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Langues :
Akan, Français, Sango
Crédits
Alain Epelboin (Intervention)
Conditions d'utilisation
© 1997 SMM, URA 882, LACITO, CNRS AV
DOI : 10.60527/s6s4-8z78
Citer cette ressource :
Alain Epelboin. SMM. (1995, 19 décembre). Chronique aka, Akungu décembre 1995 : Mort et naissance de Masiki , in anthropologie médicale. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/s6s4-8z78. (Consultée le 2 juin 2024)

Chronique aka, Akungu décembre 1995 : Mort et naissance de Masiki

Réalisation : 19 décembre 1995 - Mise en ligne : 18 septembre 2015
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Descriptif

Chronique pygmée Akungu, Centrafrique, décembre 1995 : mort et naissance de Masiki 

 Dans le campement d'Akungu en République centrafricaine où vivent Ginza, sa famille et les parents associés, la communauté est sous le choc de la mort récente de deux fillettes, provoquée par la consommation d'une igname toxique. Les journées sont marquées par différents événements, en particulier de thérapie familiale. Mambi raconte l'avortement qu'elle vient de vivre. Sa grossesse n'était pas désirée et menaçait sa vie et celle de son dernier-né. Elle met en cause son mari, Ginza qui ne veut pas utiliser de préservatifs. Koti, la co-épouse stérile de Ginza, souffre d'un mal de dos Il la soigne à l'aide de scarifications, ainsi que sa mère, Masiki, qui a mal au genou. Bonéné, dont l'accouchement est imminent, pleure encore souvent la mort de sa petiteMasiki. Les autres femmes se lamentent avec elle. Elle est également soignée par scarifications pour remédier aux maux et angoisses de son état. Un rituel de réconciliation réunit les habitants du campement qui en crachant sur des feuilles conjurent la malchance à la chasse. Mambi retire les puces-chiques des pieds de sa fille, Pauline; Noël, son fils est soigné pour des maux divers attribués à des ruptures d'interdits alimentaires. Par une nuit fraîche, Bonéné accouche d'une petite fille qui est nommée Masiki, du nom de sa sœur décédée et de celui de sa grand-mère. 

Chapitres :

01 Avortement de Mambi : comment elle faillit en mourir 5 mn 53

Récit de l’avortement provoqué de Mambi :

8 h 30

Mambi : - Il faut que Ginza se marie !

Alain lâche le crayon pour braquer la caméra et son long micro directionnel. 

Mambi : - Il faut que Ginza se marie !

Koti, avec une expression de dépit : - Ginza ne va pas se marier ? !

Koti stérile, amoureuse et jalouse de son mari ne goûte guère la proposition, et ne la traite pas en plaisanterie.

Mambi : - Ginza se marie, une (nouvelle) femme. Il va compléter avec Koti, ça fait trois femmes. (#)

Moi, je ne tarde pas à être enceinte !

Ginza tout doucement : - Moi, je ne me marie pas.

Mambi s’adressant à la caméra : - Après toi, Alain, quand tu es parti, moi et Ginza, on s’est volé (fait l’amour) deux fois. (#)

Moi, j’ai attrapé la grossesse.

La surprise a été d’autant plus forte que la période de l’allaitement est pensée peu féconde et que bien que l’on connaisse des cas où un seul rapport sexuel a été fécondant, on croit à la nécessité de rapports multiples pour entretenir la grossesse.

Ma tête est devenue folle.

Les gens parlaient (médisaient) beaucoup, beaucoup.

La reprise prématurée des rapports sexuels avant la fin du sevrage est l’objet d’opprobre : elle est la preuve d’un appétit sexuel féminin illégitime.

Moi, j’avais maigri, je ne voyais pas le haut.

Je ne pouvais pas manger.

Très certainement des vertiges liés à une anémie débutante chez une jeune mère épuisée par sept grossesses et allaitements menés à terme, "déprimée et angoissée" de surcroît…

Moi, j’ai dit à Ginza : - Ah ! Alain avait dit. Il avait donné des choses là, des choses que l’on met devant les hommes, c’est quoi… Alain avait donné des capotes. Si tu as envie de moi, tu portes ça et l’eau de ton sexe reste là.

Et tu prends l’eau, tu jettes dans la forêt.

Moi, j’ai dit regarde : - Quand tu m’as baisée sans capote, regarde, c’est moi qui souffre.

Alain t’avait dit ! Regarde maintenant !

