Black Metropolis est un livre paru en 1945 qui, depuis, est devenu un grand classique de la socio-anthropologie urbaine américaine. C’est le résultat d’une très grande enquête, menée pendant toute la décennie marquée par la politique du New Deal, c’est-à-dire sous la présidence de Franklin Roosevelt, qui décrit les conditions de vie dans le ghetto noir de Chicago, dans une ville qui n’était pas soumise à des lois Jim Crow, c’est-à-dire des lois de ségrégation comme dans les États du Sud, mais des conditions de vie extrêmement éprouvantes. C’est un travail qui a été publié juste après-guerre, en même temps qu’un autre grand classique de Gunnar Myrdal, Un Dilemme américain en français, An American Dilemma, qui lui aussi traitait de la question du racisme aux États-Unis et montrait l’incompatibilité absolue d’une société première démocratie moderne avec la perpétuation d’un racisme, au Sud comme au Nord. C’est aussi une époque d’après-guerre, 1945, où les grands organismes internationaux, tels que l’UNESCO, se sont emparés de la question du racisme. En particulier en France, l’UNESCO a publié toute une série de travaux, principalement nord-américains, mais aussi français, sur la question du racisme suite à la Shoah en Europe, aux conditions de vie et à la discrimination aux États-Unis, en particulier dans l’armée américaine. Black Metropolis a donc été publié en 1945. Devenu un classique, il a été republié régulièrement à la fin des années 60, puis en 1993 et finalement en 2015. C’est pour vous dire à quel point c’est un livre qui a compté, qui est constamment réactualisé à travers des préfaces nouvelles. Il est très important de souligner que Black Metropolis est l’œuvre de deux grands sociologues africains américains, Sinclair Drake et Horace Keaton, avec une importante équipe d’enquête, d’enquêteurs, d’enquêtrices. Une enquête qui s’est déroulée dans les années 30, à la fin des années 30, dans le cadre de New Deal. C’est un livre qui lui-même s’inscrit dans une temporalité très longue puisqu’il remonte au début du 20e siècle et il couvre deux guerres mondiales qui ont des répercussions très importantes aux États-Unis, 14-18 et la Seconde Guerre mondiale. De plus, il y a toutes ces rééditions qui font qu’on n’a plus uniquement une édition originale, mais une édition qui couvre plus d’un siècle. Nous arrivons avec la version française presque un siècle après, 80 ans après. Il est important de dire que juste après-guerre, pour revenir au sujet précédent, il y avait une grande écoute en France pour cet ouvrage qui a été publié, en partie, par les Temps Modernes, grâce à l’attention de Simone de Beauvoir pour ses écrits qu’on ne disait pas encore africains-américains. Il y a eu ensuite un certain oubli, à tel point que lorsque les travaux concernant la production de l’école de Chicago, l’école sociologique de Chicago, ces traductions ont eu lieu dans les années 70-80, Black Metropolis n’a pas du tout été l’objet d’une traduction. Peu d’auteurs s’y sont référés. Il y a donc eu une absence de cette tradition sociologique qui remonte à W.E.B. Du Bois, qui s’est perpétué ensuite à travers les travaux de Franklin Frazier, St. Clair Drake et Horace Caton. Pourquoi aujourd’hui traduire Black Metropolis ? Certainement, une des raisons, c’est qu’en France, non seulement la question urbaine est devenue absolument centrale, mais la question aussi des ségrégations urbaines. Tout un débat, qui ne cesse de renaître de ses cendres et de se poursuivre autour de la notion de ghetto, y a-t-il des ghettos en France, peut être alimenté par ce témoignage historique extraordinaire sur le ghetto noir de Chicago. Richard Wright a écrit la préface à la demande des auteurs et de la maison d’édition, puisque Richard Wright à l’époque était déjà un romancier extrêmement réputé. Il y avait aussi matière, entre ses propres romans et ce livre, à un renvoi entre la sociologie et la littérature très important. Richard Wright a été si sensible à ce que décrit Black Metropolis, qui n’est pas que la misère matérielle, mais aussi ce qu’on peut appeler la misère psychique. Il a été si sensible à cela qu’après-guerre, en 1945, il a cherché à mettre en place, cette fois-ci ce n’était pas à Chicago mais à Harlem, un dispensaire psychiatrique gratuit permettant de traiter justement ces troubles mentaux qui sont en grande partie dus à la discrimination, au racisme, qui ne trouvaient pas justement de soins appropriés. Black Metropolis est un livre très facile à lire et très facile à comprendre. Il a une écriture d’une très grande luminosité, d’une très grande vivacité. C’est un livre qui est à la fois très empirique et très théorique. Ce n’est pas la question intellectuelle qui est en cause là, c’est la question de la sensibilité. Car on est littéralement plongé dans un monde, un monde soumis à des épreuves, des épreuves sociales très importantes. Donc le témoignage sur ce monde, l’expression très vivante de toutes les personnes qui sont citées, peut en quelque sorte déranger, perturber. Il y a une adaptation à cette réalité sociologique éprouvante qui nécessite justement de sortir un peu de soi. Je crois que c’est ça que Wright veut signifier, c’est que c’est un livre qui va nous dépayser littéralement, alors qu’il s’agit d’une grande ville américaine. Le livre parvient à combiner à la fois sociologie et anthropologie, j’ajouterai même histoire et psychologie. C’est un livre qui rend parfaitement compte de la diversification en termes de classe sociale de cette communauté noire et de tous les mouvements sociaux qui ont agité cette communauté dans l’entre-deux-guerres, mouvements syndicaux, mouvements civiques, la musique et la danse qui ne sont pas traités véritablement dans cet ouvrage, mais qui affleurent constamment. C’est dans tous ces lieux, dans les clubs, dans les églises, dans les familles, que l’enquête a été portée de façon très continue, en profondeur, selon les méthodes de l’observation participante de l’anthropologie. Ces enquêtes sont souvent restituées de façon extrêmement littéraire. Une des grandes qualités de Black Metropolis, c’est qu’il y a une restitution des enquêtes qui est non pas romancée, mais organisée de façon à ce qu’on pénètre littéralement dans la vie de ces populations à des niveaux extrêmement différents puisqu’il s’agit des familles, des églises, des clubs. C’est une qualité remarquable de cet ouvrage qui est de nous faire voyager dans ce monde-là.
