Ravie de vous accueillir pour cette histoire environnementale de la mer.
Romain Grancher qui nous arrive de Bordeaux, mais tu travailles à Toulouse.
Ces deux villes arrivent à se parler apparemment, ça va.
Braudel a été cité, on sait à quel point.
Toulouse, ce n'est pas Bordeaux et Bordeaux, ce n'est pas Toulouse.
Vous savez tous ça.
Et Romy Hentinger, toujours difficile de prononcer ton nom, directrice du Pôle plaidoyer et coopération internationale de la fondation Tara Océan.
On reviendra en détail sur les faits et gestes de chacune et de chacun.
Je vais commencer par demander à chacun d'entre eux.
Romain, vous êtes historien, vous êtes spécialiste de la pêche, des sociétés littorales et des espèces maritimes.
Je signale à quiconque intéressé que votre livre n'est pas encore sorti, il va sortir en mois de mai, c'est ça ?
Une histoire du monde de la pêche par le bas, Dieppe, 18e, 19e siècle, mois de mai aux éditions de la Sorbonne.
Je vous demande, comme je vais le demander à Romy, quand on aura tout oublié, parce que ça se passe quand même comme ça, deux, trois messages que vous allez faire passer, que vous allez développer et dont il faut quand même un peu se souvenir.
C'est quoi ?
Le premier message que je voudrais faire passer ce soir, c'est que tout un ensemble d'enjeux environnementaux actuels considérant les océans, par exemple, la pollution marine ou la surpêche pour ne prendre que deux exemples, sont en réalité des enjeux qui ont des racines historiques anciennes et que l'histoire, et les historiens et les historiennes, ont des choses à apporter, des éclairages historiques à donner sur ces enjeux aujourd'hui.
Heureusement, ça vous donne du travail.
Romy, vous avez rejoint la fondation Tara, on reviendra sur tout ce qu'elle a fait, sans faire de catalogue, ne vous inquiétez pas, on va essayer de donner du sens à ce qui se raconte, en 2016, après avoir travaillé à l'Agence française de développement, l'AFD, qui joue des rôles très importants dans de très nombreux pays.
Tout le monde ne le sait pas toujours.
Et vous coordonnez maintenant les actions stratégiques pour la fondation.
Même question qu'à Romain, si on oublie tout, il faut se souvenir de quoi ?
Trois choses, la première, c'est qu'il faut considérer cet océan dans son unicité, dans sa continuité avec la terre.
Longtemps, on a vu cet espace comme un espace à part.
Et c'est pour ça que longtemps, on a cru qu'on pouvait tout faire dans cet océan, notamment tout y jeter.
Donc, aujourd'hui, considérer que ce qui se passe à terre a un impact en mer.
On en parle beaucoup, notamment sur les pollutions, qu'elles soient plastiques, chimiques, agricoles.
C'est le premier message que je voudrais faire passer que cet océan est encore largement méconnu.
Nous sommes une fondation scientifique, nous travaillons avec des partenaires scientifiques internationaux et interdisciplinaires.
L'importance de comprendre, parce qu'on ne peut pas protéger ce qu'on ne comprend pas.
L'océan est d'une fabuleuse complexité et à l'origine de la vie.
Il est important aujourd'hui de comprendre ce qu'il va devenir demain et les impacts qu'on lui fait subir.
Et comprendre aussi, en troisième message, que cet océan fait partie d'un vivant plus large.
C'est pour ça qu'à la fondation, on dit qu'il faut défendre le vivant et protéger l'océan.
Le vivant dans sa globalité, le vivant humain, le vivant animal.
Et qu'aujourd'hui, il faut protéger cet océan, parce que protéger cet océan, c'est aussi le respecter.
Et le protéger, c'est se respecter et se protéger aussi.
Il y a la santé environnementale et la santé humaine.
Aujourd'hui, on distingue trop ces deux choses qui sont très liées et qu'on parle aujourd'hui, et les ONG portent ce message de santé globale, qu'il faut penser vraiment que nous sommes parties du vivant.
Et aujourd'hui, on constate les différentes crises.
C'est notre crise aux vivants.
Oui, justement, c'est toutes ces choses-là que nous allons développer.
Histoire pour Romain et le lien avec ce qui se dit aujourd'hui, et il y a des correspondances.
Et pour Romy, continuité terre-mer, méconnaissance, beaucoup restent à faire, et vivant pour la santé globale.
La santé globale, c'est aussi ce que je disais ou que je crois que j'ai dit en ouverture.
Quand on a préparé, Romain, pour renouer avec ce que tu viens de dire, je ne sais plus si c'était au 16e déjà, tu dis qu'on employait le terme de dépopulation des océans.
Quand est-ce que ça apparaît et pourquoi ?
Peut-être que c'est différent de la façon dont on pense aujourd'hui.
D'où regardait-on ?
Depuis le rivage, depuis les bateaux déjà ?
Effectivement, cette question de ce qu'on appelait la dépopulation des océans qui est une expression qu'on trouve fréquemment dans les sources au 18e siècle, mais qui est un petit peu plus ancienne, c'est une problématique qui apparaît à la fin du Moyen-âge.
On parle d'abord de dépopulation des cours d'eau ou des lacs, parce qu'on s'aperçoit que les ressources de ces environnements ont tendance à s'épuiser.
Puis à mesure que la pêche connaît un essor au 16e siècle, cette problématique-là va apparaître et se poser aussi pour les espaces maritimes.
Et un moment clé où on voit apparaître cette question, c'est la fameuse controverse autour de la liberté des mers qui opposent, au début du 17e siècle, deux juristes.
Un juriste hollandais qui s'appelle Hugo Grotius et un juriste anglais qui s'appelle John Selden.
Grotius publie un traité qui s'appelle le Mare Liberum.
Son idée, c'est que la mer doit rester un espace commun ouvert à tous.
Et pour justifier cette position, il invoque deux choses.
Il dit tout d'abord que la mer est un espace liquide, fluide et qu'on ne peut pas l'approprier, on ne peut pas le borner.
C'est une première raison naturelle pour que cet espace, cet environnement demeure libre à tous.
Et la deuxième chose qu'il invoque, c'est l'immensité de l'océan.
Selon lui, cette immensité fait que les ressources de la mer sont tellement nombreuses que les humains ne pourraient les épuiser en les pêchant et qu'elles doivent donc rester à ce qu'il appelle des res nullius, des choses qui n'appartiennent à personne, qui appartiennent aux premiers qui s'emparent du poisson.
Une res nullius, ça vient du latin, "res" la chose, et "nullius" qui n'appartient à personne.
Très bien.
Révisez votre latin.
Là, c'est Grotius, c'est l'anglais ?
Grotius, c'est le hollandais.
Il invoque cette idée que l'océan est inépuisable.
Je ne réponds pas vraiment à ta question, parce que là, je suis parti sur l'océan inépuisable, mais je vais revenir à la dépopulation.
Ça veut dire qu'on pensait déjà à la pêche.
On pensait déjà à la pêche.
Il invoque cette idée de l'océan inépuisable pour deux raisons.
D'une part, on est au début du 17e siècle, les Portugais sont en train de s'emparer de tout un ensemble de territoires dans l'Océan indien, mais aussi de territoires maritimes, et notamment de zones de pêcherie perlières.
Des zones où on pêchait l'huître perlière, notamment autour du Sri Lanka dans le golfe de Mannar.
Et les Portugais disent, cet espace maritime n'est pas à tout le monde, il est à nous.
On se l'approprie, parce qu'on possède telle île et telle île autour.
Il veut contester ça.
Il veut aussi contester la prétention qu'a, à cette époque, le roi d'Angleterre Jacques Ier d'empêcher les pêcheurs hollandais de venir pêcher au large des côtes anglaises.
Le deuxième que tu citais, c'était déjà un Portugais ou c'est un autre ?
Celui qui répond, c'est un Anglais, c'est John Selden qui publie un traité.
Grotius et Mare Liberum, la mer libre.
Et Selden publie quelques années plus tard un autre traité, Mare Clausum, la mer fermée.
Il veut défendre ce droit qu'aurait le roi d'Angleterre à fermer ses mers.
Et pour défendre ça, il invoque justement cette question de la dépopulation des océans.
