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Propos liminaire sur la Société inclusive

Société inclusive : une question d’actualité - Dossier 02/10 Plus qu’un simple concept, l’inclusion est un projet politique vertueux qui, désormais, traverse l’ensemble de nos politiques publiques et bouleverse les relations entre les individus et les systèmes sociaux en s’inscrivant dans une nouvelle dynamique sociale.
Dossier

Objectif pédagogique

Deuxième des dix dossiers qui constituent la ressource globale "Société inclusive : regards sociologiques" proposée par Raúl Morales La Mura et Marion Scheider-Yilmaz, sociologues.

L’objectif ici est de comprendre la notion de Société inclusive, son émergence et ses implications sociales et sociétales qui appellent à fonder un nouveau pacte social.

Un projet politique universel

En 2011, le président de la Fédération Nationale des Associations Gestionnaires d’Établissements et de Services pour Personnes Handicapées et Fragiles en France (Fegapei), Guy Hagège voyait dans la société inclusive « un projet politique universel ». Dans la continuité, l’anthropologue Charles Gardou appelle de ses vœux, en 2012, l’émergence nécessaire d’une société vertueuse « sans privilèges, exclusivités et exclusions » qui réinterroge les questions du partage patrimonial, de la hiérarchisation des vies, de la norme, de l’équité et de la liberté.

Les experts académiques, professionnels et de la société civile s’accordent sur les principes structurants de ce projet politique vertueux. La société inclusive serait fondée sur : le Droit et les libertés fondamentales, la reconnaissance et l’acceptation de la diversité, le partage et la solidarité, la démocratie et la participation.

Est-ce que cela nous suffit pour comprendre de quoi il s’agit ? Peut-être pas complètement, mais cela balise bien le chemin, l’orientation du projet.

Qu’est-ce que l’inclusion, que recouvre-t-elle ? Sans nous référer à une définition de dictionnaire ni même à l’éclairage étymologique pour appréhender la lente construction sociale du contenu sémantique de ce concept, intéressons-nous à la forme contemporaine et sociétale de son utilisation.

Le concept d’inclusion lié à celui de société, pour donner la notion « d’inclusion sociale », est apparu dans la littérature académique dès 1984, au travers des travaux sur les systèmes sociaux et la communication du sociologue allemand Niklas Luhmann. Ce dernier, tout en opposant les concepts d’inclusion et d’exclusion, se servira du premier pour qualifier les relations qu’entretiennent les individus avec systèmes sociaux et inversement.

Cependant, comme le relève la sociologue Brigitte Bouquet, il faudra attendre les années 2000 pour que les institutions et les organisations internationales et nationales commencent à s’emparer du concept. L’inclusion sera alors définie par l’acceptation des différences et par l’appréciation de la plus-value sociale qu’elles engendrent. Après la première décennie, ces mêmes organisations et institutions émettront progressivement des vœux ou proposeront des options sociétales visant à concrétiser ce qui, désormais, est devenu le référentiel explicite des politiques publiques. 

Des vœux à l’action

Alors que les vœux des organisations et institutions internationales conçoivent l’universalité du projet politique de société inclusive, les options sociétales des politiques nationales vont segmenter leurs propositions d’action en se focalisant sur les catégories de public considérées les plus en souffrance.

Les appels d’offres, à projets ou à manifestations d’intérêt valorisant le vocable d’inclusion seront pléthoriques pour les enfants, les femmes, les pauvres, les migrants, les personnes handicapées et les personnes âgées.

Il en ressortira un panel non moins nombreux de dispositifs ou de services inspirés par l’inclusion qui limiteront leur action aux frontières de ce que l’historienne Axelle Brodiez-Dolino considère comme une nouvelle catégorie de l’action publique sanitaire et sociale : la vulnérabilité. Ceci aura pour conséquence majeure d’invisibiliser le caractère universel du projet politique en question.

En effet, le volontarisme de l’action publique, au bénéfice de cette nouvelle catégorie, aura comme artefact la distinction du public entre des minorités considérées vulnérables, par des critères choisis, et une majorité qui ne le serait pas, selon ces mêmes critères. De ce fait, cette majorité de public ne sera pas directement concernée par la question d’inclusion. L’action publique cherchera alors à traiter la « différence » en s’attardant sur les « écarts » à une « normalité » implicitement instituée.

Or si la portée universelle du projet politique d’inclusion se voit, pour l’heure, cantonnée aux frontières de la vulnérabilité, la portée structurelle du concept d’inclusion impacte, au contraire, l’ensemble de notre société et des relations qui entretiennent les individus entre eux-mêmes et entre eux et les systèmes sociaux. Désormais, le concept n’est pas seulement pensé, il est aussi éprouvé, directement ou indirectement, par tous à travers les dispositifs de l’action publique. Dès lors, pas à pas, vont émerger les attributs d’une dynamique sociale s’y référant pour redonner sens à l’ensemble des relations dans la société. 

