Les Presses Universitaires de Vincennes, en collaboration avec la bibliothèque universitaire et avec le soutien du service communication de l'université Paris 8 ont le plaisir de vous présenter une série de podcasts sur le thème de la création. Dans le cadre du printemps des créations de mars 2024 nous avons reçu cinq autrices des PUV. Elles vous présentent leurs ouvrages et ce qu'ils disent de la création. Aujourd'hui, Violaine Houdart-Mérot vous présente son livre La création littéraire à l'université, ainsi que la collection recherche-création qu'elle codirige au PUV avec Nancy Murzilli.
Je suis professeur émérite en littérature française et francophone à l'université de Cergy-Pontoise. Étant depuis longtemps persuadée que l'on est une meilleure lectrice, un meilleur lecteur, si l'on a soi-même une pratique d'écriture créative, j'ai introduit, depuis 2002, des ateliers d'écriture créative en licence dans mon université, puis en 2015, un master de création littéraire. Nous avons ensuite mis en œuvre un doctorat de pratique et théorie de la création littéraire, et même un doctorat par le projet, dans le cadre d'une EUR (école universitaire de la recherche) avec notamment l'école d'art de Cergy et l'école du paysage de Versailles. Par ailleurs, depuis 2023, je dirige avec bonheur avec Nancy Murzilli, professeure de littérature et arts à Paris 8, la nouvelle collection recherche-création des Presses Universitaires de Vincennes.
La création littéraire à l'université, l'essai que j'ai publié en 2018 dans la collection Libre cours, s'appuie donc sur ma propre expérience, mais aussi sur un grand nombre de recherches et d'enquêtes que j'ai pu mener dans ce domaine en lien avec d'autres chercheurs et chercheuses. Il part d'une interrogation ancienne, finalement au cœur de mes travaux :
- Pourquoi la littérature est-elle le seul art que l'on n'enseigne pas comme les autres arts, c'est-à-dire par la pratique, contrairement à ce qui se passe dans les écoles d'art, au conservatoire de musique, de danse ou de théâtre, par exemple, où il serait inconcevable de ne pas pratiquer un instrument de musique, de ne pas avoir une pratique de comédien ou de danseuse ou danseur ?
- Pourquoi l'université française a-t-elle si longtemps répugné à introduire l'écriture créative et la création dans les études de Lettres, contrairement, aussi, à d'autres pays comme les Etats-Unis ou le Québec notamment ?
C'est à ces questions que je réponds d'abord par un détour historique. Ensuite, j'ai tenté d'analyser plus précisément les contours et les raisons d'être de ces nouvelles pratiques créatives qui se développent en France en trois étapes dans les départements de lettres. La première est celle des ateliers d'écriture créative en licence, qui émerge timidement dans les années soixante-dix, puis s'étendent dans les années 2000. La deuxième étape est celle de l'émergence des nouveaux masters de création littéraire qui se développent depuis 2012 dans plusieurs universités françaises, dont Paris 8, et qui ont pour ambition de former au métier d'écrivain ou à d'autres métiers de l'écriture, ce qui est quelque chose de relativement révolutionnaire dans l'université française. La troisième étape est celle de la recherche en création, qui s'inspire de modèles étrangers, mais cherche une voix française et prend des formes diverses. Mais l'enjeu est bien d'aborder la recherche en littérature en tant que pratique artistique et d'associer de manière forte une création littéraire et une recherche théorique et réflexive.
Pour chacune de ces formations nouvelles, de ces nouvelles modalités de recherche, j'ai essayé de dégager les enjeux, de montrer qu'elles s'expliquent par une convergence de raisons à la fois pédagogiques (à mieux accéder à la littérature par la pratique), politique (l'écriture comme forme d'émancipation pour tous), littéraires et théoriques (avec notamment les travaux de John Dewey, de Barthes, les travaux sur l'intertextualité, la critique génétique, mais aussi les propres travaux des écrivains qui, souvent, sont en quelque sorte des écrivains-chercheurs). Je montre enfin en quoi toutes ces nouvelles approches universitaires correspondent à un déplacement de la place de l'écrivain dans la société, à un déplacement du littéraire à l'université et dans la société, contribuant à faire de l'université française un lieu de création et d'exploration de la littérature vivante.