Il dit que les ressources côtières appartiennent aux États qui sont adjacents à ces eaux territoriales et que comme elles peuvent être dépeuplées, l'État a le droit d'empêcher des pêcheurs étrangers de venir les exploiter et qu'il a également un droit de police pour instaurer des mesures de conservation.
Et ce terme-là apparaît déjà également au 16e, 17e siècle.
Je vais être très désagréable pour l'historien, mais qui c'est qui a gagné ?
C'est la mer fermée ?
L'histoire canonique, c'est de dire que c'est la mer ouverte qui a gagné.
Mais c'est une sorte de compromis dans la mesure où les espaces, ce qu'on appelle la haute mer, ou au-delà des eaux territoriales, vont rester en théorie ouverts, en sachant qu'à cette époque-là, il y a des corsaires, des pirates.
C'est une ouverture qui est quand même assez relative.
Mais progressivement, il y a un consensus qui va se dégager parmi les États, notamment les États européens au 17e siècle, pour s'accorder sur l'idée que ce qu'on appelle les mers adjacentes, une fine bande d'une largeur de 3 000 qui correspond, à cette époque-là, à la portée d'un canon.
La portée de mer qu'on peut défendre depuis la terre.
Cette zone appartient effectivement aux États adjacents qui ont un monopole exclusif sur ces ressources et peuvent les réguler, instaurer des mesures de régulation.
Je te posais la question, parce que la façon même dont nos chers pêcheurs français, avec les pêcheurs anglais, avec les pêcheurs espagnols..
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Ce qui se passe aujourd'hui, on en trouve les racines dans ce que tu viens de nous raconter et qui a combien..
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Au moins 400 ans.
Voilà.
Ce n'est pas évident pour tout le monde.
Il y aurait une histoire à faire des relations de pêche franco-anglaise, qui a déjà été un petit peu faite, notamment par quelqu'un qui s'appelle Renaud Morieux qui avait écrit un livre sur la Manche.
Une histoire franco-anglaise du 16e jusqu'au Brexit, parce que la question de la pêche, dans la décision du Brexit, était centrale.
Est-ce que tu veux poursuivre ou on passe tout de suite la parole à Romy et on reviendra ?
Ne vous inquiétez pas, on va parler des huîtres et des baleines.
Soyez patient.
Romy, avec ce qui vient d'être dit, où c'est qu'on va se promener avec nos bateaux ?
Attendez quand même, on a une actualité incroyable.
Vous avez vu ce cargo qui est rentré, je ne sais plus lequel est rentré dans quoi, un tanker dans un cargo ou le cargo dans un tanker.
Il y a eu un incendie, je ne sais pas où ça en est.
S'il y en a qui sont en train de manipuler leur smartphone, ils vont peut-être nous le dir.
C'est quand même incroyable.
On craint des vapeurs toxiques, voire une marée noire.
Ce qui vient d'être dit et qui régule sans trop le réguler totalement les échanges, la pêche, etc.
Quand vous voulez défendre les écosystèmes, vous commencez par quoi ?
Par le littoral ?
Vous allez jusqu'aux aires protégées, la haute mer ?
On est un peu perdu.
Où c'est qu'il faut aller, qu'est-ce qu'il faut faire ?
Je vais profiter pour présenter la goélette, parce qu’où il faut aller, on a cette goélette pour aller dans le monde.
Juste précision, c'est un bateau voile et moteur qui fait 36 mètres de long, qui a été construit en 1989, donc qui commence à avoir un certain âge, mais qui est toujours très polyvalent, et qui est le laboratoire flottant qu'on met à disposition des scientifiques partenaires de la fondation.
Nous avons fait 13 expéditions dans le monde.
Vous pouvez voir les circuits des différentes expéditions, que ce soit de l'arctique où on a fait une dérive de 500 jours, pris dans la glace de 2006 à 2008.
On a fait Tara océan sur le plancton pacifique microbiome.
Il y a encore Tara Europa qui n'est pas sur cette carte.
Vous pouvez voir que la majorité des expéditions Tara sont justement en haute mer et que l'originalité de la science qui a été faite à bord, c'est d'avoir notamment étudié des écosystèmes quasiment inconnus.
Ça, c'est la dérive arctique où le bateau est un bateau polaire à la base.
Il peut aller se faire prendre dans la glace avec sa coque en forme de noyau d'olive et d'aluminium.
Mais c'est un bateau qui peut aller aussi dans le pacifique et étudier les récifs coralliens ; ensuite, qui peut aller au bord des fleuves ; qui a commencé à étudier l'océan en beaucoup et principalement haute mer.
On a pu documenter cette biodiversité qui est peu connue, parce que les programmes de recherche évidemment coûtent cher.
Souvent, on va sur le côtier alors qu'on a des expéditions qui vont de sept mois à deux ans.
Et quand on a étudié le plancton pendant Tara océan de 2009 à 2013, on a pu faire le tour du monde.
Mais on a fait des fleuves aussi.
Romy, je t'interromps, parce que tu as prononcé un mot, et on y reviendra, c'est le mot de microbiome.
Mais quand on a préparé, tu m'as dit cette phrase, qui se dit et se redit, on a longtemps cru que cet océan était vide.
Pas les pêcheurs qui étaient..
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Qu'est-ce qu'on est en train de découvrir aujourd'hui ?
C'est exactement le contraire.
C'est même totalement fabuleux.
Oui, tout à fait.
Et Tara y a contribué.
Vous avez trouvé quoi ?
On a trouvé des milliers de gènes.
Là, c'est les manips scientifiques qu'on peut faire à bord.
Et des milliers d'espèces, des millions de virus.
Le microbiome, on dit plancton, c'est tous les micro-organismes qui dérivent avec les courants.
Ce n'est pas cette possibilité seule de mobilité.
Ça va du virus, de la bactérie.
Virus, bactéries, ça fait très peur, parce qu'on a le virus et la bactérie notamment après le Covid, mais les virus et bactéries, que ça soit dans notre corps ou dans l'océan, sont sont très utiles et ont leur place, jusqu'aux méduses.
C'est un spectre de micro-organismes extrêmement variés.
Tout ce plancton, c'est la majeure partie de la biomasse dans l'océan et c'est à la base de la chaîne alimentaire des poissons.
Ça capte le carbone dans l'atmosphère et aussi ça permet de produire de l'oxygène.
On dit souvent qu'une respiration sur deux que vous prenez vient de l'océan.
Longtemps, on a parlé du poumon vert, mais il y a également un poumon bleu et que la capacité de régénération de tous ces micro-organismes..
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Là, j'ai mis une image que quand on pense océan, on pense aux grandes espèces emblématiques, mais en réalité, la principale grande partie de la vie, c'est tous ces organismes.
Vous avez des diatomées, vous avez des copépodes.
Les diatomées, c'est lesquels déjà ?
Diatomées, c'est celles-ci.
C'est une chaîne de diatomée.
C'est très joli pour se faire un joli collier.
Ce qui est beau à voir, c'est que là, on est sur une galaxie d'océan.
On a un photographe chercheur, Christian Sardet, qui a fait des mandalas de micro-organismes qui sont magnifiques.
C'est toute une galaxie aujourd'hui qui est presque extraterrestre pour nous.
Et là, on peut passer les différents et après, je m'arrête sur plancton.
Il y a le zooplancton, le phytoplancton.
On ne va pas faire un cours de sciences.
Plancton, c'est ce qui veut dire dérivant.
Organisme dérivant, c'est ça.
Et c'est gardé où ça ?
Ça se cache dans des coulisses de muséum, ce genre de choses, ou on voit juste les photos puis ils ont disparu, ils sont morts ?
Ils sont échantillonnés, ils sont mis dans de l'azote, ils sont étudiés.
C'est vrai qu'à l'œil nu, c'est extrêmement difficile de les voir pour les plus petits.
C'est de la microscopie.
Aujourd'hui, ce qui permet d'étudier cet écosystème, c'est toutes les nouvelles technologies.
Aujourd'hui, on n'a jamais été autant en capacité de découvrir ce monde, parce que vous avez de la microscopie, vous avez de la génétique, parce qu'il faut comprendre dans l'océan où ils sont, qu'est-ce qu'ils font, comment ils interagissent, comment le changement climatique ou les pollutions les impactent.
Et là, je ne suis pas en train de répondre à la question, mais je vais répondre..
. .
..
à la question juste après.
