Des vies océaniques. Quand animaux et humains se rencontrent

Retranscription


Donc, rencontre autour du livre de Fabien Clouette "Des vies océaniques", un livre qui retrace les trajectoires de quatre mammifères marins qui ont développé des liens étroits avec les humains. Il nous parle d'un phoque devenu compagnon des surfeurs, un dauphin qui s'invite dans le quotidien des pêcheurs, des orques qui s'en prennent à des voiliers ou une baleine. Et ce sera l'occasion d'explorer ce qui se joue donc avec ces mammifères marins qui approchent des côtes et qui nouent des relations particulières avec les humains, et de répondre à un certain nombre de questions. Qu'est-ce que nous disent ces rencontres ? Pourquoi elles se produisent ? Qu'est-ce que ça provoque ? Et puis comment y répondre ? Donc voilà, donc merci. Donc Fabien Clouette, vous êtes anthropologue au CNRS, donc auteur de ce livre, et vous faites aussi des documentaires, des romans, ce qui n'est pas si courant pour un chercheur. Et Laurent Soulier, donc vous êtes chercheur en écologie marine, vétérinaire de formation et directeur scientifique du CAPENA, Centre pour l'Aquaculture, la Pêche et l'Environnement de Nouvelle-Aquitaine, c'est ça ? Et vous êtes également membre du réseau national ECHOUAGE, qui est l'un des plus anciens réseaux de sciences participatives. Alors avant de donner la parole à Fabien et à Laurent, je voulais juste faire part de ce qui m'avait surpris en lisant le livre, donc vraiment moi qui ne connais pas spécifiquement les mammifères marins. Déjà je n'imaginais absolument pas qu'il y avait autant de mammifères marins à proximité de nos côtes et qui avaient des liens aussi étroits avec les humains. Vraiment pour moi, c'était une grande découverte. Je n'imaginais pas non plus qu'il y avait autant de problèmes et qu'il pouvait y avoir de l'agressivité. J'imaginais que c'était à l'autre bout du monde, donc ça, c'était une découverte pour moi. J'ai aussi appris que finalement, il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas et ça, j'étais étonnée de ça, et qu'il y avait également une fracture entre ONG et chercheurs et je n'imaginais pas que c'était à ce point-là. Donc voilà, on va parler de tout ça. Pour commencer, Fabien, vous êtes socio-anthropologue et je voulais savoir ce qui vous avait amené à vous intéresser aux mammifères marins et à écrire ce livre. Est-ce que ça vous a toujours passionné ou est-ce que c'est suite à des recherches ? Comment c'est venu ?

Merci Sandrine pour cette présentation et puis merci aussi à la FMSH et à toute son équipe qui est un partenaire de longue date de mes recherches. Depuis 2018 déjà, on était dans ce bâtiment pour Anthropocéan, donc c'est vraiment sur le long terme que la fondation accompagne ces recherches et c'est précieux. Pour répondre à cette question, moi, j'ai commencé par des recherches d'abord de socio du travail en réalité. Je travaillais sur les conditions de travail des marins pêcheurs, donc j'ai embarqué en mer avec des questions de socio du travail et un intérêt pour la crise de transmission de ce métier également. En mer, alors que j'étais sur ces bateaux à faire cette ethnographie, je me suis rendu compte que c'était aussi un terrain formidable d'anthropologie, des relations aux environnements et aux autres êtres vivants qui étaient au large. J'ai commencé à travailler sur ces questions et ensuite c'est en post-doctorat surtout que j'ai pu développer et élargir mon terrain en dehors du simple secteur professionnel de la pêche pour inclure d'autres profils et notamment les scientifiques et les correspondants du RNE. C'est comme ça que je suis venu à ces questions et c'est toujours le terrain qui dicte les questions de recherche d'une certaine manière et donc de travailler sur l'individualisation de ces animaux, sur ces individus singuliers, particuliers, dont lesqui pourraient confiner à l'anecdotique mais qui sont les révélateurs de relations et de conceptualisation de nos relations à ces animaux et aux sauvages et aux environnements. En fait, ils revenaient vers moi, c'étaient des cas qui se confirmaient depuis le terrain et c'est ça qui m'a forcé à orienter mes questions de recherche sur ces questions-là.

Est-ce qu'il y a une rencontre en particulier avec un mammifère marin qui vous a donné un déclic ou qui a été un déclic pour écrire ?

Je pense que c'était un moment où il y avait plusieurs choses, plusieurs événements aussi et notamment des événements qui trouvaient des issues. Par exemple, il y avait une forme de judiciarisation autour de certains cas, le cas des phoques décapités que j'évoque par exemple dans la conclusion montrait qu'il y avait clairement quelque chose qui se jouait entre à la fois les populations de pêcheurs qui avaient des problèmes liés à la déprédation, liés aux captures accidentelles et au grand public qui découvraient ces animaux parce qu'en réalité, les phoques sont revenus aussi sur nos côtes. Ils n'étaient pas forcément très présents jusqu'au début des années 2000 et c'est à partir des années 1990-2000 qu'on a commencé à en voir. Et donc ça émergeait et ça émergeait aussi médiatiquement. Donc il y a eu plusieurs cas comme ça. Et évidemment, les cas d'échouages de septembre 2022. Là, il y a eu quelque chose de l'ordre du fait qui m'a forcé à m'interroger à ces questions que vous pointiez du doigt, c'est-à-dire de tensions autour de théâtres d'opération entre scientifiques et d'autres publics, activistes notamment, et pas seulement entre des controverses entre les instances de la pêche autour des captures accidentelles et les scientifiques et le réseau national Echouages.

Et le fait que vous avez dit qu'il y a plus de phoques par exemple, est-ce qu'il y a beaucoup plus de mammifères marins aujourd'hui près des côtes ? que c'est un phénomène qui s'est développé ou c'est juste un effet de loupe médiatique ? Et quelle est l'ampleur du phénomène ? Et puis aussi, quels sont les mammifères marins qu'on voit aujourd'hui et à quel endroit en France ?

Alors d'abord, merci de m'avoir invité et puis j'en remercie la Fondation mais également Fabien parce que c'est lui qui m'a permis d'être là aussi parmi vous. Les mammifères marins en fait, les populations de mammifères marins, elles ont commencé à être connues à partir des années 70-80. C'est-à-dire qu'avant, c'était vraiment extrêmement parcellaire et c'est seulement à partir des années 70-80, c'est relativement récent en fait, qu'il y a eu des programmes de recherche réellement pour connaître les populations. Donc avant, on ne peut pas dire grand-chose, on a juste des éléments empiriques, c'est-à-dire par exemple des photographies où on voit des dauphins dans des baies. Nous, on a des photographies par exemple dans la baie de Saint-Jean-de-Luz, parce que je suis du Pays Basque, où on a des marsouins qui viennent à l'intérieur. Mais est-ce qu'il y avait pour autant beaucoup de marsouins ou des populations importantes ? On ne le sait pas. Par contre, depuis les années 80-90, il y a vraiment eu des grands programmes scientifiques internationaux, notamment dont beaucoup ont été pilotés par les Anglais, qui ont permis d'avancer sur ce sujet. Et aujourd'hui par exemple, on connaît bien les populations de dauphins communs. Si on veut une espèce, c'est ça le dauphin commun. Désolé, je vous en montre une qui est échouée. Mais c'est une des populations qu'on connaît le mieux.