J’ai travaillé sur la question noire, plus particulièrement l’expérience africaine américaine à Paris à la rencontre de l’Atlantique noire contemporaine, un terrain vraiment afro diasporique, Diaspora noir avec un grand D. Cette idée de travailler sur ce livre m’a donné envie de revenir à la genèse. Il y a la rencontre qui a lieu, il y a des gens qui se rencontrent, qui viennent de quelque part. Faire ce pas de côté, traverser l’Atlantique, plonger en profondeur comment se construisent les identités, cette identité noire, qui est un grand questionnement, cette rencontre, que j’ai observée à Paris, permettait pour moi de donner des clés de compréhension, quelque part aussi de recontextualiser des choses et de comprendre de quoi est faite cette rencontre-là. Je pense que c’est un grand défi de traduire aujourd’hui un livre qui a été écrit il y a 80 ans. Un grand défi quand on réfléchit la thématique, toute l’évolution qui a eu lieu avec les changements sur comment on parle de soi, la question noire et le résultat d’une histoire où les terminologies venaient souvent de l’extérieur. S’approprier un vocabulaire, comment ça évolue, c’était déjà compliqué de travailler cette question, comment je nomme les personnes. Il y a tout un vocabulaire qui manque aussi dans la langue française. C’était, dans mes propres recherches, un grand défi. Faire ce voyage dans le passé, comprendre comment les personnes se décrivaient, comment la société décrivait les personnes, comment les enquêtés, mais aussi les enquêteurs décrivent, de trouver l’équivalent en français et d’avoir une approche anachronique et permettre une relecture contemporaine. Il y a tout un vocabulaire en français qui était pour moi inexistant en partie, donc tout un questionnement, des dialogues, quels mots trouver, quels mots utiliser pour rendre justice à l’ouvrage, mais aussi rendre justice à toutes les luttes qui ont émergé après et qui sont toujours en cours.
Il faut dire que Chicago est une ville jeune. C’est une ville qui s’est développée à une vitesse extraordinaire. Elle remonte à peu près à 1840. En 1940, elle a à peine un siècle d’âge et elle compte déjà plus de 3 millions d’habitants. Il y a une explosion urbaine absolument spectaculaire qui a été marquée par une prospérité étonnante avec la constitution de gigantesques fortunes autour des industries implantées à Chicago et, en même temps, une misère absolument noire, c’est le cas de le dire ici. C’est cela que saisit Richard Wright, ce contraste fabuleux et cette vitalité incroyable de la ville, de toutes les communautés urbaines qui composent cette ville, autour de cette expansion urbaine et industrielle concomitante. Maintenant, en ce qui concerne la pensée radicale, il faut savoir qu’à l’époque, dans les années 30, beaucoup d’activistes étaient extrêmement proches du parti communiste qui a eu une influence énorme à l’époque, d’une pensée radicale, contestataire, contestataire aussi du système capitaliste et d’une critique sociale radicale.
