Notice
En finir avec les bidonvilles
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Descriptif
Ce film documentaire, réalisé par Jeanne Menjoulet (Centre d'Histoire Sociale UMR 8058), s'appuie sur les contributions suivantes :
— l'intervenante principale est Marie-Claude Blanc-Chaléard, professeur émérite à l'Université Paris-Ouest-Nanterre, autour de son ouvrage En Finir avec les Bidonvilles : immigration et politique du logement dans la France des Trente Glorieuses, Presses de la Sorbonne, 2016 ;
— des extraits du film de Marcel Trillat et Frederic Variot, Etranges étrangers (1970) [voir aussi Marcel Trillat (1940-2020, Portrait par Tangui Perron et Philippe Troyon, 2008, 45 mn, viméo];
— la photographe, militante et intellectuelle Monique Hervo, présente dans le bidonville de la Folie à Nanterre de 1959 à 1972, auteur de nombreux ouvrages abordant la question des bidonvilles et de l'immigration algérienne ;
— des photographies de Jean Pottier, Claude Dityvon, Walter Weiss, Marcelle Vallet, du courant photographique humaniste.
(remerciements aussi aux archives ATD-Quart Monde, à la BDIC, aux archives départementales de Seine-Saint-Denis, aux archives de la ville de Champigny et aux archives de la ville de Villetaneuse pour l'accès à leurs archives photographiques et de presse)
(ci-après article de synthèse de la vidéo réalisé par Alexandre Moatti, décembre 2020)
On s’attache ici au divers « moments bidonville » de l’histoire des Trente Glorieuses dans la région parisienne, en lien avec les politiques publiques d’immigration – ce sont principalement les immigrés qui logaient dans les bidonvilles.
Le terme bidonvilleest alors neuf dans l’espace métropolitain : il désignait auparavantl’habitat "sauvage" dans les colonies, aux lisières de Casablanca, d'Alger – il est importé avec les immigrés à partir de 1950. Il y a cependant aussi une longue histoiredu mal-logement populaire en France, comme « La Zone » autourde Paris, dès le 19e siècle. La différence étant qu’auparavantc’étaient quasi-uniquement des Français qui habitaient « la Zone »,et qu’à partir de 1950 ce sont les immigrés qui peuplent les bidonvilles. En1965, il y a 70 000 habitants en bidonville en France, dont 40 000 enrégion parisienne – 10 000 à Nanterre, 15 000 à Champigny (aussiGerland à Lyon).
L’autre élémentnouveau, c’est une politique publique volontariste en la matière, quin’existait pas avant-guerre et se manifeste surtout à partir de la VeRépublique. Deux politiques publiques vont converger, celle de la résorptiondes bidonvilles des périphéries, et celle de la résorption des taudis dans lesvilles (le taudis se distingue du bidonville car il constitue une propriétélégale, même si délabrée ; le bidonville est hors propriété, dansl’illégalité).
(archives Monique Hervo BDIC Nanterre)
La première phaseest la phase« algérienne », notamment celle de résorption du bidonville de Nanterre ; à partir des émeutes algériennes de 1954, lespouvoirs publics français ont l’intention d’améliorer le sort des Algériens enFrance – pour juguler les progrès du FLN. C’est la création de la SONACOTRAL (Sociéténationale de construction de logements pour les travailleurs algériens ;devenue par la suite SONACOTRA,puis ADOMA en 2007). Mais c’est surtout en 1958 que cette politique publiqueprend de l’ampleur, avec une Délégation ministérielle au logement social desAlgériens, dirigée par l’énarque Michel Massenet. Descentres de transit (favorisant « l’adaptation » des immigrés defraiche date) et des HLM sont construits par la SONACOTRAL (comme les Caniboutsà Nanterre) – mais nombre de Français seraient eux aussi vivement intéressés parêtre logés dans des HLM, à l’époque nettement plus modernes que l’habitattraditionnel ! De fait, des quotas sont imposés par grand ensemble :pas plus de 15% d’Algériens…
Pendant la guerred’Algérie, la surveillance policière reste forte ; de nombreuxmanifestants du 17 octobre 1961 viennent du bidonville de Nanterre. Notonsqu’à Nanterre, il y a 3000 Algériens en 1955, 8000 en 1965 : il n’y a pasencore résorption à cette date.