Aujourd'hui, ce qu'on appelle aussi plancton quand on dit comment il est impacté, c'est une image qui est très parlante.
On parlait du plastique, mais aussi du microplastique.
Quand on parle de microplastique, c'est moins de la taille d'un grain de riz.
Après, vous avez des nanoplastiques encore plus petits, mais vous avez des spectres de treille qui correspondent aux spectres de treille du plancton.
Aujourd'hui, ce qu'on dit, c'est que vous avez des nouvelles entités dans l'environnement, typiquement le plastique qui rentre en contact avec ces écosystèmes planctoniques.
On parle de plastisphère.
C'est qu'aujourd'hui, tous les deux se mélangent.
Et on dit que dans certains endroits de l'océan, le poisson a autant dans son assiette de microplastiques que de plancton.
Tout ça pour dire, sur la haute mer, qu'on l'étudie et on constate le manque de connaissance.
Et nous, si je rentre dans le dossier technique avec ma casquette de plaidoyer, c'est qu'on travaille sur le suivi traité de la haute mer.
Et c'est intéressant d'écouter Romain, je n'ai pas la chance tous les jours d'échanger avec un historien, d'avoir aussi cette image, où ça nous a menés, de bien commun de l'océan.
C'est qu'aujourd'hui, de penser le bien commun de l'océan en termes de protection de gestion durable, c'est une bonne chose, mais d'avoir pensé l'océan comme un bien commun, on peut tous faire ce qu'on veut, il y a de la ressource inépuisable.
Aujourd'hui, des États se sont mis ensemble pour adopter un traité qui a mis de longues années à l'ONU à être adopté.
Nous, Fondation Tara, on suit les négociations.
On discute avec les négociateurs, parce qu'aujourd'hui, il faut ratifier ce traité, soit sans ratification, pour qu'il soit adapté.
Aujourd'hui, on n'en est pas encore là.
Les États tardent à ratifier ce traité.
C'est très important pour définir demain des aires marines protégées en haute mer, de poser la question de la pêche en haute mer, de sa surveillance.
Aujourd'hui, on arrive à une limite qui avait déjà été posée à l'époque dont parlait Romain, de se dire "on ne peut plus."
C'est 66 % de l'océan, la haute mer.
On ne peut pas, c'est la partie principale de l'océan, continuer à tout y faire, à tout ravager sans se donner des règles communes.
On y reviendra, 66 % de l'océan.
Et on n'a pas dit avant le chiffre qu'on répète tout le temps.
C'est que sur la surface de notre planète bleue, 70 %, l'océan, c'est 66 % de ces 70 %.
Vous ferez le calcul.
Ce que tu as dit au début qui est très important aussi, et on y reviendra peut-être, c'est le fait que tu dises, les océans ont été découverts, on a narré, on a raconté les uns après les autres, mais de fait, ils sont tous liés.
Et aujourd'hui, quand on voit des représentations du globe, on voit les courants qui font tout le tour de la planète.
D'où la responsabilité commune des États sur cet océan.
Bien sûr.
Romy vient de l'évoquer.
Une chose que tu me disais quand on a préparé, et c'est peut-être le lien que tu vas faire et tu vas nous expliquer comment on a regardé cet océan historiquement, c'est qu'actuellement, il faut qu'on ait en tête, nous tous, qu'il y a eu une bascule dans notre façon à nous de regarder l'océan.
C'est-à-dire, tu es parti de la pêche où est cette éventuelle dépopulation à l'époque.
Maintenant, on est dans la protection.
Ça change la façon de travailler.
Avec quelles espèces, je vous ai dit qu'on allait parler de l'huître, par exemple.
L'huître à travers les âges, tu peux nous faire ça ?
Je peux faire une parenthèse avant de revenir à l'huître, parce que tout à l'heure tu m'as parlé de cette question de la dépopulation des mers.
Et on en est resté au stade des discours.
C'est-à-dire, je vous ai dit qu'on parle de la possibilité de la dépopulation des mers dès le 16e siècle.
Mais, et c'est lié à ta question de changement du statut de l'océan dans l'historiographie, comment les historiens abordent cette question.
Parce que, par exemple, quelqu'un comme Fernand Braudel, qui a été rappelé tout à l'heure, qui est un historien, qui a écrit un livre sur la méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, qui était déjà une rupture du point de vue de la manière de faire l'histoire, le personnage de son livre, c'est comme ça qu'il l'appelle, c'est la mer méditerranée.
Néanmoins, Braudel, quand il étudie la mer méditerranée, la méditerranée qu'il étudie, c'est plutôt une espèce de surface qui connecte des terres qui sont réparties sur tout son pourtour, mais il ne s'intéresse pas tellement à ce qu'il y a sous la surface.
Il y a eu une révolution Braudel.
On s'est mis à s'intéresser aux bassins méditerranéens, aux océans, aux mers en se disant, on peut faire l'histoire de ces régions-là.
Une autre bascule qui a eu lieu et qui est liée à la question environnementale, c'est l'essor de ce qu'on a appelé l'histoire environnementale de la mer, le moment où les historiens se disent, les océans, les mers ont une histoire.
Les humains les ont affectés de très longue date.
Qu'est-ce qu'on peut en dire en tant qu'historien.
Et c'est là que je reviens à la question de la dépopulation, c'est que voir dans les sources que cette question émerge, que des pêcheurs du 18e siècle se plaignent de telle ou telle technique, qu'un administrateur du 16e dit qu'il faudrait faire quelque chose.
Ils nous le disent, mais qu'en est-il réellement ?
C'est une question compliquée, d'une part parce qu'il faut des sources, des données pour montrer qu'à telle époque, il y avait bien un problème d'épuisement de telle ressource.
Et c'est une question compliquée aussi dans la mesure où ça nécessite forcément des collaborations interdisciplinaires, que les historiens se mettent à dialoguer avec les archéologues, les biologistes, les climatologues, etc.
Dans les années 2000, il y a eu une première initiative en ce sens, à laquelle on se réfère souvent, qui est un programme qui était dirigé essentiellement par des collègues scandinaves et anglais, qui s'appelait le programme HMAP pour History of marine animal population.
L'idée, c'était de se dire, est-ce que en tant qu'historien, avec des collaborations interdisciplinaires, on peut reconstituer les stocks passés, essayer de faire l'histoire des populations animales qui vivaient dans les mers et les océans avant que se développe la pêche.
Ça répondait à une question qui est extrêmement importante en écologie des pêches, qui est la question qui a été formalisée par un biologiste franco-canadien qui s'appelle Daniel Pauly.
Et ce Daniel Pauly, il a identifié un problème qu'il a appelé le problème du shifting baseline.
Shifting, ça veut dire glisser, et baseline, état de référence.
Le fait que ce qui est considéré comme la norme d'un écosystème en bonne santé d'une génération à l'autre, on l'oublie.
Par exemple, c'est la question des moucherons sur les pare-chocs de voitures.
Quand j'étais jeune, il y en avait un petit peu.
Un enfant aujourd'hui s'apercevrait que quand il fait 200 kilomètres d'autoroute, il n'y a quasiment pas un moucheron sur son pare-chocs de voiture et il aurait tendance à se dire que la norme de l'écosystème, c'est ça.
Les historiens ont essayé de se dire quel était l'état des écosystèmes il y a 200 ans.
Je t'interromps, parce que vous savez tous exactement ce qu'est un écosystème.
Parce qu'on emploie le mot, mais dans ta bouche à toi et celle des historiens, écosystème, c'est large comment ?
Tu as vu ce que nous a montré Romy.
On a vu plein de petites choses.
Et d'ailleurs, j'allais lui poser comment sait-on qu'ils font ou ne font pas écosystème, autrement dit quelque chose qui fonctionne ensemble, mais jusqu'où.
Quand tu emploies ce terme, c'est quoi exactement ?
Là, effectivement, ils ne se sont pas intéressés à la question du plancton, ils se sont plutôt intéressés aux grandes espèces, les huîtres dont on va reparler, la morue, les mammifères marins.
Ils se sont demandés, est-ce qu'on peut voir des évolutions sur les quatre siècles qui se sont écoulés.
Dis-nous tout, ils ont trouvé des choses ?
Oui.
Déjà, ils ont trouvé des sources, parce que les historiens, ça a besoin d'archives, de documents pour étayer son étude du passé.