C'est pour ça par exemple qu'on peut dire qu'aujourd'hui, entre les années 80-90 et les années 2000-2010, les populations n'ont pas vraiment augmenté. Alors que vous demandez aux pêcheurs professionnels, ils vous disent, mais si on en voit partout, beaucoup plus qu'avant. Et ils ont raison. Mais en fait, c'est les stocks qui se sont déplacés, c'est les populations qui se sont déplacées, elles se sont rapprochées des côtes. Alors pourquoi ? Parce que sans doute pour des effets d'alimentation, sans doute qu'elles suivent des poissons qui se sont eux-mêmes rapprochés des côtes, où ils ont changé en fait de proie, parce que leur proie avait peut-être disparu. Et ça peut être sous des effets de changement climatique, des choses comme ça. Mais voilà par exemple une population qui n'a pas réellement augmenté, mais qui a changé de place. Pour ce qui concerne les phoques, c'est un peu différent. C'est-à-dire que dans les années 80 à peu près, on avait une seule population de phoques gris qui était installée en France, qui était à Molène Ouessant, en face de la Bretagne. Et donc à l'époque, on avait très peu d'échouages, et ce n'étaient que des jeunes de toute façon. Et l'idée, c'était de les récupérer, de les remettre en état dans tous les centres de soins et puis d'aller les relâcher près justement de ces populations. Mais aujourd'hui, d'ailleurs dans tout l'Atlantique Nord, c'est pareil au Canada, les populations de phoques gris et de phoques veaux marins, qui étaient plutôt mer du Nord Manche, ont littéralement explosé. C'est-à-dire qu'il y en a vraiment énormément. Et donc ils entrent beaucoup plus en interaction avec les populations humaines, que ça soit d'ailleurs la pêche, mais également les gens qui font du canoë dans la (BDV) ou dans la baie de Somme, etc. Alors ça a à la fois amené du tourisme, c'est clair, maintenant la baie de Somme, c'est même du surtourisme pratiquement, mais aussi des interactions avec les professionnels de la pêche, notamment dans les filets. Et parfois, comme tu l'expliques dans ton bouquin, des surinterprétations de ce qu'on peut trouver quand on trouve des animaux morts.

Et vous parlez de mammifères marins déviants, puisque vous dites qu'il y en a de plus en plus qui viennent près des côtes, mais il y en a aussi, là vous m'entendez oui, qui viennent près des côtes, mais vous parlez de masse, mais en même temps vous parlez beaucoup dans votre livre de mammifères qui sont seuls et qui quittent le groupe pour venir au contact des humains. Vous parlez même d'animaux déviants.

En fait, c'est un terme qui m'a interpellé parce que depuis un point de vue de socio-anthropologue, ce terme de déviance, il convoque évidemment beaucoup de choses. Cette idée que c'est un écart par rapport à la norme, aux normes sociales notamment, et de voir qu'on l'applique à un individu animal qui a pour caractéristique d'interagir avec des humains, c'est le cas notamment du premier cas du livre, ça interpelle évidemment. Après, souvent, il est dans les discussions avec les scientifiques que le terme déviant est prononcé, puis il est vite annulé, modifié. Mais il est quand même très présent dans les discussions, il est présent aussi pour les dauphins, ces dauphins solitaires qu'on pense exclus du groupe, mais que d'autres considèrent comme étant des animaux, on les appelle des dauphins ambassadeurs, donc des dauphins qui seraient porteurs d'un message, etc., avec toute l'esthétique New Age qu'il y aurait derrière cette conception. En fait, ces animaux-là, a priori, ça fait quand même un certain temps qu'on en a sur nos côtes, en tout cas bretonnes. J'ai même essayé de le faire dans le livre, une forme d'histoire comme ça, de ces individus qui viennent au contact des humains en Bretagne, et ce n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c'est peut-être l'attention médiatique vis-à-vis de ces animaux.
Il n'y en a pas plus ?

En tout cas, il y a un peu plus de phoques, c'est sûr, mais les phoques, il n'y en a pas non plus des milliers, ça c'est sûr. On n'est pas comme sur les côtes américaines où à partir du moment où il y a eu des actes de protection à partir de 1972, les populations ont explosé jusqu'à devenir en capacité de charge, on n'est pas du tout à ce niveau-là, mais il y a plus d'interactions, on en voit davantage. On fait plus attention aussi, peut-être on a une attention plus aiguë aux apparitions de ces animaux, et puis ensuite médiatiquement aussi, il y a un intérêt croissant. Par exemple, je vais prendre un exemple également, le troisième chapitre sur ces échouages d'animaux, et donc un échouage d'animal en détresse, donc un échouage vivant.

Vous pourriez nous donner des exemples peut-être, parce qu'on n'a pas lu le livre.

Le troisième chapitre, c'est un échouage d'une baleine, un rorqual commun juvénile qui s'échoue vivant, et donc il faut intervenir et décider de ce qu'il faut faire. Il y a des correspondants qui sont envoyés sur place, Laurent expliquera ce qu'est le RNE peut-être plus dans le détail, mais c'est un réseau de science participative avec des correspondants qui sont sur le littoral et qui sont pilotés, qui sont les petites mains de scientifiques d'une unité du CNRS qui s'appelle Pelagis, et ces correspondants-là, ils vont sur le terrain et ils interviennent à la fois sur les animaux qui sont échoués morts et sur les animaux qui sont échoués vivants ou en détresse. Et donc ce petit rorqual, il s'échoue vivant, il faut décider de le remettre à l'eau ou pas. Après une première tentative qui échoue, en fait on se retrouve avec un animal sur l'estran en mauvaise posture, a priori agonisant, il faut décider de ce qu'il faut faire. On n'a pas les moyens de l'euthanasier, bref, c'est une sacrée histoire. Et au cordon sanitaire, il y a des activistes d'une ONG qui réclament d'intervenir eux aussi et de réessayer de le remettre à l'eau. Et en fait, cet exemple-là, pour moi, il est assez marquant parce que, via un contact avec le secrétaire d'État à la mer à ce moment-là, ils réussissent à passer le cordon et à prendre la main à la place des correspondants qui suivent le protocole et à remettre à l'eau l'animal qui meurt trois jours plus tard. Et donc je ne sais plus, mais voilà, l'idée que je voulais dire avant d'évoquer cet exemple, c'est qu'en gros, l'attention médiatique autour de ce cas-là, elle était bien plus forte en 2022 quand ça s'est passé que lors de cas qui pouvaient se passer dans les années 2010, par exemple, et qui passaient totalement inaperçus. Et voilà, par exemple, les baleines mouraient, mais elles mouraient sans qu'on s'y intéresse forcément.

Mais alors, avant de revenir à ça et justement aux tensions avec les ONG, entre les ONG et les chercheurs, comment expliquer ce comportement de déviance ? Est-ce que la recherche aujourd'hui, Laurent, qu'est-ce qu'elle dit ? Est-ce qu'on sait expliquer ces phénomènes de déviance ? Je pense qu'il ne faut pas faire trop

d'anthropomorphisme, déjà, parce que des fois, on imprime en fait un comportement humain à des animaux, alors qu'en fait, ce n'est pas forcément le cas. Ces histoires de dauphins ambassadeurs, avant on les appelait systématiquement quasiment comme ça, aujourd'hui ce n'est plus le cas, c'est beaucoup moins le cas. Effectivement, les termes de déviance, moi je n'aime pas du tout, non plus, sont arrivés. C'est des dauphins qui sont un peu ératiques, qui ont été sans doute... D'abord, ça concerne beaucoup le grand dauphin, qui est une des espèces, pour ceux qui connaissent, c'est un peu Flipper le dauphin, c'est le dauphin gris qui fait à peu près trois mètres, là. C'est une espèce, effectivement, où il y a... C'est sans doute le plus grand nombre de cas de dauphins solitaires, en fait, qu'on a. On en a eu qui ont beaucoup vadrouillé, de l'Irlande à l'Espagne et au Portugal, et puis il y en a d'autres qui sont restés plutôt à un endroit. Pourquoi ? Honnêtement, c'est... Les explications... Et il y en a même, on sait, il y en a même qui sont, par exemple, qui à un moment de leur vie ont été un peu erratiques et sont venus vers les populations, vers les hommes, et puis à un certain moment, se sont réintégrés à des groupes. Donc ces comportements-là, ils sont difficiles à comprendre et il y a des scientifiques qui étudient les comportements animaliers, il y a les éthologues, c'est leur métier, mais c'est vrai que c'est relativement complexe et moi, je ne m'aventurerai pas trop sur ce terrain-là. D'abord, parce que ce n'est pas ma spécialité, je n'estime pas forcément être compétent sur le sujet, mais en plus, parce que je pense qu'on peut dire beaucoup de choses. D'accord.

Et juste sur l'explication, tout à l'heure, vous disiez, il y a beaucoup plus de... Ils approchent beaucoup plus des côtes, même en masse, et vous êtes passé très très vite sur les causes. Vous avez dit la pêche, le réchauffement climatique... Comment expliquer, quand même, revenir là-dessus ?

