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Français
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Mission 2000 en France (Production), UTLS - la suite (Réalisation), Patrick Chaquin (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/ajrf-e460
Citer cette ressource :
Patrick Chaquin. UTLS. (2000, 22 août). Localiser et identifier une molécule , in La chimie, science des transformations. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/ajrf-e460. (Consultée le 17 mai 2024)

Localiser et identifier une molécule

Réalisation : 22 août 2000 - Mise en ligne : 22 août 2000
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Descriptif

Au début du siècle, la caractérisation des molécules consistait essentiellement en tests chimiques donnant naissance à des précipités, des couleurs, voire des odeurs. Ces techniques ont été supplantées par des méthodes physiques, dans lesquelles les molécules, soumises à certaines stimulations fournissent, sous forme de diagramme, une réponse ou spectre. Plusieurs méthodes spectroscopiques étudient l'interaction avec la matière des ondes électromagnétiques dans divers domaines de longueur d'onde. Le domaine de l'infrarouge (IR) permet de reconnaître la présence de certaines liaisons ou groupements d'atomes et fournit une " empreinte digitale " caractéristique. Dans le domaine des ondes radio, la résonance magnétique nucléaire (RMN) s'applique en premier lieu au carbone et à l'hydrogène mais également à de nombreux autres éléments. Cette méthode a connu depuis 1960 d'extraordinaires développements. L'un des plus récents, la RMN à deux dimensions, met en évidence des connexions entre atomes d'où une véritable cartographie moléculaire. Dans le domaine de la lumière visible ou ultaviolette, les renseignements obtenus sont d'une moindre richesse, mais cette spectroscopie, avec d'ailleurs l'IR, permet l'étude de molécules hors de notre atteinte comme celles des atmosphères planétaires ou de l'espace interstellaire. Enfin la spectrométrie de masse (SM) étudie les fragmentations des molécules sous l'effet, par exemple, d'un bombardement d'électrons. Des masses de ces fragments on peut déduire leur formule chimique qui permet de reconstituer la molécule originelle. Par ailleurs, ces spectres fournissent une signature qui, traitée numériquement, permet une identification automatique si la molécule a déjà été répertoriée dans une bibliothèque. Cette technique, couplée avec une méthode de séparation telle que la chromatographie en phase gazeuse est d'une puissance inégalée pour l'analyse de mélanges complexes.

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Texte de la 235e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 22 août 2000.Localiser et identifier une moléculepar Patrick Chaquin Une activité essentielle de la recherche en chimie moléculaire est de découvrir ou de synthétiser des molécules nouvelles, qui pourront se retrouver dans des médicaments, des aliments, des cosmétiques, etc. Il est donc non moins essentiel de les identifier et de les décrire avec le plus de précision possible. Par ailleurs, notre désir de savoir nous pousse à connaître les molécules qui nous entourent, de notre environnement le plus immédiat aux confins de l'univers. Enfin nous avons besoin de détecter et d'identifier des poisons, des drogues, des dopants, etc. Le problème de la localisation ne se pose guère lorsque l'expérimentateur dispose de l'échantillon à étudier. Mais il est aussi possible de déceler la présence de molécules dans des endroits inaccessibles, comme les atmosphères planétaires ou l'espace interstellaire. Identifier une molécule nécessite la connaissance de la nature et du nombre des atomes qui la constituent, sa formule brute. Ceci peut suffire dans le cas de petites molécules : seule l'ozone a pour formule brute O3. En revanche plusieurs dizaines de molécules répondent à la formule brute C4H8O2. Cependant la donnée de l'enchaînement des atomes, la formule semi-développée CH3-(CO)-O-CH2CH3 définit sans ambiguïté l'acétate d'éthyle, solvant qui donne son odeur caractéristique au dissolvant de vernis à ongles. Mais il existe des molécules différentes ayant la même formule semi-développée, ainsi la (–) carvone (arôme de menthe verte) et la (+) carvone (odeur de cumin) qui sont, comme nos deux mains, l'image l'une de l'autre dans un miroir. L'identification nécessite alors la connaissance de la position relative des atomes dans l'espace, ou stéréochimie de la molécule. Lorsqu'on est en présence d'un composé inconnu, on peut tout d'abord se demander s’il n'a pas été déjà rencontré et décrit. On cherchera dans la littérature ou dans des banques de données s'il y figure une molécule possédant les mêmes caractéristiques. Cette démarche s'apparente à celle de l'enquêteur qui recherche dans un fichier de police des empreintes identiques à celles qui ont été relevées sur le lieu d'un crime, recherche pouvant être automatisée en chimie comme en criminologie. Si cette entreprise échoue, il faudra reconstituer la structure moléculaire en assemblant, comme les pièces d'un puzzle, les indications fragmentaires fournies par diverses méthodes d'investigation. L'avènement de la Spectroscopie en Chimie Ces méthodes d'investigation ont considérablement changé depuis quelques dizaines d'années. Si on ouvre une revue de chimie du début du siècle, on y voit qu'une molécule nouvelle était essentiellement identifiée au moyen de tests chimiques, réactions au résultat visuellement perceptible, avec production de couleurs, de précipités que l'on pouvait purifier et dont on déterminait le point de fusion. Les notations de texture (liquide « mobile », « huileux ») sont fréquentes, celles d'odeurs ne sont pas rares. Le pouvoir sucrant de la saccharine fut découvert en 1879, à une époque où l'on goûtait systématiquement chaque nouveau produit. Tout ceci a disparu de la littérature contemporaine, où les molécules sont généralement caractérisées par des données numériques traduisant ce qu'on appelle des spectres. Un spectre est un graphe qui visualise la réponse d'une molécule à une excitation physique, impliquant un échange d'énergie. Les méthodes spectroscopiques que nous évoquerons ici sont la spectroscopie ultraviolet (UV)-visible ou spectroscopie électronique, la spectroscopie infrarouge (IR) ou spectroscopie de vibration, la spectroscopie micro-ondes ou spectroscopie rotationnelle puis la résonance magnétique nucléaire ( RMN). Ces méthodes ont en commun d'impliquer l'interaction de la molécule avec une onde électromagnétique. Nous présenterons enfin la enfin la spectrométrie de masse (SM). Rappelons qu'une onde électromagnétique (OEM) est constituée par la variation périodique et simultanée d'un champ électrique et d'un champ magnétique. L'une de ses caractéristique est sa longueur d'onde l ou sa fréquence n exprimée en Hertz (Hz), liées par la relation n = c/l. ( c est la vitesse de la lumière : 3.108 m/s). Chaque méthode spectroscopique est associée à un domaine de longueurs d'ondes. Le premier est constitué par la lumière visible, dont la longueur d'onde va de 400 nm (1 nm = 10–9 m) pour la lumière violette à 800 nm pour la lumière rouge, complété par le proche ultraviolet (UV) de 400 à 200 nm environ ; le second se situe dans l'infrarouge (IR) avec des longueurs d'onde de l'ordre du micron, le troisième dans les micro-ondes dont la longueur est de l'ordre du cm ; le dernier se situe dans les ondes radio de longueur de l'ordre du m, ces deux derniers domaines étant d'ordinaire plutôt caractérisés par leur fréquence en GHz (109 Hz) et MHz (106 Hz) respectivement. L'interaction d'une OEM et d'une molécule peut être étudiée grâce à son spectre d'absorption. Une source de rayonnement électromagnétique, de longueur d'onde donnée et modifiable, dirige un faisceau sur l'échantillon. Un dispositif de détection détermine, à la sortie de l'échantillon, si l'onde a été plus ou moins absorbée. Le spectre obtenu porte en ordonnée une grandeur caractéristique de l'absorption et en abscisse la longueur d'onde (ou la fréquence) de l'OEM. L'apparition d'un pic ou bande à une longueur d'onde l indique que la radiation correspondante est absorbée. L'absorption correspond au transfert à la molécule d'une certaine quantité d'énergie électromagnétique. À l'échelle moléculaire, l'énergie est quantifiée, ce qui signifie qu'elle ne peut s'échanger que par « paquets », quantités indivisibles, ou quanta DE = hn où h est la constante de Planck. Spectroscopie UV-Visible ou spectroscopie électronique