Ils sont partis de ces récits, ces anecdotes de ce qu'on pouvait trouver dans des pétitions, des rapports administratifs disant, là, il y a un problème, il y a une disette du poisson une année, on manque de poisson.
Ils ont compilé tous ces documents-là, mais ils ont essayé de les croiser avec les premières statistiques des pêches qui, au début, n'étaient pas très développées.
Progressivement, les États se mettent à récolter des chiffres sur les données de la pêche et on commence à avoir des séries exploitables à partir du 18e, beaucoup mieux à partir du 19e siècle.
Ils sont aussi allés voir dans les archives notariées, si on ne pouvait pas trouver des choses sur les prix du poisson à telle ou telle époque, des contrats de vente, etc.
, des données plus quantitatives.
Et enfin, ils sont allés voir leurs collègues archéologues, et notamment les ichtyo-archéologues, ceux qui étudient les arêtes de poissons et qui, en comparant d'une période à une autre la taille des arêtes, arrivent à voir s'il y a des évolutions significatives ou pas sur telle espèce de poissons, etc.
Ils ont aussi mobilisé l'iconographie dans la mesure où dès l'époque moderne, on a des peintures représentant des poissons, est-ce que ces espèces existent encore.
C'est des indices qu'on peut utiliser ou pas.
La conclusion numéro un, c'est qu'il y a un impact réel de la pêche sur l'environnement marin, sur les populations avant la fin du 19e siècle, c'est-à-dire avant l'industrialisation de la pêche, avant la motorisation.
C'est étonnant, non, Romy ?
Oui, c'est passionnant.
J'écoute.
Parce que ça, ce n'est pas forcément évident quand on travaille aujourd'hui sur les stocks de maintenant.
Ça commence très tôt.
Oui, ça commence très tôt avec des technologies qui n'étaient pas encore présentes, mais avec une connaissance.
Aujourd'hui, ce qu'on continue à faire avec la science, avec les partenaires Tara, c'est de répondre encore à des questions qui étaient déjà posées à l'époque.
Parce que le plancton, il y a beaucoup de questions qui se posent sur la gestion des pêches aujourd'hui et que la donnée planctonique n'est pas prise en compte, parce qu'il y a beaucoup de pays qui n'étudient pas encore ces écosystèmes.
Quand tu parlais de la taille des poissons, par exemple, est-ce qu'on pêchait des gros ou ils étaient tous petits ?
Par exemple, une des conclusions, c'est que les morues qu'on pêchait à Terre-Neuve au 16e siècle étaient en moyenne plus grosses que celles qu'on pêchait au milieu du 20e siècle, parce qu'à force de sélectionner les plus gros spécimens de chaque espèce, il y a une sélection génétique qui s'opère.
Et on a aussi tendance à sélectionner ceux qui sont les meilleurs reproducteurs.
Ça a des effets.
Et ce qu'ils développent aussi, c'est une critique du caractère traditionnel qu'on peut accoler à certaines pêches un peu trop rapidement.
Et eux, ils invitent plutôt à réfléchir, ces historiens, en termes d'efforts de pêche.
Parce que s'il y a 400 bateaux qui chalutent à la voile, mais une zone très réduite en ciblant une espèce en particulier, ça peut avoir des effets et ça en a eu de par le passé.
C'est évidemment moins significatif que la pêche industrielle au 20e siècle.
Mais ce qu'ils montrent, c'est que quand on se met à pêcher industriellement au début du 20e siècle, on n'est pas dans un écosystème qu'on pourrait appeler, ou un environnement, qui serait vierge de toute trace humaine.
Il y a déjà eu des modifications significatives depuis plusieurs siècles.
Moi, tu te souviens, je suis un peu obsessionnelle.
J'aimerais bien que tu me parles de l'huître.
Pourquoi ?
Je ne plaisante pas du tout.
C'est parce que quand on s'intéresse à ce milieu qui s'appelle l'océan, régulièrement, on parle des huîtres comme des sentinelles de la mer.
Pourquoi ?
Parce qu'elles filtrent tout.
Puis quand ça ne va pas bien, les huîtres ne vont pas bien.
Et vous le savez, quand il y a du toxique qui traîne, on n'en mange plus.
Comment elles ont évolué ?
Qu'est-ce que ça nous dit ces petites sentinelles ou ces grosses sentinelles ?
C'est un peu plus prospectif, parce que je commence un nouveau projet de recherche, dont le but, ce serait de faire une histoire environnementale.
Une histoire qui étudie les relations entre les sociétés humaines et leur environnement, une histoire environnementale appliquée à l'huître, et en l'occurrence, à l'huître plate qu'on appelle Ostrea edulis.
Ostrea edulis.
Vous en avez tous mangé.
Je ne connais que les belons qui sont plates.
L'huître plate Ostrea edulis, c'est typiquement le belon.
Il en reste très peu aujourd'hui, mais ce sont les huîtres plates qu'on trouve encore un peu à Cancale, dans certaines régions de Bretagne, qu'on appelle effectivement le belon, qui se distinguent des huîtres qu'on mange aujourd'hui, qui sont les huîtres d'origine japonaise, qui appartiennent à l'espèce Crassostrea gigas, qui elle-même avait été précédée par une autre espèce qu'on appelait l'huître portugaise.
On pourrait y revenir, mais il y a une succession d'huîtres.
Je m'intéresse à l'huître originelle, celle qui peuplait les côtes européennes jusqu'au début du 20e siècle et qui formait ce que les écologues considèrent comme de véritables récifs ou des forêts animales sous-marines.
Tout au long des côtes européennes, depuis au moins la Hollande jusqu'au Portugal, il y avait ces huîtrières, ces bancs d'huîtres qui formaient des récifs, qui ont été détruits au cours des siècles, notamment à cause de la surpêche.
Pourquoi je m'y intéresse justement ?
Parce qu'on a vraiment là un exemple d'espèces qui ont été très précocement surexploitées dans plein de pays d'Europe.
On a des exemples où dès le 17e, 18e siècle, on a des bancs qui n'arrivent pas à se reconstituer.
C'est le premier intérêt d'étudier l'huître.
C'est que, historiquement, c'est l'un des cas qui a été utilisé par les premiers qui commencent à se poser des questions de gestion des pêches pour théoriser le problème de la surpêche.
Le mot surpêche, c'est une invention d'un biologiste anglais qui s'appelle John Cleghorn, au milieu du 19e siècle.
Le mot n'existe pas, mais l'idée, le concept, le problème existe déjà bien avant et est notamment clairement identifié au milieu du 18e siècle à partir de la question des huîtres.
C'est cette idée que si on prélève plus que ce qu'une ressource est capable de produire pour se régénérer chaque année, fatalement, la ressource s'épuise.
C'est les choses qui arrivent concrètement.
Il y a plein de cas qui permettent de le montrer.
Ostrea edulis, c'est bien ça.
Et pas Crassostrea gigas.
Gigas ou angulata, qui est la portugaise.
Justement, une des questions, je ne sais pas si l'un de vous y répondrait, mais tu dis, ça a été détruit, on n'a pas pu reconstituer.
On aime tous les huîtres plates aussi.
Les gigas, là, elles empêchent les autres de pousser ou bien c'est un choix, entre guillemets, du consommateur ou de ceux qui produisent les huîtres ?
L'histoire de l'huître portugaise, c'est un accident.
C'est-à-dire qu'elle se développe dans les eaux françaises à partir de 1866, si mes souvenirs sont bons.
1866, c'est les tout débuts de l'ostréiculture.
Et l'ostréiculture, c'est ce qui va permettre de régler ce problème de l'épuisement des bancs d'huîtres naturelles.
À partir du moment où on se met à maîtriser la reproduction, on peut s'affranchir de la pêche, parce qu'avant, on draguait l'huître.
On ne la faisait pas se reproduire comme de nos jours, mais on allait draguer ces immenses récifs dont je vous ai parlé.
Et au milieu du 19e siècle, les premiers ostréiculteurs sont notamment installés dans le bassin d'Arcachon, comme de nos jours, et font venir des petites huîtres du Portugal.
Mais ce ne sont pas des huîtres plates, ce sont des huîtres creuses.
Et l'un des bateaux a un problème.
Sur le point de faire naufrage et pour essayer de sauver le bateau, le capitaine largue sa cargaison d'huîtres à l'entrée de l'estuaire de la Gironde.