Alors, à certains moments, si vous voulez, aujourd'hui, on considère l'écosystème dans son ensemble. Avant, souvent, on prenait les espèces les unes après les autres, c'est-à-dire on disait, on étudie les dauphins, on étudie les poissons, on étudie les calamars, etc. Aujourd'hui, on essaye beaucoup plus d'étudier les écosystèmes. Et en fait, on s'aperçoit que quand on augmente un curseur, il y en a un autre qui descend. C'est le problème des équilibres. Et je reviens à votre question, c'est-à-dire que, en fait, les déplacements, ils se produisent souvent pour des raisons, ce qu'on appelle trophiques, c'est-à-dire d'alimentation. Donc par exemple, on a baissé les quotas de thon rouge. Vous savez, vous en avez tous entendu parler. Aujourd'hui, le thon rouge, vous en avez jusqu'en Manche. Et chez nous, au Pays Basque, il est là pratiquement toute l'année. Et il y a certains pêcheurs qui en sortent des thons à 260 kilos. C'est pour vous imaginer. Il y a ne serait-ce que dix ans, il n'y avait pas un thon qui dépassait 40 kilos, quasiment. Mais ça a eu une conséquence, c'est que les petits pélagiques, les petits poissons de pleine eau dont ils se nourrissent, ces fameux thons, c'est du chinchards, du maquereau, du maquereau espagnol. Et là, par contre, les stocks, ils ont énormément baissé. Ça ne veut pas dire que les thons sont forcément responsables de la baisse des stocks. Sur le maquereau, c'est assez spectaculaire. Et donc, les dauphins qui mangent la même chose que les thons, en fait, ils suivent les thons. Et ils se sont rapprochés aussi des côtes. Et c'est une des explications. Ce n'est sans doute pas la seule et pas partout en France. Voilà, mais c'est typiquement ce genre d'explication. C'est-à-dire quand on fait bouger un curseur, il y en a d'autres qui descendent, il y en a qui montent. Et puis après, un nouvel équilibre s'établit. Et là, les animaux se sont sans doute déplacés pour ça.

D'accord. Et le réchauffement climatique dans tout ça ?
 

Le réchauffement climatique, c'est qu'il y a certaines espèces, par exemple, il y a certaines espèces qui ont tendance à remonter, notamment les espèces d'eau froide. Mais si, parce que si c'étaient des proies, ça veut dire que les animaux qui en mangent, ils remontent aussi. Voilà. Donc, ça peut aussi expliquer… Alors, il y a les dauphins. Les dauphins, il y en a beaucoup qui sont opportunistes. Donc, changer de proie, ça ne va pas trop leur poser des problèmes. Mais il y en a qui sont quand même plus spécialisés. Les globicéphales, par exemple, noirs, qu'on trouve… Je ne sais pas si vous voyez ce que c'est. Je ne sais pas marquer d'une photo, mais c'est des gros dauphins qui font quatre mètres avec une tête ronde, et qui sont tous noirs, quasiment. Ceux-là, ils ne mangent que du calamar, pratiquement. Ils mangent un peu de poissons, mais ils ne mangent pratiquement que du calamar, comme les grands cachalots. Et effectivement, il y a moins de calamar en ce moment. Ce qu'on appelle le chipiron, chez nous. Et pourtant, cette année, il y a eu beaucoup plus de globis. Et ça, c'est peu explicable aujourd'hui.

Alors, très bien, revenons à votre livre. Vous parlez beaucoup, vous l'avez évoqué tout à l'heure, d'individualisation des animaux. Vous avez dit, c'est vrai que la grosse différence aujourd'hui, c'est qu'on les individualise beaucoup. Et d'ailleurs, dans votre livre, vous dites, on les nomme, on cherche à les sauver. Il y a vraiment un engouement incroyable. Qu'est-ce que ça dit de notre rapport aux animaux, aux mammifères humains ? Est-ce que ça a évolué ? Comment vous l'interprétez ?

C'est des animaux aussi qui sont... Leur présence dans nos vies, la possibilité d'une rencontre avec ces animaux lors de notre vie est inversement proportionnelle à leur présence dans nos références culturelles. C'est des animaux qui sont partout. On parle de charisme animal. Espèces charismatiques, c'est aussi un concept. C'est des espèces très charismatiques qui sont très présentes dans nos livres, nos films, jusqu'aux chambres des enfants où il y a des peluches, des pyjamas, tout un tas de baleines partout dans la vie des humains, alors que les humains ne vont pas forcément les rencontrer. Et même les apercevoir, ça peut être compliqué. Aussitôt apparus, aussitôt disparus, quand on va vraiment les observer, c'est très compliqué. Et puis même les scientifiques ont du mal, on l'a vu, à mener des sciences comportementales, vraiment d'éthologie, à suivre et à y comprendre ces comportements. Et il se trouve que dans ces références culturelles, l'individualisation, ce sont des œuvres souvent ou des films, des livres qui traitent d'un animal en particulier. On a grandi avec Flipper, on a grandi avec Willy, on a grandi avec plein d'individus. Et il se trouve que sur le terrain, quand il y a un animal qui arrive dans un port, qui arrive sur le littoral, et à fortiori s'il est en détresse, ça résonne beaucoup aussi avec ces références-là, avec ces récits-là. Et ce qui est sûr, c'est qu'il est souvent nommé. Et il n'est pas nommé de la même manière que les sujets des scientifiques sont nommés. Si je prends un exemple un peu particulier, et qui, je trouve, résume également pas mal cette question de l'individualisation et des enjeux autour de l'individualisation, dans le détroit de Gibraltar, qui est le terrain du quatrième chapitre du livre, il y a des orques, les orques ibériques. Et il y a une quarantaine d'individus à peu près, peut-être un peu plus, qui vivent dans le détroit. Donc ce n'est pas beaucoup. C'est vraiment une sous-population très restreinte. Et on connaît toutes les orques, j'ai envie de dire par leur prénom, mais ça dépend de l'association ou du groupement scientifique ou de l'ONG qui les suit, et qui leur donne un matricule différent ou un prénom. Mais en tout cas, on les connaît toutes par leur prénom. Et pourtant, on connaît très peu leur modalité d'existence réelle. On sait très peu de choses sur elles, sur leur vie et sur ce qu'elles font. Et ça, c'est assez fascinant de se dire qu'on connaît par leur prénom des animaux sauvages, et aussi charismatiques, aussi vecteurs d'imaginaire de par les références culturelles qui entourent ces rencontres. Et pourtant, on connaît très peu de leur vie.

Oui, c'est étonnant, effectivement. Mais est-ce que la recherche aujourd'hui, quand même, travaille ? Enfin, c'est parce qu'il n'y a pas assez de moyens ? Ou comment expliquer le fait qu'on sache si peu de choses sur eux ?

C'est quelque chose qui est quand même propre à la cétologie aussi. Le vaisseau de la science, il a été obligé de se mettre à couple du vaisseau de l'industrie, soit baleinière d'abord, très clairement, et puis ensuite touristique aujourd'hui. Et donc de cheminer comme ça, en parallèle d'organismes qui ont les moyens d'aller en mer et de poursuivre des observations et de systématiser des observations. Parce que la zoologie à terre, c'est déjà compliqué sur certains terrains. Mais alors en mer, quand on n'a pas accès à ce qu'il y a sous la surface, c'est encore plus compliqué. Et c'est peut-être ce qui a fait que, d'ailleurs, la cétologie est la branche la plus embrouillée de la zoologie. C'est une citation du chapitre qui s'appelle « Cétologie » de Moby Dick, de Melville, qui pointe déjà ça du doigt. La difficulté à faire, à mener à bien cette science.

Mais si je peux rajouter quelque chose, dès qu'on va en mer, ça coûte cher. Et donc, plus on va loin et plus on va profond, parce que c'est valable aussi pour les profondeurs, plus ça demande de moyens. Et donc il y a très peu d'organismes scientifiques qui sont capables de mener ces projets. Et certains sont aujourd'hui d'ailleurs un peu en difficulté, y compris en France. Et c'est bien dommage, parce qu'effectivement, on a besoin de ces élus, de cette recherche. Et c'est pour ça qu'on utilise énormément ce qui est près de notre côte. Donc plus on s'éloigne, moins on en sait. On a quelques gros programmes sur les Cétacés, mais qui ont lieu certains tous les quatre ans, voire six ans (inaudible)

Qui sont des programmes de recensement, en fait. Qui sont des programmes de recensement populationnel. Ça reste quand même un peu dans le maquereau. Et la science vraiment comportementale, l'étude d'un (pod) par exemple, c'est extrêmement compliqué.