La Fig. 1 montre la principale zone d'absorption de l'ozone dans le domaine UV-visible. On voit que les UV sont fortement absorbés, d'où le rôle protecteur de la « couche d'ozone » de la haute atmosphère. Le quantum d'énergie absorbé sert ici à augmenter l'énergie d'un électron de la molécule qui passe d'un niveau où il occupait une certaine localisation spatiale (correspondant à sa fonction d'onde) à un autre niveau, de localisation différente, d'où le nom de spectroscopie électronique. L'ordre de grandeur de cette énergie est celui des liaisons chimiques ce qui explique l'effet néfaste des UV, susceptibles de dégrader les molécules biologiques. Fig. 1 Spectre d'absorption de l'ozone dans l'UV, entre 200 et 300 nm. Ces spectres UV-Visible peuvent suffire à l'identification de petites molécules comme les polluants NO2, SO2, O3 et certains hydrocarbures aromatiques. Cependant l'information qu'ils contiennent est insuffisante pour une identification complète de molécules tant soit peu complexes. Spectroscopie IR ou spectroscopie de vibration Le domaine de l'IR utilisée en Chimie correspond à des longueurs d'onde de 2 à 20 mm. Lorsque ces rayonnements sont absorbée par la molécule, ils sont convertis en énergie de vibration. Illustrons cette notion avec la molécule d'ozone. L'ozone possède des caractéristiques géométriques bien définies et qu'on peut déterminer avec beaucoup de précision : distance entre les noyaux des atomes (1,218 Å) et angle de liaison (116,8°). Mais il ne s'agit que de valeurs moyennes. Si on pouvait observer cette molécule, elle nous apparaîtrait comme animée de mouvements de déformations d'aspect chaotique, mais qui peuvent se décomposer en trois mouvements périodiques relativement simples représentés dans la Fig. 2, chacun s'effectuant à une fréquence bien définie n1, n2 et n3. La molécule peut absorber une OEM de l'une de ces fréquences n : elle reçoit l'énergie correspondante DE qui se transforme en énergie mécanique avec augmentation de l'amplitude de ce mouvement. Fig. 2 Les trois mouvements de déformation périodique de l'ozone. Une molécule comportant N atomes présente 3N – 6 modes de vibration. Il devient rapidement difficile d'associer à chaque bande la vibration correspondante, mais on peut reconnaître, même dans des molécules très complexes, des fréquences caractéristiques de couples ou de groupements d'atomes liés entre eux. Ainsi dans le spectre (Fig. 3) de l'acétate d'éthyle qui comporte 36 fréquences de vibration, la bande à 5,75 m est caractéristique de l'élongation périodique de la liaison C=O d'une fonction ester, confirmée par la bande à 8,05 m de vibration de C–O ; la bande à 7,3 m correspond à une déformation d'un groupement méthyle CH3. À 3,30 m on reconnaît les vibrations des liaisons C–H. Des renseignements négatifs importants apparaissent également, comme l'absence de fonction alcool ou acide (liaison OH) dans la région de 3 m. Fig. 3 Quatre spectres de l'acétate d'éthyle; de haut en bas : spectre IR et représentations de quelques vibrations caractéristiques (N.B. l'absorption croît ici de haut en bas) : spectre de RMN de l'hydrogène avec un appareil fonctionnant à 60 MHz ; spectre de RMN du carbone ; spectre de masse. On peut aussi tirer parti de la complexité même de ces spectres à des fins d'identification avec une molécule déjà connue. La région de 6 à 12 m en particulier constitue une véritable empreinte digitale de la molécule. Les rayonnements venus de l'espace Les fréquences caractéristiques de certaines molécules peuvent être détectées dans des régions qui nous sont inaccessibles, comme les atmosphères planétaires ou l'espace interstellaire. Il s'agit alors le plus souvent de rayonnements émis et non absorbés. En effet, le phénomène d'absorption d'une onde électromagnétique peut être réversible : si une molécule a subi une excitation préalable l'ayant portée à un niveau d'énergie supérieur, elle peut restituer cette énergie DE sous la forme d'une radiation de fréquence n telle que DE = hn. La Fig. 4 montre les radiations IR émises par l'atmosphère de la planète Titan (satellite de Saturne), enregistrées par la sonde IRIS. Il apparaît des pics caractéristiques d'un certain nombre de molécules, formées essentiellement des éléments C, H et N. L'intérêt suscité par cette planète provient du fait que son atmosphère est supposée assez semblable à celle de la terre, avant l'apparition d'oxygène sous l'effet de la fonction chlorophyllienne végétale. Fig. 4 Émission IR de l'atmosphère de Titan.