Conférence
Notice
Lieu de réalisation
Ecole polytechnique, Palaiseau, 14 janvier 2009
Langue :
Français
Crédits
Alexandre MOATTI (Publication), Albert Messiah (Intervention)
Conditions d'utilisation
Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/xrz4-cd63
Citer cette ressource :
Albert Messiah. cultureGnum. (2009, 14 janvier). Albert Messiah (1921-2013) dans la France Libre, de Dakar à Berchtesgaden. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/xrz4-cd63. (Consultée le 19 mars 2024)

Albert Messiah (1921-2013) dans la France Libre, de Dakar à Berchtesgaden

Réalisation : 14 janvier 2009 - Mise en ligne : 26 février 2019
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Descriptif

(intervention de M. Bernard Esambert, président d'X-Résistance, lors de cette conférence tenue à l'Ecole polytechnique deavnt les élèves, le 14 janvier 2009)

Albert Messiah s'est engagé avec son frère André (X40 comme lui, décédé en 2006) dans la France Libre dès juin 1940. Quelques mois après la Libération, en 1946, Albert Messiah poursuit sa formation scientifique à Princeton (Institute for Advanced Studies) en participant au séminaire donné par Niels Bohr (il y rencontrera Einstein qui y assistait parfois). Grâce à cela, il sera le premier à introduire un enseignement valable de mécanique quantique en France au début des années 1950, à l'université d'Orsay. Parallèlement à ses activités d'enseignement, il travaille au CEA nouvellement créé, où avec Claude Bloch (X-Mines 1942, décédé en 1971) il participe au nouveau service de physique théorique. A. Messiah est l'auteur d'un manuel de mécanique quantique (Dunod 1964) constamment réédité et qui a formé de nombreux physiciens actuels (dont plusieurs prix Nobel). Résistant, grand physicien, un des pionniers du nucléaire en France, enseignant de grande valeur, nous vous remercions, Albert Messiah, d’avoir accepté d’apporter votre témoignage ce jour.

 

Albert Messiah, à dr., 2007 (coll. priv.) [à g. Robert Saunal, X-Mines, portant sa croix de Compagnon de la Libération]

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(transcription par l'association X-Résistance de l'intervention d'Albert Messiah à l'Ecole polytechnique le 14 janvier 2009)

Je voudrais vous parler pour commencer des circonstances de mon engagement dans la France libre. En fait, je n'ai pas entendu l'appel du général de Gaulle. C'est un peu comme si je l'avais entendu, parce que le général de Gaulle était une personne que, dans mon milieu, on avait connue, d'une certaine façon. A cette époque-là, par suite de circonstances un petit peu compliquées, nous nous trouvions mon frère, un camarade et moi dans le sud-ouest de la France, à Saint-Jean de Luz, et ce qui nous a vraiment décidés à nous engager, c'est le discours d'une stupidité effroyable du Maréchal Pétain expliquant, cet imbécile, que, « entre soldats et dans l'honneur, il fallait cesser le combat, etc. etc. ». Ce qui m'a toujours étonné, c'est qu'on a l'impression que le sentiment de cette stupidité n'était pas tellement partagé à l'époque. Il faut dire que nous n'avions aucune occasion de faire une enquête d'opinion publique, chacun vivait isolé ce drame épouvantable qu'étaient la débâcle, la défaite de la France, àlaquelle curieusement, si je me remémore mes sentiments de l'époque, eh bien, nous ne croyions pas. Après tout ce n'était pas si bête. Nous étions convaincus qu'il se passait quelque chose d'analogue à la guerre de 14-18, mais au lieu de la bataille de la Marne, il y aurait une bataille qui se situerait plus au sud, nous ne savions pas où, mais certainement hors de France. Etonnamment, mon frère, mon camarade qui malheureusement est mort à Bir-Hakeim, et moi-même n'arrivions pas à croire à la défaite. C'était comme ça, on n'y croyait pas. La chance a voulu que nous réussissions à embarquer sur un bateau polonais qui s'appelait le Batory. Il y avait deux bateaux polonais, des paquebots qui faisaient les lignes dites impériales, et qui partaient d'un port proche de Dantzig et filaient vers les Etats-Unis en temps de paix. Ces deux paquebots s'étaient rendus là parce qu'il y avait des troupes polonaises dans les contingents de l'ensemble militaire français de l'époque sur ce front, qui se repliaient dans cette région afin d'embarquer sur ces bateaux. C'est donc comme ça que notre engagement dans la France Libre s'est fait.