J’ai moi-même été à Chicago. J’ai fait le calcul, je dirais presque 25 ans. J’ai surtout rencontré des personnes de Chicago ici, à Paris. Ça me fait penser à une rencontre avec une femme qui réfutait le terme africaine-américaine et qui se disait noire. Elle a affirmé "je suis noire américaine, mais je suis surtout noire". Ça m’a interrogée. Cette idée qu’il y a une culture très spécifique qui naît de notre histoire, qui nous appartient, qu’on revendique. C’est une histoire, c’est un héritage douloureux, mais on en a fait quelque chose qui nous est propre et qui est différent. Quand je pense à Chicago, au-delà de ce livre, ce sont ces discussions et cette femme qui vient de là, qui est à Paris, qui tient ce discours et qui est difficile à comprendre quand on n’a pas les clés de compréhension, mais il prend tout son sens quand on s’intéresse à cette ville et ses origines. Black Metropolis est un livre paru en 1945 qui, depuis, est devenu un grand classique de la socio-anthropologie urbaine américaine. C’est le résultat d’une très grande enquête, menée pendant toute la décennie marquée par la politique du New Deal, c’est-à-dire sous la présidence de Franklin Roosevelt, qui décrit les conditions de vie dans le ghetto noir de Chicago, dans une ville qui n’était pas soumise à des lois Jim Crow, c’est-à-dire des lois de ségrégation comme dans les États du Sud, mais des conditions de vie extrêmement éprouvantes. C’est un travail qui a été publié juste après-guerre, en même temps qu’un autre grand classique de Gunnar Myrdal, Un Dilemme américain en français, An American Dilemma, qui lui aussi traitait de la question du racisme aux États-Unis et montrait l’incompatibilité absolue d’une société première démocratie moderne avec la perpétuation d’un racisme, au Sud comme au Nord. C’est aussi une époque d’après-guerre, 1945, où les grands organismes internationaux, tels que l’UNESCO, se sont emparés de la question du racisme. En particulier en France, l’UNESCO a publié toute une série de travaux, principalement nord-américains, mais aussi français, sur la question du racisme suite à la Shoah en Europe, aux conditions de vie et à la discrimination aux États-Unis, en particulier dans l’armée américaine. Black Metropolis a donc été publié en 1945. Devenu un classique, il a été republié régulièrement à la fin des années 60, puis en 1993 et finalement en 2015. C’est pour vous dire à quel point c’est un livre qui a compté, qui est constamment réactualisé à travers des préfaces nouvelles. Il est très important de souligner que Black Metropolis est l’œuvre de deux grands sociologues africains américains, Sinclair Drake et Horace Keaton, avec une importante équipe d’enquête, d’enquêteurs, d’enquêtrices. Une enquête qui s’est déroulée dans les années 30, à la fin des années 30, dans le cadre de New Deal. C’est un livre qui lui-même s’inscrit dans une temporalité très longue puisqu’il remonte au début du 20e siècle et il couvre deux guerres mondiales qui ont des répercussions très importantes aux États-Unis, 14-18 et la Seconde Guerre mondiale. De plus, il y a toutes ces rééditions qui font qu’on n’a plus uniquement une édition originale, mais une édition qui couvre plus d’un siècle. Nous arrivons avec la version française presque un siècle après, 80 ans après. Il est important de dire que juste après-guerre, pour revenir au sujet précédent, il y avait une grande écoute en France pour cet ouvrage qui a été publié, en partie, par les Temps Modernes, grâce à l’attention de Simone de Beauvoir pour ses écrits qu’on ne disait pas encore africains-américains. Il y a eu ensuite un certain oubli, à tel point que lorsque les travaux concernant la production de l’école de Chicago, l’école sociologique de Chicago, ces traductions ont eu lieu dans les années 70-80, Black Metropolis n’a pas du tout été l’objet d’une traduction. Peu d’auteurs s’y sont référés. Il y a donc eu une absence de cette tradition sociologique qui remonte à W.E.B. Du Bois, qui s’est perpétué ensuite à travers les travaux de Franklin Frazier, St. Clair Drake et Horace Caton. Pourquoi aujourd’hui traduire Black Metropolis ? Certainement, une des raisons, c’est qu’en France, non seulement la question urbaine est devenue absolument centrale, mais la question aussi des ségrégations urbaines. Tout un débat, qui ne cesse de renaître de ses cendres et de se poursuivre autour de la notion de ghetto, y a-t-il des ghettos en France, peut être alimenté par ce témoignage historique extraordinaire sur le ghetto noir de Chicago. Richard Wright a écrit la préface à la demande des auteurs et de la maison d’édition, puisque Richard Wright à l’époque était déjà un romancier extrêmement réputé. Il y avait aussi matière, entre ses propres romans et ce livre, à un renvoi entre la sociologie et la littérature très important. Richard Wright a été si sensible à ce que décrit Black Metropolis, qui n’est pas que la misère matérielle, mais aussi ce qu’on peut appeler la misère psychique. Il a été si sensible à cela qu’après-guerre, en 1945, il a cherché à mettre en place, cette fois-ci ce n’était pas à Chicago mais à Harlem, un dispensaire psychiatrique gratuit permettant de traiter justement ces troubles mentaux qui sont en grande partie dus à la discrimination, au racisme, qui ne trouvaient pas justement de soins appropriés. Black Metropolis est un livre très facile à lire et très facile à comprendre. Il a une écriture d’une très grande luminosité, d’une très grande vivacité. C’est un livre qui est à la fois très empirique et très théorique. Ce n’est pas la question intellectuelle qui est en cause là, c’est la question de la sensibilité. Car on est littéralement plongé dans un monde, un monde soumis à des épreuves, des épreuves sociales très importantes. Donc le témoignage sur ce monde, l’expression très vivante de toutes les personnes qui sont citées, peut en quelque sorte déranger, perturber. Il y a une adaptation à cette réalité sociologique éprouvante qui nécessite justement de sortir un peu de soi. Je crois que c’est ça que Wright veut signifier, c’est que c’est un livre qui va nous dépayser littéralement, alors qu’il s’agit d’une grande ville américaine. Le livre parvient à combiner à la fois sociologie et anthropologie, j’ajouterai même histoire et psychologie. C’est un livre qui rend parfaitement compte de la diversification en termes de classe sociale de cette communauté noire et de tous les mouvements sociaux qui ont agité cette communauté dans l’entre-deux-guerres, mouvements syndicaux, mouvements civiques, la musique et la danse qui ne sont pas traités véritablement dans cet ouvrage, mais qui affleurent constamment. C’est dans tous ces lieux, dans les clubs, dans les églises, dans les familles, que l’enquête a été portée de façon très continue, en profondeur, selon les méthodes de l’observation participante de l’anthropologie. Ces enquêtes sont souvent restituées de façon extrêmement littéraire. Une des grandes qualités de Black Metropolis, c’est qu’il y a une restitution des enquêtes qui est non pas romancée, mais organisée de façon à ce qu’on pénètre littéralement dans la vie de ces populations à des niveaux extrêmement différents puisqu’il s’agit des familles, des églises, des clubs. C’est une qualité remarquable de cet ouvrage qui est de nous faire voyager dans ce monde-là.
