Chapitres
- Présentation de Thierry Lasserre01'20"
- Introduction de Thierry Lasserre01'49"
- Voyage au coeur de la matière12'59"
- Le modèle standard04'57"
- L'énigme des neutrinos solaires13'05"
- Les neutrinos atmosphériques03'27"
- L'oscillation des neutrinos03'56"
- Les perspectives12'14"
- Conclusion de Thierry Lasserre03'09"
- Questions14'36"
Notice
Les neutrinos, des particules surprenantes
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Descriptif
Les neutrinos sont des particules élémentaires intéragissant très peu avec la matière. Depuis 70 ans ils jouent un rôle prépondérant en physique des particules. Les progrès de ces dernières années ont été époustouflants, sinon surprenants. Nous savons désormais que les neutrinos sont massifs! Je reprendrai pas à pas l'épopée des neutrinos pour dévoiler comment plusieurs générations de physiciens ont révélé les secrets de ces particules fantomatiques, et utilisé les neutrinos pour sonder à la fois l'infiniment petit et l'infiniment grand. J'insisterai sur les développements expérimentaux récents et je discuterai finalement des recherches actuelles.
Intervention
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Documentation
Documents pédagogiques
Les neutrinos, des particules surprenantes !
par Thierry Lasserre
Qu'est-ce qu'un neutrino ?
Tout comme l'électron, le neutrino est une particule élémentaire, c'est à dire un constituant de la matière qui ne nous apparaît pas aujourd'hui comme composé d'éléments encore plus petits. On le désigne par la lettre grecque n. Dans la nomenclature des physiciens des particules, il appartient à la catégorie des leptons qui comprend aussi l'électron, le muon, et le tau. Les deux derniers sont des cousins de l'électron, mais respectivement 200 fois et 3500 fois plus massifs. Les leptons sont organisés en trois familles associées: électronique, muonique, et tauique. Nous verrons qu'il existe trois types de neutrinos (on parle souvent de trois saveurs). A chaque lepton correspond un anti-lepton, de même masse, mais de charge électrique opposée. Les leptons possèdent un spin[1] ½, ils appartiennent donc à la catégorie plus générale des fermions (du nom d'Enrico Fermi).
Selon le modèle standard de la physique des particules (MSPP), la masse des neutrinos est nulle. Toutefois, nous verrons qu'une série d'expériences a démontré qu'elle est différente de zéro, encore que très petite par rapport à celles des autres leptons (au moins 250 000 fois plus faible). C'est une découverte fondamentale très récente qui va sans doute faire évoluer le MSPP dans les prochaines années.
A l'échelle du noyau atomique, les neutrinos interagissent uniquement par l'intermédiaire de l'interaction faible car ils sont insensibles aux interactions forte et électromagnétique. En effet, ils ne portent ni de charge de couleur, ni de charge électrique. En conséquence, la probabilité d'interaction d'un neutrino avec la matière est extrêmement faible : un neutrino issu d'une désintégration radioactive traverse, en moyenne, une épaisseur de plomb d'une année-lumière (dix mille milliards de kilomètres) avant d'interagir !
Découverte des neutrinos
Au début du XXe siècle, la radioactivité à peine découverte était soigneusement étudiée au sein des laboratoires. Les désintégrations de type b (bêta) étaient déjà identifiées comme responsables de la transmutation d'un noyau atomique en un autre élément voisin dans la classification de Mendeleïev. Lors d'un processus b, le noyau radioactif émet un électron (ou rayon b) et change sa charge électrique d'une unité, en transformant un proton en neutron ou vice versa. Un exemple familier est celui du tritium 3H, l'isotope le plus lourd de l'hydrogène (1 proton et 2 neutrons), qui se désintègre en hélium 3He (2 protons et 1 neutron) et émet un électron.
Les expérimentateurs de l'époque entreprirent de mesurer précisément l'énergie de l'électron émis, afin de mieux comprendre la structure des noyaux atomiques. D'après les lois de conservation de l'énergie et de l'impulsion[2], ils savaient prédire le partage d'énergie qui devait s'opérer uniquement entre l'électron et le noyau de recul. L'électron devait en principe toujours emporter la même quantité d'énergie. A la grande stupéfaction de tous, James Chadwick montra en 1914 que tel n'est pas le cas : les électrons ont un spectre continu en énergie, entre zéro et l'énergie attendue dans le cas d'une réaction à deux corps ! Cela pouvait signifier qu'une partie de l'énergie s'évanouissait dans les processus b ...