Question : Est-ce que vous connaissiez le général de Gaulle ? Pouvez-vous être plus précis sur cette connaissance, comment l'avez-vous connu ?

Il faut dire qu'à cette époque qu'on appelait la drôle de guerre puisque la guerre avait commencé en 1939, et les gens de notre génération pensaient qu'ils avaient toutes les chances d'être incorporés dans les troupes et engagés dans les combats. Or naturellement les jeunes gens de notre âge s'intéressaient plutôt à l'évolution de l'armée, contrairement au Maréchal Pétain d'ailleurs, et les doctrines de De Gaulle ne nous étaient pas inconnues. Cela s'explique par le fait qu'au cours des évènements qui ont précédé la chute de la France, de Gaulle était entré au gouvernement Reynaud si vous vous souvenez bien.

Question : Vous avez dit que vous avez été élève de l'Ecole polytechnique. Je voudrais savoir quelle a été la politique de l'Ecole pendant la guerre et au début de la guerre plus particulièrement ?

Je n'ai pas du tout connu cette politique personnellement puisque j'ai été engagé dans la France Libre au tout début. Le ralliement à de Gaulle pour pouvoir continuer la guerre aux côtés de l'Angleterre a démarré relativement bien, par le premier acte absolument extraordinaire qui a été la décision du gouverneur du Tchad Félix Eboué de rallier le Tchad. Il faut savoir que Félix Eboué était un Martiniquais tout à fait noir. Ce ralliement a eu dès le début une grande importance militaire. Pourquoi ? Il y a eu la débâcle, l'Angleterre tenait le coup, elle avait encore des possessions, notamment en Egypte. Pour pouvoir les défendre, il fallait avoir la possibilité d'obtenir des armes et surtout des avions. Or, les avions de chasse de l'époque étaient d'une portée très limitée, de l'ordre de 200 km, et par conséquent, tant que le ralliement du Tchad n'avait pas eu lieu, il fallait pour pouvoir alimenter en avions de chasse la région de l'Egypte passer par le cap de Bonne-Espérance, ce qui représentait un détour extrêmement long. A partir du moment où le Tchad s'est rallié, il a été possible d'imaginer que les avions viennent en pièces détachées par l'Atlantique jusqu'au golfe du Bénin, que là ils soient montés et qu'ensuite ils pourraient, par sauts de puce, rejoindre le Tchad puis le sud anglo-égyptien, puis ensuite remonter sur le Caire. Cette possibilité était un atout stratégique puisqu'elle permettait un gain de temps absolument considérable. L'extrême importance de la décision de Félix Eboué est une chose relativement mal connue.

Question : J'aurais voulu revenir sur la problématique de l'utilisation d'armes blindées par l'armée française. On a vu au début du spectacle le peu d'intérêt qu'avait l'état-major pour l'utilisation des blindés. Avez-vous une explication sur ce manque d'intérêt alors que l'arme blindée avait déjà été utilisée à la fin de la première guerre mondiale. Pourquoi y avait-il un tel contraste entre l'armée allemande et l'armée française ?