(F. Raulin et coll. Adv. Space Res. 12(11) 181 (1992), reproduit avec la permission de Elsevier Science Ltd., Kidlington (GB) ; document fourni par M.-C. Gazeau et J.Bénilan) La région des micro-ondes n'est guère utilisée dans la chimie terrestre. Elle est cependant précieuse pour l'identification de molécules des espaces intersidéraux. Ce domaine est celui de l'énergie de rotation des molécules. Outre leurs déformations déjà évoquées, les molécules sont animés de mouvements de rotations que l'ont peut décomposer en trois rotations autour de trois axes. À chacune de ces rotations est associée une fréquence caractéristique de chaque molécule, et l'absorption d'une onde électromagnétique de même fréquence a pour effet d'augmenter l'énergie cinétique de rotation. Inversement, une molécule peut perdre une partie de son énergie de rotation en émettant une radiation. La Fig. 5 présente les émissions de micro-ondes, aux environs de 200 GHz, d'une région de l'espace, le nuage moléculaire d'Orion, montrant la présence de dioxyde de soufre SO2, de monoxyde de carbone CO, de méthanal CH2O, de méthanol CH3OH etc. ainsi que de nombreuses autres espèces non encore identifiées, dont certaines sont sans doute inconnues sur terre. Fig. 5 Émission de micro-ondes en provenance du nuage moléculaire d'Orion (reproduit avec la permission des auteurs, A. Blake et coll., Astrophys. J., 315, 621 (1987) et de The University of Chicago Press, document fourni par O. Parisel) La Résonance Magnétique Nucléaire La résonance magnétique nucléaire (RMN) est apparue vers 1960 dans les laboratoires de chimie et a connu depuis des progrès incessants qui en font est sans doute la méthode la plus puissante de détermination des structures moléculaires. Principe de la méthode Comme son nom l'indique, la RMN est fondée sur une propriété magnétique de certains noyaux atomiques, comme celui de l'hydrogène 1 (1H), le proton. Un tel noyau possède un spin non nul qui lui confère un moment magnétique. Cela signifie qu'il se comporte comme un minuscule aimant et présente donc certaines analogies avec l'aiguille aimantée d'une boussole. Cette aiguille, soumise à un champ magnétique, par exemple le champ magnétique terrestre, s'oriente dans la direction de ce champ. Si on l'écarte de sa position d'équilibre, elle oscille à une fréquence qui dépend à la fois de ses propriétés intrinsèques (son aimantation, sa forme, sa masse...) et de l'intensité du champ magnétique auquel elle est soumise. Il en va de même pour les moments magnétiques nucléaires qui, dans un champ magnétique B, adoptent un mouvement périodique de précession de fréquence n proportionnelle à B : n = (1/2p) g B (la constante g dépend de la nature du noyau : proton, 13C, 19F etc.). Ces moments magnétiques peuvent alors absorber une OEM de fréquence n dont l'énergie est convertie en énergie magnétique. Dans les appareils de RMN, le champ B est des centaines de milliers de fois plus intense que le champ terrestre. Les premiers appareils de routine apparus dans les années 60, utilisaient un champ d'environ 1,41 Tesla avec lequel la résonance du proton est observée à 60 MHz. Déplacement chimique et couplage spin-spin Un premier phénomène permettant d'obtenir par RMN des renseignement sur la structure moléculaire est le déplacement chimique. Quand une molécule est soumise à un champ magnétique, ses électrons réagissent en créant localement des champs magnétiques parasitaires. Si deux noyaux atomiques de cette molécule possèdent des environnements moléculaires différents, ils sont soumis à des champs parasitaires différents et ne résonnent donc pas exactement à la même fréquence ; c'est le déplacement chimique. On obtient un spectre de RMN, selon la technique par onde continue, en faisant varier progressivement la fréquence de l'onde électromagnétique et en détectant son éventuelle absorption. La variation de champ magnétique d'un point d'une molécule à l'autre est relativement faible, de l'ordre de quelques millionièmes du champ total : c'est pourquoi on