Cimetière

Cimetières militaires de la Grande Guerre

Vivre avec des milliers de cimetières 1914-1918 dans le Nord et l'Est de la France
Dossier

Pourquoi ce thème ?

L'intervenante Anne Biraben, architecte au ministère des Armées, s'intéresse de longue date aux cimetières et monuments aux morts de la Grande Guerre. Avec son ouvrage de 2006, elle a ouvert un champ de travaux sur un sujet méconnu (ses travaux ont été repris par Antoine Prost dans un article de 2011).

Sujet méconnu ? Pas par les natifs et habitants du Nord et de l'Est de la France, qui connaissent bien et vivent dans leur quotidien avec ces si nombreux cimetières ; mais méconnu par une bonne partie de nos autres concitoyens. C'est d'ailleurs une question à se poser, 100 ans après la construction de ces stèles et monuments funéraires : que reste-t-il pour nous des intentions mémorielles qu'avaient leurs concepteurs à l'égard des générations futures ? Aussi ce sujet, même s'il peut paraître austère, méritait d'être traité en profondeur sur notre chaîne cultureGnum.

Il se compose de deux vidéos d'égale longueur (env. 40 mn) : l'une de description générale du sujet, l'autre où l'intervenante rentre plus dans le détail des modèles nationaux de cimetières, français, britannique, allemand, américain — sachant que tous se situent sur le territoire français (est évoqué un cimetière en Belgique, près d'Ypres).

(présentation ci-dessus et libre transcription des vidéos, ci-dessous, par A. Moatti ; nous avons privilégié l'aspect iconographie dans ces vidéos, avec de nombreuses images de cimetières existants, et tous assez différents).

Première vidéo (ci-contre, 39 mn). Le gigantisme des programmes de cimetières répond au gigantisme de la guerre — et commence pendant celle-ci. L’art funéraire a changé d’époque, comme la guerre totale avait fait basculer l’humanité dans une ère complètement nouvelle. Chaque cimetière est différent : un cimetière français ne ressemble pas à un cimetière allemand, et même deux cimetières français entre eux, même s'ils obéissent à certains modèles (voir 2e vidéo), ne se ressemblent pas. Un cimetière globalement français peut aussi contenir un carré allemand ; les Allemands ont été précurseurs dans ces cimetières mixtes (ex. Saint-Quentin, 1916), dès le début de la guerre ...

De nouveaux matériaux (béton, ciment armé) sont mis en œuvre pour les tombes, notamment par les Français. Les Anglais et Américains, plus traditionnels, conservent la pierre noble (pierre de Portland, marbre de Carrare). Dans un cimetière donné, les tombes sont identiques quel que soit le grade, prétendant traduire une égalité dans la mort. Les seules différences sont celles des signes religieux : croix, étoile de David, croissant musulman, stèle libre penseur. 

Il n'y pas que des soldats enterrés. Des infirmières le sont dans les cimetières américains, ou des religieuses. Mais aussi des travailleurs chinois non combattants de l'armée britannique.

A noter que les cimetières allemands restent sous tutelle administrative française jusqu’en 1966 (ce n'est pas le cas des cimetières américains ou britanniques).

Les cimetières sont aussi l'occasion, pendant la guerre, de moments politiques, avec l'inauguration d'un cimetière allemand par l'empereur Guillaume II en zone occupée par ses troupes ; plus tard celle du cimetière anglais d'Etaples (au bord de la mer dans le Pas-de-Calais, face à la Mère-Patrie) par le roi George V, en 1922.

Des architectes réputés participent au programme de cimetières. Pour les cimetières français, on peut citer Auguste Perret (1874-1954). Mais aussi des artistes de renom, pour les monuments, sculptures et infrastructures des cimetières, comme Antoine Bourdelle (1861-1929) ou Paul Landowski (1875-1961). Un architecte français émigré aux Etats-Unis, Paul Cret (1876-1945), est un des contributeurs du programme américain, avec notamment le monument sur les hauteurs de Château-Thierry (Aisne).