J’ai travaillé sur la question noire, plus particulièrement l’expérience africaine américaine à Paris à la rencontre de l’Atlantique noire contemporaine, un terrain vraiment afro diasporique, Diaspora noir avec un grand D. Cette idée de travailler sur ce livre m’a donné envie de revenir à la genèse. Il y a la rencontre qui a lieu, il y a des gens qui se rencontrent, qui viennent de quelque part. Faire ce pas de côté, traverser l’Atlantique, plonger en profondeur comment se construisent les identités, cette identité noire, qui est un grand questionnement, cette rencontre, que j’ai observée à Paris, permettait pour moi de donner des clés de compréhension, quelque part aussi de recontextualiser des choses et de comprendre de quoi est faite cette rencontre-là. Je pense que c’est un grand défi de traduire aujourd’hui un livre qui a été écrit il y a 80 ans. Un grand défi quand on réfléchit la thématique, toute l’évolution qui a eu lieu avec les changements sur comment on parle de soi, la question noire et le résultat d’une histoire où les terminologies venaient souvent de l’extérieur. S’approprier un vocabulaire, comment ça évolue, c’était déjà compliqué de travailler cette question, comment je nomme les personnes. Il y a tout un vocabulaire qui manque aussi dans la langue française. C’était, dans mes propres recherches, un grand défi. Faire ce voyage dans le passé, comprendre comment les personnes se décrivaient, comment la société décrivait les personnes, comment les enquêtés, mais aussi les enquêteurs décrivent, de trouver l’équivalent en français et d’avoir une approche anachronique et permettre une relecture contemporaine. Il y a tout un vocabulaire en français qui était pour moi inexistant en partie, donc tout un questionnement, des dialogues, quels mots trouver, quels mots utiliser pour rendre justice à l’ouvrage, mais aussi rendre justice à toutes les luttes qui ont émergé après et qui sont toujours en cours.
Il faut dire que Chicago est une ville jeune. C’est une ville qui s’est développée à une vitesse extraordinaire. Elle remonte à peu près à 1840. En 1940, elle a à peine un siècle d’âge et elle compte déjà plus de 3 millions d’habitants. Il y a une explosion urbaine absolument spectaculaire qui a été marquée par une prospérité étonnante avec la constitution de gigantesques fortunes autour des industries implantées à Chicago et, en même temps, une misère absolument noire, c’est le cas de le dire ici. C’est cela que saisit Richard Wright, ce contraste fabuleux et cette vitalité incroyable de la ville, de toutes les communautés urbaines qui composent cette ville, autour de cette expansion urbaine et industrielle concomitante. Maintenant, en ce qui concerne la pensée radicale, il faut savoir qu’à l’époque, dans les années 30, beaucoup d’activistes étaient extrêmement proches du parti communiste qui a eu une influence énorme à l’époque, d’une pensée radicale, contestataire, contestataire aussi du système capitaliste et d’une critique sociale radicale.