Depuis les années 1987, Alain ne cesse de tenter de sensibiliser en vain ses réseaux de connaissance à l’usage de préservatifs tant à des fins de préservation des maladies sexuellement transmissibles, qu’à des fins de contrôle des naissances.

Lors du séjour précédent, il n’avait donc pas été difficile de prédire à Mambi, que sans préservatif, compte tenu de ses antécédents de grande fécondité, la reprise des rapports sexuels aboutirait à une grossesse non désirée, compromettant sa vie et celle de son dernier né.

Les Blancs sont comme les mamiwata, les sirènes (les génies des eaux).

Regarde maintenant.

Longtemps, longtemps, longtemps, longtemps, les gens étaient en train de dire (médire) beaucoup : le ventre commençait à gonfler.

Regarde mon ventre, regarde mon ventre. !

À ce moment, Noël (âgé d’une douzaine de mois) n’avait pas commencé de ramper.

J’allais mourir.

J’ai écouté comme ça. J’ai dit à Ginza : - Ta personne (toi) ! (Si) tu veux que la grossesse reste, moi je vais manger quelque chose et je vais mourir.

Je prends quelque chose de dur (amer, toxique), je mange, je vais mourir et tu vas ramasser (mon cadavre).

Ginza écoutait comme ça et il commençait d’aller de gauche à droite. Il est parti aux gens. Il est allé voir la mère de Bokayo (la mère de l’épouse d’Isanya, le cadet de Ginza) qui était au campement derrière.

Mambi imite la voix de Ginza éploré, quêtant sans succès un abortif sans danger.

(Ginza) : - Regarde-moi la femme, cherche lui les médicaments.

Regardez, regardez-moi la femme.

Regardez peut-être pris dans le sens "prendre en considération" ou demander une divination à un devin-regardeur.

Quand il parlait, il allait pleurer.

(Ginza) : - Donne lui les médicaments, elle boit.

Tout le monde refusait.

(Les gens) : - On ne veut pas être des témoins, parce que l’enfant reste (il y a un enfant au sein). La maman boit le médicament : ça va rentrer au sein de sa mère et l’enfant va téter. L’enfant risquerait de mourir.

Selon les théories autochtones, les principes actifs contenus dans l’alimentation de la mère passent dans son lait. Les pourvoyeurs de la drogue abortive risquent donc d’être accusés de la mort de l’enfant au sein. Au même titre que les responsables de la mort d’un individu, par arme, par poison, ou par sorcellerie, ils peuvent être condamnés par un tribunal coutumier villageois à verser des indemnités aux "parents" aka et villageois du défunt.

J’ai fait deux mois de grossesse, regarde mon ventre.

Deux mois à partir de l’arrêt des règles ou plus ? Très difficile de le préciser. Il semble que la grossesse ait été très avancée au moment de l’avortement (4-5 mois)

Je cherchais les moyens (d’avorter), en vain !

Dans ces sociétés, on attribue volontiers à des sorciers ou à des esprits le pouvoir de provoquer un avortement provoqué. C’est une pratique exceptionnelle chez les humains et rares sont les connaisseurs de drogues abortives non mortelles. Afficher la connaissance de tels types de savoir revient à prendre le risque de se voir affubler d’un statut de sorcier par la rumeur publique et les ennemis.

Je ne mangeais pas.

J’avais le cœur noir (des idées sombres), j’avais pas d’appétit.

J’ai rêvé : - Alain, m’a envoyé…

Les Blancs sont des diables c’est vrai !

Elle décrit le soutien qu’Alain lui a adressé à distance, dans le surmonde où devins-guérisseurs, esprits et sorciers se côtoient : un rêve qui regroupe différents fragments de causeries antérieures.

...Alain torchait (éclairait avec une torche électrique) dans mon ventre, longtemps, longtemps, longtemps, il me dit : - J’ai vu un enfant dans ton ventre là, tu as demandé à Masoy ?

Effectivement, Alain frappé par l’intelligence et le bon sens de la veuve de Léma (le frère défunt de Yakpata = l’oncle paternel de Ginza), par ailleurs bonne herboriste, n’avait pas manqué de souligner ses qualités peu remarquées du fait de sa discrétion. Il avait donc insisté sur le fait que, en cas de problème, elle serait sûrement de bon conseil.

(Mambi) - Avec quoi (avec quelle rémunération) ?

(Alain) - Dis à Masoy de te donner (gratuitement) les médicaments, tu vas boire et tu vas faire l’avortement, et tu vas rester sans problème.