En 1930 le physicien Wolfgang Pauli se risqua à sauver la loi sacro-sainte de la conservation de l'énergie en proposant, selon ses propres termes, « un remède désespéré ». Il invoqua l'existence d'une nouvelle particule partageant l'énergie du processus b avec l'électron et le noyau. Afin de s'ajuster aux données expérimentales, cette nouvelle particule devait être électriquement neutre, de spin demi entier, et de masse inférieure à celle de l'électron. Cette particule, fut nommée plus tard neutrino, littéralement « petit neutre », par Fermi. Une fois créé, le neutrino s'échappait de la zone de détection à une vitesse très proche de celle de la lumière, et laissait croire, si on l'ignorait dans le bilan de la réaction, que la loi de conservation de l'énergie était violée. Peu de temps après, le génial Fermi formula une théorie mathématique des désintégrations b qui rendait parfaitement compte de tous les résultats expérimentaux. Il introduisit la notion de force faible (en comparaison à la force électromagnétique) qui transforme un proton en un neutron, en créant simultanément un électron et un anti-neutrino. Aussitôt, Hans Bethe et Rudolf Peierls suggérèrent une réaction permise par la théorie de Fermi pour détecter indirectement l'insaisissable : la capture d'un neutrino (ou anti-neutrino) par un noyau et l'émission simultanée d'un électron (ou anti-électron). Malheureusement la petitesse de la force faible semblait réduire leurs espoirs à néant ...
En 1951, les physiciens de Los Alamos Fred Reines et Clyde Cowan, qui travaillaient alors sur les essais nucléaires américains, songèrent utiliser la bouffée considérable de neutrinos électroniques émise dans la furie d'une explosion atomique[3] afin de détecter une poignée de neutrinos. La réaction la plus prometteuse était la désintégration b inverse, anti-ne + p à e+ + n, ou p est le noyau d'hydrogène (proton), e+ l'anti-électron (ou positron), et n le neutron ( figure 1). Ils usèrent de la technique des liquides scintillants, découverts quelques années auparavant. De tels liquides aromatiques servent à la fois de cible puisqu'ils contiennent énormément de protons et de milieu de détection car ils permettent de « matérialiser » les traces que laissent le positron et le neutron[4]. En effet, un bref flash de lumière visible (quelques nanosecondes) est émis chaque fois qu'une particule chargée ou un rayon gamma traverse le milieu. Cette lumière, dont l'intensité est proportionnelle à l'énergie des particules incidentes, est ensuite collectée par des capteurs ultrasensibles aux photons visibles, appelés tubes photomultiplicateurs (TPM). Les flashs lumineux sont alors convertis en signaux électriques et enregistrés pour l'analyse.
Après de longues réflexions, la faisabilité d'une telle expérience, à 20 mètres d'une explosion atomique, était en question, et les deux confrères se tournèrent vers une autre source de neutrinos plus facile à apprivoiser. Les réacteurs nucléaires fonctionnent sur le principe de la fission d'un mélange judicieux de noyaux dits fissiles, principalement l'uranium 235 et le plutonium 239. Baignés par un flux de neutrons dans le cœur d'un réacteur, ces noyaux se scindent en deux morceaux (ils fissionnent) tout en libérant de l'énergie, et quelques neutrons qui entretiennent la réaction ( Figure 12). L'inconvénient de la fission est que presque tous les fragments émis et les autres produits de réaction sont radioactifs, et se désintègrent jusqu'à atteindre une configuration stable[5]. Or, chaque désintégration radioactive b engendre un neutrino électronique (ou un anti-neutrino).