J’ai moi-même été à Chicago. J’ai fait le calcul, je dirais presque 25 ans. J’ai surtout rencontré des personnes de Chicago ici, à Paris. Ça me fait penser à une rencontre avec une femme qui réfutait le terme africaine-américaine et qui se disait noire. Elle a affirmé "je suis noire américaine, mais je suis surtout noire". Ça m’a interrogée. Cette idée qu’il y a une culture très spécifique qui naît de notre histoire, qui nous appartient, qu’on revendique. C’est une histoire, c’est un héritage douloureux, mais on en a fait quelque chose qui nous est propre et qui est différent. Quand je pense à Chicago, au-delà de ce livre, ce sont ces discussions et cette femme qui vient de là, qui est à Paris, qui tient ce discours et qui est difficile à comprendre quand on n’a pas les clés de compréhension, mais il prend tout son sens quand on s’intéresse à cette ville et ses origines. Black Metropolis est un livre paru en 1945 qui, depuis, est devenu un grand classique de la socio-anthropologie urbaine américaine. C’est le résultat d’une très grande enquête, menée pendant toute la décennie marquée par la politique du New Deal, c’est-à-dire sous la présidence de Franklin Roosevelt, qui décrit les conditions de vie dans le ghetto noir de Chicago, dans une ville qui n’était pas soumise à des lois Jim Crow, c’est-à-dire des lois de ségrégation comme dans les États du Sud, mais des conditions de vie extrêmement éprouvantes. C’est un travail qui a été publié juste après-guerre, en même temps qu’un autre grand classique de Gunnar Myrdal, Un Dilemme américain en français, An American Dilemma, qui lui aussi traitait de la question du racisme aux États-Unis et montrait l’incompatibilité absolue d’une société première démocratie moderne avec la perpétuation d’un racisme, au Sud comme au Nord. C’est aussi une époque d’après-guerre, 1945, où les grands organismes internationaux, tels que l’UNESCO, se sont emparés de la question du racisme. En particulier en France, l’UNESCO a publié toute une série de travaux, principalement nord-américains, mais aussi français, sur la question du racisme suite à la Shoah en Europe, aux conditions de vie et à la discrimination aux États-Unis, en particulier dans l’armée américaine. Black Metropolis a donc été publié en 1945. Devenu un classique, il a été republié régulièrement à la fin des années 60, puis en 1993 et finalement en 2015. C’est pour vous dire à quel point c’est un livre qui a compté, qui est constamment réactualisé à travers des préfaces nouvelles. Il est très important de souligner que Black Metropolis est l’œuvre de deux grands sociologues africains américains, Sinclair Drake et Horace Keaton, avec une importante équipe d’enquête, d’enquêteurs, d’enquêtrices. Une enquête qui s’est déroulée dans les années 30, à la fin des années 30, dans le cadre de New Deal. C’est un livre qui lui-même s’inscrit dans une temporalité très longue puisqu’il remonte au début du 20e siècle et il couvre deux guerres mondiales qui ont des répercussions très importantes aux États-Unis, 14-18 et la Seconde Guerre mondiale. De plus, il y a toutes ces rééditions qui font qu’on n’a plus uniquement une édition originale, mais une édition qui couvre plus d’un siècle. Nous arrivons avec la version française presque un siècle après, 80 ans après. Il est important de dire que juste après-guerre, pour revenir au sujet précédent, il y avait une grande écoute en France pour cet ouvrage qui a été publié, en partie, par les Temps Modernes, grâce à l’attention de Simone de Beauvoir pour ses écrits qu’on ne disait pas encore africains-américains. Il y a eu ensuite un certain oubli, à tel point que lorsque les travaux concernant la production de l’école de Chicago, l’école sociologique de Chicago, ces traductions ont eu lieu dans les années 70-80, Black Metropolis n’a pas du tout été l’objet d’une traduction. Peu d’auteurs s’y sont référés. Il y a donc eu une absence de cette tradition sociologique qui remonte à W.E.B. Du Bois, qui s’est perpétué ensuite à travers les travaux de Franklin Frazier, St. Clair Drake et Horace Caton. Pourquoi aujourd’hui traduire Black Metropolis ? Certainement, une des raisons, c’est qu’en France, non seulement la question urbaine est devenue absolument centrale, mais la question aussi des ségrégations urbaines. Tout un débat, qui ne cesse de renaître de ses cendres et de se poursuivre autour de la notion de ghetto, y a-t-il des ghettos en France, peut être alimenté par ce témoignage historique extraordinaire sur le ghetto noir de Chicago. Richard Wright a écrit la préface à la demande des auteurs et de la maison d’édition, puisque Richard Wright à l’époque était déjà un romancier extrêmement réputé. Il y avait aussi matière, entre ses propres romans et ce livre, à un renvoi entre la sociologie et la littérature très important. Richard Wright a été si sensible à ce que décrit Black Metropolis, qui n’est pas que la misère matérielle, mais aussi ce qu’on peut appeler la misère psychique. Il a été si sensible à cela qu’après-guerre, en 1945, il a cherché à mettre en place, cette fois-ci ce n’était pas à Chicago mais à Harlem, un dispensaire psychiatrique gratuit permettant de traiter justement ces troubles mentaux qui sont en grande partie dus à la discrimination, au racisme, qui ne trouvaient pas justement de soins appropriés. Black Metropolis est un livre très facile à lire et très facile à comprendre. Il a une écriture d’une très grande luminosité, d’une très grande vivacité. C’est un livre qui est à la fois très empirique et très théorique. Ce n’est pas la question intellectuelle qui est en cause là, c’est la question de la sensibilité. Car on est littéralement plongé dans un monde, un monde soumis à des épreuves, des épreuves sociales très importantes. Donc le témoignage sur ce monde, l’expression très vivante de toutes les personnes qui sont citées, peut en quelque sorte déranger, perturber. Il y a une adaptation à cette réalité sociologique éprouvante qui nécessite justement de sortir un peu de soi. Je crois que c’est ça que Wright veut signifier, c’est que c’est un livre qui va nous dépayser littéralement, alors qu’il s’agit d’une grande ville américaine. Le livre parvient à combiner à la fois sociologie et anthropologie, j’ajouterai même histoire et psychologie. C’est un livre qui rend parfaitement compte de la diversification en termes de classe sociale de cette communauté noire et de tous les mouvements sociaux qui ont agité cette communauté dans l’entre-deux-guerres, mouvements syndicaux, mouvements civiques, la musique et la danse qui ne sont pas traités véritablement dans cet ouvrage, mais qui affleurent constamment. C’est dans tous ces lieux, dans les clubs, dans les églises, dans les familles, que l’enquête a été portée de façon très continue, en profondeur, selon les méthodes de l’observation participante de l’anthropologie. Ces enquêtes sont souvent restituées de façon extrêmement littéraire. Une des grandes qualités de Black Metropolis, c’est qu’il y a une restitution des enquêtes qui est non pas romancée, mais organisée de façon à ce qu’on pénètre littéralement dans la vie de ces populations à des niveaux extrêmement différents puisqu’il s’agit des familles, des églises, des clubs. C’est une qualité remarquable de cet ouvrage qui est de nous faire voyager dans ce monde-là.
