J'ai décidé de travailler sur la participation, l'engagement et les jardins partagés.
Il y a deux moments différents qui m'ont amenée à travailler sur ces sujets-là.
La question de la participation, je l'ai rencontrée plus tôt, durant mon master à Bruxelles.
J'avais travaillé là-dessus en anthropologie du développement et dans un contexte tout à fait différent de celui de l'ouvrage, qui était les écoles d'initiatives locales au Togo, dans la région de Kpalimé.
C'était un premier moment où j'ai travaillé sur la participation d'habitants et habitantes.
Comment j'en suis arrivée aux jardins partagés et aux agricultures urbaines ?
C'est quelques années plus tard, quand j'étais en service volontaire européen à la Città dell'Utopia à Rome, que j'ai rencontré celle qui m'amènerait au sein des jardins, Beatrice Del Monte.
Elle m'a embarquée dans cette aventure, elle m'a proposé de répondre à un appel à projets d'une bourse qu'on a obtenue.
Puis on a travaillé pendant six mois sur des initiatives de jardins partagés à Rome.
Ça nous a permis d'écrire un premier travail en autonomie, hors cadre universitaire.
Cette opportunité-là nous a amenées ensuite à répondre à des appels à communication dans des colloques à Strasbourg, à Cambridge et en Italie aussi.
On a écrit nos projets séparément.
Je l'ai fait à l'Université de Strasbourg et elle à Turin et à Milan.
Ça m'a permis d'approfondir ce sujet et de lier participation et agriculture urbaine pour traiter des questions écologiques et sociales dans un même grand sujet, qui sont donc ces jardins partagés et la manière dont ils se mettent en place sur les territoires.
Pour la dimension pratique et méthodologique de la recherche, j'ai suivi une méthodologie qualitative par observation participante et par entretiens semi-directifs.
Le terrain romain, je l'avais un peu exploré à travers ce premier travail de recherche qu'on avait réalisé ensemble.
Ensuite, dans la construction de la comparaison, ça s'est fait par un intérêt de ma directrice de thèse, à l'époque, qui voulait que je travaille aussi sur Strasbourg.
À partir de là, l'intérêt de faire deux terrains de manière approfondie, c'était vraiment d'entrer dans les fonctionnements, les dynamiques assez précises des engagements.
Il a fallu que je parte un an sur chaque terrain.
J'ai mis en place ce que j'ai appelé un dispositif d'enquête symétrique.
Ça m'a permis de passer un an sur chaque jardin puis, à la fin, de mettre en place toute cette série d'entretiens, nourrie par mes connaissances et l'expérience que j'avais pu vivre dans ces jardins.
Ce qui est différent car quand on fait une enquête que par entretiens, on ne connaît pas forcément les dynamiques internes.
Le fait de faire partie des associations pendant une longue période permet d'abord d'enlever toute une partie des biais qu'il peut y avoir dans les entretiens.
Par exemple, je les ai vus faire des entretiens pour quelqu'un qui faisait un mémoire de master et qui venait juste ponctuellement.
J'ai vu le récit qui n'était pas du tout le même que celui auquel j'avais accès en étant membre.
Ils mettent en place un récit chronologique plus simplifié, évidemment.
Alors que, quand on est en interne, on voit vraiment les aspérités de la pratique politique ordinaire, comment cette appropriation de l'espace public, cette construction des associations, ne se fait pas de manière linéaire, mais dans des conflits externes, internes, avec des rebondissements.
Bien sûr, ça s'écrit progressivement.
La participation est un grand terme global qui englobe beaucoup de dispositifs, de manières de faire.
C'est important de rappeler qu'il y a de la participation institutionnelle, mais aussi informelle.
Dans mon travail, je l'ai analysée : d'abord, la participation au sein des associations, comment les personnes s'engagent et ensuite comment les associations sont des acteurs qui participent à la fabrique de l'espace public sur les différents territoires étudiés.
Sur la participation en interne des associations et les trajectoires militantes, ça m'a permis d'observer comment ces jardins permettent de mettre en lien autant des militants expérimentés que des néo-militants et militantes et d'observer comment ça permet de réunir des profils différents et des gens qui sont à différents endroits de leurs engagements.
Il y a, par exemple, cette figure d'un jardinier italien de 70 ans qui a un parcours depuis ses 18 ans, en tout cas, très engagé.
Le jardin, pour lui, vient à un moment de sa carrière où il arrive à la retraite et change ses dynamiques.
Donc, on peut dire qu'il y a une forme de rupture biographique.
À partir de là, il investit son énergie dans ces jardins partagés, toujours nourris de ces dimensions de bien commun, de vivre ensemble, de créer du lien sur le territoire.
Il y a tout ça qu'il va mettre dans l'objet jardin partagé.
Après, il y en a d'autres, par exemple, qui viennent parce qu'ils ont découvert la permaculture à Strasbourg et viennent pratiquer pour apprendre un peu le jardinage et qui n'avaient jamais fait partie d'associations avant, mais qui vont découvrir ce que c'est de gérer en collectif.
Donc, ça va un peu les former.
Il y a des formes de politisation.
Dans tous les règlements des associations de jardins partagés, j'ai pu observer à Strasbourg, à Rome, mais aussi ailleurs, l'interdiction d'utiliser des intrants, pesticides, etc.
Ça fait vraiment partie des règles de base, du fonctionnement du jardin.
Puis au-delà de ça, à Strasbourg, le développement de la permaculture qui une manière encore plus spécifique de cultiver, avec tout un travail autour de l'association des plantes, un rapport au vivant, en tout cas, une connaissance qui va plus loin.
Le jardins partagé, c'est aussi un espace où les personnes cultivent.