Et ça d'ailleurs, ces études qui ont lieu plus sur des (pods), des familles, une population de Cétacés, elles sont souvent faites par des associations qui sont locales et qui se font aider par des scientifiques. Mais elle est souvent le fait de gens qui sont locaux et qui se sont intéressés parce qu'ils voient très souvent, ils sortent en mer, etc. Et donc ils apportent une connaissance qui maintenant est indispensable à la science. Et c'est tout l'intérêt des sciences participatives aujourd'hui. Ce que je voudrais dire, c'est que les sciences participatives ne vont pas résoudre tous les problèmes scientifiques. C'est-à-dire qu'il y a des choses qui doivent être du domaine des organismes scientifiques, universités, Ifremer, etc. Mais les sciences participatives, elles ont l'avantage d'avoir un territoire qui est beaucoup plus vaste, de couvrir des territoires plus vastes, d'être aussi, quand il y a comme ça des aspects qui sont localisés, il y a tout de suite du monde. Et c'est particulièrement vrai pour le réseau national Echouages qui est l'un des plus vieux réseaux français de sciences participatives et qui s'est extrêmement professionnalisé. Je mets des guillemets parce que ce sont tous des bénévoles.

J'allais dire justement, il y a qui dans ce réseau précisément ? Quel est son objectif ?