Et le problème, c'est que cette huître portugaise qui est beaucoup plus et s'est progressivement développée au détriment des quelques huîtres plates qui restaient encore dans cette zone-là.
Ça, c'est une sacrée histoire environnementale avec une espèce invasive, mais grâce à l'homme, comme d'habitude.
À cause.
Oui.
C'est un exemple qui montre la fragilité des écosystèmes marins et le vivant.
Je parle du vivant.
Peut-être que je donne une petite définition du vivant.
Quand on parle du vivant, c'est parler de tout ce qui est organique sur Terre.
C'est quelque chose de beaucoup plus englobant que la partie un peu..
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peu mécanique des espèces.
Et aussi, ça rend compte de toutes les interactions que les espèces peuvent avoir.
C'est une définition de tout ce qui vit sur Terre avec le relationnel, et qu'il y a le vivant humain et le vivant animal.
Et également, c'est une définition du foisonnement de la vie.
C'est vrai que cet exemple montre que l'environnement n'a pas besoin de nous, à la base.
Il y a des courants de pensée aussi sur "est-ce que l'environnement, pour se restaurer, a besoin de nous, a besoin de la main de l'homme ?"
Ou il y a des courants, les wilderness, "est-ce qu'on doit laisser le monde se réensauvager, de laisser la nature reprendre ses droits ?"
Je ne suis pas en train de donner une réponse.
Il y a des courants de pensée et de se mettre à penser à ça.
Mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'aucune de nos actions n'est anodine sur l'environnement.
Cet environnement a un équilibre fragile et tout a des conséquences, même très tôt dans l'histoire.
Aujourd'hui, on le voit.
J'ai bien aimé ce qu'a dit Romain aussi sur le shifting baseline, c'est ça ?
C'est cette crise qu'on a aujourd'hui avec tout le vivant, tout ce qui nous entoure, de s'habituer à ça, de s'habituer à la disparition des vertébrés, de s'habituer à ne plus voir certains poissons quand on prend le masque et le tuba, et de s'habituer à ça.
Et justement, ce qu'on essaie, à la Fondation Tara Océan, c'est de se baser sur cette science qu'on sait aujourd'hui, ce qu'on ne sait pas aussi, et de porter, de transmettre cette science, et de dialoguer avec les décideurs politiques sur aujourd'hui l'état des lieux qu'on connaît et comment ne pas plus endommager ce qui est aujourd'hui.
Tout ce qu'il y a encore à préserver, parce qu'il y a encore beaucoup de choses à préserver si on veut être sur une note d'optimisme, et à la Fondation Tara, on est optimiste.
Ce que tu viens de dire, ça rejoint évidemment ce que tu disais tout à fait au début, quand tu disais qu'il y avait trois messages, dont un qui est ce vivant et cette santé globale.
Tu as cité les humains, les animaux, et on pourrait dire les plantes.
Il y a aussi les plantes, tout le monde, le vivant.
Le sol, les pierres, c'est du vivant.
Le sol, les pierres, mais ce que racontait tout à l'heure Romain me fait penser aussi à une chose sur laquelle tu insistes.
C'est la façon scientifique qui m'inspire.
C'est la nécessaire interdisciplinarité.
Il parlait des archéologues ou des ichtyologues.
À la Fondation Tara, vous avez recueilli énormément de données à caractère très scientifique, de la biologie fondamentale, de la génétique, etc.
, mais il y a besoin donc de sociologues, de médecins, de biologistes généralistes, de climatologues, etc.
Tout à fait, oui.
On a cette identité de sciences fondamentales qui est réalisée à bord de notre goélette.
Mais on a besoin aussi des sciences sociales, des regards, parce qu'on a des problématiques globales.
Les sciences fondamentales ont besoin d'être complétées par des sciences humaines, avec des économistes, comme on disait, des médecins, pour croiser nos regards sur les problématiques.
Sinon, on ne va pas répondre aux bonnes questions, on va répondre aux mauvaises questions.
Et quand on répond aux mauvaises questions, on apporte les mauvaises réponses.
Chez nous, Tara, notamment sur le plastique, on travaille ponctuellement, selon les actualités, les dossiers, avec des chercheurs, que ce soit des rudologues, j'ai appris la discipline, c'est les personnes qui travaillent sur les déchets, que ce soit aussi des médecins, et de croiser nos regards pour travailler sur des concepts autour de l'usage, parce que les enjeux de l'océan, c'est des enjeux économiques, c'est des enjeux sociétaux.
On a besoin de croiser.
On fait aussi des conférences à la Fondation Tara Océan avec des philosophes, avec des écrivains, pour croiser les regards.
Et c'est important pour toucher un autre type de public.
On a aussi cette chance sur le bateau, depuis l'origine, parce que c'est un projet, la Fondation Tara, qui a été porté par la styliste agnès b.
et son fils Étienne Bourgois, c'était qu'il y avait des résidences artistiques à bord.
Depuis les 13 expéditions, il y a eu une cinquantaine de résidences artistiques.
Et on a eu la chance d'octobre à mars d'être présents au Centquatre.
Je ne sais pas s'il y a eu des personnes qui ont eu l'opportunité d'aller visiter.
Je vois une personne qui hoche la tête.
Cette exposition où on a pu exposer une vingtaine d'artistes qui ont réalisé, ça peut être de la vidéo, ça peut être de la sérigraphie, ça peut être de la BD.
Et eux, artistes, ont rendu compte, avec leur vue d'artiste, de qu'est-ce qu'ils voyaient faire en sciences.
C'est des artistes souvent qui ne connaissaient rien au corail, qui ne connaissaient rien aux planctons avant d'embarquer.
Les résidences artistiques, c'est environ un mois à bord.
Soit ils travaillent à bord, mais il y en a quand même beaucoup qui sont malades, il y a des contraintes, parce que Tara, c'est un bateau qui roule énormément.
Mais ça fait partie de l'aventure d'être malade.
Je peux en témoigner.
Et autrement, ils ramènent toute cette matière mentale qu'ils ramènent de ce bateau pour créer ensuite dans leur studio.
Et à cette occasion, on a croisé ces regards d'artistes et le plaidoyer.
On a posé des interrogations publiques sur le sensible, les paysages, le vivant.
On a fait un exercice de croiser l'artistique, le plaidoyer, des textes d'écrivains.
Et pour nous, ça aussi, c'est un exercice d'ouvrir et de toucher un autre type de public qui peut être intimidé par la science.
Il y a des gens qui gardent des souvenirs affreux de leurs cours de physique, de SVT, de maths.
Je ne suis pas scientifique, je suis science-po, mais..
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Est-ce que tu dirais qu'il y a dans toute cette expérience artistique, ce rapprochement avec les artistes, quelque chose qui t'a frappé particulièrement ?
Ils ont été sensibles, surtout à quoi ?
Qu'est-ce qu'ils ont ?
Je pense que c'est très divers, mais qu'est-ce que tu en as retenu ?
Je trouve ça fantastique, parce que je peux passer parfois beaucoup de temps à expliquer des problématiques.
On parlait de la pollution plastique.
Expliquer lors de conférences, lors de rendez-vous, et on peut rentrer dans une complexité de messages.
Et il y a un artiste qui s'appelle, je ne me souviens pas de son prénom, mais c'est M.
Bollendorff qui, dans cette exposition, a mis un certain nombre de photos d'un paysage très paisible de mer d'huile.
Et ensuite, il a mis devant des boîtes de Pétri, c'est des boîtes en plastique, où à l'endroit où il a pris la photo de l'océan, là où on a prélevé un échantillon d'eau, on voit tout le microplastique qu'il peut y avoir.
J'ai fait la visite de cette exposition avec d'autres personnes.
Et en deux minutes, il arrive à traduire ce qu'on essaie d'expliquer en plaidoyer, mais de manière très efficace, de dire là, vous avez un paysage marin très pur, très lisse, et en réalité, c'est quand on échantillonne, c'est un environnement qui est pollué.
Et la perspective, le mode de pensée artistique, peut toucher les personnes très rapidement, autre que des discours.
Tout ça pour dire qu'on a besoin des sciences sociales pour réfléchir sur l'éthique.
Il y a beaucoup de sujets qui se posent sur l'éthique, aujourd'hui, d'aller explorer l'océan, de l'exploiter, de comment on crée des aires marines protégées.