l'exprime en ppm pour parties par million. La Fig. 3 montre le spectre de RMN du proton de l'acétate d'éthyle : on y observe trois signaux correspondant aux trois sites occupés par les hydrogènes, avec un déplacement chimique caractéristique de leur environnement, par exemple, un CH3 lié à un CO vers 2 ppm etc. On constate en outre que deux signaux sont formés d'un ensemble de plusieurs pics de forme caractéristique, présentant respectivement trois et quatre composantes. Ce phénomène est le couplage spin-spin et s'explique par une influence des protons du groupement voisin. Le CH3 qui est situé à côté d'un CH2 (deux voisins) donne 2 + 1 = 3 signaux. Inversement, le CH2, situé à côté du CH3 (trois voisins)donne 3 + 1 = 4 signaux. L'ensemble de ces signaux est caractéristique d'un groupement éthyle CH2CH3. On constate que l'autre CH3 qui n'a pas de protons voisins, reste sous la forme d'un pic unique. Progrès récents de la RMN La méthode s'est peu à peu perfectionnée, d'une part par la construction d'appareils à champs magnétiques de plus en plus élevés, et d'autre part par le développement des techniques par impulsions. Comme nous l'avons vu, il existe une proportionnalité entre la fréquence de résonance et le champ appliqué. On est passé progressivement d'appareils où le proton résonne à 60 MHz aux derniers appareils commercialisés fonctionnent à 800 MHz, ce qui correspond à un champ magnétique proche de 20 Tesla (un million de fois le champ terrestre). Il est difficile d'obtenir des champs magnétiques aussi intenses, qui doivent être en outre d'une grande homogénéité dans l'espace occupé par l'échantillon et d'une grande stabilité au cours du temps. Ceci nécessite l'utilisation d'électroaimants à bobines supraconductrices, à la température de l'hélium liquide, pour obtenir des courants d'intensité souhaitée. L'intérêt des appareils à champs magnétiques élevés est manifeste si on compare (Fig. 6) les spectres du menthol à 60 MHz et à 500 MHz dans la région de 1 à 2 ppm : dans le premier, les signaux se superposent pour donner un « massif » difficilement exploitable ; dans le deuxième, chaque proton est bien individualisé et on voit apparaître les motifs symétriques caractéristiques des couplages qui permettent l'attribution assez aisée de tous les signaux. Fig. 6. Spectres de RMN de l'hydrogène du menthol. En haut, enregistré par un appareil fonctionnant à 60 MHz ; en bas région, de 1 à 2 ppm enregistrée à 500 MHz (les documents des Fig. 6 à 8 ont été fournis par N. Goasdoué et J.-C. Belloeil). Un autre progrès décisif a été le développement de la RMN par impulsion. Si on remplace l'excitation par onde continue par une impulsion magnétique brève et intense, tous les moments magnétiques adoptent un mouvement oscillatoire, chacun à sa fréquence propre, qui s'amortit rapidement. Le signal complexe alors émis par l'ensemble ces moments restitue, après un décryptage informatique, les mêmes informations qu'un spectre « classique » par onde continue mais dans un temps environ 100 fois plus court. Cela a permis le développement de la RMN du carbone, qui concerne toute la Chimie Organique. Le carbone naturel est en effet constitué essentiellement de l'isotope 12, dont le noyau a un spin nul et ne donne donc pas de RMN, et ne contient que 1,1 % de carbone 13 (13C) qui possède un spin mais ne donne qu'un signal très faible. La RMN par impulsions permet l'accumulation de signaux en mémoire avant leur traitement, et donc l'obtention dans un temps raisonnable d'un spectre de 13C. Le 13C présente également le phénomène de déplacement chimique dans une gamme de l'ordre de 250 ppm. Le spectre de l'acétate d'éthyle (Fig. 3) montre l'existence de quatre carbones d'environnements chimiques différents. La RMN à deux dimensions Le couplage spin-spin permet d'établir la connexion de certains groupements ; en pratique il nous dit que deux protons couplés entre eux sont séparés par trois ou quatre liaisons chimiques au maximum. Mais il peut être malaisé, dans un spectre complexe, d'identifier quels couples de signaux sont liés par cette interaction. La RMN à deux dimensions (RMN 2D) répond entre autres à cette question. Sa technique repose sur l'utilisation de séquences d'impulsions magnétiques de durées et d'intervalles