Si tu doutes avec moi Alain, et que l’enfant reste, tu vas voir avec tes propres yeux. Tu vas mourir, tout entière, tu vas mourir.

J’ai écouté comme ça, je suis devenue folle.

En rêve, Alain, sous couvert de Masoy, légitime l’avortement. Mais il semble que Masoy n’était pas présente au campement et que Mambi ne pouvait pas solliciter son concours.

J’ai pris mon grand couteau (machette), je suis allée jusqu’à Bokoma (campement où résident des parents et alliés).

J’ai dit : - Mes amis ! Aidez-moi !

Elle a pris son unique machette pour pouvoir payer le remède abortif. Son désir était tellement puissant, qu’elle était prête à sacrifier son principal outil de travail personnel !

Émue, Mambi saute la suite de récit pour en venir à ce qui s’est passé après l’avortement.

À peine (peu après), Noël allait mourir dans mes bras. Merci à l’hôpital !

Elle reprend le récit chronologique.

... Les gens (de Bokoma) ont refusé là-bas : - Nous, on ne veut pas de témoin (être témoins et/ou complices).

J’ai écouté comme ça.

Mon anus était devenu comme le genou, comme ça !

Comme à tous les instants dramatiques du récit, Mambi éclate de rire, casse l’émotion par une plaisanterie dirigée contre elle-même, ici ses propres poussées hémorroïdaires. Sa fille Koti, agenouillée à ses côtés et qui écoute attentivement depuis le début, tressaille et sourit étrangement.

Je suis allée de gauche à droite, mais je ne suis pas arrivée à Kenga.

Tous mes rêves étaient sur les diables, (impliquaient) les diables, les diables !!!

Les esprits de la forêt ne cessaient de la visiter.

L’une de mes camarades (identité non donnée et non demandée) qui m’aime beaucoup : - Regarde l’arbre là (#), regarde l’autre là : deux arbres. Quand tu enlèves l’écorce, tu manges ça cru.

Moi, j’ai enlevé (taillé des morceaux d’écorce), j’ai mangé… J’ai avalé, j’ai avalé, c’était amer !

On était de retour de Bokoma. Arrivée au campement, j’ai bouilli encore le reste, longtemps, longtemps, longtemps. Je buvais ça avec feu (brûlant), avec feu, avec feu, chaud, chaud, chaud.

Je suis allée derrière la maison, j’ai vu le sang qui commençait à sortir. - Koti ! Viens voir !

Koti me dit : - Ah ! Il ne faut plus boire le médicament !

J’ai dit : - Allez ! Vas t’en ! Passe là-bas ! Vas t’en là-bas !

Longtemps, longtemps, longtemps, longtemps, je buvais, je buvais, je buvais, je buvais souvent, souvent, souvent !

Comme toujours, dans ce type de récit, les événements semblent se succéder sans interruption, permettant l’établissement de liens de cause à effet directs, alors qu’il a pu s’écouler un laps de temps très long entre la première prise de "toxique", cru puis cuit, le premier saignement et l’avortement proprement dit. Les propos ne permettent pas d’affirmer ou d’infirmer les propriétés pharmacologiques et toxiques des substances absorbées.

Koti et Ginza étaient partis au village.

Difficile de savoir a posteriori si Ginza est parti au village, pour répondre à un appel impératif de ses patrons villageois, ou pour fuir (consciemment et/ou inconsciemment) ses responsabilités vis-à-vis des actions abortives de Mambi.

Koti et Bokayo (la belle-sœur, épouse du cadet de Ginza) m’ont dit de ne plus boire le médicament. - Il faut laisser ça, ça reste (laisser le restant). Quand (si) tu fais l’avortement, ça va être dur !

J’ai dit : - Allez ! Allez là-bas !

Dans la phase la plus éprouvante, Mambi se retrouve isolée.

Moi, j’étais là, je continuais à boire avec feu (brûlant)

Je suis allée cueillir les feuilles de k`Ok`O (disponibles à proximité du campement), le sang commençait à sortir !

Je suis venue de là-bas, je suis venue dormir ici. Le sang dit fffui. Je me suis promenée, la nuit, la nuit, la nuit, toute la nuit.

J’ai dit : - oh ! C’est moi-même qui avais cherché la mort !

Quand il voulait faire jour (au petit matin), je suis allée dans la forêt. J’ai voulu pisser : L’enfant est sorti !

J’ai dit : - C’est vrai ! C’est l’enfant ! C’est un garçon.

J’ai dit : - Oh ! Merci à Jésus, j’allais mourir pour rien.

