Vidéo pédagogique
Notice
Lieu de réalisation
Paris
Langue :
Français
Crédits
Alexandre MOATTI (Publication), FMSH Production (Production), Régis Boulat (Intervention)
Conditions d'utilisation
cc-by-nc-nd 3.0, avec mention de l'intervenant et cultureGnum – Alexandre Moatti – FMSH /Attribution / pas d’utilisation commerciale / pas de modification / partage dans les mêmes conditions / Diffusion réservée à un usage pédagogique.
DOI : 10.60527/ewzp-d517
Citer cette ressource :
Régis Boulat. cultureGnum. (2017, 10 décembre). Les Trente Glorieuses, 1945-1975. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/ewzp-d517. (Consultée le 15 mai 2024)

Les Trente Glorieuses, 1945-1975

Réalisation : 10 décembre 2017 - Mise en ligne : 13 décembre 2017
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Descriptif

Les Trente Glorieuses, 1945-1975, par Régis Boulat, Maître de conférences à l'Université de Haute-Alsace.

De 1946 à 1975, la France connaît une croissance annuelle d’environ 5% l’an ; ces années de convergence (modulée, nous l’allons voir) avec la croissance et le mode de vie américains sont marquées par une modification radicale de la ville et des campagnes, du rapport à la consommation, des rapports sociaux et familiaux, de la démographie. C’est l’expert et économiste Jean Fourastié(1907-1990) qui invente le chrononyme de « Trente Glorieuses » (sur le modèle, assez lointain dans le temps et dans la portée, des Trois Glorieuses de juillet 1830), dans son ouvrage de 1979 – alors que déjà l’âge d’or s’est éloigné aux yeux de tous : « Ne doit-on pas dire glorieuses les 30années […] qui ont fait passer la France de la vie végétative traditionnelle au niveau de vie aujourd’hui contemporain ? »

Un premier bémol est à poser quant au début de la période : l’embellie ne démarre qu’au milieu des années 1950, il serait plus juste de parler de« Vingt Glorieuses » : le rationnement alimentaire subsiste jusqu’en 1949, et en 1954, en pleine crise du logement, l‘Abbé Pierre lance son fameux appel. L’état du pays au sortir de la guerre n’était guère brillant. Si les pertes humaines sont moins importantes pendant la Seconde Guerre mondiale que la Première, il n’en est pas de même des dommages matériels : 1 million d’immeubles détruits, un réseau ferré en grande partie inutilisable, de graves pénuries d’électricité et d’énergie en général, les productions industrielle et agricole au plus bas. Face à l’ampleur de la situation, les pouvoirs publics mettent en œuvre un dirigisme accru (qui était apparu après 1918, mais va croître) : selon les mots de P.Rosanvallon, « l’économie cesse d’être considérée comme un donné, pour être appréhendée comme un construit » – la croissance, le pouvoir d’achat ne sont plus des résultats et des soldes, mais deviennent des objectifs. Il s’agit aussi de mettre en place une démocratie sociale (« l’État-providence »):création de la Sécurité Sociale (1945), du SMIG salaire minimum interprofessionnel garanti (1950).

Le dirigisme se traduit aussi par l’apparition de la planification, avec le Commissariat du Plan (1946), confié à Jean Monnet. Ce « Club des Optimistes » rassemble des experts comme Paul Delouvrier, le polytechnicien Alfred Sauvy, et bien sûr Jean Fourastié. Ce dernier s’est distingué comme expert en matière d’assurances, ainsi qu’en matière de comptabilité nationale. En 1945, son ‘Que sais-je ?’, consacré à L’Économie française dans le monde, consacre la notion de productivité comme mesure du« progrès » ; à la suite de son voyage aux USA (non touchés par les dommages, et en course vers l’abondance), Fourastié popularise les notions de l’économiste Colin Clark (1905-1989), sur les secteurs primaire, secondaire, tertiaire.