Les dynamiques sociales de l’exclusion à l’inclusion

Prenons une tasse de café et envisageons-la comme quatre possibles différents : le système 1 constitué d’un élément, une tasse de café ; le système 2 constitué d’un sous-système de deux éléments, une tasse de café avec du sucre à l’intérieur ; le système 3 constitué d’un élément, une tasse de café sucré ; le système 4 constitué de deux éléments, une tasse de café et du sucre (Fig. ci-dessous).

Une figure représente 4 verres et 1 sucre

Dans le système 1, nous profiterons de l’amertume du café tant que cela nous satisfera ou tant que nous n’avons pas de connaissance de la satisfaction que le sucre pourrait apporter. C’est la conscience d’insatisfaction et de l’expectative de sa correction qui nous fera ajouter du sucre à notre tasse de café. Dès cet instant, nous assisterons à une véritable bataille. Le sucre se déposera au fond de la tasse et sa cristallisation, aux frontières du café, le protégera pour un temps de la liquéfaction. Le café, quant à lui, va diluer le plus possible le sucre pour imposer son amertume, mais se faisant il s’adoucira à son tour. Chaque élément tente de conserver sa nature et, en modifiant celle de l’autre, il en perd une partie. Pour accélérer le dénouement, nous voilà armés d’une cuillère et en remuant nous créons un autre élément : le café sucré. Ce dernier pourra nous satisfaire jusqu’au moment où nous souhaiterions goûter encore l’amertume du café et le sucré du sucre. Pour ce faire, il nous faudra évaporer ce mélange homogène. Ainsi, c’est seulement le système 4 qui nous garantit d’avoir l’ensemble d’expériences possibles en matière de satisfaction.

Les travaux de Norbert Elias et John L. Scott, concernant les logiques d’exclusion, et de cette métaphore de la tasse de café, nous permettent d’appréhender les 4 dynamiques sociales qui se succèdent pour considération de la vulnérabilité par nos politiques publiques : l’exclusion, l’intégration, l’assimilation et l’inclusion.

Par commodité, nous prendrons la France comme référence, même si nous postulons que ces dynamiques participent à la mondialisation des relations sociales, au sens de l’économiste Henri Bartoli.

Nous pouvons considérer qu’avant les années 1970, les personnes âgées et les personnes handicapées ont été exclues de l’action publique. L’aide ou la prise en charge accordée relevait des réseaux de charité et de la sphère familiale, puis éventuellement de ceux de l’assistance et du sanitaire. Les organisations de la société civile, représentatives des intérêts collectifs des publics concernés et de leurs proches, n’auront de cesse de revendiquer leur légitime intégration à la société. Elles rencontreront quelques victoires partielles, essentiellement des lois en matière d’assurance vieillesse pour les personnes âgées et en matière de travail pour les personnes handicapées, mais rien de systémique. Deux rapports, allant dans le sens souhaité par ces organisations de la société civile, viendront éclairer le pouvoir politique, sans avoir des retombées immédiates, celui de Pierre Laroque en 1962 pour les personnes âgées et celui de François Bloch-Lainé en 1967 pour les personnes handicapées.

C’est la loi du 15 juillet 1971, portant sur l’approbation VIe Plan de développement économique et sociale, faisant des problèmes du troisième âge une priorité du plan, qui signe le passage à une dynamique sociale d’intégration pour les personnes âgées. Les personnes handicapées devront attendre jusqu’à la loi 30 juin 1975, dite d’orientation en faveur des personnes handicapées, pour être aussi concernées par cette dynamique sociale. Un Droit spécifique leur sera accordé, devenant par le même « objets du droit ». Dès l’adoption de la loi, les organisations de la société civile, représentatives des intérêts collectifs des personnes handicapées et de leurs proches, commenceront à porter plus fortement une revendication sous-jacente à celle d’une intégration et non satisfaite par cette dernière : être reconnu comme une personne avant de l’être une pathologie ou une condition. Pour les personnes âgées, la question est moins flagrante, elles n’ont pas été l’objet d’un droit spécifique, seulement d’une action publique spécifique qui répondait à leur attente.

