Romain Rolland, un utopiste du XXe siècle ?
Venu d’une famille bourgeoise de Clamecy (Nièvre), Romain Rolland (1866-1944) suit le chemin de la méritocratie d’alors : il fait ses études à Louis-le-Grand (avec Paul Claudel, dont il restera ami sa vie durant), puis à l’École normale supérieure – comme un peu plus tôt Jean Jaurès (né en 1859), comme Péguy (né en 1873) ou Léon Blum (né en 1872), tous deux un peu plus tard.
(ci-contre notre vidéo de 35 mn, de Claire Basquin, « Romain Rolland, une morale en action »)
Prix Nobel de littérature 1915
Rolland soutient une des premières thèses françaises en musicologie, en 1895. Très lié à Péguy à ses débuts, il publiera une « Vie de Beethoven » dans les Cahiers de la Quinzaine en 1903 ; cette étude, par la suite augmentée, est constamment rééditée depuis.
Dans ces mêmes Cahiers, paraît en feuilleton à partir de 1904 Jean-Christophe (lui aussi souvent réédité). C’est un roman-fleuve – terme dont la définition est polysémique : grande longueur avec épisodes (il y aura beaucoup de tels romans entre 1900 et 1940, comme Les Thibault de Martin du Gard, ou la Chronique des Pasquier de Duhamel) ; ou roman lié à un fleuve (voire, selon Larousse, un roman qui comme un fleuve avance soit lentement, soit rapidement). Jean-Christophe cumule les deux sens, puisqu’il est constitué de dix tomes et se déroule le long du Rhin. Il célèbre l’amitié franco-allemande, à travers deux jeunes. Dès 1912, on en trouve des extraits dans des manuels scolaires – et en 1932, un manuel de lecture dédié est adapté de Jean-Christophe.
Le succès de ses écrits lui permet de démissionner de son poste d’enseignant en 1912 – il reçoit le prix Nobel de littérature en 1915. En 1919, il publie un roman picaresque se déroulant dans sa ville natale, Colas Breugnon – dans la tradition ouverte par Claude Tillier en 1843 avec Mon oncle Benjamin, qui se déroule aussi à Clamecy.
Une autorité morale particulièrement respectée
Rolland avait entretemps pris parti avec vigueur contre la Première Guerre mondiale, avec son « Au-Dessus de la mêlée » publié en septembre 1914 dans le Journal de Genève. Son pacifisme, parfois mal interprété, lui vaudra de nombreux ennemis en France.
Déçu et profondément attristé par l’Europe belligérante, il s’installe en Suisse et s’intéresse à l’Orient : il publie un livre sur Gandhi en 1924 et le reçoit chez lui en Suisse en 1931.
L’intervenante fait remarquer avec justesse que Rolland, notamment pour ces raisons liées à la guerre, frayait très peu avec le pouvoir politique (on ne trouvera guère de photos de Rolland avec Briand) : son public préféré, ce sont les instituteurs du primaire, les professeurs du secondaire, et ses lecteurs. S’il est intellectuel engagé, il ne l’est pas dans la politique active.
Il est néanmoins sympathisant du communisme soviétique – ce qui lui vaudra là aussi de nombreux ennemis, et des accusations de « compagnon de route ». Il s’en détachera progressivement à partir de 1936-1937. En 1938, il n’est plus pacifiste : il se prononce contre les accords de Munich.
Son 70e anniversaire est célébré en 1936 au Palais de la Mutualité à Paris, en présence de nombreux autres intellectuels).
Retour en Bourgogne
En 1937, à la fin de sa vie, il se réinstalle en son pays natal, dans le beau village de Vézelay (Yonne).
Son Journal de Vézelay (posthume, 2012) est une remarquable photographie de la vie sous l’Occupation, avec toutes les turpitudes ou solidarités qui pouvaient se connaître. Il y raconte aussi que des officiers allemands venaient lui faire signer son Colas Breugnon traduit …
Le dernier ouvrage auquel travaille Rolland avant sa mort toute fin 1944 est son Péguy, étude très fouillée en deux tomes.
L’exposition que lui a consacrée le musée national de l’Éducation à Rouen en 2023, dont notre intervenante était commissaire, a porté l’accent sur son rapport essentiel au monde enseignant et à la jeunesse. Elle était sous-titrée « Vers la paix, par l’intelligence et l’amour » : beau slogan d’une utopie du 20e siècle, telle que Romain Rolland l’a ardemment portée.
(texte ci-dessus A. Moatti, à partir d'une libre transcription de la vidéo de C. Basquin)
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