On a besoin d'historiens, de sociologues, de beaucoup de disciplines, pour croiser nos regards.
Et c'est aussi pour ça que tu es là, c'est que la Fondation Tara, dont, si on a suivi son parcours, si on peut dire ça comme ça, très scientifique, très bio, connaissance fondamentale, génétique aussi, se tourne sans ce besoin des sciences sociales.
Oui, tout à fait.
Merci à vous d'avoir compris ça et d'être là présent ce soir.
On reviendra sur les plastiques, parce que terre-mer, c'était ton premier message.
Là, forcément, la baleine.
Sinon, vous repartiriez frustrés.
La baleine, sa vie, son œuvre, mais je crois que tu as des images.
Oui, j'avais une petite image.
La baleine, déjà, peut-être un petit panorama sur comment on l'a chassée, comment on l'a exploitée.
Forcément, l'historien, là, il a beaucoup de choses à dire.
Mais là, pour le coup, c'est une succession de différentes manières de s'approprier les baleines qui se sont suivies dans l'histoire.
La première forme, c'était tout simplement l'exploitation des cétacés qui s'échouaient sur le rivage.
Et quand ça se produisait, c'était une véritable aubaine.
C'était vraiment un événement pour les riverains dans la mesure où une baleine, c'était une mine vivante de matière première.
Et la principale d'entre elles, c'était la graisse qui servait à faire de l'huile.
Je t'interromps.
Ce n'est pas une colle, mais tu sais si dès l'Antiquité, on a fait ça ?
Il y a des traces dans des écrits ou quelque chose ?
En tout cas, l'exploitation de baleines échouées, oui, je pense que ça s'est fait dès l'Antiquité.
C'est bien documenté à partir du 10e siècle.
Mais ce qui est intéressant, c'est que c'est documenté aussi jusqu'au début du 20e siècle en France.
C'est-à-dire qu'il y a quelques années, il y a eu ces événements autour de cétacés échoués, avec l'idée qu'il fallait éventuellement les euthanasier pour abréger leurs douleurs ou essayer de les remettre à l'eau.
Un siècle avant, au début du 20e siècle en France, quand un cétacé s'échouait sur une plage, il n'était pas du tout question de le remettre à l'eau, mais de l'achever pour le dépecer et encore de s'approprier toutes ces matières premières.
Il y a vraiment une bascule qui s'est faite en même pas un siècle dans la représentation de ces animaux qui sont devenus des étendards de la cause environnementale, alors qu'ils étaient simplement vus comme des ressources peu de temps auparavant.
Certains qui étaient peut-être présents à une conférence précédente ont pu voir, d'ailleurs, un petit film de quelle était l'attitude vis-à-vis d'un cétacé qui s'était échoué ou qui était en mauvaise posture.
Et on s'interrogeait sur quel est ce type de réaction nouvelle par rapport à jadis.
Je pense que Fabien Clouette, dans deux ou trois mois, vous en reparlera, parce qu'il va publier un livre à ce sujet.
C'était la première forme.
Ce qui se développe à partir du 11e siècle, notamment en France, au Pays basque, les Basques, c'étaient les spécialistes de la chasse à la baleine, c'est une forme de pêche côtière où les habitants des communautés littorales se mettent à monter dans des bateaux pour aller au-devant des baleines qui fréquentent le golfe de Gascogne, qui sont des baleines franches, qui sont relativement dociles, qui ne s'enfuient pas quand les hommes arrivent.
Elles sont relativement faciles à chasser.
Ils utilisent une nouvelle technique qui est celle du harpon.
Et entre le 11e et le début du 16e siècle, les pêcheurs basques vont quasiment exterminer la population des baleines de Biscay qui existait dans cette région, c'est-à-dire environ 20 000 individus.
Les historiens estiment qu'il en restait 500 au début du 16e siècle, moment où les Basques sont allés adopter les mêmes techniques dans d'autres endroits, notamment au Canada et aussi plus au nord, vers le Spitzberg.
C'était le premier temps qui restait une pêche côtière dans la mesure où les baleines, ils les ramenaient sur la plage et ils les dépeçaient.
Ils en extrayaient l'huile et les matières premières directement sur le rivage.
La révolution de la chasse à la baleine qui va permettre de les traquer dans toutes les mers et sur tous les océans du globe, elle survient au 17e siècle, à un moment où encore, cette fois-ci, c'est les Hollandais qui sont contre le principe de la liberté des mers et qui voulaient empêcher les Anglais, les Basques, d'accoster sur l'île de Spitzberg pour dépecer leurs baleines.
Pour contrer cette position des Hollandais qui étaient en position de force, parce qu'ils avaient une supériorité navale à ce moment-là, on invente des fours embarqués à bord pour faire fondre la graisse de baleine directement sur le bateau.
Et là, le navire baleinier devient en quelque sorte une usine.
On n'a même plus besoin de ramener les carcasses à terre pour les traiter.
On le fait directement sur le bateau et c'est ce qu'on voit là.
Ça, c'est la chasse à la baleine telle qu'elle se développe à partir du 17e et qui est encore celle que décrit Melville dans Moby Dick.
Dès le 17e, tu dis ?
Le principe de fondre la graisse à bord, c'est dès le 17e.
Ça va permettre d'aller poursuivre différents cétacés sur toutes les mers, notamment les cachalots à partir du 18e siècle.
Ce qu'on voit bien là, c'est qu'au premier plan, on a une barque qui dépend du baleinier qu'on voit au second plan, avec son harponneur à l'avant qui a déjà blessé une première fois la baleine et qui essaie de l'achever.
Et à l'arrière-plan, ce qu'on voit, c'est qu'il y a une baleine qui est affalée contre la coque, qui est en train d'être pelée un peu comme une orange.
Ils sont en train de prélever la graisse pour la faire fondre dans le four dont on voit la fumée.
C'est le modèle qui a prévalu du 17e siècle jusqu'à la fin du 19e.
Il y a une nouvelle rupture technologique à la fin du 19e siècle, qui est liée à une combinaison d'inventions.
Le navire à hélice propulsé à la vapeur, des bateaux beaucoup plus puissants, beaucoup plus rapides.
Le harpon explosif qui va permettre d'achever très rapidement les animaux.
Et aussi, ça paraît un peu plus anecdotique, un système qui permet d'insuffler de l'air à l'intérieur des carcasses pour éviter qu'elles coulent.
Parce qu'il y a notamment un type de baleine qui coule quand on la tue, c'est le rorqual, la baleine bleue, le plus grand des cétacés, qu'on n'avait jamais chassé jusqu'à la fin du 19e, parce qu'elle est très rapide et surtout qu'elle coule.
Ces trois techniques vont permettre de s'en prendre à une nouvelle espèce, qui est les rorquals, les plus grands des cétacés, qui vont à leur tour être largement exterminés.
Et quand est-ce qu'on va vers l'Antarctique ?
Plutôt au courant du 19e siècle et ensuite au 20e, quand les stocks de l'Atlantique Nord ou du Pacifique Nord sont moins intéressants.
L'histoire de la chasse aux cétacés, c'est vraiment l'histoire de l'extermination d'une population après une autre en allant toujours plus loin.
C'est vrai que la représentation qu'on se fait aujourd'hui, c'est aussi des bateaux venus de n'importe quel pays du monde, pouvant aller sur n'importe quelle partie de l'océan.
Et notamment la baleine, désolée pour nos amis japonais et norvégiens qui mangent de la baleine.
Ils peuvent aller n'importe où sur le globe maintenant, parce que les bateaux peuvent le faire, alors qu'à l'époque, c'était peut-être plus difficile.
Du temps de Moby Dick, ils partaient déjà pour des expéditions qui pouvaient durer un, deux, voire trois ans.
Et ils pouvaient rester au milieu du Pacifique tant qu'ils n'avaient pas rempli leur cale.
C'était déjà des expéditions.
Au 19e siècle se met vraiment en place une chasse mondiale à cette ressource.
Pour une fondation comme la Fondation Tara, et tu nous as parlé de toutes ces découvertes sur le microbiome, ces petites bébêtes ou ces petites plantes inconnues et où il reste beaucoup à découvrir, quel est le rôle que jouent les gros animaux comme ça ?
Est-ce que c'est avec ça qu'on vibre ?
Sur la sensibilisation du public ?
La baleine, oui, c'est sûr.