Ici là, la maison de l’enfant (placenta et annexes) là !

Longtemps, longtemps. La maison de l’enfant n’est pas sortie vite. J’ai lutté longtemps, longtemps, longtemps, longtemps.

Apparemment, la grossesse était déjà bien avancée, puisque la délivrance a été longue et pénible, certainement accompagnée et surtout suivie de saignements importants qui ont aggravé son anémie.

À ce moment, Ginza était au village à Bagandou. Je faisais commission à Ginza en vain. J’envoyais la bouche (des commissions orales) à Ginza en vain, Ginza ne venait pas ! Moi, j’étais en train de souffrir seule.

Dans ces sociétés, il est quasi normal que des absences durent plus longtemps que prévu : il y a d’excellentes raisons à prolonger un séjour au "village" : corvée imposée, cérémonie de funérailles, disponibilité de nutriments appréciés (tabac, vin et huile de palme, alcool, chanvre, etc.).

Je suis allée prendre bain (à la source, à 200-300mètres) : j’ai senti la fraîcheur de l’eau. La mort a dit oui ! Je vais mourir dans l’eau.

Tout le monde était parti dans la forêt. J’appelais les enfants : - Mongay (son fils âgé d’une dizaine d’années) eh ! Venez chercher Noël, je meurs.

J’ai dormi (perdu connaissance ?) longtemps, longtemps, longtemps ! Je me suis réveillée, j’ai regardé, j’ai vu les feuilles de kàm&a (Drypetes capillipes Euphorbiacée) J’ai pris les feuilles de kàm&a, j’ai frotté ça, j’ai flairé l’odeur. J’ai frotté les yeux. Les arbres tournaient dans mes yeux (vertiges). J’ai dit : - Je ne peux pas mourir comme un animal ! Il faut que je vais dormir dans la maison. Je me suis levée pour venir. J’ai dormi, dormi. Le sang commençait de couler depuis la chambre, jusqu’à…, dans la chambre, même la chambre de Koti.

Mombaka (le fils du premier mariage de Ginza) est rentré : - Il a dit : - Eh ! Vous avez égorgé une vache ici ? !

Le sang ne me faisait pas mal (hémorragie indolore).

Mambi à un de ses enfants qui l’interrompt : - t&un&a (mouche filaire hématophage = insulte) !!! Va là-bas, je travaille !

Le sang s’est arrêté, je me suis levée.

Apparemment, elle était sauve : mais les esprits de la forêt n’étaient-ils pas offensés et n’allaient-ils pas compromettre la réussite à la chasse des hommes pourvoyeurs de viande.

Mombaka avait tué un sòm&e (Céphalophe à fesses noires) avec la cartouche de Ginza, avec le fusil (prêté par un de ses patrons villageois).

J’ai dit : - Il faut que j'envoie un gigot à Ginza au village. Je suis allée dormir là-bas, je suis revenue.

Mambi porte (ou fait porter à son mari ?) la preuve du fait qu’elle est vivante, que l’écoulement de sang provoqué n’a pas fâché les esprits de la forêt, puisque Mombaka, témoin de l’hémorragie a réussi à tuer un animal avec l’unique cartouche de son père. Lorsque quelqu’un est accusé d’avoir une responsabilité matérielle ou magique dans un décès, la réussite à la chasse est le meilleur moyen de prouver son innocence.

Le fait que cet animal ait été tué non seulement à l’aide d’une cartouche appartenant à Ginza, mais aussi tirée à l’aide d’un fusil villageois est une preuve valide aux yeux de la justice villageoise. On peut penser que l’absence de Ginza au plus fort des événements était aussi un moyen de dégager sa responsabilité aux yeux de ses patrons villageois, prompts à fustiger les "inconduites" de leurs Pygmées et à les punir sous la forme de corvées dans leurs champs. Dans des occasions conventionnelles (décès, mariage, naissance), les patrons villageois ne manquent pas de rappeler leur parenté classificatoire afin d’exiger leur part. En 1991, lorsque Mombaka s’est marié, les autorités de la mairie de Bagandou l’ont condamné à des travaux forcés pour désobéissance caractérisée, parce qu’il avait refusé d’exécuter les prestations matrimoniales exigées par les propriétaires de la famille de sa femme.

Mambi, décrit les suites de l’avortement : - J’ai dit : - Comme je suis venue là, en fatigue là, il faut que j’aille aussi dans la matinée aux pesées chez la Sœur (consultation de santé maternelle et infantile).