Le réseau national Echouages, c'est à peu près 400 membres. C'est coordonné par un organisme scientifique qui s'appelle Pelagis, qui est situé à l'Université de La Rochelle et qui a mandat du ministère de l'Environnement pour faire la récolte de toutes les informations qui concernent les échouages et notamment, bien évidemment, tout ce qui est cause de mortalité, mais également population, âge des populations, âge des animaux, etc. Dans le réseau national Echouages, pour y rentrer, il faut faire des formations qui sont obligatoires. Il y a 4 niveaux de formation. Ça va de celui qui est appelé par le réseau pour juste aller prendre des mesures sur les animaux qui ne touchera pas à autre chose à celui qui va faire carrément l'autopsie, qui est en général un vétérinaire, qui va faire l'autopsie totalement, qui va prendre des échantillons, etc. C'est en cela que le réseau s'est professionnalisé, mais il faut savoir qu'il est essentiellement constitué de bénévoles ou de gens provenant d'organismes publics comme l'OFB, par exemple, ou de gens qui travaillent dans des associations, ce qui est mon cas.
SPEAKER_00_00:
C'est un réseau sur les échouages. Vous avez vu beaucoup plus d'échouages qu'avant ? Comment expliquer ?
SPEAKER_04_00:
Est-ce que vous pourriez nous donner quelques chiffres ? Jusqu'aux années 2000-2005, on avait un peu plus d'un millier d'échouages de mammifères marins. Chaque année, vous voulez dire ? Oui, chaque année, sur l'ensemble des côtes. Et c'est monté à 3 000 dans les années 2010. Et notamment en Atlantique, où ça a été très important. Sur quels types de... ? C'est essentiellement deux espèces qui sont concernées. Le dauphin commun, très majoritairement, donc celui que je vous ai montré, et le marsouin commun, essentiellement ces deux espèces. Et les phoques maintenant de plus en plus, les phoques gris et phoques communs. Donc, Pelagis estime qu'à peu près deux tiers de ces animaux morts qu'on retrouve sur les plages sont dues à des captures accidentelles, ce qui est contesté par les professionnels de la pêche. Et on voit bien tout l'intérêt du réseau et de la professionnalisation du réseau, d'apporter de l'information qui soit de plus en plus pertinente. Aujourd'hui, ils estiment que c'est à peu près deux tiers des captures, sachant que les engins qui peuvent être les plus impactants sont potentiellement les chaluts et les filets. Mais il faut savoir que, de l'autre côté, les professionnels de la pêche essayent de s'en sortir aussi parce que ça ne leur fait pas plaisir, il ne faut pas croire. Quand ils chopent des cétacés, ce n'est pas quelque chose qui leur fait plaisir.
SPEAKER_00_00:
Mais quand vous dites des captures accidentelles, c'est-à-dire qu'ils ont été pris dans les filets et rejetés, donc ils sont blessés et ils vont s'échouer ensuite ?
SPEAKER_04_00:
Blessés ou morts. Parce que, si vous voulez, quand un chalut fait cinq heures de trait, si le dauphin est capturé dans la première heure et même rapidement, il est noyé. Dans les filets, il s'emmaillote en fait.
SPEAKER_03_00:
Il fait des crises cardiaques, même.
SPEAKER_04_00:
En plus, c'est des animaux qui sont extrêmement sensibles au stress. Ils stressent très vite, donc ils sont capables de faire des crises cardiaques. Ils sont très sensibles, c'est une de leurs particularités. Ils ont plein de particularités par rapport à nous. Ils font très peu de cancers, par contre, mais ils sont très sensibles. Et pourquoi plus de captures accidentelles ? C'est un peu ce que je vous ai expliqué tout à l'heure par rapport aux dauphins communs. Les populations n'ont pas forcément augmenté, mais par contre, elles se sont rapprochées des côtes et donc elles sont venues beaucoup plus en interaction. Alors qu'il y a de moins en moins de pêcheurs, de professionnels de la pêche, il faut bien le savoir, il faut bien avoir l'idée que la pêche française n'est plus une grosse pêche industrielle. Majoritairement, c'est des petites pêches. Il y a encore de la pêche industrielle dans certains coins de Méditerranée pour le thon, les pêches en Manche aussi, les pêches minotières, etc. Il en reste, mais majoritairement, vous venez au Pays Basque, il ne reste plus que trois grands chalutiers. Et de la pêche industrielle, il y en a très peu, c'est des petites pêches. Mais malgré tout, il y a de la capture, on le sait forcément, et elle est due justement à ce rapprochement.
SPEAKER_00_00:
Et la question de la pollution des océans, ou le changement de température, l'acidification, ça ne peut pas avoir un impact ?
SPEAKER_04_00:
Alors les pollutions sont étudiées, bizarrement, dans les cétacés. Parce que les cétacés, c'est des animaux qui ont une couche de graisse, et donc ça fait partie des prélèvements qu'on fait depuis très très longtemps et qui sont analysés sur la Rochelle. Et donc on a des traceurs sur le mercure, notamment sur le plomb, sur le cuivre, qui existent depuis très longtemps. Globalement, en fait, ça a très peu évolué. En tout cas, les polluants qui sont analysés, polluants métalliques, et certains polluants organochlorés, organophosphorés, ont assez peu évolué. Et les microplastiques ? Alors ça, par exemple, c'est très très peu étudié. Ah bon ? Vous voyez, parce que c'est récent. Et en plus, c'est très très peu étudié. Ça commence à être étudié un petit peu dans les poissons aussi, parce que c'est dans la chaîne alimentaire que ça se passe. Mais même chez l'homme, c'est récent. Et d'ailleurs, les microplastiques, on n'a aucune idée aujourd'hui de l'effet que ça peut avoir. Ni chez les animaux, ni chez l'homme d'ailleurs. C'est-à-dire qu'on sait qu'il y en a partout, jusque dans les pôles, jusque dans le moindre endroit. Mais par contre, aujourd'hui, on n'est pas capable de déterminer les effets. On s'éloigne un peu du sujet.
SPEAKER_03_00:
Après, ce qu'on peut dire, c'est qu'en fait, à Pelagis, il y a des protocoles, ce que Laurent expliquait, de différents niveaux. Et en fait, ces protocoles-là, ils se spécialisent, ils s'élargissent de plus en plus. L'unité s'est dotée d'une vétérinaire récemment et l'idée, c'est de gonfler les dossiers de nécropsie pour justement montrer et en fait aller de plus en plus dans le détail sur les causes d'échouages, parce que ces questions vives autour des captures accidentelles, elles ont été portées devant les tribunaux. Et donc il faut que les dossiers soient les plus béton, d'une certaine manière, derrière. Et c'est uniquement en musclant les protocoles et donc en ayant derrière également des correspondants qui sont de plus en plus formés et de mieux en mieux formés, détenteurs de la carte verte qui permettent d'accéder à ces terrains d'échouages et de pratiquer ces gestes, que les dossiers peuvent en être renforcés.
SPEAKER_00_00:
Qui est-ce qui porte ces dossiers ?
SPEAKER_03_00:
Les ONG. Les ONG.
SPEAKER_04_00:
Ce que je voulais dire, c'est que déjà, il faut bien savoir, ce qu'on n'a peut-être pas dit au départ, c'est que tous ces animaux sont protégés, même morts. C'est-à-dire qu'on n'a pas le droit d'aller chercher un fanon de baleine sur un animal mort, ça c'est absolument interdit, ils sont protégés, même morts. Et donc, seuls les gens qui sont habilités et qui ont une certification, qui ont une carte verte, ce qu'on appelle, sont habilités à aller sur les échouages. Donc ça, c'est un point qui est très important. Et parfois, ce qui s'est passé, c'est qu'il y a un échouage avec beaucoup de gens qui se mettent autour. Quand vous regardez les photos historiques, les gens posent dessus, voire même installent les enfants sur... On a tous (souri) mais pas tant que ça. Pas tant que ça, mais dans les années 80, c'était ça.
SPEAKER_03_00:
Même dans les années très récentes, il y a des comportements comme ceux-là. En fait, c'est assez récent,
SPEAKER_04_00:
finalement,
SPEAKER_03_00:
cette interdiction de toucher ou de... En fait, elle existe depuis un petit moment. Oui, mais dans les faits, elle existe depuis les années 90, tout début des années 90. Le fait de ramasser une vertèbre sur la côte,
SPEAKER_04_00:
ça se faisait classiquement. Après, pourquoi c'est interdit ? C'est pour éviter les débordements et aussi pour des aspects sanitaires. Un animal qui est mort, c'est un cadavre. Potentiellement, il peut y avoir des germes qui passent à l'homme. Par exemple, pour ce qui concerne les phoques qui passent aux chiens, la maladie de Carré,
SPEAKER_03_00:
que vous connaissez peut-être,
SPEAKER_04_00:
qui est une maladie proche de la rougeole chez nous, qui est mortelle chez le chien, s'il n'est pas vacciné, les phoques, ils peuvent l'avoir. C'est pour ça qu'on interdit les approches à la fois d'animaux et de l'homme.
SPEAKER_03_00:
En 2022, quand il y a eu ces échouages-là, et notamment l'échouage auquel je faisais référence de rorqual juvénile qui s'est échoué en détresse, on était en plein post-pandémie. On savait un peu plus ce que c'était et c'était quand même très vif dans l'esprit des correspondants et des personnes de l'OFB qui étaient sur place. En plus, on venait d'avoir un pic de grippe aviaire qui avait décimé l'intégralité quasiment des fous de Bassan. Avec des paysages aussi qui hantent un petit peu ces personnes qui sont sur l'estran tous les jours et qui, quand ils voient un animal qui est mal en point, qu'ils n'ont pas réussi à remettre à l'eau et qui voient qu'il est malade, il est agonisant, donc probablement qu'il a un virus, il y a une forme d'angoisse un petit peu, soit des contaminations avec l'homme, soit avec les animaux d'élevage, parce qu'il y a beaucoup d'animaux d'élevage dans ces espèces, ou domestiques avec des chiens.
