Environ un tiers des Sèmè pratique toujours une religion traditionnelle, le dwo, dont les représentations continuent d’imprégner fortement tous les esprits, y compris ceux des convertis au christianisme et à l’islam. Les Sèmè pensent que la terre est peuplée d’êtres invisibles, les génies, et que ceux-ci ont été chargés par le créateur de s’occuper des humains.

Initiation d'un devin chez les Sèmè du Burkina Faso

Les Sèmè, un peu plus de 20 000 personnes, habitent au Burkina Faso à Orodara et dans ses alentours, ils vivent principalement de l’agriculture. Environ un tiers des Sèmè pratique toujours une religion traditionnelle, le dwo, dont les représentations continuent d’imprégner fortement tous les esprits, y compris ceux des convertis au christianisme et à l’islam.
Dossier

Présentation

Les Sèmè, un peu plus de 20 000 personnes, vivent au Burkina Faso à Orodara et dans ses alentours, ils vivent principalement de l’agriculture. Environ un tiers des Sèmè pratique toujours une religion traditionnelle, le dwo, dont les représentations continuent d’imprégner fortement tous les esprits, y compris ceux des convertis au christianisme et à l’islam. Les Sèmè pensent que la terre est peuplée d’êtres invisibles, les génies, et que ceux-ci ont été chargés par le créateur de s’occuper des humains. C’est un couple de génies qui déclenche la conception, veille au bon déroulement de la grossesse, puis protège la nouvelle personne de sa naissance à sa mort. Ces génies-parents accompagnent même le nuon (principe vital permanent) dans l’autre monde pour qu’il aille s’y préparer à revenir animer un nouveau corps humain sous la surveillance d’un autre couple de génies.
Entre deux existences terrestres successives, le nuon rencontre le créateur, les ancêtres, les génies et différentes puissances. Il leur fait alors diverses promesses dont il devra s’acquitter sans faute au cours de sa prochaine vie en tant qu’humain. Sa promesse est parfois d’accueillir chez lui ses génies-parents.
Quand vient pour la personne le moment d’accomplir son destin [6], des problèmes l’accablent ce qui la conduit chez un devin. Celui-ci va lui révéler que pour retrouver la paix elle doit subir son initiation à un groupe de génies, c’est-à-dire accueillir rituellement chez elle ses deux génies-parents. Elle s’engage alors dans un parcours rituel qui va prendre plusieurs années. L’accueil de ses génies fait potentiellement de tout initié masculin un devin.
Les vidéos montrent certaines étapes du parcours rituel d’un homme qui accueille ses parents-génies chez lui.On construit pour eux deux autels de bois au domicile du néophyte.

Anne Fournier étudie les sites sacrés, l’initiation et la divination chez les Sèmè d’Orodara depuis 2009 sous la tutelle de « L’Association pour défendre et promouvoir la culture sèmè » (ADPCS) qui a son siège à Orodara. Hamadou Coulibaly, Sémè et président de l’ADPCS est son assistant de recherche depuis 2013. Au moment du tournage, Anne Fournier connaissait déjà bien le milieu des devins, avait assisté ou participé à plusieurs séances de divination et avait mené de multiples entretiens avec des devins ou clients expérimentés.

Divination préliminaire

Alerté par des ennuis personnels, monsieur Sein Ouattara a appris au cours de divinations qu’il devait recevoir chez lui ses génies-parents. Afin d’être initié, il s’est adressé au groupe d’adeptes du site sacré naturel Nyumar Chien Bi où habitent ces génies. Monsieur Sondé Ouattara, responsable de ce groupe, a désigné monsieur Bakary Ouattara pour effectuer la divination préliminaire et joue alors lui-même le rôle de client. La divination est destinée à préciser divers points du rite d’installation des génies.

Le génie doit dire quel jour de la semaine traditionnelle le rite d’installation doit se tenir, quel homme doit « tenir la main du génie » (aller le chercher en brousse), quelle femme doit fournir un petit van puis l’attacher sur l’autel du génie femelle et, enfin, quelle plante doit être utilisée pour construire les autels des génies.

Le génie sélectionne le jour traditionnel Bochi, l’initié Krin (autrement dit Sondé Ouattara),  la femme Koromotou Ouattara (sœur classificatoire du néophyte) et la plante Zanthoxylum zanthoxyloides.

Prélèvement des plantes

Selon une procédure très commune, Sondé Ouattara désigné par la divination pour « tenir la main des génies » (aller les chercher en brousse) a délégué l’adepte Bakary Ouattara dit Le Blanc pour accomplir cette séquence. Accompagné d’autres adeptes volontaires, celui-ci  se rend à Nyumar Chien Bi où un sacrifice de bouc est offert (séquence pendant laquelle les prises de vue n’ont pas été autorisées). Comme l’exige le rite, certains adeptes sont coiffés d’une couronne de Cassytha filiformis ramassée en chemin avant la séquence filmée, liane qui sera aussi enroulée sur les montants transversaux des autels. Les adeptes collectent du bois de  Zanthoxylum zanthoxyloides pour construire les autels qui vont témoigner de la présence effective des génies chez le nouvel adepte. Ils prélèvent aussi Gardenia aqualla, indispensable pour « fixer » le génie dans son nouveau lieu de résidence. Landolphia heudelotii, liane plus solide que la précédente, sert à attacher le bois pendant son transport. Les images se terminent sur le groupe chargé de plantes repartant au domicile du néophyte.