Je suis allée aux pesées là-bas, quand je suis venue, je sentais mal au pied.

Mine de rien, les itinéraires décrits par Mambi correspondent à chaque fois à des distances de 15 à 35 kilomètres, c’est-à-dire, une demi à une journée de marche, avec hotte, marmite et récipients, outils, nourriture de bouche, et Noël à porter !

Ma cuisse, c’était comme si les sorciers ont tiré, ont tiré (projeté un dard magique dans) la jambe, ont enlevé la chair (dévoré). Je faisais les merdes derrière la maison de Ginza, là où il a planté les ananas. Je ne pouvais pas aller loin dans la forêt, parce que j’avais mal au pied. Longtemps !!!

Elle semble décrire une lombo-sciatique carabinée, puisqu’elle ne réussissait pas à gagner l’aire de défécation habituelle, la galerie forestière du cours d’eau Akungu, à quelques centaines de mètres : seuls les petits enfants et les malades graves empruntent une aire de défécation aussi proximale.

Derrière ça là, je n’avais plus de sang, le sang était déjà sec. Moi, j’ai coupé, j’ai coupé le doigt avec la hache, il n’y avait plus de sang qui sortait, il n’y avait que de l’eau qui coulait.

J’ai dit : - Ah ! Si je reste ici avec Ginza, je vais mourir à Akungu. Il faut que je vais là où je veux

J’ai pris (attrapé) un poulet le soir. Le premier chant de coq, je suis en route.

Rappelons que les Aka ne consomment pas les poulets qu’ils élèvent, les réservant au troc ou à la vente avec les Villageois.

Je suis allée chez la sœur (Lucienne). Lucienne a payé le poulet. Elle m’a donné (acheté) 500 F.

Les sœurs missionnaires catholiques reprochent aux Villageois d’exploiter les Pygmées en leur volant ou leur achetant à vil prix les produits de la forêt ou leur volaille. Aussi ont-elles mis en place un magasin réservé aux Pygmées où ils peuvent vendre et acheter à prix constant.

J’ai pris 500 F, je suis allé donner ça à Major (l’infirmier du dispensaire catholique). Le major a dit quand il m’a vu : - Ah ! Tu ne peux plus retourner, ton sang est déjà sec.

Le major m’a hospitalisé deux semaines. Là, je ne recevais que des piqûres, des piqûres : tous les bras étaient envahis de piqûres.

Elle mime des poses de perfusion et des meurtrissures des plis des deux coudes

Major m’a dit : - Il faut refuser ! Il faut refuser ! Il faut que tu fuies ton mari et il faut que ton mari aussi te respecte. Il te fuit. Si tu continues toujours de faire l’amour avec ton mari, prochainement ! On va t’opérer (ligature des trompes).

Vœu pieux, puisqu’irréalisable à la maternité catholique.

Et je dis ça : - Il faut que Ginza marie une femme ! Jamais (= absolument) !

Il faut qu’on devienne trois. Parce que si je dors, mon bassin me fait kpekpe, kpekpe ! L’os de mon dos ça bouge, ça fait kpekpe, kpekpe, parce que c’est fatigué. Je ne peux plus bouger.

La causerie, c’est ça.

La douleur, ça va directement au niveau du bassin.

C’est fini. La causerie est finie. Ce que je te dis, c’est pour la dernière fois. Si je n’avais pas (fait l’avortement)…, tu devrais venir trouver, moi et Noël, on devrait depuis mourir (être morts). Avec les amis (Monduwa, Bobino, Mokoso, Mado), tu devrais venir, arrivé ici, moi j’étais déjà décédé.

Les Villageois étaient là à dire : - Oh ! Toi et Ginza ! Ginza laisse d’abord la femme ! Laisse d’abord la femme. Laisse d’abord ta femme !

Il s’agit là d’un jeu de rôle moralisateur et conformiste dans lequel se complaisent et excellent nombre de patrons villageois. Ils s’efforcent ainsi d’affermir leur emprise sur les Pygmées, de montrer leur supériorité de civilisés éloignés de l’animalité pygmée incapable de contrôler ses pulsions sexuelles.

Moi, je leur ai dit : - Eh ! Ce n’est pas de ma faute, ce sont d’abord les œufs. C’est Dieu qui m’a donné ça !

Mambi relie sa fécondité aux œufs nombreux que contient son ventre. Il s’agit d’une représentation où les discours prodigués par le major et les autres thérapeutes d’inspiration biomédicale ont laissé des traces.