SPEAKER_00_00:
Sinon,
SPEAKER_03_00:
Fabien,
SPEAKER_00_00:
dans votre livre, vous en avez parlé tout à l'heure, vous évoquez pas mal les tensions entre les ONG et les chercheurs. Vous donnez d'ailleurs des exemples. Est-ce que vous pourriez nous donner un exemple et expliquer pourquoi il y a autant de tensions et comment ça peut gêner aussi le travail des scientifiques ensuite ?
SPEAKER_03_00:
Il y a plusieurs facteurs. Déjà peut-être d'entrée de jeu, dire que ces tensions-là, elles étaient très vives en 2022, parce qu'il y a eu cet échouage-là, notamment de rorqual, mais que l'été qui précédait, c'est-à-dire là on est en septembre 2022, en août, donc un mois avant, il y avait l'orque en détresse dans la Seine, vous vous en souvenez peut-être, le beluga en détresse dans la Seine, deux cas extrêmement médiatiques aussi où il y avait des vives tensions entre les correspondants du RNE et des activistes, notamment de Sea Shepherd, avec des intérêts, avec des légitimités, avec des parcours, avec des postures et des sensibilités différentes de part et d'autre du côté des scientifiques et du côté des activistes, et vraiment des conceptions aussi différentes, c'est-à-dire que du côté scientifique il y a cette prudence et peut-être également cette idée de mettre les affects un peu de côté, je ne sais pas comment le dire vraiment, même si les affects sont là, le fait de rester dans un protocole, c'était quelque chose qui permettait de se détacher un petit peu du cas particulier, d'être affecté, de laisser les émotions trop prendre le pas, et de l'autre l'idée de voir un récit qui permet de mobiliser un large public et de faire symbole aussi, c'est-à-dire que même si l'animal, il est rachitique, il est en mauvaise posture, il va a priori mourir, soit il faudrait l'anesthésier, soit il faudrait le laisser mourir parce que laisser faire la nature, il y a l'idée défendue par les activistes qu'il faut tout faire pour le maintenir en vie, presque une posture un peu vitaliste, pour le symbole. D'un point de vue d'anthropologue, si on ne juge pas, les deux peuvent s'entendre, à la fois le symbole et comme le concret du cas d'animal malade. Après ces cas-là, le RNE a renforcé sa charte à l'automne qui a suivi pour cloisonner vraiment le militant du protocolaire et ensuite a été mis en place un groupe de travail où activistes et correspondants historiques sont assis à la même table et réfléchissent. Là où il y avait des tensions, il y a maintenant une table de travail, je crois.
SPEAKER_00_00:
Qu'est-ce que vous en pensez Laurent ?
SPEAKER_04_00:
Pour être très clair, c'est des épisodes qu'on a très mal vécus. Surtout les correspondants locaux. Comme je suis un dinosaure du réseau, je les connais à peu près tous. Notamment ceux du parc naturel marin de mer d'Iroise dont il est fait référence sur la baleine qui s'était échouée. Et c'est vrai qu'on a mal vécu ça. Pourquoi ? Parce que, comme je vous ai dit, on est tous bénévoles. Qu'on soit des institutionnels, on est tous bénévoles. Certains d'entre nous, ça fait des lustres qu'on fait ça. D'autre part, on a une volonté de s'inclure dans un cadre collectif. On marche tous ensemble. On fait des erreurs, on en a eu fait. L'idée, c'est quand même qu'on apporte le plus d'informations possibles pour qu'il y ait le moins d'erreurs possibles, y compris sur les animaux vivants. Un animal qui s'échoue vivant, c'est toujours un problème. C'est pour ça que le ministère a décidé de faire ce fameux groupe de mammifères marins en détresse qui rassemble effectivement des gens du ministère, mais aussi des scientifiques, des gens de Pelagis, des vétos, comme moi, et des activistes. Mais c'est vrai qu'on a très mal vécu le fait que, non pas qu'il y ait des activistes, je comprends, le militantisme c'est quelque chose que je comprends parfaitement. Je comprends qu'on peut avoir un avis différent du mien. Ce n'est pas un problème. Par contre, ce que je n'ai pas compris, c'est pourquoi ils ont dénigré le RNE. Sur les réseaux sociaux, c'était vraiment épouvantable. Quand je dis épouvantable, c'était... Qu'est-ce qu'ils disaient concrètement ? Traités de viandards, parfois de tous les noms, etc. On était juste bons à découper des morceaux d'animaux. Et ça, ça a été extrêmement mal vécu par les gens du RNE. Surtout des gens qui font partie d'associations de protection de la nature, pour la plupart. Et puis qu'on venait leur donner des leçons. Il y a des gens qu'on n'avait jamais vus et qui arrivent sur les échouages et qui tout d'un coup se prétendent, ou en tout cas arrivent et disent qu'il faut faire ci, il faut faire ça. Ben non. Et ça, on l'a extrêmement mal vécu. L'autre point qu'on a mal vécu, c'est la réaction de l'État qui a été en dessous de tout. Je n'ai pas peur de le dire, d'autant plus qu'il n'est plus ministre. Mais ça a été en dessous de tout. C'est-à-dire qu'il a cédé, alors qu'il n'aurait pas dû. C'était illégal ce qu'il a fait. C'est-à-dire concrètement ? Au point de vue juridique, c'était illégal. C'est-à-dire qu'il a permis à des gens qui n'avaient pas de formation, pas la carte verte, etc. d'aller sur ces animaux-là. Et ça, ce n'est pas normal. Cette intervention qui a eu lieu est la preuve que d'abord ils n'y connaissent rien, mais elle est la preuve aussi qu'en fait c'est une grosse faiblesse, qu'ils n'arrivent pas à intégrer le fonctionnement de ce que ça doit être. Et nous, on l'a extrêmement mal vécu. Je suis du Pays Basque, je le suivais parce que j'avais des coups de fil de correspondants. Mais les gens qui étaient sur place, ce n'était pas normal. C'était épouvantable.
SPEAKER_00_00:
On a l'impression, dans le livre, que l'intervention des pouvoirs publics est un peu au cas par cas, en fonction de telle ou telle situation, il y a une réglementation, mais en même temps, finalement,
SPEAKER_04_00:
ce
SPEAKER_00_00:
n'est pas assez...
SPEAKER_03_00:
Il y a une forme d'improvisation. Sur ces cas d'animaux en détresse, il faut forcément improviser d'une manière ou d'une autre, parce qu'il y a évidemment le protocole et notamment le nombre d'essais de renflouement en fonction de l'état de l'animal et de l'espèce, des conditions aussi. On ne va pas faire la même chose avec des grands dauphins qui se sont échoués parce qu'ils se sont paumés dans une écluse et que la marée a baissé. C'est simple, il faut faire venir des pompiers qui mettent de l'eau sur les animaux et qui essaient de maintenir en vie le plus longtemps possible et le plus possible d'animaux. On ne va pas agir de la même manière sur un béluga qui est tout à fait en dehors de son aire de répartition, qui est maigre, etc. C'est forcément une improvisation relative. Après, la difficulté, je crois, c'est que sur ces terrains-là, qui étaient encore une fois invisibles du grand public pendant de longues années du RNE, maintenant il a beau y avoir à peine 100 personnes sur le lieu, sur l'estran, parfois beaucoup moins, via les réseaux sociaux, il y a plein de gens qui peuvent suivre ça et se passionner du récit. Et évidemment, qu'un récit de sauvetage, c'est beaucoup plus porteur et c'est beaucoup plus symbolique, je le disais encore, qu'un récit, malheureusement, d'animal qui s'est échoué, qu'on doit laisser mourir ou qu'on doit faire mourir. Il y a un autre cas, par exemple, que je raconte dans le livre, qui est cette baleine à bosse Johanna aux Pays-Bas, sur laquelle ont été expérimentées des méthodes d'euthanasie, parce qu'il fallait l'euthanasier. Et là, pareil, il y a eu une attention médiatique très forte autour de ce cas-là, qui faisait qu'on pouvait être à des milliers de kilomètres et suivre, quasiment en direct, ce cas-là. Passionnant, d'une certaine manière aussi.
SPEAKER_04_00:
Je voulais juste rajouter quelque chose, c'est par rapport au réseau. Le réseau, comme je vous ai dit, c'est constitué de beaucoup d'associations, ou d'individuels. La plupart ne sont pas riches, elles ont beaucoup de difficultés à financer leur propre programme, même comme il y a eu plus d'échouages les dernières années, à dédommager, ne serait-ce que les bénévoles. Et dans des cas comme ça, Sea Sheppard s'est vanté d'avoir recueilli 30 000 euros en une heure, ça, c'est choquant pour nous. Il faut bien comprendre ça. On a des difficultés à fonctionner, tous les gens ont des difficultés à fonctionner, et tout d'un coup, il y a des gens qui arrivent de nulle part et qui nous donnent des leçons et qui sont capables de lever des fonds comme ça. Très bien, ça ne me dérange pas, mais il ne faut pas se vanter de faire ce genre de choses.
SPEAKER_03_00:
Ça rejoint d'ailleurs cette idée que la cétologie est obligée, enfin la question des moyens, elle est fondamentale. Et notamment quand on travaille sur des animaux vivants, que ce soit du suivi ou du sauvetage. Et c'est pour ça que des associations du semi-privé ou du privé totalement sont à la pointe, parfois, dcomportementales avec des intérêts parfois extra-académiques, à l'international en tout cas. Et voilà, c'est assez intéressant comme terrain d'anthropologie et de socio-anthropologie des sciences, de comment la science est menée sur ces terrains-là d'études de ces animaux. Et comment des concurrences se font également, et comment ces animaux charismatiques aussi créent des désirs de développement de de charisme humain. C'est finalement une science où il y a beaucoup d'humains charismatiques qui sont dans le champ. Des figures comme ça qui sont l'homme qui va murmurer aux oreilles des orques. Des personnes comme ça, on peut même les citer. Pierre Robert de Latour, Pierre Lavagne de Castellan, François Sarano, des personnes qui sont connues du grand public. Et d'une certaine manière, Lamya Essemlali qui dirige Sea Shepherd. C'est pareil, Paul Watson, ce sont des personnalités et qui sont des cétologues d'une certaine manière. Et du côté scientifique académique où il y a des manques de moyens, c'est compliqué. Il y a des tensions à cet endroit-là parce qu'légitimités différentes et des intérêts différents.
