L’action collective comme levier de la société inclusive
Objectif pédagogique
Cinquième des dix dossiers qui constituent la ressource globale "Société inclusive : regards sociologiques" proposée par Raúl Morales La Mura et Marion Scheider-Yilmaz, sociologues.
Ce dossier présente le concept d’empowerment et la manière dont les associations peuvent s’en saisir pour favoriser le pouvoir d’agir de leurs membres et des publics qu’elles représentent.
Agir collectivement pour une société inclusive
Le 29 mars 2008, des dizaines de milliers de personnes composant le mouvement inter-associatif « Ni pauvre, ni soumis » se rassemblaient à proximité de l’Elysée. A cette période, une revendication commune à près d’une centaine d’associations ou de collectifs est portée dans le débat : la réforme des ressources des personnes en situation de handicap et de celles atteintes de maladies invalidantes. (Photo ci-contre : Le Clezio)
Ce mouvement d’ampleur majeure s’est formalisé à la suite d’un revirement d’une promesse d’augmentation immédiate de 25% de l’Allocation aux adultes handicapés (AAH). Face à ce contexte, ce sont 97 associations nationales, auxquelles s’ajoutent de nombreux citoyens et organisations en tous genres, qui rejoignent le mouvement « Ni pauvre, ni soumis » pour contester les conditions de vie alarmantes des personnes n’étant pas ou plus en capacité de travailler. Plusieurs années plus tard, ce collectif perdure et mène un combat d’une portée plus générale, avec notamment une mobilisation pour l’introduction d’un revenu universel d’existence. (Photo ci-contre : Le Clezio)
Lumière sur le concept d’empowerment
L’action collective en faveur du portage et du respect de droits et intérêts spécifiques nécessite des ressources, une expertise et une ingénierie de la mobilisation. Ces dernières peuvent être réunies par l’engagement et la professionnalisation des associations et groupements qui structurent les revendications citoyennes au sein des territoires. Au quotidien, ces organisations agissent afin d’améliorer la capacité des individus – et ainsi des groupes qui les rassemblent – à participer aux débats et décisions qui les concernent plus ou moins directement. Ce qui se joue alors, ce sont des dynamiques de rééquilibrage des rapports de force entre les individus – entre dominés et dominants – que l’on qualifie d’empowerment (Bacqué & Biewener, 2013a; Cantelli, 2013).
Ce concept s’est développé dans les pays anglo-saxons dans les années 1980 et nombreuses traductions françaises ont depuis été proposées : autonomisation, capacitation, pouvoir d’agir, etc. Aucune à ce jour ne fait toutefois véritablement consensus parmi la communauté scientifique ou les acteurs de terrain. La difficulté de sa traduction se situe dans la double dimension que le terme d’empowerment recouvre, à savoir celle de pouvoir et celle de processus d’apprentissage. Ainsi, face au déficit d’équivalent francophone, c’est régulièrement la version anglophone qui est mobilisée à la fois dans les travaux de la communauté de recherche, et les discours et pratiques des professionnels et représentants associatifs.
L’empowerment se pose comme un processus visant à rompre avec les modes d’intervention publique descendants, ceci en faveur d’une capacité d’action des individus et des groupes sur leurs propres parcours et environnements de vie (Bacqué & Biewener, 2013b). En équipant les principaux concernés des outils nécessaires à la compréhension des enjeux et questions débattus, mais aussi en facilitant leur participation aux processus de décision, c’est la recherche d’une société plus adaptée à la diversité des individus qui la composent qui peut être engagée.
Empowerment et structuration du champ du handicap
La prise en compte des personnes handicapées et l’organisation d’une réponse publique aux problématiques qu’elles peuvent rencontrer est relativement récente en France. Une politique du handicap s’est en effet réellement développée à partir des années 1970, avec la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées. Celle-ci marque alors le tournant d’une plus grande implication des décideurs publics dans la prise en compte des besoins et attentes de ces populations et dans l’amélioration de leurs conditions de vie.
Avant cela toutefois, ces publics spécifiques, ainsi que leurs familles, restent largement marginalisés et invisibles aux yeux de la société. C’est face à ce constat que se sont progressivement formés – à partir des années 1930 – des groupes d’entraide ou d’amitié portés par des personnes vivant avec un handicap. Ce sont alors des logiques de soutien informel qui émergent et qui posent les premiers fondements des futures associations de personnes handicapées. Ces groupes se structurent ensuite en associations et se professionnalisent pour répondre au contexte d’insuffisance de l’action publique à destination des personnes handicapées et de leurs familles (Blanc, 2015). Très rapidement, elles vont développer une offre conséquente en termes d’établissement d’hébergement et de service et contribuent ainsi à la structuration du champ du handicap en France.