Je suis ici là : si l’enfant essaye de ramper un peu là (12-14 mois ?), si l’homme veut me voler (faire l’amour), directement, ça passe avec (devient) la grossesse.

Moi, je veux que Ginza marie une femme.

Pour les autres, c’est pas comme ça : pour moi, là, quand je triche, une fois là, deux fois là, c’est fini, je passe avec la grossesse.

Je n’ai pas dit que moi et Ginza, on va se séparer. Non ! Mais il faut qu’il marie une femme, il me laisse un peu le temps que mon bassin (ngbònd&&o) soit dur (consolidé), avant de me grossir.

S’il veut me monter sur le lit, donc, il veut seulement ma mort, il ne veut pas ma vie.

La dernière causerie, c’est ça.

En proposant une troisième épouse à son mari, c’est-à-dire en se comportant en femme stérile qui accepte une coépouse, Mambi ne renvoie pas son mari à sa pulsion sexuelle masculine, mais à un questionnement sur son incontournable pulsion génésique. Il faut se souvenir de l’existence de Koti et donc de la possibilité de satisfaire le seul désir sexuel. Héritier de son père et déjà dirigeant de fait de la majorité des habitants d’Akungu, Ginza a tout intérêt à augmenter sa progéniture propre. L’idéologie pygmée pousse les hommes les plus valeureux, heureux à la chasse et donc en amour, à prendre en charge deux épouses. Plus, c’est exceptionnel, alors que c’est fréquent chez les "notables" villageois.

Alain tournant la caméra vers Ginza : - Tu es d’accord ?

Ginza : - Je n’ai rien à dire !

Qu’est-ce que je vais dire ? Je n’ai rien à dire ! Oui ! C’est tout ce qu’elle a dit.

D’autres femmes, là ! Même les enfants qui n’ont pas encore rampé là. Elles se volent aussi le corps. Ils peuvent bien se voler…

Même doléance que son épouse : l’excès de fécondité est féminin.

Et moi j’écoute seulement ce qu’elle a dit.

J’ai écouté ce qu’elle a dit et moi je vais chercher une femme à épouser. Ce qu’elle a dit, ça m’intéresse.

Plaisanterie ? Propos sérieux ? Menace implicite de divorce ?

Elle a tout dit, je n’ai rien à dire.

Quoiqu'il réponde, il y a risque de dispute : il s’en sort en rigolant, sans conviction, tripotant son pantalon, afin d’en arracher les graines qui s’y sont accrochées.

Alain, toujours de derrière la caméra : - Et toi Koti ?

Koti : - Moi, je n’ai pas de quoi à dire : tout, c’est ce que Mambi a dit.

Elle évite de se prononcer sur la solution proposée par Mambi et se fait le chantre du respect de l’interdit de reprise des rapports sexuels avant le sevrage. Sept enfants en une petite quinzaine d’années : les intervalles intergénésiques n’ont pas été respectés. Chaque grossesse l’a renvoyée à sa propre stérilité, mais lui a aussi fait craindre le pire pour ces enfants, auxquels elle est très attachée.

Pour moi, ce qui me touche, c’est de donner des naissances continuellement.

Si elle donne naissance, il faut que l’enfant grandît.

Mais les enfants restent comme ça (geste de la main à hauteur d’un très petit enfant), Mambi est grosse.

L’enfant reste comme ça, Mambi est enceinte.

Chaque jour, chaque fois, chaque fois, chaque fois, les enfants restent petits, petits comme ça ! Est-ce que c’est bien ?

Je l’ai laissée ici, je suis allé à Iseki.

Apparemment les deux rapports sexuels ont eu lieu en son absence de la maison.

Il faut que l’enfant grandisse au moins (geste de la main),

Ginza grossit (féconde) Mambi ! Mais les enfants restent de cette taille là,

Ginza grossit Mambi ! C’est pas bien.

C’est ça qui me touche beaucoup !

Elle termine son propos sur une mise en accusation de son mari et donc de la masculinité.

Ginza : - À part ça, je n’ai rien à dire. Toi-même, tu as aussi ton cœur !

Si je veux, cette année-ci, je vais marier une femme (mo) aka de Mbaïki. Elle me prépare une grande boule (de manioc), je vais manger !

Ginza casse l’émotion par une plaisanterie mettant en scène un mariage impossible puisque les dîtes femmes de Mbaïki sont accusées de cynophagie.

La causerie est finie.

02 Danse du sida 1 mn 27

Improvisation d'une chanson et d'une danse sur le sida, à la suite d'une campagne de sensibilisation.