convenablement choisis, pilotées par informatique. Un spectre COSY (COrrelated SpectroscopY ou spectroscopie corrélée) relatif aux couplages entre protons est présenté Fig. 7. L'abscisse et l'ordonnée sont les fréquences du spectre classique (1D), spectre qui se retrouve sur la diagonale du carré. La présence d'un signal en dehors de cette diagonale (comme celui qui est entouré) au point de coordonnées n1 et n2 signifie que les spins résonnant à ces fréquences sont couplés (indiqué par la flèche à deux têtes). Fig. 7. Spectre COSY partiel de la molécule représentée en haut. D'autres types de connexions peuvent être établis par RMN 2D. L' effet Overhauser nucléaire est un phénomène qui dépend de la distance de deux noyaux et met en évidence leur proximité spatiale, indépendamment du nombre des liaisons chimiques les séparant. Étudié en 2D (spectres NOESY) il permet l’étude de propriétés structurales essentielle des molécules biologiques. Les molécules présentent une certaine plasticité et sont susceptibles de se déformer pour adopter certaines formes appelées conformations par des mouvements de torsion autour des liaisons simples. Les propriétés biologiques sont étroitement dépendantes de la conformation adoptée. Ainsi la maladie de la « vache folle » ne résulte que d'un changement de conformation , sous l'effet du prion, de certaines protéines, sans que leur nature chimique ait été véritablement altérée. La modélisation moléculaire sous contrainte spectroscopique consiste à calculer à l'aide d'un programme informatique les position relatives des atomes en tenant compte de deux types de données. D'une part un logiciel de mécanique moléculaire, intégrant les variations d'énergie liées à toute déformation de la molécule (variation de longueurs de liaison, d'angles de valence, etc.) détermine les conformations les plus stables de la molécule. D'autre part, des relations de proximité de certains couples d'atomes fournies par le spectre permettent d'opérer une sélection parmi les possibilités précédentes. La Fig. 8 montre (à gauche) le spectre NOESY partiel d'une protéine présente dans le lait, l'angiogénine bovine, avec des centaines de signaux dont chacun indique la proximité spatiale plus ou moins grande des deux protons dont les déplacements chimiques sont lus respectivement en abscisse et en ordonnée. La partie droite présente le résultat de la modélisation, dont les divers tracés traduisent une certaine incertitude, faible dans les parties centrales, plus importante à l'extrémité des chaînes. Fig. 8 Spectre NOESY partiel et modélisation sous contrainte spectroscopique de l'angiogénine bovine (Lequin et coll. Biochemistry 35 (1996), 8870). Spectrométrie de masse Présentation de la méthode La spectrométrie de masse (SM) est avec la RMN la méthode qui a connu récemment les progrès les plus spectaculaires. Nous nous contenterons d'en donner le principe et d'en évoquer quelques applications. L'excitation à laquelle la molécule M est soumise ici consiste en un apport d'énergie suffisant pour lui arracher un électron, donnant l'ion moléculaire M+. La méthode la plus classique consiste à bombarder la molécule, préalablement vaporisée, par un faisceau d'électrons (e–) accélérés par un potentiel de quelques dizaines de volts : M + e– ® M+ + 2e– Cette énergie peut entraîner la rupture de certaines molécules en divers points, donnant des fragments dont certains sont neutres et ne sont pas décelés, d'autres conservant la charge positive. L'étape suivante consiste à déterminer la masse des divers fragments chargés. Un spectre de masse présente en abscisse le nombre de masse des ions et en ordonnée leur abondance relative, en % de l'ion le plus abondant. Pour reprendre l'exemple de l'acétate d'éthyle (Fig. 3), on remarque au nombre de masse 88 l'ion moléculaire C4H8O2+. L'ion le plus abondant correspond au fragment COCH3+, et on remarque des ions CH3+ et C2H5+ résultant tous ici d'une simple coupure de liaison. Mais des réarrangements de l'ion moléculaire sont également fréquents, et constituent une chimie bien différente de celle des espèces neutres placées dans les conditions habituelles. Les fragments légers sont en général faciles à identifier grâce à leur nombre de masse. Par exemple, dans une molécule organique, un