Ces activités gestionnaires côtoient aussi d’autres modes d’action développés par ces associations. Ainsi, la revendication pour la reconnaissance des droits et intérêts des personnes handicapées auprès de l’opinion publique et des décideurs publics s’organise et se professionnalise, tout comme l’offre de loisirs et d’espaces de convivialité. En acteurs incontournables de la structuration et de la mise en œuvre des réponses collectives en direction des personnes handicapées et de leurs familles, ces associations trouvent alors une légitimité dans les processus d’institutionnalisation de la politique du handicap (Ville et al., 2014). C’est dans ce cadre propice au processus d’empowerment des personnes handicapées que les associations défendant leurs droits et intérêts ont pu participer largement à la définition des principes de la loi Handicap de 1975 et plus largement influer la manière dont les décideurs publics appréhendent la question du handicap (Guyot, 2001).
Pour finir, précisons que l’implication majeure des associations de personnes handicapées dans la structuration et l’opérationnalisation des politiques du handicap est très caractéristique de ce champ. En matière de vieillissement en revanche, les associations présentent un positionnement plus à l’écart des canaux de mise en œuvre de l’action publique à destination des personnes âgées. Cette différence s’explique principalement par le développement de l’action associative en parallèle à l’émergence d’une politique de la vieillesse et du troisième âge. Dans ce contexte, alors que les acteurs publics s’engagent dans le développement de réponses sociales et d’une offre de services et d’établissement destinées à cette catégorie de public, les associations se focalisent quant à elles plus fortement sur le déploiement d’activités de loisirs et de participation sociale à destination de leurs membres. Ces spécificités de champs conduisent aujourd’hui à l’apparition de distinctions majeures entre les ressources disponibles au sein des associations de ces champs respectifs pour accompagner leurs membres dans le développement de capacités d’agir sur leur environnement de vie.
Principaux collectifs en faveur d’une société plus inclusive
S’il est impossible de présenter l’intégralité des acteurs de la société civile actifs dans les champs du handicap et du vieillissement, nous avons choisi d’en détailler certains développant une action forte en faveur de l’empowerment de leurs membres ou des publics qu’ils représentent.
Ainsi, nous pensons à APF France handicap d’abord. Cette association est l’une des plus importantes organisations représentant les personnes en situation de handicap et leurs proches en France. Créée en 1933 par un groupe de jeunes atteints de poliomyélite, elle gère aujourd’hui de nombreux établissements d’hébergement, des services et des entreprises qui s’adressent aux publics handicapés. Si initialement elle s’adressait principalement aux personnes vivant avec un handicap moteur, elle élargit progressivement son giron d’action à l’ensemble du champ du handicap. Elle développe également un important mouvement militant en faveur des droits et de l’inclusion des personnes handicapées, ceci en s’appuyant sur près d’une centaine de délégations de territoire. Pour son action majeure dans le champ du handicap, elle est aujourd’hui reconnue d’utilité publique. APF France handicap se détache des autres organisations de son envergure, en cela qu’elle est portée dans ses organes de gouvernance par les personnes handicapées elles-mêmes. En 2003, elle se dote d’un projet associatif visant à renforcer l’implication et le pouvoir de ses membres. Celui-ci créé ainsi les Conseils départementaux, qui rassemblent des représentants élus parmi les adhérents de chaque département. Ces organes locaux ont en charge la définition et l’organisation des actions associatives et des dynamiques représentatives dans leur territoire respectif. Pour accompagner et appuyer les élus dans leurs missions, les délégations sont dotées de professionnels et de ressources qui interviennent en soutien à la participation des personnes handicapées.
