Le projet du livre est né pendant mon mémoire de master, pendant lequel j'ai travaillé sur le rôle de l'association Cœur Sans Frontières, une association qui réunit des enfants de la guerre franco-allemands.
J'ai voulu m'intéresser un peu plus aux enfants nés en Allemagne, car le côté français avait été plutôt bien étudié par l'historien Fabrice Virgili.
Lors d'un séjour Erasmus à Berlin pendant mon mémoire de master, j'ai été, pour la première fois, aux archives allemandes et en cherchant des informations sur les enfants de la guerre franco-allemands nés en Allemagne, je suis tombée sur une masse de dossiers importante de condamnations de femmes allemandes pour relations interdites avec les prisonniers de guerre, en particulier les prisonniers de guerre français.
Ça a été mon point d'entrée pour la thèse et finalement, j'ai changé la focale en passant des enfants aux parents.
Le livre est composé de cinq chapitres.
Dans le premier chapitre, on entre directement dans le vif du sujet en s'intéressant directement aux relations entre les femmes allemandes et les prisonniers de guerre français.
Dans le deuxième chapitre, on va s'intéresser plus particulièrement à la sexualité des femmes allemandes.
Le troisième chapitre va se concentrer sur les prisonniers de guerre français et sur leur statut d'entre-deux.
Le quatrième chapitre va s'intéresser au décret relatif aux prisonniers de guerre et le cinquième chapitre va s'intéresser à l'interaction entre le genre et la guerre à travers les relations interdites.
Enfin, il y a un épilogue qui élargit l'étude sur le temps long à l'après-guerre avec une courte contextualisation de ce qui s'est passé après la guerre pour les prisonniers de guerre, pour les femmes allemandes et pour les enfants nés de ces unions.
L'étude s'est composée sur trois aires géographiques qui correspondent à trois districts militaires, trois Wehrkreis : Berlin-Brandenburg, la Saxe et le Bade et Wurtemberg.
Les sources ont permis de faire une analyse à la fois qualitative et quantitative et se sont composées principalement de trois types.
Les dossiers judiciaires de femmes allemandes condamnées pour relations interdites avec des prisonniers de guerre français, j'ai analysé environ 2 000 dossiers.
Le pendant français a été une analyse d'échantillon d'une centaine de dossiers de prisonniers de guerre français condamnés pour le décret de relations interdites, mais eux sont déférés devant les tribunaux militaires.
Ensuite, j'ai utilisé des sources d'institutions officielles.
Enfin, des entretiens et des échanges avec des enfants de la guerre, notamment deux femmes allemandes qui ont eu elles-mêmes des relations avec des prisonniers de guerre français.
Cela a vraiment enrichi le corpus et a permis d'amener d'autres éléments qu'on ne trouve pas dans les dossiers judiciaires et aussi des ego-documents.
Le décret désigné sous le terme de "relations interdites" dans le livre se réfère à deux décrets, le premier ordonné le 25 novembre 1939 et un autre décret ajouté à celui-ci le 10 mai 1940, qui condamnent tout contact entre les prisonniers de guerre, toutes nationalités confondues et la population allemande.
Ça ne s'adresse pas seulement aux femmes allemandes, mais aussi aux hommes allemands.
Le décret est assez peu clair et au fil de la guerre, il va y avoir d'autres ordonnances qui vont essayer de clarifier les délits.
Finalement, on voit que c'est laissé à la convenance des juges.
Ensuite, il faut savoir que les prisonniers de guerre français ne sont pas condamnés aux mêmes décrets, car ils dépendent de la Wehrmacht et sont déférés devant des tribunaux militaires.
Ils sont donc condamnés au délit de désobéissance.
C'est un délit qui inclut d'autres types de délits, pas seulement les relations interdites.
Il faut savoir que c'est un délit qui ne concerne pas les travailleurs civils, les STO par exemple.
On voit effectivement qu'après la guerre, les prisonniers de guerre français ont eu du mal à parler de la captivité de manière générale et des relations interdites.
Ça s'explique par plusieurs choses.
Tout d'abord, les hommes, de manière générale, parlent assez peu de leur vie intime.
Ensuite, comparé à ce qui s'est passé en France à la fin de la guerre pendant l'épuration et les femmes tondues qui ont eu des relations avec des soldats allemands, les relations des prisonniers de guerre français en Allemagne sont restées en Allemagne, donc sont restées tabou.