Installation de l'autel du génie mâle

Les adeptes reviennent au domicile du néophyte avec le matériel végétal. Sonde Ouattara, quelques adeptes âgés et le néophyte les y attendent. Ils déposent les plantes à côté de la maisonnette qui va accueillir l’autel du génie femelle et commencent à construire l’autel du génie mâle contre cette maisonnette. Quand  la cour collective comporte un vestibule (maison à deux portes marquant symboliquement l’entrée), l’autel est placé contre ce bâtiment (voir clichés). L’adepte qui a « tenu la main du génie » creuse le sol pour y placer deux piquets fourchus. Il procède à une libation d’eau fraîche apaisante en adressant au génie mâle des paroles de bienvenue et en lui rappelant le comportement que l’on attend de lui. Il plante ensuite les deux piquets pendant que les adeptes adressent aussi leurs prières au génie. Il pose trois traverses sur les extrémités fourchues des piquets et les attache avec la liane Landolphia heudelotii. Il ajoute deux branches de Gardenia aqualla puis enroule autour des lianes de Cassytha filiformis. L’officiant demande qu’on apporte le poulet dont le sacrifice va clore cette étape. Bien que le néophyte ne soit pas destiné à devenir devin dans l’immédiat, une pierre de divination qui lui est destinée est présentée sous l’autel. L’officiant ayant maintenant le poulet en main, le responsable du groupe d’adeptes demande au génie des faveurs pour tout le monde, y compris pour l’auteur du film (« la Blanche ») et son assistant qui tient la caméra. L’officiant plante un « fétiche » apaisant (ruban noué de feuille de palmier rônier nommé sheul) sur l’autel, puis fait une libation d’eau fraîche, également apaisante. Pour « cacher » (neutraliser) symboliquement les problèmes du néophyte, il retourne la calebasse qui contenait le liquide. Il arrache quelques plumes du poulet et les place sous l’autel, puis demande au génie de faire mourir le poulet sur le dos pour signifier qu’il agrée l’installation, sur le côté dans le cas contraire. Il tranche la gorge du poulet, verse le sang sur l’autel, puis jette le volatile au sol. Celui-ci bat des ailes et se place comme demandé montrant que le génie mâle agrée l’installation de son autel. L’officiant arrache encore quelques plumes de poulet et les ajoute sous l’autel. Devant l’assistance assise autour de la dépouille du poulet, le néophyte sollicite la faveur du génie.

Installation de l'autel du génie femelle

Les adeptes introduisent le matériel végétal dans la maisonnette. La pierre de divination du néophyte est déposée sur le sol de la maisonnette. Les enregistrements, faits depuis l’extérieur de la maisonnette exiguë, ne permettent pas de voir tous les détails de la construction, ni d’entendre tous les textes prononcés par l’officiant. Ceux-ci sont analogues à ceux prononcés lors de la mise en place de l’autel du génie mâle (mention des problèmes du néophyte, souhait d’amélioration de son sort), mais mention est de plus faite de la parole (divinatoire) du génie femelle. L’autel est construit comme celui du le génie mâle, mais des objets supplémentaires sont utilisés. Le petit van qu’on attache sur l’autel évoque l’initiation du génie femelle, qui est aussi son mariage avec le génie mâle. La poseuse de van répète le geste des initiateurs en attachant à nouveau l’objet sur l’autel (séquence non filmée). Trois petites poteries sont insérées dans le sol sous l’autel et un peu d’eau y est versée ; la première contient des racines pour que l’eau soit comme celle des cours d’eau de brousse. Des prières sont dites et le « fétiche » apaisant sheul est piqué sur l’autel. L’officiant assimile la pierre de divination à la natte autour de laquelle les aïeux des Sèmè se rassemblaient autrefois pour réfléchir quand un problème grave se posait à une famille. Il effectue une libation d’eau fraîche sur l’autel puis retourne symboliquement la calebasse qui contenait le liquide pour « enfermer » les problèmes de tout type (« mâles comme femelles »). Pendant que la victime principale, un bouc, est égorgée, un téléphone sonne très bruyamment dans la poche de l’un des adeptes ce qui n’a aucune incidence sur le rite. Le sang est versé sur l’autel du génie femelle, puis l’officiant procède au « lavage des yeux du bouc ». Pour prier l’animal de ne « pas voir » ce qu’on a fait, autrement dit pardonner aux humains son immolation, un peu de sang est mis dans ses yeux. Quelques poils prélevés par l’officiant entre les cornes et sur la queue du bouc sont placés sur l’autel du génie. Un poulet divinatoire est ensuite sacrifié sur l’autel pour savoir si le génie a agréé le sacrifice. Ce poulet tardant à adopter la position demandée (sur le ventre), on encourage par des paroles le génie à le « soulever ». La position attendue déclenche la joie des participants car le génie femelle a validé l’ensemble du rite. On emporte les victimes, les femmes de la cour vont les cuisiner pour l’assistance. Le rite va se conclure par une nouvelle divination.