Tout simplement parce que le commandement militaire français était un peu nul, c'est tout. Vous savez, c'est beaucoup plus facile d'être nul que d'être intelligent, en général. Ceux qui sont entrés dans la vie apprennent ça très vite. La médiocrité est une chose qui finalement est relativement répandue. Il arrive des circonstances qui sont telles que les médiocres sont, j'allais dire au pouvoir, ce n'est pas tout à fait le pouvoir. Ce qui m'a toujours beaucoup amusé, c'est ce que disaient les marxistes sur le sens de l'histoire. Vous savez que la grande théorie marxiste, c'est qu'il faut bien comprendre le sens de l'histoire pour éventuellement la maîtriser. Qu'est-ce que c'est que le sens de l'histoire ? C'est que la plupart des gens ont des opinions qui correspondent à celles qui sont secrétées par leur milieu, mais si vous réfléchissez trente secondes vous vous apercevrez assez vite que, si cette théorie est exacte, la majorité des gens réagissent en fonction de leur milieu et ne discutent pas les préjugés du milieu en question. Ces gens-là ne font pas l'histoire. Pourquoi ne la font-ils pas ? Parce que l'histoire justement est faite par les gens qui se démarquent de ça, des gens qui réfléchissent et qui éventuellement prennent des risques, c'est ce qui a donné la Résistance d'ailleurs, des gens qui prennent des risques mais qui ne vont pas dans le sens de l'histoire. Je ne suis pas tout à fait sûr d'avoir été clair.

Question : Avez-vous participé à la formation de la 2e DB?

Je n'ai pas participé à la formation de la 2e DB, j'y ai été affecté tout à fait vers la fin de la guerre. On peut parler de ma trajectoire militaire de façon très rapide. Nous arrivons en Angleterre, le ralliement à la France Libre d'un certain nombre de colonies de l'Afrique équatoriale française a déjà eu lieu. A ces endroits-là, il s'est trouvé des gens pour comploter un petit peu, pour mettre en taule les gens qu'il fallait mettre en taule et récupérer ceux qu'il ne fallait pas mettre en taule. Le problème pour le camp allié, c'était d'arriver à obtenir le ralliement de la totalité des possessions africaines et essentiellement l'Afrique occidentale, c'est-à-dire Dakar. Il y a eu effectivement des plans dans ce sens, c'est ce qui a donné naissance à l'expédition de Dakar (septembre 1940), où, avec l'appui d'une flotte anglaise et des complots agissant à l'intérieur de la région de Dakar, il aurait dû y avoir une espèce de coup d'Etat qui permettrait ce ralliement. Les troupes françaises de l'époque étaient extrêmement peu nombreuses, il y avait essentiellement une demi-brigade de Légion étrangère qui était rapatriée de Narvik et qui s'était trouvée en Angleterre au moment de la débâcle, c'étaient les seules troupes aguerries qui existaient. La flotte française existait encore, dont une partie était passée un peu par surprise par le détroit de Gibraltar pour rejoindre Dakar. Il y avait en particulier le Richelieu, autant que je me souvienne, qui était l'unité la plus importante qui se trouvait à Dakar.

J'ai eu une trajectoire un peu curieuse en ce sens que j'ai fait partie avec de Gaulle de l'expédition de Dakar qui a échoué. Après ça, les Français libres ont commencé à s'organiser pour plus tard, ils ont ouvert des écoles d'élèves-officiers en Angleterre où toutes les armes étaient représentées. On a décidé de faire aussi une école d'élèves officiers à Brazzaville en Afrique équatoriale mais on ne pouvait pas faire toutes les armes, on n'en a fait qu'une, c'était l'infanterie de marine ou l'infanterie coloniale, c'est à dire les biffins. J'étais un gamin un peu stupide à l'époque et j'avais les préjugés que l'on a à 20 ans si l'on a pas l'occasion d'abandonner ces préjugés, et pour moi le fait de devenir fantassin était quelque chose de très très choquant. J'étais un homme des armes savantes et par conséquent je voulais être soit artilleur, soit dans le génie. J'ai donc fait des pieds et des mains pour essayer de me faire affecter dans des endroits où je risquais de redevenir artilleur, et comme je ne suis pas un fin politique, je le sais maintenant mais je ne le savais pas à l'époque, j'étais tellement maladroit que j'ai été constamment affecté à des unités du territoire et pas du tout à des unités destinées à combattre.