Puis, d’envergure comparable et développant des activités similaires à la première association présentée, l’UNAPEI focalise son action sur le segment du handicap mental. Contrairement à APF France handicap, ce mouvement associatif est porté essentiellement par les parents, familles et amis de personnes en situation de handicap mental. Créé en 1960 sous l’impulsion de parents qui – face à la faiblesse des politiques et de l’action publique en matière de handicap – se sont fédérés pour organiser les réponses aux besoins spécifiques de leurs enfants. Aujourd’hui, cette union rassemble 330 associations sur le territoire national et est reconnue d’utilité publique. Elle poursuit au quotidien un combat en faveur de l’inclusion, des solidarités et du respect de la différence. Dans cette perspective, l’UNAPEI soutient et diffuse la méthode Facile A Lire et à Comprendre (FALC) en proposant une activité de traduction de textes officiels et de projets de communication. A partir d’une simplification des informations permises par une méthodologie stabilisée (mots d’usage courant, phrases courtes, utilisation de pictogrammes…), le FALC donne les moyens aux populations rencontrant des difficultés de compréhension écrite ou orale d’accéder à leurs droits et leur environnement de vie.
Enfin, nous pouvons également aborder Générations mouvement, principale association de personnes âgées en France. Initialement sous le nom des Aînés ruraux, ce mouvement a été créé en 1976 sous l’impulsion d’une politique nationale en faveur de l’animation du milieu rural, particulièrement touché par des problématiques d’isolement social des personnes âgées. Ce sont ainsi des clubs adressés aux aînés qui se distribuent à travers les villages français et qui proposent des activités de loisirs et culturelles. Aujourd’hui, Générations mouvement s’est structurée autour d’une architecture générale appuyée sur des unions régionales et des fédérations départementales. Son offre de loisirs et touristique, ainsi que ses activités de représentation des intérêts des publics âgés, sont centrales à son action quotidienne. En outre, elle présente la particularité de disposer d’un Institut de Formation de ses Responsables Associatifs (IFRA) dont l’objet est de les former et de les perfectionner aux fonctionnement et règles de l’action associative. Par des modules spécialisés, ce centre vise ainsi à équiper les aînés des compétences et outils nécessaires à leur engagement dans la gouvernance ou le portage des activités de Générations mouvement.
En nous appuyant sur ces associations de personnes handicapées et de personnes âgées, nous donnons alors à voir comment ces collectifs peuvent agir de diverses manières pour favoriser les capacités d’action et le pouvoir sur l’environnement de leurs membres ou des publics qu’ils représentent.
Bibliographie/Webographie
Bacqué, M.-H., & Biewener, C. (2013a). L’empowerment, une pratique émancipatrice. La Découverte.
Bacqué, M.-H., & Biewener, C. (2013b). L’empowerment, un nouveau vocabulaire pour parler de participation ? Idees economiques et sociales, 173(3), 25‑32.
Blanc, A. (2015). Sociologie du handicap—2e éd. (2e édition). Armand Colin.
Cantelli, F. (2013). Deux conceptions de l’empowerment. Politique et Sociétés, 32(1), 63‑87. https://doi.org/10.7202/1018721ar
Guyot, P. (2001). Le rôle des associations dans la production de la politique sociale en faveur des personnes handicapées dans la deuxième moitié du XXe siècle. La Nouvelle Revue de l’AIS, 15, 13‑28.
Ville, I., Fillion, E., & Ravaud, J.-F. (2014). Introduction à la sociologie du handicap : Histoire, politiques et expérience (1re éd.). De Boeck.
Présentation de la méthode FALC : www.culture.gouv.fr/Thematiques/Developpement-culturel/Culture-et-handicap/Facile-a-lire-et-a-comprendre-FALC-une-methode-utile
Site internet du collectif Ni Pauvre Ni Soumis : www.nipauvrenisoumis.org
Site internet d’APF France handicap : www.apf-francehandicap.org
Site internet de l’UNAPEI : www.unapei.org
Site internet de Générations Mouvement : www.generations-mouvement.org
Site internet de l’IFRA : www.ifra-gm.org/presentation
Les intervenants
Les auteurs de la ressource
Crédits
- Réalisation audiovisuelle et enregistrements : Jonathan Eckly-Marcoux et Adrien Levillain.
- Post-production vidéo : Jonathan Eckly-Marcoux.
- Chef de projet multimédia et post-production web : Claude Rochette.
- Direction de production : Fabienne Granero-Gérard.
Les vidéos ont été réalisées à l'occasion du 6e colloque international du REIACTIS "Société inclusive & avancée en âge" qui s'est tenu à Metz en février 2020. Elles ont été sous-titrées grâce au soutien de l’APF France handicap.
Une ressource pédagogique réalisée avec les moyens techniques de la Sous-Direction des Usages du Numérique de l'Université de Lorraine.
© Université de Lorraine, janvier 2023 - Licence CC-BY-NC-SA