La notion de création est, bien entendu, au cœur de cet essai, on le sait que c'est une notion ambiguë, mais la conception de la création qui est défendue ici rompt radicalement avec les connotations à la fois religieuses ou romantiques qu'ont pu avoir ce terme traditionnellement. En effet, la création est associée à la conception biblique, dans la Genèse, de la création du monde ex-nihilo par le créateur, avec un grand C majuscule et la vision romantique du génie créateur de l'artiste selon laquelle, précisément, l'art d'écrire ne saurait s'enseigner, puisque l'artiste écrit dans la solitude, mû par la seule inspiration. Cette conception explique d'ailleurs la mise à l'écart de l'écriture créative durant plus d'un siècle.
Mais la notion de création, telle qu'elle est conçue ici, s'est sécularisée, c'est-à-dire écartée de ses connotations théologiques et d'autre part, démocratisée. Elle est bien plutôt associée, dans ces nouvelles pratiques universitaires, à la poïétique, néologisme du poète Paul Valéry, repris et repensé ensuite par René Passeron. Valéry insiste sur le poïein, sur le faire et suggère de s'intéresser au processus de production d'une œuvre, la création littéraire ici est donc plutôt définie comme fabrication non pas ex-nihilo, mais à partir de matériaux mis en forme, en l'occurrence à partir du matériau du langage et d'un vaste terreau intertextuel, pour la littérature. Elle est du côté de l'acte, du processus, plus que de l'œuvre achevée.
La notion de création s'est également démocratisée à travers ces nouvelles pratiques universitaires, puisqu'elle n'est plus réservée à une petite élite possédant un talent inné. Il s'agit de donner accès à l'écriture créative à tous les étudiants qui le souhaitent et de développer, notamment grâce à des pratiques collectives des compétences créatives.
Cet essai montre en quoi l'émergence de la création dans les travaux de recherche en littérature a des conséquences sur la manière d'aborder l'écriture de la recherche. Le fait qu'il y ait articulations et même circulation entre un volet créatif et un volet théorique incite en effet à une même approche expérimentale, par exploration, par tâtonnement dans les deux volets, ce qui touche en profondeur au statut de l'écriture de la thèse auront avec ce que Charles Coustilles appelle le non-style qui caractérise habituellement l'écriture universitaire, marquée par l'effacement du sujet au nom de la scientificité. L'écriture dans une nouvelle approche n'est plus seconde et secondaire, mais la recherche se fait au contraire par l'écriture.
Je dirai deux mots pour finir sur la nouvelle collection recherche-création que nous avons conçue avec Nancy Murzilli et qui se situe dans la droite ligne de cet essai. Pionnière en France, cette collection entend publier, sans se cantonner à la création littéraire, des travaux de recherche-création qui associent donc recherches et expérimentations artistiques, autrement dit, qui cherchent en créant ou créent en cherchant, dans tous les domaines artistiques. De fait, l’ouvrage que nous avons publié de Pauline L. Boulba, artiste et chercheuse en danse, concerne la danse et explore notamment la réception de la danse comme espace de création. Cette collection a aussi pour ambition d'explorer les nouvelles façons d'écrire la recherche ainsi que les fondements théoriques de la recherche création. Ainsi, le deuxième ouvrage publié également en 2023, d’AMarie Petijean, La littérature par l'expérience de la création, explore les enjeux de de cette nouvelle démarche en littérature. J'ajouterai que les maquettes de couverture de cette collection conçue par Sandrine Javelle sont elles-mêmes particulièrement créatives. Chaque maquette s'inspire du principe de l'alphabet plastique d'Auguste Herbin, artiste qui a inventé un alphabet dans lequel chaque lettre correspond à une couleur et à différentes formes géométriques. Et je peux dire, pour terminer, que nous avons reçu de nombreuses propositions, et ces nombreuses propositions que nous recevons sont souvent tout à fait passionnantes et attestent de la fécondité de ces démarches et de l'intérêt de conjuguer recherche écrit.
Nous remercions l'autrice Violaine Houdart-Mérot pour les réflexions qu'elle nous livre sur la création littéraire. Nous vous invitons à découvrir son essai La création littéraire à l'université, ainsi que tous les ouvrages de la collection recherche-création. Cette émission a été enregistrée et réalisée par les PUV avec le concours de la bibliothèque universitaire et le soutien du service communication.