J’ai travaillé sur la question noire, plus particulièrement l’expérience africaine américaine à Paris à la rencontre de l’Atlantique noire contemporaine, un terrain vraiment afro diasporique, Diaspora noir avec un grand D. Cette idée de travailler sur ce livre m’a donné envie de revenir à la genèse. Il y a la rencontre qui a lieu, il y a des gens qui se rencontrent, qui viennent de quelque part. Faire ce pas de côté, traverser l’Atlantique, plonger en profondeur comment se construisent les identités, cette identité noire, qui est un grand questionnement, cette rencontre, que j’ai observée à Paris, permettait pour moi de donner des clés de compréhension, quelque part aussi de recontextualiser des choses et de comprendre de quoi est faite cette rencontre-là. Je pense que c’est un grand défi de traduire aujourd’hui un livre qui a été écrit il y a 80 ans. Un grand défi quand on réfléchit la thématique, toute l’évolution qui a eu lieu avec les changements sur comment on parle de soi, la question noire et le résultat d’une histoire où les terminologies venaient souvent de l’extérieur. S’approprier un vocabulaire, comment ça évolue, c’était déjà compliqué de travailler cette question, comment je nomme les personnes. Il y a tout un vocabulaire qui manque aussi dans la langue française. C’était, dans mes propres recherches, un grand défi. Faire ce voyage dans le passé, comprendre comment les personnes se décrivaient, comment la société décrivait les personnes, comment les enquêtés, mais aussi les enquêteurs décrivent, de trouver l’équivalent en français et d’avoir une approche anachronique et permettre une relecture contemporaine. Il y a tout un vocabulaire en français qui était pour moi inexistant en partie, donc tout un questionnement, des dialogues, quels mots trouver, quels mots utiliser pour rendre justice à l’ouvrage, mais aussi rendre justice à toutes les luttes qui ont émergé après et qui sont toujours en cours.
Il faut dire que Chicago est une ville jeune. C’est une ville qui s’est développée à une vitesse extraordinaire. Elle remonte à peu près à 1840. En 1940, elle a à peine un siècle d’âge et elle compte déjà plus de 3 millions d’habitants. Il y a une explosion urbaine absolument spectaculaire qui a été marquée par une prospérité étonnante avec la constitution de gigantesques fortunes autour des industries implantées à Chicago et, en même temps, une misère absolument noire, c’est le cas de le dire ici. C’est cela que saisit Richard Wright, ce contraste fabuleux et cette vitalité incroyable de la ville, de toutes les communautés urbaines qui composent cette ville, autour de cette expansion urbaine et industrielle concomitante. Maintenant, en ce qui concerne la pensée radicale, il faut savoir qu’à l’époque, dans les années 30, beaucoup d’activistes étaient extrêmement proches du parti communiste qui a eu une influence énorme à l’époque, d’une pensée radicale, contestataire, contestataire aussi du système capitaliste et d’une critique sociale radicale.