Ensuite, du point de vue de la mémoire à l'échelle collective, après la guerre, les prisonniers de guerre français sont associés au régime de Pétain.
Il y a l'image de vaincus, de ceux qui n'ont pas combattu, donc parler des relations interdites après la guerre aurait encore plus entaché cette mémoire collective.
Finalement, la parole s'est libérée avec le temps et les générations futures.
La sexualité des femmes allemandes a été un enjeu fondamental pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il faut savoir que dans l'idéologie nazie, la sexualité oscille entre répression et encouragement, répression pour les femmes qui n'entrent pas dans les critères de la communauté du peuple race, qui vont par exemple subir des avortements jusqu'à très tard dans la grossesse ou des stérilisations forcées, et encouragement de la sexualité pour les femmes qui entrent dans les critères raciaux, doivent être au service de la communauté et fournir de bons petits Allemands.
En ayant des relations avec des prisonniers de guerre français, l'ennemi racial et militaire, les femmes allemandes vont à l'encontre des injonctions de l'idéologie nazie.
Dans le livre, je cite l'écrivaine Alec Tweedie qui écrit : "Après la Seconde Guerre mondiale, la guerre a mis tous sans dessus dessous, chaque homme est devenu soldat et chaque femme est devenue homme".
Je trouve que cette citation s'applique aussi à la Seconde Guerre mondiale.
Dans les relations interdites, on voit un bouleversement de genre au niveau de la configuration des relations qui vont à l'inverse du schéma classique où on va avoir le soldat occupant, vainqueur, envahisseur face aux femmes en territoire occupé.
Ici, on va avoir les femmes allemandes, membres de la communauté du vainqueur, face aux prisonniers de guerre français, les vaincus qui sont eux-mêmes dans le territoire du Reich.
Les femmes allemandes sont celles qui sont en mesure de fournir des avantages affectifs ou matériels aux prisonniers de guerre.
Elles vont être actrices et investigatrices de ces relations.
Les relations interdites montrent des dominations sexistes et intersectionnelles sur plusieurs points.
D'abord du point de vue de la communauté du peuple race, les femmes sont au service de l'idéologie nazie, donc les relations interdites vont à l'encontre de cette injonction, car en ayant des relations avec des prisonniers de guerre français, elles vont avoir des relations avec l'ennemi, l'ennemi militaire et l'ennemi racial, même si c'est un ennemi un peu moins dangereux que certains.
Ensuite, d'un point de vue moral, dans l'idéologie nazie, les femmes sont les garantes de la morale.
Elles doivent être de bonnes épouses, de bonnes mères.
Dans les dossiers judiciaires, les magistrats jugent cette sexualité transgressive, non pas seulement transgressive avec l'ennemi militaire et racial, mais aussi cette sexualité où la femme devient active dans ses relations et va à l'encontre de l'idée selon laquelle c'est l'homme qui doit gérer la sphère sexuelle.
Ce qui est intéressant, même si on peut observer un bouleversement de genre dans la configuration des relations, on voit qu'il y a toujours des dominations sexistes qui perdurent.
Même si les prisonniers de guerre français n'ont pas tellement de marge de manœuvre, ils exercent quand même de la pression psychologique en menaçant par exemple de quitter l'exploitation agricole sur laquelle ils travaillent ou des menaces physiques, allant jusqu'au viol, sachant qu'eux-mêmes peuvent être sévèrement condamnés pour ces actes-là.
Cette citation met en lumière la capacité des relations humaines à transgresser des barrières idéologiques dans un contexte aussi rigide que celui de la Seconde Guerre mondiale et de l'idéologie nazie.
On voit l'importance d'aborder la guerre d'une autre manière, du point de vue de l'intime, du micro-social et du genre.
À l'inverse de l'histoire traditionnelle qui s'intéresse aux grands événements de la Seconde Guerre mondiale, ici, on se concentre sur des expériences et des trajectoires individuelles.
Les relations interdites permettent d'observer le dépassement de la propagande et de l'idéologie nazie.
En rapport à cette figure de l'ennemi du prisonnier de guerre français, ces femmes et ces hommes ont quand même réussi à créer du lien social à l'inverse des normes imposées.
Le fait de s'intéresser à ces parcours et trajectoires individuelles nous permet d'aborder ce sujet et de voir la différence entre la théorie, les décrets, les réglementations et la pratique, ce qui se passe au sein de la population allemande.
Relations interdites. Prisonniers de guerre français et femmes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale
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