Les années 1944-1947 ne se traduisent pas, comme on l’a dit, par un« redécollage » des pays européens : au contraire, les pénuries perdurent, les importations creusent les balances des paiements et mettent en danger les équilibres des monnaies ; ce qui amène les USA à intervenir, pour préserver cet équilibre. L’European Recovery Program (rapidement désigné Plan Marshall, et constitué à 80% de subventions) est lancé, courant de 1948 à 1952. L’OECE (Organisation européenne de coopération économique) est créée en avril 1948 par les Européens pour coordonner ce plan, et éviter les discussions bilatérales entre chaque pays et les USA. 12 milliards de dollars percolent sur l’Europe, au bénéfice du Royaume-Uni (25%), de la France (21%),de l’Italie (12%). L’objectif des Américains est à la fois économique (rétablir un grand marché de consommation, éviter des déflations abruptes) et politique (contrer la menace soviétique en Europe de l’Ouest). La France est l’objet d’une attention particulière, à cause du poids de son syndicalisme (CGT) mais aussi à cause d’une certaine vision « malthusienne » du patronat familial français (l’entreprise est plus un objet de patrimoine que de croissance, commele décrit le jeune historien américain David Landes en 1949).

Enfin, autre point caractéristique de la période : la démographie, avec le fameux baby-boom. Le taux de fécondité dépasse 2,6% sur les trente années concernées : la population française augmente de 13 millions d’habitants de 1946 à 1976. Avec un niveau d’éducation qui augmente : le taux de scolarisation à 18 ans passe de 17% en 1957 à 54% en 1975.

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Mais qui était Fourastié, comme archétype de ces « modernisateurs planificateurs » ? C’est d’abord un expert (par exemple : membre de la délégation française à l’OECE) ; mais c’est aussi un vulgarisateur – il inaugure le genre de l’essai économique à destination du grand public (avec son ouvrage Le Grand Espoir du xxe siècle. Progrès technique, progrès économique, progrès social, PUF, 1949).Dans le ‘Que sais-je ?’ Les Arts ménagers (1950), co-écrit avec sa femme, il vante la productivité en cours du travail domestique, et les possibilités d’épanouissement intellectuel et culturel que cet accroissement procure. Expert, vulgarisateur : Fourastié est aussi enseignant, à SciencesPo, à l’ENA, à l’EPHE, et succède en 1964 à François Divisia à la chaire d’Économie et statistique industrielle du CNAM, où il dispense depuis 1941 un cours d’histoire économique des assurances. Dans ces différents postes, il contribue à former les« élites » de la nation, en leur faisant valoir l’importance de la notion de productivité. Notion très en vogue mais aussi très polysémique, qui devient quasi synonyme de croissance, et quasi-même un état d’esprit.

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Poursuivons suite à l’immédiat après-guerre. Les années 1950 voient une forte croissance de la sidérurgie et du bâtiment (construction de logements nouveaux), ainsi que du secteur agricole (le nombre de tracteurs triple entre 1950 et 1957), sachant que la productivité agricole libère de la main d’œuvre pour les autres secteurs. Un ouvrage (H. Mendras, La Fin des paysans, 1967), au titre provocateur, décrit les augmentations de taille des exploitations, la mécanisation (fondée sur l’endettement…) ; le monde agricole passe de 7 millions d’actifs en 1945 à 2 millions en 1975. Quant aux années 1960, elles voient une augmentation de la croissance, qui atteint d’autres secteurs ; s’y amorce toutefois une forme de désindustrialisation(textile, mines, sidérurgie), qui passe inaperçue compte tenu de l’expansion d‘autres secteurs, demandeurs de main d’œuvre.