" - Le sida, c'est dur. Le sida, la maladie des villageois ! Si ca continue, on va baiser avec les doigts ! "

Ce qui est une grande obscénité, puisque dans cette société, il ne convient pas que la main de l'homme touche la vulve de sa partenaire : tout au plus, peut -il tirer les poils de la toison pubienne, appréciée lorsqu'elle est abondante.

03 Cure du mal de dos de Koti 4 mn 06

Koti, la coépouse stérile de Mambi souffre d'un mal de dos.

Ginza et Mambi vont en forêt chercher une écorce médicinale.

Mambi gratte le liber du morceau d'écorce et l'applique sur les scarifications qu'elle a tracé sur le dos de Koti à l'aide d'une lame de rasoir.

Après le traitement, Koti repart soulagée.

04 Cure du mal de genou de Masiki 53 s

La vieille Masiki demande à Mambi de lui faire profiter du remède qu'elle a préparé pour soigner le mal de dos de Koti. Elle souffre de son genou, supposant que son mal est dû au fait qu'un malfaisant lui " a tiré" dessus 

Mambi s'exécute, scarifie le genou douloureux et applique le remède. 

05 Chasse, cuisine, rat 2 mn 37

Le repérage d'un petit rongeur dans les broussailles limitrophes du campement mobilise l'attention du campement, et tout particulièrement celle des enfants. Très sérieusement, comme si c'était un vrai gibier, les adolescents, sous la direction d'un jeune homme organisent la chasse : la bestiole est guettée, sagayée, assommée et déposée dans la hotte que tient une fillette, comme à une femme adulte.

Puis, sous le regard gourmand de Wawa et Koti, Mombaka lui grille les poils, l'évide, la sale, puis la fait cuire à l'étouffée sur la braise, enveloppée d'un morceau de feuille de bananier.

06 Pleurs de Bonéné 2 mn 22

Montage d'images évoquant la petite Masiki décédée des suites d'un empoisonnement par une igname toxique.

La bande-son a été enregistrée avant le lever du jour, Bonéné s'étant mise à pleurer, rapidement accompagnée par d'autres femmes du campement.

07 Scarification Bonéné 1995 1 mn 43

Monduwa applique une pâte-remède sur des scarifications qu'il a pratiqué sur la poitrine et le dos de Bonéné, prête à accoucher, dolente de la mort très récente de sa fillette Masiki, empoisonnée par une igname toxique.

08 Discorde et infortune, réparation par la salive 5 mn 48

Comme à chaque fois que l'infortune frappe le campement, surtout après des disputes, on improvise un rituel de réconciliation par la salive en faisant cracher tous les résidents du campement sur un faisceau de feuilles sp.

Une dispute pèse sur les esprits, déclenchée par un vol de viande d'Isanya par le chien de Mambi.

Comme à chaque fois, certains ne se gênent pas pour dire ce qu'ils ont sur le coeur.

09 Extraction des puces-chiques 4 mn 03

10 Thérapie d'interdit par la crotte de chien 6 mn 38

11 Découpe et partage d'une papaye par les enfants 1 mn 11

Wawa découpe très habilement une papaye avec une machette et la partage entre les enfants du campement.

12 Jeu de poursuite 35 s

Revigorés par les petits morceaux de papaye distribués par Wawa, les enfants débutent comme un "jeu de chat" : il s'agit de toucher la tête de son partenaire avec la main, en prononçant la même formule que lorsqu'on écrase des poux entre ses ongles. Celui qui est ainsi touché poursuit alors un autre enfant.

13 Jeu d'enfant : danse à cloche-pied 43 s

Danser à cloche-pied est ici un jeu d'enfants.

Chez un excellent danseur, ce peut être une figure de style lors de la réalisation d'une performance.

Sinon, il ne s'agit pas d'un type de danse, mais du fait de danser avec un seul pied, en s'aidant d'un bâton, quand par suite d'un accident ou par nature on ne dispose que d'un pied. 

C'est aussi la danse de la Pintade où le héros ne danse que d'un pied, car il s'est enfoncé une épine de liane dans l'autre: “- Cloche-pied, cloche-pied, aïe! Je sens que mon pauvre petit pied me fait mal!” (chant de la chantefable “L'épine au pied” )

14 Vie quotidienne : défécation de Noël 2 mn 44

Les jeux des enfants ont été interrompus par le retour de Mambi, avec les produits de sa récolte du jour.

Wawa s'empare de quelques morceaux de manioc roui qu'elle va faire griller sur le feu pour un en-cas. 