Pour certains et certaines, c'est leur première expérience.
Ils vont découvrir ce que signifie aussi, tout simplement, de faire pousser une carotte, un poivron, chose qui peut paraître très triviale, mais qui en réalité se révèle être toute une activité.
Il y a une prise de conscience de la complexité de créer de la nourriture, à partir de "rien".
Quand je dis passer de consommateur à producteur, ça permet de relier production et consommation.
Quand on veut faire à manger pour soi, créer de la nourriture pour soi, on réalise la complexité, les éléments, la météo, les insectes, les maladies, etc.
Ce n'est pas du tout évident, en comparaison d'aller consommer dans un supermarché et acheter d'un simple geste en milieu urbain pour certaines personnes, et pas qu'en milieu urbain d'ailleurs.
Ça les interroge sur le système alimentaire de manière plus globale.
Ce sont des personnes, pour la plupart, qui étaient déjà un peu dans une démarche consciente, sensibilisée.
Mais le fait de pratiquer le jardin et de cultiver des légumes dans ces espaces-là les amène à faire encore plus attention ou aller plus loin.
Il y a toujours une démarche qui vient s'ajouter dans cette expérience à leur manière de consommer, l'alimentation en particulier, pas que d'ailleurs.
Au-delà de la dimension de la production, de la culture des légumes, il y a aussi des ateliers que j'ai pu observer autant à Strasbourg qu'à Rome autour de la partie alimentation- consommation.
Même s'il y avait un exemple autour du fromage, ils n'ont pas encore des brebis et des chèvres dans le jardin, mais il y a ce lien à l'alimentation et comment on la produit.
Il y avait un exemple d'un atelier de transformation du lait qui montrait comment on faisait du fromage, de la ricotta.
Un autre, à Strasbourg, était sur les légumes fermentés.
Il y avait tout un atelier autour de ça : comment conserver ses légumes en gardant leurs vertus.
Au-delà de l'engagement au sein des associations, du rapport à l'alimentation et au vivant, ça permet d'interroger la manière dont ces collectifs s'inscrivent dans l'espace public, comment ils sont des formes de production de l'espace.
Ça signifie que c'est en interaction avec les institutions locales et ça permet de mettre en lumière qu'à Strasbourg, on est dans un contexte plus institutionnalisé où ça va s'inscrire dans des dispositifs qui sont en place, des ateliers de projets, etc.
Ce sont des formes de négociation de coconstruction.
À Rome, on est plus dans une situation d'informalité dans le sens où la ville a des formes de gestion un petit peu moins suivies.
Pour donner un exemple, sur plus de 1 200 kilomètres carrés de superficie, il y a une personne qui est responsable des potagers urbains, ce qui est très peu.
Alors qu'à Strasbourg, il y a beaucoup de personnes qui vont être dans la gestion des espaces verts.
Il y a plus de personnes qui sont en lien et au service de ce genre d'initiatives.
Dans les concepts que j'avais utilisés, il y a le droit à la ville, les communs.
Le droit à la ville, ce sont des manières de montrer comment on peut s'approprier l'espace.
Comme c'est légitime, finalement, de revendiquer que cet espace vécu, on a le droit de se l'approprier, de le développer et de l'utiliser comme on le définit par la base collectivement.
Ça fonctionne dans le sens où à Rome, ils se sont mis en réseau.
Non seulement cette association n'est pas isolée, mais elle s'est mise en réseau avec d'autres jardins partagés et d'autres initiatives similaires pour devenir un collectif, un interlocuteur qui va vers les instances.
Vraiment, on est sur une "politique publique" qui naît d'en bas et prend sa place, et qui trouve une reconnaissance et une légitimité, en tout cas, à s'exprimer dans ces espaces-là.
Pour preuve, ils sont là depuis dix ans et sont toujours là, malgré tout.
Après, j'avais exploré toute cette notion de commun parce que je l'ai rencontrée sur le terrain romain.
C'est autant un concept analytique qu'une notion qui est employée par les acteurs qui se revendiquent de ce bene comune, ce bien commun.
Je l'ai exploré parce que comme la participation, c'est un grand champ de recherche et aussi un grand champ qui est mobilisé autant par des juristes, des géographes, des sociologues, des philosophes.
J'ai essayé un petit peu de naviguer au milieu de ces différentes approches pour y trouver un sens en lien avec ces jardins.
Il y a une partie qui peut être reliée un peu aux travaux d'Ostrom dans sa description de la gouvernance des biens communs.
Puis c'est aussi intéressant d'aller davantage vers une critique pour dépasser cette dimension-là, d'aller dans une vision plus politique, comme c'est proposé par Dardot et Laval, par exemple, qui permet d'être un horizon socio-politique des communs, d'autres formes d'organisation de la vie, de la société.
À travers cet espace des jardins partagés qui sont circonscrits, ça donne quand même en puissance des modèles qui peuvent être intéressants.
En termes d'organisation de la société, après avoir abordé cette question des communs, du droit à la ville, j'ai aussi mobilisé tous les travaux de Murray Bookchin, qui est un militant et intellectuel états-unien années 1960 à 1980.
Il a produit pas mal de textes, dont toute une partie de travaux autour du communalisme, qui sont des modèles qui permettent, encore une fois, de faire le lien entre les enjeux sociaux et écologiques, la critique reliant les deux.
On n'est pas juste dans une critique de l'exploitation de la nature par l'homme.
On est dans le lien entre l'exploitation de la nature par l'homme et de l'homme par l'homme.
Ça permet de faire cette synthèse et de proposer des modèles où on s'organise collectivement pour échapper à ces grandes dynamiques des derniers siècles.
Jardins en commun(s) - Politiser l'écologie ordinaire
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