens de positionnement et de vision tout temps qui accroîtra à la fois sa sécurité et son efficacité.

Ce combat dans l'espace aéroterrestre demeurera cependant largement tributaire des qualités du combattant individuel. C'est sans doute dans les opérations terrestres que l'homme continuera, malgré tous les progrès technologiques, de jouer le rôle le plus central. Ainsi des partisans opérant sur leur propre territoire avec des armements légers et manifestant une extrême mobilité poseront toujours beaucoup de problèmes à des forces terrestres modernes. Il en sera de même du combat de rue, qui réduit beaucoup l'avantage que procure la technologie.

Le troisième espace à considérer est l'espace aéro-maritime qui lui-même est partagé en deux selon que l'on agit au-dessus de la surface de la mer ou au-dessous.

L'espace maritime sous la mer trouve sa spécificité dans le fait que les ondes radar n'y pénètrent pas et que, dans les ondes radio, seules les très basses fréquences peuvent y être reçues jusqu'à une profondeur de quelques mètres. Cet espace est donc celui des ondes sonores ou ultrasonores.

Les sous-marins qui opèrent dans cet espace cherchent donc à être les plus silencieux possibles afin de ne pas être détectés par les systèmes d'écoute. Dans l'avenir, les sous-marins les plus modernes, que leur propulsion soit classique ou nucléaire, émettront à basse vitesse un bruit inférieur au bruit ambiant de la mer.

Le contrôle de l'espace sous-marin peut s'avérer nécessaire dans des zones déterminées, afin de permettre la navigation en sécurité des forces et du trafic marchand. Il suppose le développement d'un ensemble de moyens aptes à traquer les sous-marins. Ce sont les avions de patrouille maritime, les hélicoptères équipés de sonars, les bâtiments de surface et les sous-marins nucléaires d'attaque.

Au dessus de la surface de la mer, la situation est tout à fait différente. Notamment le contrôle de l'espace aérien fait appel à des techniques identiques à celles utilisées au-dessus de la terre. Les bases aériennes à terre sont complétées ou remplacées par les porte-aéronefs qui mettent en Suvre des avions d'assaut ou de défense et des hélicoptères.

Les espaces maritimes sont, en dehors des eaux territoriales des États, d'un usage libre du fait du statut juridique de la haute mer. Ils permettent le déploiement sans contrainte des navires de combat qui agissent au profit des opérations à terre pour lancer des missiles de croisière, mettre en Suvre l'aviation embarquée ou débarquer des forces terrestres acheminées par les bâtiments de transport.

Parmi les moyens qui déterminent le niveau d'une marine à capacité océanique, le porte-avion est à l'évidence une pièce maîtresse, et en particulier le porte-avion à catapulte dont seules les marines américaine, russe et française disposent aujourd'hui. La catapulte permet l'emploi d'avion de combat aux performances équivalentes à celles des avions opérant à partir des bases à terre.

Conclusion

Nous vivons une phase de transition vers un nouvel ordre international, et le monde demeure à la fois incertain, instable et finalement dangereux. La vigilance s'impose.

L'Union européenne a un rôle essentiel à jouer pour que le nouvel ordre qui s'établira soit un ordre de paix, de stabilité et de développement, effectivement géré par la communauté internationale. La mise en Suvre d'une politique étrangère commune et la réalisation d'une réelle capacité de gestion autonome des crises sont des objectifs extrêmement importants auxquels il sera nécessaire de consacrer à l'avenir davantage de moyens.

Nous resterons liés aux États-Unis dans le cadre d'une Alliance Atlantique rénovée, mais nous rendrions un mauvais service à nous-mêmes comme à la communauté internationale si nous ne donnions pas à l'Union européenne la capacité d'assumer ses responsabilités à l'échelle mondiale. Les décisions ont été prises, il reste à en assurer la réalisation avec détermination.

La France enfin, dans l'Europe, a un rôle spécifique à jouer. Depuis 1958, avec l'acquisition d'une capacité autonome de dissuasion nucléaire, nous avons développé une politique de défense qui a combiné autonomie de décision pour la défense de nos intérêts vitaux et solidarité avec nos partenaires de l'Alliance Atlantique. Notre espace de sécurité est désormais l'espace européen et nous avons, avec nos amis britanniques, à apporter à l'Union européenne notre expérience et nos compétences en matière de défense. Ceci implique que nous acceptions d'allouer des ressources budgétaires suffisantes pour le développement de nos capacités militaires. Le budget français de la défense a été logiquement adapté à la réduction de la menace. Il me semble aujourd'hui qu'il est temps de reprendre nos efforts afin de ne pas être surpris par les événements et surtout d'être en mesure de peser sur l'évolution de l'Europe et du monde.

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