J’ai moi-même été à Chicago. J’ai fait le calcul, je dirais presque 25 ans. J’ai surtout rencontré des personnes de Chicago ici, à Paris. Ça me fait penser à une rencontre avec une femme qui réfutait le terme africaine-américaine et qui se disait noire. Elle a affirmé "je suis noire américaine, mais je suis surtout noire". Ça m’a interrogée. Cette idée qu’il y a une culture très spécifique qui naît de notre histoire, qui nous appartient, qu’on revendique. C’est une histoire, c’est un héritage douloureux, mais on en a fait quelque chose qui nous est propre et qui est différent. Quand je pense à Chicago, au-delà de ce livre, ce sont ces discussions et cette femme qui vient de là, qui est à Paris, qui tient ce discours et qui est difficile à comprendre quand on n’a pas les clés de compréhension, mais il prend tout son sens quand on s’intéresse à cette ville et ses origines. Black Metropolis est un livre paru en 1945 qui, depuis, est devenu un grand classique de la socio-anthropologie urbaine américaine. C’est le résultat d’une très grande enquête, menée pendant toute la décennie marquée par la politique du New Deal, c’est-à-dire sous la présidence de Franklin Roosevelt, qui décrit les conditions de vie dans le ghetto noir de Chicago, dans une ville qui n’était pas soumise à des lois Jim Crow, c’est-à-dire des lois de ségrégation comme dans les États du Sud, mais des conditions de vie extrêmement éprouvantes. C’est un travail qui a été publié juste après-guerre, en même temps qu’un autre grand classique de Gunnar Myrdal, Un Dilemme américain en français, An American Dilemma, qui lui aussi traitait de la question du racisme aux États-Unis et montrait l’incompatibilité absolue d’une société première démocratie moderne avec la perpétuation d’un racisme, au Sud comme au Nord. C’est aussi une époque d’après-guerre, 1945, où les grands organismes internationaux, tels que l’UNESCO, se sont emparés de la question du racisme. En particulier en France, l’UNESCO a publié toute une série de travaux, principalement nord-américains, mais aussi français, sur la question du racisme suite à la Shoah en Europe, aux conditions de vie et à la discrimination aux États-Unis, en particulier dans l’armée américaine. Black Metropolis a donc été publié en 1945. Devenu un classique, il a été republié régulièrement à la fin des années 60, puis en 1993 et finalement en 2015. C’est pour vous dire à quel point c’est un livre qui a compté, qui est constamment réactualisé à travers des préfaces nouvelles. Il est très important de souligner que Black Metropolis est l’œuvre de deux grands sociologues africains américains, Sinclair Drake et Horace Keaton, avec une importante équipe d’enquête, d’enquêteurs, d’enquêtrices. Une enquête qui s’est déroulée dans les années 30, à la fin des années 30, dans le cadre de New Deal. C’est un livre qui lui-même s’inscrit dans une temporalité très longue puisqu’il remonte au début du 20e siècle et il couvre deux guerres mondiales qui ont des répercussions très importantes aux États-Unis, 14-18 et la Seconde Guerre mondiale. De plus, il y a toutes ces rééditions qui font qu’on n’a plus uniquement une édition originale, mais une édition qui couvre plus d’un siècle. Nous arrivons avec la version française presque un siècle après, 80 ans après. Il est important de dire que juste après-guerre, pour revenir au sujet précédent, il y avait une grande écoute en France pour cet ouvrage qui a été publié, en partie, par les Temps Modernes, grâce à l’attention de Simone de Beauvoir pour ses écrits qu’on ne disait pas encore africains-américains. Il y a eu ensuite un certain oubli, à tel point que lorsque les travaux concernant la production de l’école de Chicago, l’école sociologique de Chicago, ces traductions ont eu lieu dans les années 70-80, Black Metropolis n’a pas du tout été l’objet d’une traduction. Peu d’auteurs s’y sont référés. Il y a donc eu une absence de cette tradition sociologique qui remonte à W.E.B. Du Bois, qui s’est perpétué ensuite à travers les travaux de Franklin Frazier, St. Clair Drake et Horace Caton. Pourquoi aujourd’hui traduire Black Metropolis ? Certainement, une des raisons, c’est qu’en France, non seulement la question urbaine est devenue absolument centrale, mais la question aussi des ségrégations urbaines. Tout un débat, qui ne cesse de renaître de ses cendres et de se poursuivre autour de la notion de ghetto, y a-t-il des ghettos en France, peut être alimenté par ce témoignage historique extraordinaire sur le ghetto noir de Chicago. Richard Wright a écrit la préface à la demande des auteurs et de la maison d’édition, puisque Richard Wright à l’époque était déjà un romancier extrêmement réputé. Il y avait aussi matière, entre ses propres romans et ce livre, à un renvoi entre la sociologie et la littérature très important. Richard Wright a été si sensible à ce que décrit Black Metropolis, qui n’est pas que la misère matérielle, mais aussi ce qu’on peut appeler la misère psychique. Il a été si sensible à cela qu’après-guerre, en 1945, il a cherché à mettre en place, cette fois-ci ce n’était pas à Chicago mais à Harlem, un dispensaire psychiatrique gratuit permettant de traiter justement ces troubles mentaux qui sont en grande partie dus à la discrimination, au racisme, qui ne trouvaient pas justement de soins appropriés. Black Metropolis est un livre très facile à lire et très facile à comprendre. Il a une écriture d’une très grande luminosité, d’une très grande vivacité. C’est un livre qui est à la fois très empirique et très théorique. Ce n’est pas la question intellectuelle qui est en cause là, c’est la question de la sensibilité. Car on est littéralement plongé dans un monde, un monde soumis à des épreuves, des épreuves sociales très importantes. Donc le témoignage sur ce monde, l’expression très vivante de toutes les personnes qui sont citées, peut en quelque sorte déranger, perturber. Il y a une adaptation à cette réalité sociologique éprouvante qui nécessite justement de sortir un peu de soi. Je crois que c’est ça que Wright veut signifier, c’est que c’est un livre qui va nous dépayser littéralement, alors qu’il s’agit d’une grande ville américaine. Le livre parvient à combiner à la fois sociologie et anthropologie, j’ajouterai même histoire et psychologie. C’est un livre qui rend parfaitement compte de la diversification en termes de classe sociale de cette communauté noire et de tous les mouvements sociaux qui ont agité cette communauté dans l’entre-deux-guerres, mouvements syndicaux, mouvements civiques, la musique et la danse qui ne sont pas traités véritablement dans cet ouvrage, mais qui affleurent constamment. C’est dans tous ces lieux, dans les clubs, dans les églises, dans les familles, que l’enquête a été portée de façon très continue, en profondeur, selon les méthodes de l’observation participante de l’anthropologie. Ces enquêtes sont souvent restituées de façon extrêmement littéraire. Une des grandes qualités de Black Metropolis, c’est qu’il y a une restitution des enquêtes qui est non pas romancée, mais organisée de façon à ce qu’on pénètre littéralement dans la vie de ces populations à des niveaux extrêmement différents puisqu’il s’agit des familles, des églises, des clubs. C’est une qualité remarquable de cet ouvrage qui est de nous faire voyager dans ce monde-là.