ion de 15 unités de masse ne peut être que CH3 ou NH. Mais les fragments plus lourds peuvent correspondre à un nombre élevé d'entités différentes, et la formule brute de l'ion moléculaire peut elle-même être inconnue. Ainsi le nombre de masse 88 peut-il correspondre à 21 formules brutes contenant les éléments C,H,O et N. Il y a plusieurs techniques en SM pour lever cette incertitude. L'une d'elles consiste à mesurer la masse moléculaire exacte. En effet, si la masse atomique du carbone est 12,0000 par convention, celle de l'oxygène n'est pas exactement 16, mais 15,9949, celle de l'hydrogène 1,0078 etc. La masse moléculaire exacte des molécules C4H8O2 est alors 88,0524. Si on dispose d'un appareil de SM à haute résolution, capable de déterminer les masses avec quatre décimales, il sera aisé de distinguer C4H8O2 de C3H8N2O (88,0637) et des 19 autres entités de même nombre de masse. Analyse d'un mélange : le couplage chromatographie-spectrométrie de masse Si les méthodes examinées jusqu'à présent permettent parfois l'identification des constituants d'un mélange brut, ce travail sera toujours plus aisée à partir d'un échantillon pur. Le problème de la séparation et de la purification des constituants d'un mélange est donc étroitement lié à celui de leur identification. Parmi les nombreuses méthodes de séparation, citons la chromatographie en phase gazeuse. Dans cette technique, le mélange est vaporisé et injecté à l'extrémité d'un tube de verre capillaire (d'environ 0,1 mm de diamètre), de quelques mètres de long, parcouru par un courant d'un gaz inerte (azote ou hélium). La paroi intérieure du tube est tapissée d'une substance appelée phase stationnaire. Les molécules du mélange tendent, d'une part, à être entraînées par le courant gazeux, mais, d'autre part, sont ralenties par des interactions avec la phase stationnaire. Ces interactions étant en général différentes avec des molécules différentes, les divers constituants du mélange évoluent à des vitesses différentes dans le tube et se séparent progressivement les uns des autres. Un dispositif détecte, à la sortie, la présence d'un produit qui a mis un certain temps, son temps de rétention, à parcourir la longueur du tube. Ce temps de rétention est en lui même une caractéristique de la molécule et peut suffire à son identification si on a affaire à un mélange familier comme par exemple des polluants dans l'atmosphère ou des hydrocarbures dans un carburant. La Fig. 9 présente le chromatogramme d'un extrait de l'essence de lavande. Chaque pic correspond à un constituant, avec son temps de rétention exprimé en minutes et secondes. Fig. 9 Chromatogramme de l'essence de lavande. Le couplage avec la spectrométrie de masse a permis l'identification du camphre, de l'eucalyptol, du bornéol, du butyrate de linalyle etc. (document fourni par C. Loutelier-Bourhis) Il est possible de coupler le chromatographe avec un appareil de SM. Lorsqu'un produit parvient au détecteur, il est envoyé dans la chambre d'injection du spectromètre. Le spectre de masse obtenu constitue une empreinte digitale et la molécule peut être identifiée par recherche informatisée dans une bibliothèque de spectres contenant jusqu'à des centaines de milliers de références. La légende de la Fig. 9 signale quelques uns des constituants du mélange. Conclusion L'avènement des spectroscopies a révolutionné le travail d'identification des molécules, se traduisant, au moins au niveau de la recherche, par l'abandon de méthodes chimiques au profit de méthodes physiques. Ces dernières sont pour la plupart non destructrices et ne requièrent qu'une faible quantité de matière, de l'ordre du mg en général, et jusqu'au nanogramme en spectrométrie de masse. Si les spectroscopies UV-visible, IR et de micro-ondes sont limitées à l'identification de petites molécules, elles présentent l'avantage, sous la forme de la spectroscopie d'émission, d'atteindre des régions situées hors de l'appareil de mesure, d'où leur intérêt en astrochimie. En revanche, le champ d'application de la RMN et de la spectrométrie de masse s'étend désormais aux grosses molécules de la biochimie. La RMN est aussi utilisée en médecine sous le nom d'IRM (imagerie par résonance magnétique).

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