La loi du 11 février 2005, pour l’égalité des chances et la citoyenneté des personnes handicapées, sera le catalyseur espéré par les personnes concernées pour être reconnues « sujets de droit », comme toute personne formant la collectivité nationale. Le Droit commun se substitue désormais au Droit spécifique. Verra ainsi le jour une dynamique sociale d’assimilation (dans le sens latin du terme, celui de reconnaître l’autre à travers ses similitudes en obviant les différences). Les personnes âgées dépendantes vont aussi profiter de l’élan créé par cette dynamique, sans pour autant être concernées par la loi mentionnée. Parmi tous les aspects de la vie quotidienne d’une personne handicapée réglementés par cette loi, deux sont remarquables. Le premier étant l’incidence de la définition de handicap. Dès la promulgation de la loi, le handicap cesse d’être une déficience de la personne pour devenir une situation rendant tangible la déficience. Le second aspect remarquable est le concept de compensation venant équilibrer l’égalité des chances. Dans une situation donnée de la participation à la vie en société, le dispositif de compensation viendrait pallier les limitations subies dans son environnement par une personne en raison d’une déficience. L’application du droit à compensation se fera en trois parties : la demande par la personne concernée d’ouverture des droits contenant une situation (scolarisation, travail, vivre à domicile, avoir une vie sociale…) pour laquelle la personne se voit limitée par sa déficience ; l’évaluation personnalisée de la situation par une équipe des professionnels pluridisciplinaires ; l’ouverture des droits par une commission paritaire où siègent des représentants des organisations civiles représentatives de personnes handicapées et de leurs proches, entre autres institutionnels. C’est la deuxième partie du processus d’ouverture du droit à compensation qui posera problème. En effet, l’évaluation se fera sur ce que la personne accomplit dans la situation donnée en relation à une normalité socialement fantasmée sans déficience, consignant de fait les personnes handicapées dans la déficience.

Nonobstant, la confrontation individuelle à une réalité traversée par les concepts de situation, de compensation, de personnalisation et de parcours alimentera un désir collectif d’universalité de l’action publique. Voilà ce qui sera la base d’une nouvelle revendication des organisations de la société civile : la société inclusive comme projet politique universel. Une société qui se bonifie par l’apport singulier de ses membres et qui, dans le respect de leurs droits fondamentaux, met tout en œuvre pour garantir l’apport de chacun à l’ensemble collectif. Nous appelons cela « Droit singulier », en ce sens qu’il part d’une situation singulière pour conclure une préconisation, une orientation ou une décision aussi singulière comme le ferait un droit universel à compensation. Des lois amenderont dans ce sens : la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, la loi de 2016 Travail et accompagnement vers l’emploi des personnes handicapées, la loi du 7 août 2020 relatives à la dette sociale et à l’autonomie. La dynamique sociale d’inclusion se construit texte après texte, champ après champ, touchant peu à peu l’ensemble des enjeux de la vie quotidienne et l’universalité, au cœur du projet politique de société inclusive, est plus que jamais une expectative réaliste.

Bibliographie/Webographie

Bartoli, H. (2001, mars 5). La mondialisation doit être gouvernée [Text]. https://www.revue-quartmonde.org; Jean Tonglet. https://www.revue-quartmonde.org/2195

Bloch-Lainé, F. (1969). Étude du problème général de l’inadaptation des personnes handicapées. La Documentation française.

Bouquet, B. (2015). L’inclusion : Approche socio-sémantique. Vie sociale (Paris), 11(3), 1525. https://doi.org/10.3917/vsoc.153.0015

Brodiez-Dolino, A. (2015). La vulnérabilité, nouvelle catégorie de l’action publique. Informations sociales, n° 188(2), 1018.

Elias, N., & Scotson, J. L. (1997). Logiques de l’exclusion. Enquête sociologique au coeur des problèmes d’une communauté. Fayard.

Gardou, C. (2012). La société inclusive, parlons-en ! : Il n’y a pas de vie minuscule. Erès.

Hagège, G. (2011, octobre 7). Société inclusive : Un « projet » politique universel. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/10/07/societe-inclusive-un-projet-politique-universel_1583219_3232.html

Laroque, P., Guillemard, A.-M., & Ruellan, R. (2014). Rapport LAROQUE. Editions L’Harmattan.

Luhmann, N., & Sosoe, L. (2011). Systèmes sociaux : Esquisse d’une théorie générale. Presses Université Laval.

Morales La Mura, Raúl. 2008. « Vulnérabilité et dynamiques sociales » (conférence). Journées professionnelles sur le handicap. La Roche-sur-Yon : APF France handicap.

LOI n°71-567 du 15 juillet 1971 portant approbation du VIe plan de développement économique et social (1971-1975).

LOI n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées.

LOI n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

LOI n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement.

LOI n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

LOI n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie.

Crédits

  • Réalisation audiovisuelle et enregistrements : Jonathan Eckly-Marcoux et Adrien Levillain.
  • Post-production vidéo : Jonathan Eckly-Marcoux.
  • Chef de projet multimédia et post-production web : Claude Rochette.
  • Direction de production : Fabienne Granero-Gérard.

Les vidéos ont été réalisées à l'occasion du 6e colloque international du REIACTIS "Société inclusive & avancée en âge" qui s'est tenu à Metz en février 2020. Elles ont été sous-titrées grâce au soutien de l’APF France handicap.

Une ressource pédagogique réalisée avec les moyens techniques de la Sous-Direction des Usages du Numérique de l'Université de Lorraine.

© Université de Lorraine, janvier 2023 - Licence CC-BY-NC-SA