Les réacteurs sont ainsi des sources copieuses, cependant mille fois moins intense qu'une explosion nucléaire de 20 kilotonnes (à l'époque). En 1956, après plusieurs années d'efforts, Reines et Cowan installèrent un détecteur de 4 200 litres de liquide scintillant, et d'eau contenant une faible quantité de cadmium pour favoriser la détection des neutrons ( Figure 2), près du réacteur nucléaire de Savannah River, en Caroline du sud. Après quelques mois de prise de données ils identifièrent les interactions des anti-neutrinos électroniques. Le signal était 5 fois plus faible quand le réacteur était à l'arrêt pour maintenance. Après tous les tests de rigueur, la découverte fut annoncée par télégramme à Pauli en juin 1956. Reines obtint le prix Nobel de physique en 1995 (Cowan étant malheureusement décédé en 1974). Notons qu'au cours de cette expérience, Reines et Cowan mesurèrent aussi la probabilité d'interaction des neutrinos, grandeur couramment appelée section efficace, en conformité avec la prédiction de la théorie de Fermi.
Figure 1
Principe de détection des anti-ne dans l'expérience de Reines et Cowan. Un anti-ne interagit sur un noyau d'hydrogène de l'eau. Il y a production instantanée d'un positron et d'un neutron. Le positron s'annihile avec un électron du milieu, et deux photons gammas sont émis ; ces derniers sont détectés par leurs interactions dans le scintillateur liquide. Le neutron commence par ralentir par collisions, puis il est capturé par un noyau de Cadmium ; cette capture est suivie par l'émission de photons gammas qui sont détectés dans le scintillateur liquide.
Trois neutrinos
Dès les années 50 on savait qu'un muon se désintègre en un électron et deux neutrinos : m+ à e+ + n + n. On en suspectait qu'un neutrino était associé à l'électron (celui de Reines et Cowan) et l'autre au muon. En 1963, Léon Lederman, Mel Schwartz, et Jack Steinberger, réalisèrent une expérience ingénieuse à Brookhaven (Etats-Unis) pour déterminer si ces deux neutrinos sont identiques ou distincts.
Figure 2
Principe de l'expérience de mise en évidence du neutrino muoniques.
Ils utilisèrent un accélérateur de protons de 30 GeV[6] comme source de neutrinos. Un faisceau de protons dirigé sur une cible de béryllium produit une myriade de pions[7] par l'intermédiaire de l'interaction forte. Les pions chargés se désintègrent en muons et en neutrinos par interaction faible. Les muons se désintègrent à leur tour comme expliqué ci-dessus. Derrière une zone de désintégration, les expérimentateurs ajoutent un écran de terre ou de métal d'une dizaine de mètres d'épaisseur pour éliminer les particules indésirables. Grâce à leur formidable pouvoir de pénétration seuls les neutrinos jaillissent en sortie. L'expérience était agencée de telle sorte que la majorité de neutrinos arrivant en zone de détection provenait de la désintégration des pions. Le détecteur (une chambre à étincelles), placé à quelques dizaines de mètres, était adapté pour discriminer un électron d'un muon. En effet, un muon se matérialise par une longue trace continue, alors qu'un électron, deux cent fois plus léger, dessine une trajectoire plus erratique. L'expérience mit en évidence beaucoup plus des traces de type muonique que de traces de type électronique. Le neutrino produit lors de la désintégration d'un pion (positif) ne peut se transformer qu'en muon, mais pas en électron : p+ à m+ + nm. Si le neutrino électronique était identique au neutrino muonique on aurait découvert presque autant de traces de chaque saveur. Il existe donc un neutrino spécifiquement associé au muon, noté nm. Lederman, Schwartz, et Steinberger furent gratifiés du prix Nobel de physique en 1988 pour cette découverte.
Ce résultat permit non seulement de mettre en évidence une deuxième saveur de neutrino, mais en plus de démontrer l'existence de deux familles bien distinctes de leptons. Dans le MSPP il est d'usage d'associer un nombre quantique spécifique à chaque famille, appelé nombre leptonique électronique, muonique, ou tauique. Nous verrons par la suite que ce nombre leptonique, introduit de façon ad hoc dans le MSPP, n'est en fait pas toujours conservé.
Trois familles seulement existent dans le modèle standard, sans que l'on sache pourquoi. Le tableau serait donc incomplet si je ne mentionnais pas le neutrino tauique, noté nt, qui fut observé directement seulement en l'an 2000.