(archives MoniqueHervo BDIC Nanterre)
A partir del’Indépendance (1962), il existe une tendance publique à remplacer un flux parun autre : c’est la 2e phase, avec l’arrivée des Portugais ;ils sont 20 000 en 1954, et 300 000 en 1968 (400 000 en 1975).C’est un afflux brutal, y compris dans des bidonvilles – par exemple àSaint-Denis.
A partir dedécembre 1964, la loi Debré ouvre de nouveaux crédits FAS (Fonds d’ActionSociale) pour la résorption, avec la construction de nouveaux foyers. Parrapport à la décennie précédente, la médiatisation est plus grande, ainsi quela mobilisation citoyenne : apparaissent des associations de soutien,notamment d’origine « chrétienne de gauche », menant des actions deprotestation, de coopération avec les autorités, de soutien.
L’ASTI(Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés) fait installer des boîtesaux lettres (photo Walter Weiss).
La politisationautour du sujet s’accentue avec Mai 68 ; des militants maoïstes prennentla parole depuis les bidonvilles, dénonçant aussi les municipalités communistes(Aubervilliers, Nanterre,…) ; mais la politisation joue dans les deuxsens, avec aussi l’augmentation du racisme.
Les municipalitéscommunistes étaient nombreuses autour de Paris (la « banlieuerouge »), et en première ligne sur le sujet. Mais autant dans les années1930, elles soutiennent les immigrés espagnols et italiens dans leurs communes(y voyant des électeurs potentiels), autant à partir de 1965, le langage n’estplus le même : « Mes administrés français me disent que ce n’est pas normalqu’on accueille tant d’étrangers, et que notre commune se transforme en “ghetto” au profit du patronat et des “pays exportateurs de main d’œuvre” », dit le maire PCF d’Aubervilliers André Karmanen 1970 (« on n’a pas à faire les frais de la politique d’immigration del’État »). Certaines municipalités communistes (Argenteuil) refusentd’inscrire les enfants d’immigrés dans leurs écoles.
A partir de 1970(Chaban), c’est l’accélération des politiques de résorption, notamment à lasuite du drame d’Aubervilliers (1er décembre 1970), où 5travailleurs immigrés périssent dans l’éboulement de leur logement. Ce quiamène au slogan du Premier Ministre Chaban-Delmasen 1970, « En finir avec les bidonvilles ».
(vidéo ORTF/INA juin 1971)
En 2-3 ans, la conjonctionde la résorption des taudis et de celle des bidonvilles s’opère, avec la loiVivien de juillet 1970 (le dernier bidonville, supprimé en 1976, est celui dela Digue des Français à Nice). C’est la politique de RHI – résorption del’habitat insalubre – avec de nombreux moyens financiers, et une demande derésultats aux préfets. Signalons notamment la « réservationpréfectorale », qui permet aux préfets de préempter des vacances delogements, en faveur des habitants à reloger.
Groupe interministériel permanent pour la résoprtion de l’habitat insalubre, Bulletin n°1, juin 1971.Il était dirigé par le directeur de la Construction Robert Lion (futur directeur de cabinet du Premier Ministre Mauroy dix ans plus tard, en 1981)
Tout n’est pasrose pour autant : des résistances au relogement existent (p.ex. unPortugais peut ne pas avoir envie de dépenser son salaire dans un loyer d’HLM,car il souhaite accumuler pour revenir au plus vite au pays) ; parailleurs les circulaires Marcellin-Fontanet de 1973 mettent de l’huile sur lefeu, créant un statut qui rend illégaux de nombreux immigrés existants ;enfin, la rémanence de « cités de transit », en province notamment,appuyées sur une volonté « d’adaptation » ou de « transitéducatif », montrent les limites du logement normal pour tous.
On peut cependantconsidérer que le terme bidonville disparaît au mitan des années 1970. Ilréapparaît peut-être pour la première fois en 2003, avec les premiers incendiesdans des campements roms à Lyon. À noter aussi l’apparition du« bidonville » de Calais.
C’est depuis ledébut du siècle une 3e phase de flux migratoires actifs, qui seconjugue à nouveau avec une crise du logement, comme dans les années 1960 (elles’était résorbée entretemps). La différence importante avec les années 1950-60est que les immigrés de 1e et 2e phase avaient un travailet des revenus – ce n’est pas le cas en général des immigrés Roms en campement,de nos jours.
Il était utile demettre ainsi en perspective à la fois les constantes et les différences danscette longue histoire des « bidonvilles » et de leur lien àl’immigration, de 1950 à nos jours.
A.M.
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