Le plancton, il faut un peu plus de temps pour familiariser, et on le comprend, parce qu'on l'appelle le peuple invisible de l'océan.
Tout ce qui est invisible forcément touche moins à l'émotion.
On a la chance de parler du plancton depuis de nombreuses années.
Et on voit un attachement, notamment auprès du grand public, parce qu'on a des microscopes, on montre le plancton et on touche à l'émotion quand on montre, quand on voit, quand les gens peuvent manipuler des choses.
Oui, c'est des hautes chaînes alimentaires.
Elles sont visibles, elles sont très gracieuses, elles ont leur importance.
Puis c'est des symboles aussi.
Quand il y a des chutes de populations d'espèces emblématiques comme ça, ça montre aussi qu'il y a toute une chaîne qui est en train de se..
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Même chose pour les requins et d'autres ressources de poissons.
C'est sûr que c'est toujours emblématique, et ça interpelle..
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au niveau politique.
Il y a beaucoup d'ONG qui sont mobilisées.
Pour des éléphants, les rhinocéros aussi à terre.
Et c'est important.
Même si ce n'est pas forcément la partie de la biomasse la plus importante, c'est très symbolique de se dire que certaines expéditions, les générations suivantes ne les verront pas, et que quand il y a des actions de préservation, les populations reviennent.
Si on laisse aussi l'océan respirer, l'océan se régénérer seul, il a une robustesse.
C'est sympathique ça.
Laisser l'océan respirer, je trouve que ça serait à reprendre comme slogan.
Est-ce que tu veux nous raconter quelque chose d'autre sur la baleine, ou tu as épuisé ton sujet ?
Pour aller dans le sens des changements de perception assez récents, simplement rappeler que les premières alarmes autour de la surexploitation des baleines, elles sont très récentes, c'est plutôt 18e, 19e siècle.
Par exemple, quelqu'un comme Michelet dans La mer disait qu'il fallait limiter la chasse pour permettre aux baleines de se régénérer.
Et il pointait notamment le fait qu'elles avaient un taux de fécondité très peu élevé, et une durée de maturité qui était très longue.
C'est une ressource qu'on peut facilement épuiser dans la mesure où elle met très longtemps à se reproduire.
Cependant, Michelet, en disant qu'il fallait limiter la chasse, il ne s'agissait pas de protéger les baleines.
Ce qu'il disait, c'est que si on veut maintenir une activité de chasse économiquement viable, il faut ménager la ressource et l'utiliser plus rationnellement, mais il ne disait pas qu'il fallait arrêter de chasser la baleine.
Et quand il y a une commission baleinière internationale qui est créée au milieu du 20e siècle, après la Seconde Guerre mondiale, pour régler la question, on est toujours dans un paradigme qui est celui de la conservation, mieux gérer la ressource pour continuer à l'exploiter et pas dans celui de la protection, où là, on considère que c'est quelque chose, qu'il faut s'abstenir de chasser, s'abstenir de considérer comme une ressource.
Qui c'est qui a lancé l'idée de cette commission baleinière ?
Il y a eu plusieurs pays ou plusieurs individus ?
Il y a eu les préoccupations autour de la baleine, notamment la dénonciation de la cruauté de cette chasse.
Il y a des gens, comme Charcot, par exemple, au début du 20e, qui ont élevé la voix là-dessus.
Jean-Baptiste Charcot, célèbre pour être allé en Antarctique.
Il y a un consensus progressivement qui se forme dans la seconde moitié du 20e siècle autour de l'idée d'une protection.
Protection et non conservation.
Si tu veux reparler des plastiques, peut-être va-t-il y avoir des questions, parce que je vois qu'il est 36.
Vous avez préparé vos questions ?
Oui, bonsoir.
Merci tout d'abord pour la conversation bien dynamique.
J'ose deux questions, l'une à Romain au sujet de la chasse à la baleine.
Est-ce que les baleines finalement ont mis aussi en place des genres de stratégies de défense ou de contre-attaque à l'égard de ceux qui leur menaient cette guerre avant la mécanisation de tout ça ?
Et mon autre question pour Romy, à un moment, vous avez défini le vivant organique et vous avez évoqué les pierres.
Est-ce que là, vous pouvez un peu préciser, parce que je n'ai pas trop entendu de choses à part la télé.
C'est des questions précises.
Sur la question de la manière dont les baleines, les animaux auraient pu réagir aux agissements humains.
Il y a quelques travaux qui ont essayé de croiser l'éthologie, la science du comportement animal et les sources historiques pour essayer de voir s'il n'y a pas eu effectivement des réflexes de survie de la part de certaines populations.
Et notamment, j'ai le souvenir, mais c'est assez vague, de travaux qui montraient que dans l'océan Pacifique il y avait eu des phénomènes de baleines qui désertaient certains parages de pêche suite à l'arrivée fréquente des Européens et des Américains sur ces parages-là.
Mais je ne peux pas vous en dire beaucoup plus.
Il y a des gens qui aimeraient bien pouvoir montrer ça en tout cas.
Les fameuses pierres ?
Oui, sur les pierres, c'est une définition générale du vivant qu'on élargit.
Mais par exemple sur la pierre, il y a l'exemple du corail.
Le corail, c'est un minéral et c'est un animal, c'est une fusion de deux mondes.
Il y a tout un écosystème dans les récifs coralliens avec une partie du minéral.
C'est vrai que la roche aussi raconte une histoire, il y a des fossiles dessus, etc.
, qui a des origines.
Je ne peux pas plus développer.
Mais par exemple, le corail, c'est un bon exemple de minéral qui a aussi une existence vivante.
Monsieur au premier rang.
Oui, merci.
Si j'ai bien compris l'état d'un écosystème ou d'un biotope, il reflète l'effort de pêche et la technique de pêche qui a été pratiquée pendant 400 ans ou même plus dans une région donnée.
Maintenant, il y a certaines régions de la planète dans lesquelles on pratique des pêches ancestrales, qui normalement, sans l'introduction de facteurs externes, permettent la préservation des espèces.
Par exemple, il y a certaines espèces pas très loin de chez nous, au sud de la Méditerranée, qui utilisent des feuilles de palmier pour piéger le poisson en fonction de la direction du courant de marée.
Est-ce que vous vous êtes intéressé à faire des études comparées sur cet impact des actions de l'effort de pêche et des techniques de pêche en fonction des régions du monde ?
Merci, c'est une très bonne question.
C'est une direction vers laquelle il faut tendre, c'est-à-dire que pour l'instant, on est à un état..
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Comme je vous disais, l'histoire environnementale de la mer, poser cette question de l'environnement en histoire, ce n'est pas si ancien que ça.
Il y a des travaux qui ont été faits dans différentes régions du monde.
Maintenant, il y a un effort de synthèse, de confrontation et de comparaison à faire et qui montrerait des résultats vraiment intéressants.
Après, de toute façon, dans la mesure où on intervient sur un milieu pour y prélever des choses, ça a forcément un effet, ça transforme, mais les sociétés humaines ont toujours transformé leurs environnements.
La question, c'est plutôt, oui, quand on atteint des limites et des bascules et que la pression n'est plus en rapport avec ce que produit l'environnement exploité.
Vu ce que tu viens de dire, j'ai une question sur le nombre de chercheurs, tes homologues.
Si vous vous réunissez pour un colloque, vous êtes combien en France ?
Vous êtes combien en Europe ?
Vous êtes combien dans le monde à échanger peu ou prou sur le même genre de travaux que ce que tu fais ?
Précisément sur la mer et la pêche dans une perspective historique ?
En France, on est peut-être cinq ou six, mais c'est déjà pas mal.
À l'échelle mondiale, ça fait une communauté d'une cinquantaine de personnes, mais il faut aussi tenir compte du fait que c'est de plus en plus interdisciplinaire et qu'il y a des collègues biologistes qui viennent par l'intermédiaire de l'écologie historique.
Ça fait une communauté quand même assez considérable, dont je ne connais absolument pas tous les membres.
Merci beaucoup pour vos explications.
C'est super sympa de votre part.
J'aurais aimé savoir, parce qu'on pense tous à une chose, du moins je pense à une chose, à la chasse des baleines.
Beaucoup, en Asie, c'est un mets qui est particulier la baleine.
J'aurais aimé savoir, comme vous, vous êtes vraiment dedans, comment vous faites pour remettre toutes les espèces à l'intérieur, comment faire ?