Diverses mutations sociales ont lieu : la multiplication des emplois ouvriers non qualifiés (OS, notamment : femmes, immigrés), mais aussi, corrélativement, celle des emplois ouvriers qualifiés, permettant de parler d’une« nouvelle classe ouvrière », qui se rapproche de la classe moyenne et se fond dans une société de consommation indifférenciée. Apparaît aussi, avec l’augmentation du tertiaire (35% en 1946, 50% en 1975), l’essor des cadres : la catégorie « cadres et agents de maîtrise » passe de75 000 p. en 1955 à 255 000 en 1975.

La construction bat son plein, avec le déficit de logements (manquent 4 millions de logements en 1946), et la demande créée par l’exode rural, les rapatriés, puis l’immigration. Les grands ensembles, qui apparaissent aujourd’hui comme un modèle de développement catastrophique, ne sont pas perçus ainsi à l’époque : ils permettent une amélioration très sensible de la salubrité, avec eau courante, toilettes dans l’appartement, chauffage central (en 1954,86% des logements étaient sans douche ni baignoire).

La hausse des revenus pour de nombreuses catégories de population fait entrer la France dans la société de consommation (ce que moquent à l’époque la chanson La Complainte du Progrès, de B. Vian,1956, « Un frigidaire | Un joli scooter | Un atomixer », ou le roman de G. Perec, Les Choses, 1965).Ainsi, la part des dépenses strictement alimentaires dans le budget des ménages chute-t-elle de 40% en 1954 à 25% en 1974. C’est aussi l’appareil de distribution qui se transforme com plètement, dans une inspiration à nouveau états-unienne: en 1949 E. Leclerc crée son premier magasin discount à Landernau, en 1963 les familles Defforey et Fournier (Carrefour) ouvrent le plus grand hypermarché à Sainte-Geneviève-des-Bois (Seine-et-Oise). Cette découverte de l’abondance vade pair avec un endettement croisant (essor des sociétés de crédit comme Sofinco, créé par la Fédération de l’ameublement en 1951, ou Cetelem, Crédit à l’équipement électroménager, créé en 1953), ainsi qu’avec une bancarisation de la population (en 1972, 66% des ménages possèdent un compte bancaire, contre18% en 1966).

La mutation culturelle va se faire progressivement dans la période. Malgré la croissance et l’abondance, les valeurs de la première partie de la période étaient héritées de la IIIe République (endurance, prévoyance, tempérance) ; elles font place progressivement à celles de la société de consommation, dans un tournant qu’on peut dater vers 1965 (et qui explosera lors du mouvement de Mai 68). Hors les critiques déjà mentionnées (Vian, Perec), citons le cinéaste Jacques Tati, qui dans ses films décrit un humanisme villageois bien français, face à l’envahissement de la bureaucratie et de la modernité. Aussi, à une critique marxiste du modèle, s’ajoute une critique en provenance des chrétiens de gauche : ainsi c’est J.-M. Domenach qui invente, dans la revue Esprit, le terme « société de consommation », repris en 1971 par le sociologue Jean Baudrillard.

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Finalement, le « miracle » de ces plutôt 20 Glorieuses (1955-1975) prend fin au milieu des années 1970, avec le premier choc pétrolier et la fin du système de change fixe, hérité de Bretton Woods (1944), système qui favorisait la croissance en limitant la concurrence entre pays. Pour les Européens au milieu des années 1970, ce sont à la fois le coût de l’énergie et celui du dollar qui vont augmenter.

Rappelons aussi que certains historiens contemporains (Une Autre Histoire des Trente Glorieuses, La Découverte, 2013) ont analysé à raison la période comme étant d’une empreinte environnementale majeure (pétrole, automobile, construction, etc.). Elle correspondit à une véritable « pétrolisation » de l’économie, avec la pollution (air, eau) y afférant, et l’envolée des déchets, aussi bien domestiques qu’industriels (déchets plus toxiques, moins biodégradables – le nucléaire faisant partie de ces derniers).

 

(résumé de l'intervention vidéo cultureGnum de Régis Boulat réalisé par Alexandre Moatti, mai 2018)

 

 

 

 

 

Intervention