Divination de confirmation

Une fois la construction des autels achevée, on procède à une nouvelle divination pendant laquelle les questions posées au génie lors de la divination préparatoire vont être répétées. Cette divination sert à vérifier que le génie valide son installation chez le néophyte. C’est le même devin, Bakary Ouattara, qui officie, mais le « client » est cette fois l’homme qui a « tenu la main du génie » et installé les deux autels, Bakary Ouattara dit « Le Blanc » (homonyme du devin). Le néophyte expose son problème sur le panier rituel, puis le devin sort son matériel et le prépare. Lors d’une longue récitation, le devin place la divination sous la tutelle des « Choses Gardiennes » (diverses puissances invisibles de la région qui veillent sur les humains). L’oracle confirme que monsieur Sein Ouattara devait installer ses génies chez lui. Le génie déclare cette fois que c’est Klin (nom d’initié de Bakary Ouattara dit Le Blanc) qui doit aller le chercher. Agréant ainsi le changement décidé par Sonde Ouattara. Il approuve que le rite se soit tenu le jour Djarnklo au lieu du Bochi comme il l’avait demandé et que Kadija soit porteuse de van en remplacement de Koromotou qu’il n’a pas été possible de faire participer. Il approuve que Kadija verse l’eau dans les pots au nom de l’épouse du néophyte, alors absente. Il ne confirme pas le choix de la plante avec laquelle les autels ont été construits car les « bonnes réponses » des poulets lors des deux sacrifices divinatoires étaient un acquiescement. Une fois la divination terminée, Kadidja Traoré renouvelle les gestes rituels déjà effectués par les initiateurs : elle verse de l’eau dans les pots. Les participants boivent du vin de palme et de la bière de sorgho et le devin fait partager la boisson à ses cauris divinatoires. Un repas festif (non filmé) préparé par les femmes de la cour avec les victimes sacrificielles va réunir tous les participants.

Anne Fournier acquisition des données, articles scientifiques, illustrations

Conditions d’acquisition des données: Anne Fournier étudie les sites sacrés, l’initiation et la divination chez les Sèmè d’Orodara depuis 2009 sous la tutelle de L’Association pour défendre et promouvoir la culture sèmè (ADPCS) qui a son siège à Orodara. Hamadou Coulibaly, Sémè et président de l’ADPCS est son assistant de recherche depuis 2013. Au moment du tournage, Anne Fournier connaissait déjà bien le milieu des devins, avait assisté ou participé à plusieurs séances de divination et avait mené de multiples entretiens avec des devins ou clients expérimentés.

Références :

Articles scientifiques

[1] Fournier, Anne. 2016. Setting up the first components of the person and its anchoring to the territory among the Seme of Burkina Faso: “services rendered by ecosystems”? Environmental Skeptics and Critics 5(3): 37-56.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01841552

version d’auteur en français : https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-02290994v1

[2] Fournier, Anne. 2018. Divination with Plants in West Africa. Journal of Ethnobiology 38(4): 550-567.
https://doi.org/10.2993/0278-0771-38.4.550
URL: http://www.bioone.org/doi/full/10.2993/0278-0771-38.4.550.

version d’auteur en anglais : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01840752/document

version d’auteur en français : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01848093v2/document

[3] Fournier, Anne. 2019. Marrying the “Bush Spirits-Parents” Personal Destiny and Divination among the Sèmè of Burkina Faso. Anthropos 114(2) 383-397.

version d’auteur en anglais : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02486893/document

version d’auteur en français : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02290994/document

[4] Fournier, Anne and Camille Devineau. 2021. Entre ancêtres et génies, l’accommodement des genres dans l’initiation aux Do bwaba et sèmè du Burkina Faso. L’Homme. [En ligne], 239-240 | 2021, mis en ligne le 03 janvier 2024. URL : http://journals.openedition.org/lhomme/41100 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lhomme.41100

[5] Fournier A. 2020. L’agroécosystème et les génies chez les Sèmè du Burkina Faso : réflexion sur la notion de services écosystémiques culturels, Cahiers Agricultures 29. En libre accès : https://www.cahiersagricultures.fr/articles/cagri/abs/2020/01/cagri200099/cagri200099.html

Articles de vulgarisation et conférences

[6] 2020. La divination une affaire de destin
https://lemag.ird.fr/fr/la-divination-une-affaire-de-destin

[7] 2021 Le visible et l’invisible dans la divination des Sèmè du Burkina Faso, Conférence, Têtes Chercheuses, L’ethnologie va vous surprendre, 9 avril, Musée du Quai Banly
https://www.youtube.com/watch?v=YFQBMizp5NU