D'accord, ici, c'est la CEE, c'est l'Union européenne maintenant.
Par rapport à ça, on a des gestations, mais là-bas, est-ce que c'est les mêmes gestations ?
Est-ce qu'il y a beaucoup de baleines ?
Est-ce que maintenant, vous êtes dans la capacité de dire, on va mettre tant d'espèces à l'intérieur ?
Je ne sais pas si je me suis bien exprimé.
Je suis désolé, je suis un peu..
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Depuis la fin des années 80, il y a eu un moratoire sur la chasse à la baleine, que la plupart des nations, qui anciennement chassaient la baleine, se sont engagées à suivre.
La chasse commerciale à la baleine est interdite.
Ces nations se sont obligées les unes les autres à interdire la chasse à la baleine, sauf pour des raisons scientifiques, où dans certains cas, un pays pouvait invoquer le fait que c'était une tradition ancestrale que de chasser et notamment de s'alimenter de baleines.
Et c'est à ce titre-là que certaines nations continuent aujourd'hui de la chasser, ce qui est le cas du Japon, même si la consommation de viande de baleine, d'après certains travaux historiques, n'est pas si ancienne que ça.
C'est un peu une tradition inventée.
Et la Norvège aussi, qui continue à la chasser pour la manger.
J'aimerais en reposer une à Romy.
Si tu peux nous reparler de ce qui se passe pour les plastiques, parce que là aussi, tu as parlé des traités, mais pour les plastiques, on en est où ?
Il y a eu quand même des signatures très importantes.
C'est quoi exactement ?
Tu peux revenir là-dessus ?
Oui.
S'il y a un message à retenir sur la pollution plastique et le plaidoyer que nous portons à la Fondation Tara Océan, c'est que la priorité, c'est la réduction.
Il y a réduire, réutiliser et recycler.
Et il faut bien entendre ces trois mots de manière hiérarchique.
C'est que la réduction doit passer avant le recyclage ou la réutilisation.
L'important, c'est cette image un peu de couper le robinet à terre, parce que longtemps, il y a eu cette image qu'on pouvait nettoyer la mer.
Dans l'imaginaire, il y a des continents plastiques, on va prendre des bateaux poubelles, alors que ça aurait eu un impact au vu des millions de tonnes déversées dans l'océan.
Une flotte pour nettoyer l'océan, impact carbone, impact sur la faune marine, c'est une hérésie.
Je pense qu'aujourd'hui, le message commence à bien passer auprès des politiques et des ONG.
Et notamment aujourd'hui, il y a une idée de traité.
On a, j'ai oublié de le dire, un statut d'observateur à l'ONU, la Fondation Tara, ça nous permet de suivre des négociations onusiennes.
On l'a fait pour la haute mer, on le fait aujourd'hui depuis un an et demi, deux ans, sur le plastique, parce que la Norvège et le Rwanda ont décidé de porter auprès de l'ONU l'idée de négocier un traité sur la pollution plastique.
Quand tu cites Norvège et Rwanda, c'est très intéressant.
Ça reboucle avec ce que tu disais au début, terre et mer, parce que le Rwanda, sauf erreur, n'est pas beaucoup au bord de la mer.
Tout à fait, mais un pays précurseur sur la lutte contre la pollution plastique.
Aujourd'hui, il y a des États qui ont une coalition, haute ambition pour que ce traité soit très ambitieux avec des objectifs, et aussi que cette pollution est globale.
On l'a traitée par État, avec la circulation des biens.
Vous avez dû entendre aussi qu'il y a des pays qui exportent leurs déchets dans d'autres pays, et notamment des pays en développement.
Ce traité, il faut le négocier vraiment sur cet angle de la réduction et pas du recyclage.
Aujourd'hui, l'enjeu, c'est comment on réduit la production, comment on réduit la consommation, et pas forcément comment on améliore les capacités de recyclage, bien sûr les augmenter.
Mais si on ne s'attaque qu'à la fin de vie du déchet, il y a des problématiques à ce qu'on appelle la chaîne de valeur du plastique, de sa production à sa consommation au déchet.
Si on pense le plastique comme un déchet, on ne répond pas à la bonne question.
On porte ce message que cette pollution plastique, elle est toxique, elle est chimique, elle est climatique.
Faire le lien, toutes les questions de biodiversité, de climat, de plastique, tout est lié.
Les gens font plus le lien que c'est un impact sur la biodiversité, mais ne font pas forcément le lien avec le climat.
Le plastique, c'est du pétrole.
Ça puise encore des ressources.
Faire du plastique, ça a un impact sur les émissions de gaz à effet de serre.
Prendre la thématique globale, travailler sur des listes, d'avoir plus de transparence, je ne vais pas faire toutes les propositions de la Fondation Tara, mais plus de transparence sur la mise en marché de ces plastiques.
Il y a 16 000 additifs aujourd'hui dans les plastiques.
C'est énormément de molécules chimiques qui ont des différences d'impact.
Aujourd'hui, de dire, comment on a une transparence sur les quantités de plastique à mettre sur le marché mondial, sur les chimies utilisées pour qu'on maîtrise plus l'impact, sur les responsabilités du producteur, la responsabilité, c'est ceux qui mettent sur le marché la production plastique.
Plein de propositions qu'on porte.
Je vous invite à aller sur le site internet, on a des policy briefs qui sont disponibles pour voir toutes nos propositions.
Et les chiffres, les tonnages, et les lieux où ils se retrouvent.
Tu n'as pas fait le détail de toutes les expéditions de Tara, mais ça avait été très frappant quand vous étiez allés, je ne sais plus s'il y a une dizaine d'années, sur les grands fleuves, et de voir… En amont, on retrouve du plastique de l'amont de la ville jusqu'à l'embouchure.
Ça nous a permis de montrer que la pollution est systématique et pas seulement en mer, mais proche des foyers.
C'est une pollution pas forcément aussi à la fois côtière, proche des villes, mais quand on a fait la dérive arctique, on a retrouvé dans les filets, ce n'était pas l'objet de l'expédition à l'époque, du plastique même en arctique.
Il faut se dire aussi que cette pollution qu'on produit à terre, elle peut se retrouver sur des îlots du Pacifique, elle peut se retrouver dans les eaux arctiques, et que le problème de cette pollution est bien global.
C'est pour ça qu'il faut qu'elle soit traitée au niveau international.
Et on a bon espoir que des pays portent des messages ambitieux et forts sur cette problématique.
Oui, et ce qu'on se rappelait tout à l'heure brièvement, c'est qu'en juin à Nice, il va y avoir le grand raout Conférence des Nations Unies, UNOC, la COP-Océan, comme on dit, où toutes ces questions vont être évoquées.
Il va y avoir un travail scientifique qui est fait, et des plaidoyers, comme tu le dis, par les ONG, sachant aussi qu'auparavant, il va y avoir un ou deux jours, je ne sais jamais, par exemple à Monaco, sur tout ce qui concerne l'économie bleue.
Toutes ces questions-là vont être à la une de l'actualité en juin, et vous en faites partie.
Tu y vas ?
Non, je n'y vais pas.
Mais c'est vrai qu'en tant qu'historien, on est moins sollicité que des biologistes ou des juristes qui travaillent au quotidien sur ces enjeux très actuels.
Pourtant, comprendre l'histoire, ce qu'on disait, d'échanger sur l'histoire, c'est réfléchir au devenir.
Je ne connais pas l'intégralité du programme, mais il y aura peut-être des choses qui prendront en considération la longue durée.
On arrive au terme de cette soirée.
Je vous rappelle que ce qui vient d'être dit, vous pourrez le revoir sur Canal U d'ici quelque temps.
On n'a pas su me dire exactement la date.
Ce n'est pas compliqué.
Si vous allez sur Google, vous tapez Canal U et Océan, et peut-être les noms de Romain Grancher, Romy Hentinger, qu'on applaudit et qu'on remercie.
Il était posé sur les sièges la liste des autres rencontres à venir tous les mois.
Les fans de l'océan...
Fondamentalement, on en vient, vous savez, il y a des millions d'années, on en est sorti.
Il faut bien lui rendre la vie meilleure, il faut le faire respirer.
Merci à vous, merci de votre écoute.
Merci pour votre écoute.
Les océans ont une histoire !
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