Noël qui veut déféquer est porté à proximité de l'aire d'ordures. 

Mambi et Koti s'affairent à la préparation du repas tout en se plaignant de leur brue, l'épouse de Mombaka.

15 Chanvre, chien 34 s

Tandis que les enfants jouent et que les femmes travaillent, les hommes discutent tout en faisant tourner la pipe à chanvre.

Ginza, en fait, reproche à un résident du campement d'avoir égoïstement consommé du miel en forêt sans en avoir rapporté aux parents.

16 Jeu d'enfants : le non-circoncis 54 s

Noël en tête tenu par Wawa, les enfants enchaînent les jeux, encouragés par les adultes. Emboités les uns dans les autres, se déplaçant en groupe les fesses frottant le sol, ils chantent : " - Que celui qui n'est pas circoncis, ne nous rejoigne pas !"

Jeu d'enfants : l'odeur du porc-épic 35 s

Les enfants passent dans le tunnel constitué par les jambes écartées de leurs compagnons debouts, en chantant : "- L'odeur du porc-épic !... "

Comme souvent, les jeux des enfants relèvent du "folklore obscène", lieu d'apprentissage des réalités physiologiques, notamment sexuelles.

18 Jeu d'enfant : la noix de palme 22 s

Jeu d'enfant chanté, toujours participant de l'apprentissage du contrôle du corps et à la limite du "folklore obscène".

Les enfants, assis par terre, serrés les uns contre les autres, les jambes allongées, doivent faire passer entre leurs cuisses sans la faire voire et sans les mains une noix de palme. Un guetteur doit la repérer et s'en saisir entre les cuisses d'un des joueurs et prendre sa place s'il a gagné.

Pour faciliter le jeu, un pagne recouvre les jambes

19 Naissance de Masiki : 1ère toilette 2 mn 35

Première toilette du nouveau-né, encore relié au placenta, agrémentée de commentaires des assistantes. 

Par une nuit froide, Bonéné accouche. Elle est restée dans sa vaste maison d'une pièce, plutôt que de s'installer à la périphérie du campement en appui contre un arbre.

Son mari et ses enfants sont dans un coin de la pièce tournés de l'autre côté. Les femmes expérimentées du campement sont venues assister la parturiente et à présent prodiguent les premiers soins.

Lorsque la séquence démarre, l'enfant gît sur le sol, encore relié au placenta.

- Toilette du nouveau-né

- Section du cordon et dation du nom

- Habillage du nourisson

- Préparation du feu et du lit

- Enterrement du placenta et annexes in situ

- Sortie des accompagnantes

http://www.cnrs.fr/diffusion/ancien_site/espchercheur/sitepygmees/mortn…

20 Naissance de Masiki : section du cordon 1 mn 35

Le cordon est tenu entre deux lames végétales et sectionné par une troisième : il n'est pas ligaturé. Puis, on applique la lame végétale trempée de sang du cordon sur les articulations des membres du nouveau-né, tout en énonçant son nom, Masiki : c'est celui de la soeur décédée et de l'aïeulle vivante du campement.

21 Naissance de Masiki : dressage du lit et du feu 3 mn 04

Dès qu'une femme assistante a fini une tâche, la suivante prend le relais. Elle allume un feu et dresse un lit de plaques d'écorces à proximité.

22 Naissance d'Akungu : enterrement du placenta 4 mn 10

Le placenta est enteré là où la femme a accouché : ici, c'est donc dans la maison, plutôt qu'à la périphérie ou en dehors du campement comme c'est le cas le plus fréquent. Une fois l’enfant lavé, le cordon coupé, une assistante creuse à la machette une fosse circulaire d’une cinquantaine de cm de diamètre et d’une trentaine de cm de profondeur. Le placenta est tiré dans cette fosse par le cordon, tenu au travers de plusieurs épaisseurs de feuilles de bananier pour éviter tout contact avec le sang et les fluides corporels. Puis il est recouvert par les feuillages et le sol souillés, celui-ci très soigneusement gratté. Ensuite la fosse est rebouchée par la terre extraite lors de son creusement, tassée aux pieds. 

Si cet enterrement est mal fait, à savoir le cordon sous le placenta, la fécondité future de la femme est compromise.

23 Naissance de Masiki : sortie des accompagnantes 1 mn

Les accompagnantes sortent une par une, laissant Bonéné, l'accouchée, avec son mari et ses enfants.

24 Générique de fin

1mn 55

Intervention

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