Les neutrinos dans le modèle standard
Au sein du MSPP, on regroupe les leptons selon les couples (e, ne), (m, nm), et (t, nt), qui définissent le secteur des leptons. Dans cet exposé, je passerai volontairement sous silence les subtilités relatives au spin et à la projection du spin du neutrino le long de sa trajectoire (même si celles-ci jouent un rôle capital dans l'interaction faible). Les interactions entre particules sont maintenant bien comprises, et dans le MSPP deux fermions interagissent en échangeant un boson[8]. L'interaction faible se modélise par les échanges d'un trio de bosons W+, W-, Z0. Contrairement au photon de masse nulle, ces trois bosons sont entre 80 et 100 fois plus lourds que le proton ! C'est ce qui explique la très faible portée de l'interaction faible.
Prenons maintenant l'exemple concret de la désintégration bêta ( Figure 3). La réaction n à p + e- + anti-ne est en fait la transformation d'un quark de type « down » ( d) du neutron en un quark de type « up » ( u) et un boson W-, qui se désintègre à son tour en une paire (e-, anti-ne). Le neutron composé de trois quarks ( u,d,d) devient le trio de quarks ( u,u,d), qui n'est autre qu'un proton. Les interactions qui font intervenir les W sont appelées « courant chargés », car ils transforment le neutrino en son lepton associé (ou inversement) en modifiant la charge électrique d'une unité. Les interactions impliquant le boson Z0 sont désignées « courants neutres » car elles laissent inchangés les deux fermions qui interagissent. Ces dernières sont plus subtiles et elles ont seulement été découvertes en 1973, au CERN, en utilisant un faisceau de neutrinos muoniques et une chambre à bulles en guise de détecteur. Enfin, en 1989, l'étude de la durée de vie du Z0 au collisionneur électron-positron du CERN (le LEP) a montré qu'il n'y a que trois saveurs de neutrinos légers se couplant avec la matière.
Figure 3
Désintégration b (de type -) du Brome 80 en Krypton 80, dans le cadre de la théorie de Fermi (à gauche), et la même réaction dans le cadre du MSPP (à droite). Dans les deux cas la réaction fondamentale est la conversion d'un quark (d) en un quark (u) avec émission d'un électron et d'un anti-ne.
Les sources de neutrinos
Fort heureusement pour les physiciens des particules, les sources de neutrinos sont diverses et variées. On distingue les sources naturelles et les sources artificielles. Il est tout aussi important d'identifier la saveur des neutrinos qui naissent de ces fontaines de particules, et de comprendre les mécanismes de production. J'ai déjà évoqué les explosions de bombes à fission et les réacteurs nucléaires qui émettent des anti-ne. Les accélérateurs de particules actuels permettent essentiellement de produire des nm ou anti-nm. Le corps humain contient 20 milligrammes de l'isotope 40 du potassium (émetteur b) : chaque jour, 400 millions de neutrinos s'échappent de nos os à une vitesse proche de celle de la lumière ! L'atmosphère est le siège de réactions produisant nm et ne et leurs antiparticules. Le soleil émet uniquement des ne. Certaines explosions d'étoiles (supernovae de type II) produisent une quantité astronomique de neutrinos des trois saveurs et de leurs antiparticules. Les noyaux actifs de galaxie où siègent de gigantesques trous noirs en font probablement de même. Enfin, un rayonnement fossile de neutrinos et d'anti-neutrinos des trois saveurs baigne l'univers depuis les premières secondes qui suivirent le Big-Bang.
Voyons maintenant comment certaines de ces sources sont exploitées pour percer les mystères de ces surprenants neutrinos.
Les neutrinos solaires : la fin d'une énigme
Le Soleil, plus massif et plus brillant que la majorité des étoiles, est au milieu de son cycle de vie. Il puise son énergie de la réaction de fusion de deux protons conduisant à la conversion de l'hydrogène en hélium en son cœur, en émettant deux ne: 4p + 2e- à 4He + 2ne + 27 MeV. Il est ainsi le siège d'un cycle compliqué de réactions, dont certaines produisent des ne ( Figure 4). Les principaux sont les neutrinos dits primordiaux de faible énergie, encore dénommés neutrinos « pp » (ne(pp), E
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