J’ai travaillé sur la question noire, plus particulièrement l’expérience africaine américaine à Paris à la rencontre de l’Atlantique noire contemporaine, un terrain vraiment afro diasporique, Diaspora noir avec un grand D. Cette idée de travailler sur ce livre m’a donné envie de revenir à la genèse. Il y a la rencontre qui a lieu, il y a des gens qui se rencontrent, qui viennent de quelque part. Faire ce pas de côté, traverser l’Atlantique, plonger en profondeur comment se construisent les identités, cette identité noire, qui est un grand questionnement, cette rencontre, que j’ai observée à Paris, permettait pour moi de donner des clés de compréhension, quelque part aussi de recontextualiser des choses et de comprendre de quoi est faite cette rencontre-là. Je pense que c’est un grand défi de traduire aujourd’hui un livre qui a été écrit il y a 80 ans. Un grand défi quand on réfléchit la thématique, toute l’évolution qui a eu lieu avec les changements sur comment on parle de soi, la question noire et le résultat d’une histoire où les terminologies venaient souvent de l’extérieur. S’approprier un vocabulaire, comment ça évolue, c’était déjà compliqué de travailler cette question, comment je nomme les personnes. Il y a tout un vocabulaire qui manque aussi dans la langue française. C’était, dans mes propres recherches, un grand défi. Faire ce voyage dans le passé, comprendre comment les personnes se décrivaient, comment la société décrivait les personnes, comment les enquêtés, mais aussi les enquêteurs décrivent, de trouver l’équivalent en français et d’avoir une approche anachronique et permettre une relecture contemporaine. Il y a tout un vocabulaire en français qui était pour moi inexistant en partie, donc tout un questionnement, des dialogues, quels mots trouver, quels mots utiliser pour rendre justice à l’ouvrage, mais aussi rendre justice à toutes les luttes qui ont émergé après et qui sont toujours en cours.
Il faut dire que Chicago est une ville jeune. C’est une ville qui s’est développée à une vitesse extraordinaire. Elle remonte à peu près à 1840. En 1940, elle a à peine un siècle d’âge et elle compte déjà plus de 3 millions d’habitants. Il y a une explosion urbaine absolument spectaculaire qui a été marquée par une prospérité étonnante avec la constitution de gigantesques fortunes autour des industries implantées à Chicago et, en même temps, une misère absolument noire, c’est le cas de le dire ici. C’est cela que saisit Richard Wright, ce contraste fabuleux et cette vitalité incroyable de la ville, de toutes les communautés urbaines qui composent cette ville, autour de cette expansion urbaine et industrielle concomitante. Maintenant, en ce qui concerne la pensée radicale, il faut savoir qu’à l’époque, dans les années 30, beaucoup d’activistes étaient extrêmement proches du parti communiste qui a eu une influence énorme à l’époque, d’une pensée radicale, contestataire, contestataire aussi du système capitaliste et d’une critique sociale radicale.
J’ai moi-même été à Chicago. J’ai fait le calcul, je dirais presque 25 ans. J’ai surtout rencontré des personnes de Chicago ici, à Paris. Ça me fait penser à une rencontre avec une femme qui réfutait le terme africaine-américaine et qui se disait noire. Elle a affirmé "je suis noire américaine, mais je suis surtout noire". Ça m’a interrogée. Cette idée qu’il y a une culture très spécifique qui naît de notre histoire, qui nous appartient, qu’on revendique. C’est une histoire, c’est un héritage douloureux, mais on en a fait quelque chose qui nous est propre et qui est différent. Quand je pense à Chicago, au-delà de ce livre, ce sont ces discussions et cette femme qui vient de là, qui est à Paris, qui tient ce discours et qui est difficile à comprendre quand on n’a pas les clés de compréhension, mais il prend tout son sens quand on s’intéresse à cette ville et ses origines.