Images ci-contre. 1. Vierge à l'enfant, par Antoine Bourdelle (1921), crypte de la nécropole de Hartmannswillerkopf, Haut-Rhin (photo B. Couturier | Inventaire général région Alsace). 2. Monument américain de la cote 204, par Paul Cret, hauteurs de Château-Thierry (Aisne) (photo Frediquessy WikiCommons). 3. Les Fantômes, par Paul Landowski (1935), Oulchy-le-Château (Aisne) (photo Bour-Mazzella, WikiComons). 4. Nécropole nationale Carrefour Duchesne, à Orbey (Haut-Rhin) (photo Anne Biraben). 5. Entrée du cimetière chinois de Nolette à Noyelles (Somme) (photo domaine public WikiCommons).

Vierge Hartmannwillerskopf
Monument_américain_de_Château-Thierry
Les Fantômes (Paul Landowski)
Nécropole nationale Carrefour Duchesne - Orbey, Haut-Rhin,
Cimetière chinois

2e vidéo — Les modèles nationaux

Deuxième vidéo (ci-contre, 44 mn). Description plus fine de chacun des programmes nationaux (F., GB, All. US) de cimetières sur le territoire français.

Les cimetières américains ont été faits par regroupements : ils sont peu nombreux et gigantesques ; image répétée d’alignements, qui semblent infinis, de croix blanches, avec des éléments d'architecture monumentale. Les Britanniques ont conservé les tombes d'origine, limitant les exhumations et les rapatriements dans le Commonwealth ; d'où de très nombreux cimetières, relativement petits, qui parsèment les campagnes du Nord-Pas-de-Calais et de la Somme. Les cimetières allemands se caractérisent par une proximité avec la nature et la forêt, en relation avec les mythologies nordiques ; ils conservent le terrain existant (à l'exact inverse des grands cimetières américains) — et se caractérisent aussi par les tombes et croix en grès rouge (celui des cathédrales de Strasbourg ou de Fribourg, entre autres) ainsi qu'une entrée souvent étroite, comme dans une crypte.

Côté français, sont à signaler, en complément du programme national, des initiatives privées, comme celle de la duchesse d'Estissac (1864-1924), née Rochechouart-Mortemart, à Dormans (Marne).

On a aussi oublié les lanternes des morts, censées veiller sur eux et les rappeler aux générations futures. L'idée était d'illuminer la ligne de front sur toute sa longueur, de la mer du Nord au territoire de Belfort (depuis le Moyen-Âge, la lanterne des morts appartient à l’architecture funéraire traditionnelle). La plus célèbre est celle qui surplombe l'ossuaire de Douaumont (Meuse), près de Verdun.

Images ci-contre. 1. Monument "Der gute Kamerad" au cimetière de Neuville-St-Vaast (Pas-de-Calais) (photo Anne Biraben). 2. Mémorial canadien de Vimy (Pas-de-Calais) (constr. 1923-1936) (photo pinaraf WikiCommons). 3. Bloc statuaire de l'ossuaire de Navarin (Marne), ou monument aux morts des Armées de Champagne (photo François Goglins WikiCommons). 4. Nécropole Notre-Dame de Lorette à Ablain (Pas-de-Calais) (photo Poudou99 WikiCommons). 5. La lanterne de la nécropole nationale de Notre-Dame de Lorette (photo Anne Biraben). 6. Entrée du cimetière allemand (grès rose, entrée étroite) de Ligny-devant-Dun (Meuse) (photo auteur inconnu, site mapio) 7. Cimetière allemand de Veslud (Aisne) — importance de la nature (auteur havang(nl) WikiCommons). 

Stèle Neuville
Vimy
Navarin
ND de Lorette
Lanterne
Ligny
Veslud

Quelques citations

On peut ainsi essayer de se mettre dans l'esprit de ceux qui ont bâti ces monuments entre 1918 et 1935 — il y a à peu près 100 ans —, et de comprendre leurs intentions à l'égard des générations futures, via les messages qu'ils inscrivaient sur ces stèles.

« LE TEMPS NE TERNIRA PAS LA GLOIRE DE LEURS EXPLOITS » (monument américain de Château-Thierry, cote 204)

« Tous vinrent à Verdun comme pour y recevoir je ne sais quelle suprême consécration | Ils semblaient par la Voie Sacrée monter pour un offertoire sans exemple à l’autel le plus redoutable que jamais l’homme eut élevé. » (Paul Valéry 1932, gravé sur le mur du Mémorial de Verdun)