C'est une longue histoire pour vous dire que début 1944, je me trouvais encore en Afrique noire, alors que la guerre évoluait vers un front européen. Le débarquement en Provence a eu lieu en août, je me suis trouvé vers novembre 1944 dans une unité qui a été débarquée dans la région Provence-Côte d'Azur. A ce moment-là, j'ai fait un geste finalement fructueux. Le gouvernement provisoire français avait établi une Assemblée consultative, dont certains membres étaient chargés d'une certaine catégorie de population, en particulier il y avait un colonel qui se trouvait être le correspondant des Français libres à l'Assemblée consultative. Je lui ai écrit une lettre pour lui expliquer ma situation, la campagne d'Allemagne était en train de commencer, je trouvais un peu fort de café de me trouver si loin des unités combattantes, et je lui ai demandé de faire en sorte d'obtenir que je puisse y être affecté.

Finalement, à la suite de péripéties dont je passe les détails, j'ai été affecté à la 2e DB. J'étais dans la région Provence-Côte d'Azur, et j'ai pu rejoindre ses dépôts qui étaient à Saint Germain-en-Laye à côté de Paris. J'y suis arrivé à la fin de l'hiver 1944. Strasbourg avait été libérée, il y avait eu une forte réaction et des combats très durs qui ont failli faire que Strasbourg soit à nouveau cédée ; on a défendu Strasbourg bec et ongles, j'ai fini par être envoyé sur le front d'Alsace. Quand j'y suis arrivé, les combats étaient complètement terminés. Après des péripéties sur lesquelles je passe, la 2e DB a été retirée dans le centre de la France je ne sais pas pour quelle raison, et finalement, Leclerc a obtenu qu'elle participe à la campagne d'Allemagne, et je l'ai rejointe au sud de Munich. A l'époque, la mission qui était donnée par le haut commandement allié était de prendre possession de la région de Berchtesgaden, où se trouvait la résidence d'été du gouvernement nazi. Sur le Nid d'aigle (repaire de Hitler), on a raconté tout un tas de salades qu'il ne faut pas prendre très au sérieux, le Nid d'aigle est une source de malentendus. Cette région qui porte le nom d'Obersalzberg est faite d'une grande vallée glaciaire en forme de U, il y a tout en bas du U un petit village avec un torrent qui passe là. La mission concernait 2 divisions blindées.

Il y avait la 2e DB et une division américaine dirigée par un général ayant un peu le même tempérament que Leclerc. Pour commander une division blindée, il faut avoir le même tempérament que Leclerc. Je dois dire que Leclerc avait une très grande estime pour le commandement américain. Dans une division blindée en opération il y a ce qu'on appelle des groupements tactiques, qui sont au nombre de trois. Dans le groupement tactique, il y a toutes les armes, des chars, de l'artillerie autoportée et des éléments d'infanterie destinés à terminer le travail et à occuper le terrain. Il y avait dans chaque groupement tactique une section d'infanterie, sur 4 autochenilles, et j'étais le chef d'une section d'autochenilles. Il y avait donc six groupements tactiques et une chance sur six pour que ce soit le mien qui arrive le premier à Berchtesgaden. C'est ce qui est arrivé, et le plus rigolo dans cette histoire, c'est pour ça que je pense que si Dieu existe il a beaucoup d'humour, cette section d'infanterie était commandée par ma pomme, mon illustre pomme, et plus juif que moi tu meurs. Je suis ashkénaze par ma mère, séfarade par mon grand-père paternel, un bon séfarade, un pur sucre, qui a été bien chassé d'Espagne par la reine Isabelle, et pour clore le tout, ma grand-mère est descendante des juifs du Pape qui se trouvaient dans le Comtat Venaissin. Autrement dit, le malheureux Hitler a eu la malchance de voir son repaire occupé par un Juif.

 

Quelques liens: 

* la page Wikipédia consacrée à Albert Messiah.

* hommage à Albert Messiah dans La Jaune et la Rouge, n° 686, juin-juillet 2013 (ainsi que dans Annales des Mines, 2013/2, mai 2013)

* hommage à Albert Messiah dans Le Monde, 30 avril 2013.

* cérémonie du 17 octobre 2012 de remise de la cravate de Commandeur de la Légion d'Honneur à A. Messiah, Ecole des mines de Paris.

 

Intervention