SPEAKER_00_00:
Et dans votre livre aussi, vous parlez du tourisme d'observation qui se développe beaucoup et qui est un peu tout azimut où il n'y a pas beaucoup de réglementation. Ça aussi ça perturbe ? Parce que ça pourrait sensibiliser et donc on se dit tant mieux. Et finalement ?
SPEAKER_03_00:
C'est un peu le même problème. Il y a eu une première passion dévorante pour ces animaux qui était clairement la chasse baleinière qui a permis d'illuminer nos villes parce que l'huile de baleine permettait de faire la lumière et il y avait tout un tas d'usages autour de ce qu'on pouvait tirer de ces animaux. Et la deuxième passion dévorante, c'est cette passion à la fois pour les images de ces animaux et pour les moments de rencontre avec ces animaux, notamment organisés et proposés par le tourisme d'observation. Et il y a des espaces comme ça qui se sont spécialisés dans le tourisme de la rencontre. C'est une difficulté supplémentaire pour les scientifiques parce qu'il faut parfois cheminer et être sur ces navires qui proposent de l'observation, réfléchir aux manières de faire ça de manière vertueuse si ça existe, et en même temps aider à développer des chartes sachant que les chartes n'engagent que ceux qui les signent. C'est ça la grande difficulté avec des territoires qui se spécialisent. Je commence un terrain dans l'Arctique norvégien autour de non seulement l'observation mais un tourisme d'immersion avec les orques. C'est quelque chose qui se développe, un tourisme privilégié où les gens vont là-bas expressément pour se mettre à l'eau avec des orques et rapporter leur image de ça, parfois sans avoir vraiment vu l'orque mais ils ont une caméra action 360 qui permet de capturer une fois rentrés à terre de voir qu'on a eu l'image qu'on voulait. Il y a plein de problèmes autour de ce développement touristique de niche mais je ne sais pas trop quel garde-fou existe à cette passion des ventes.
SPEAKER_04_00:
Il y a quand même de la réglementation qui existe qui est normalement qu'on ne doit pas déranger les mammifères
SPEAKER_04_00:
marins et on ne doit pas les approcher volontairement. Une fois qu'on a dit ça, est-ce que c'est un problème ? Je dirais oui et non. Effectivement on a maintenant besoin de certaines compagnies de whale watching pour avoir de l'information en sciences participatives. Par exemple avoir des photographies d'ailerons, de grands dauphins parce que ça permet d'enrichir les catalogues qui existent déjà de voir si cet animal a été vu à un endroit ou à un autre. Ils peuvent avoir un rôle qui peut être extrêmement positif, c'est de démultiplication d'informations pour les scientifiques. Le problème, c'est le whale watching à une échelle qui devient insupportable. Par exemple ce qui s'est passé en Martinique. Il y a à peu près 10 ans, il n'y avait aucune compagnie de whale watching. Entretemps ils ont découvert un spot où les baleines à bosse se reproduisaient qui était au nord-ouest et il y a 40 compagnies de whale watching qui se sont montées. Malgré tout, le parc a essayé de réguler ça avec une charte mais la charte n'engage que ceux qui la signent, déjà, donc si vous ne la signez pas, c'est la réglementation qui s'applique. Et ce qu'il y a, c'est qu'on ne peut pas limiter le nombre de compagnies. Il ne peut pas y avoir de système de licence parce qu'on aurait pu imaginer un maximum de 10 licences à l'année avec des conditions strictes, par exemple que le matin ou 5 jours par semaine seulement, ce genre de choses existe dans d'autres endroits mais aujourd'hui ce n'est pas possible, ce système de licence fermée. C'est un vrai problème. Donc c'est complètement anarchique ? Le problème, c'est que ça commence à être un peu partout, aux Pays-Bas, il y a une quinzaine d'années il y avait 0 compagnie whale watching , aujourd'hui il y en a 11. Ça ne pose pas encore beaucoup de problèmes, je vais être prudent quand même avec ça mais ça pourrait le devenir. C'est surtout aussi le gigantisme, c'est-à-dire qu'au départ c'est souvent des petits bateaux qui y vont, c'est souvent des gens qui amènent d'autres gens, c'est 4 ou 6 personnes mais après ça devient des gros bateaux avec 50 personnes qui arrivent, des gens qui se foutent à l'eau, ça devient absolument n'importe quoi.
SPEAKER_03_00:
Avec un effet il faut le repréciser, c'est 11 compagnies qui se sont développées sur un territoire où on n'avait pas idée qu'il y avait ce gouffre de Cap-Breton, en tout cas...
SPEAKER_03_00:
La diversité qu'il pouvait y avoir. Et la mégafaune avec des cachalots, avec ces globicéphales qui se regroupent en ce moment, c'est un peu plus en avril, par centaines et qu'il faut d'une certaine manière mieux connaître donc il faut quand même qu'on aille voir. Ce qui est intéressant avec cette question de l'approche et de notre réflexion sur ce qu'on se permet dans l'approche, c'est des animaux qui de toute manière viennent au contact également donc l'interdiction d'approche est relative à partir du moment où on se met sur leur chemin, où on se met dans un endroit, en fait il y a des dauphins qui vont venir. On regarde (par Canada)
SPEAKER_04_00:
par exemple ce qui se passe à
SPEAKER_04_00:
(par Canada), c'est sur l'estuaire du Saint-Laurent donc ils ont des réglementations extrêmement strictes avec les compagnies whale watching, qui sont nombreuses. Eux c'est beaucoup plus strict alors justement... Il y a énormément de compagnies donc c'est un énorme business à l'américaine mais par contre ils ont des gars qui sont postés avec des jumelles et qui calculent les distances entre les bateaux donc vous devez obligatoirement vous éloigner d'un animal si par exemple il vient vers vous, normalement vous devez vous éloigner d'autant. Dans la réalité c'est un peu plus complexe mais enfin ça existe, ce genre de choses.
SPEAKER_00_00:
Est-ce que c'est ça qu'il faudrait faire alors en France ?
SPEAKER_04_00:
Oui mais alors qui c'est qui va contrôler ? Parce que (par Canada) c'est l'estuaire du Saint-Laurent donc vous pouvez avoir des gens qui sont à terre avec des jumelles et qui couvrent un territoire qui est relativement vaste, nous on est sur une mer qui est quand même relativement ouverte et les affaires maritimes, enfin les gens qui contrôlent leur mer, pas que les affaires maritimes, les douanes, etc., malheureusement ils ont des moyens qui sont aussi limités et ils ont souvent autre chose à faire en plus, ce n'est pas vraiment leur priorité. Donc ça va se développer en fait ?
SPEAKER_03_00:
Après il y a des hotspots aussi, c'est pour ça que je parlais aussi de l'Arctique norvégien, il y a vraiment, dans l'Arctique norvégien, il y a donc ces orques qui se rassemblent pour manger autour des pêcheries de harengs. Bon le hareng, on sait qu'il y a des baleines à bosse aussi au même endroit donc c'est très attirant, ça se retrouve sur les réseaux sociaux, chacun poste sa vidéo et ça donne envie de plus en plus aux gens de venir et d'aller passer sa journée à se mettre à l'eau comme ça avec ces animaux, mais en parallèle le harangue le harangue il se déplace de plus en plus au nord et donc les orques suivent dans des fjords de plus en plus reculés et il y a des conséquences aussi, en dehors des conséquences sur la faune et sur les environnements, il y a aussi des conséquences sur les paysages sociaux de ces confins-là un peu. C'est-à-dire que par exemple Skjervoy qui est le hotspot de l'observation des orques, en réalité si du jour au lendemain, plutôt d'une saison à l'autre, l'an prochain il n'y a pas d'orques parce qu'il n'y a pas de harangs et qu'ils sont tous dans le fjord plus au nord, toutes les compagnies du jour au lendemain quittent Skjervoy et vont s'installer ailleurs. Et donc l'espace là qui avait vu une forme d'économie se développer, tout s'effondre. D'une certaine manière, le tourisme observation crée des sortes de bulles comme les baleines créent des bulles et c'est des bulles qui peuvent éclater aussi. Et il y a des bulles comme ça un peu partout. Je crois qu'il y en a une à La Réunion, ah mais à La Réunion, les images sont prises là.
SPEAKER_00_00:
Alors justement vous pouvez nous parler un peu de ces images parce qu'on ne les voit depuis tout à l'heure
SPEAKER_04_00:
Alors c'est à
SPEAKER_04_00:
Rurutu, ça ne vous dit peut-être pas grand-chose, c'est une île des Australes de la Polynésie française. Donc c'est une île qui est plus au sud de la Polynésie et c'est un des spots où les baleines à bosse viennent se reproduire, qui est dans le Pacifique Sud. Et en fait il y a très longtemps, il y avait pas mal de baleines et ils chassaient la baleine. Ils avaient droit à une ou deux baleines par an et ça a été interdit puisque la Polynésie fait partie de la France, la France a signé des conventions et donc ça a été interdit. Ils le regrettent, localement il y a certains pêcheurs qui le regrettent de n'avoir pas leurs baleines à chasser par an. Et il faut dire que les populations qui viennent à Rurutu, la population qui vient à Rurutu est très faible. Et j'ai eu l'occasion de participer à un documentaire sur ça donc il y avait déjà une compagnie de whale watching qui était là et c'était essentiellement des touristes japonais qui venaient. Et donc ils les foutaient à l'eau comme nous ici, ils les mettaient à l'eau et ça restait encore une quinzaine de personnes. Le problème, c'est qu'ils savaient pas très bien nager donc ils faisaient beaucoup de bruit et une baleine qui a un petit surtout au début, ça la stresse quand même parce que le petit, il est vraiment petit, quand je dis petit, il fait 2 tonnes et en 3 semaines il en fait 4. Mais c'est vrai que ça la stresse beaucoup et donc on leur avait dit mais effectivement. Et c'est quelque chose qui ne s'est pas développé pour une simple raison, c'est qu'il y a eu des périodes de trous, c'est à dire qu'il y a tellement peu de baleines qu'il y a eu des années où il n'y avait plus de baleines. Donc du coup, c'est pareil ça se sait, alors les gens se disent en plus aller à Rurutu, c'est une aventure donc les se disent, je préfère aller à Morea, là je suis sûr d'en voir, il y en a 200 par an qui se baladent. Du coup, ça les a laissés un peu tranquilles et il y en a certains qui sont revenus et la baleine qui est là, la mère, c'est une très vieille baleine. Ils estiment qu'elle a peut-être 60 ans, une soixantaine d'années qui est une baleine qui a subi des attaques d'orques vu comment elle est mangée à la fois sur la dorsale et sur la codale. L'heure
SPEAKER_00_00:
passe, il est 8 h moins 20 donc peut-être avant de vous laisser poser des questions, une dernière chose donc si vous deviez dire une chose pour améliorer à l'avenir la cohabitation avec les mammifères marins, qu'est-ce que vous diriez ?
SPEAKER_03_00:
Je pense ce que j'utilisais tout à l'heure, c'est-à-dire quand même, je pense que c'est intéressant de se concentrer sur les choses qui font lien plutôt que nœud dans ces situations de conflit entre humains autour d'animaux plutôt qu'entre humains et animaux.
SPEAKER_04_00:
Je pense qu'il faut éviter une incompréhension qui érige des murs et en cela la judiciarisation, elle érige des murs entre des professionnels de la mer et des organisations écologistes. Je pense que les sciences sociales et les sciences humaines peuvent faire beaucoup pour ça et nous biologistes, écologistes,
SPEAKER_04_00:
on n'a pas l'habitude de ça parce que nous, on travaille sur des animaux et sur la compréhension de l'animal ou de ses maladies. Je pense que justement, en ce moment on est en train d'essayer de promouvoir l'entrée des sciences sociales et humaines dans tous les mécanismes de gestion de territoire naturel et de gestion d'espèces. Moi qui ne suis pas des sciences sociales et pourtant je vous le dis, je pense que c'est vraiment important et c'est l'avenir.
SPEAKER_00_00:
C'est une belle conclusion, vous avez des questions ?
SPEAKER_02_00:
Bonjour merci beaucoup
SPEAKER_04_00:
pour vos interventions, c'était hyper intéressant.
SPEAKER_02_00:
Je me demandais par rapport au groupe de travail dont vous avez parlé qui a été à l'automne 2022 suite aux différents échouages où il y avait eu des tensions entre des gens qui avaient tous les mêmes intérêts mais pas trop, vous êtes revenu sur ce qui s'était passé à ce moment-là quand vous l'avez vécu, c'était hyper intéressant et hyper complémentaire du troisième chapitre du livre qui était vraiment top. Depuis, comment ça a évolué, qu'est-ce qu'elle a donné, cette initiative, est-ce que l'administration est proactive ou est-ce comme il n'y a pas eu des choix, je ne sais pas trop depuis, ou est-ce que ça s'est un peu tassé ou pas du tout, est-ce qu'il y a des choses qui sont ressorties ?
SPEAKER_04_00:
Les histoires d'échouages d'animaux vivants, c'est comme ça, c'est en dents de scie, c'est médiatique, ça dépend des circonstances. Oui ça a évolué, il y a 4 groupes de travail qui se sont mis en place sous l'égide du ministère chargé de l'Environnement, dont un qui est plus lié à de la communication, qui est piloté justement par Sea Shepherd, et un autre qui est plutôt sur le côté base de données qui est côté OFB, et puis le coeur du truc, c'est l'édification de guide justement technique comment prendre en charge des mammifères marins en détresse. Et il y a des organigrammes qui ont été faits, alors ça c'est Pelagis, d'ores et déjà pour savoir si on intervient ou pas, l'animal est-il vraiment en détresse ou pas. Des fois, les gens sur les phoques c'est très caractéristique, ils voient un phoque qui est sur une plage et ils se disent que c'est un phoque échoué. Non, c'est normal pour un phoque de venir à terre. Pour un dauphin ce n'est pas normal mais pour un phoque, il a des moments où il se repose. Donc il faut différencier le phoque qui va juste être sur son reposoir et qui ne veut pas qu'on l'embête et le phoque qui lui est vraiment en détresse, c'est-à-dire qu'il est amaigri, il va falloir le prendre en charge. Et ça, c'est la connaissance, c'est le réseau, c'est typiquement ce qu'on sait faire.
SPEAKER_03_00:
Avec une réflexion supplémentaire, est-ce qu'on doit encore les prendre en charge, ces animaux et est-ce que la raison d'être des centres de soins est toujours autant d'actualité.
SPEAKER_04_00:
C'est une vraie question, elle est aussi financière, cette question, elle ne concerne pas que les mammifères marins, elle concerne aussi les oiseaux marins. Pour ce qui concerne les phoques dans les années 80-90, il y avait une nécessité de soutien à la population française et voire même soutien à la population britannique. Aujourd'hui, ce qu'on fait, ce qui est fait, on répond à une demande médiatique, enfin une demande sociétale. Mais il n'y a plus réellement d'intérêt pour la population de phoques, il faut bien voir ça. Mais par contre, ça reste difficile de laisser un jeune phoque qui est, notamment dans les phoques gris, qui est sur la plage et qui va crier et qui va finir par mourir. En tout cas,
SPEAKER_03_00:
les enjeux entre scientifiques et activistes vont se jouer là dans les années à venir, c'est est-ce qu'il faut intervenir pour sauver tous les animaux sauvages qui sont en difficulté.
SPEAKER_04_00:
Je veux juste rajouter un truc. Sur béluga par
SPEAKER_04_00:
exemple, orque et la baleine, le rorqual qui était abandonné, ça typiquement c'est les animaux sur lesquels on n'aurait pas dû essayer de les remettre à l'eau. Il faut être très clairs avec ce sujet, ces animaux étaient évidemment très mal en point, et ça se voyait, ils étaient maigres comme des clous, il y en a qui étaient malades, surtout le béluga, c'était catastrophique à la fin, ces animaux auraient dû être euthanasiés pour leur bien-être, pour éviter qu'ils souffrent et ça n'a pas été fait. Pourquoi ça n'a pas été fait ? C'est parce qu'aujourd'hui, on n'a pas beaucoup de moyens pour euthanasier des gros animaux. Un petit animal comme un phoque, c'est le plus facile mais euthanasier une baleine, je ne vous explique pas. On a très peu de moyens. Pour y avoir été confronté, au cours de ma carrière, ce n'est pas très agréable parce que ça ne meurt pas, en fait, vous n'y arrivez pas parce que vous n'avez pas assez de produit, vous n'arrivez pas à trouver les veines, c'est vraiment compliqué. Et là on a beaucoup à progresser et il y a des pays qui sont bien meilleurs que nous. En fait
SPEAKER_03_00:
c'est aussi dans l'internationalisation du réseau et de voir ce qui se fait ailleurs. Du côté d'ailleurs de Sea Shepherd, c'était une critique sur le fait que côté britannique, on faisait des choses dans le monde anglo-saxon. Et sur l'euthanasie par exemple, je parlais du cas hollandais donc il y a l'idée dans certains pays, on les euthanasie à l'explosif, Nouvelle-Zélande, Australie, mais c'est parce qu'il y a des traits de côtes énormes avec des côtes absolument pas urbanisées et anthropisées. Sur nos côtes c'est impossible de faire exploser une baleine. Imaginez ensuite expliquer à votre assurance qu'il y a une vertèbre qui a défoncé votre baie vitrée, ce n'est pas possible. Donc il y a eu, sur Johanna ils ont fait une grande aiguille avec un petit explosif, c'est les pompiers qui le faisaient. Et il y a plein de choses comme ça sur lesquelles réfléchir et sur lesquelles on ne réfléchit pas tous les jours.
SPEAKER_02_00:
Est-ce que les guides de (RN) comme vous avez dit que des cours de travail était sorti un guide... Ce n'est pas fini. Est-ce que les formations ont évolué en conséquence ou finalement... Oui tout à fait,
SPEAKER_04_00:
il y a même des formations spécifiques qui ont été faites pour par exemple le désenchevêtrement
SPEAKER_02_00:
en mer.
SPEAKER_04_00:
Notamment les filets dormant, c'est beaucoup en Méditerranée mais les cachalots se prennent dans des filets dormants et ils sont enchevêtrés ou parfois à la caudale aussi. Donc là, il y a eu des formations spécifiques qui ont été faites à la Rochelle sur le sujet, même ailleurs en Outre-mer aussi parce que c'est un des problèmes majeurs en Outre-mer aussi. Merci beaucoup.
SPEAKER_01_00:
Je vous remercie tous les deux pour ces interventions, on a appris beaucoup de choses. Alors moi j'ai 4 points qui m'ont interpellée par rapport à ce que vous avez dit, est-ce que vous avez identifié un langage avec ces cétacés pour une meilleure compréhension, ça c'est le premier point. Le deuxième point qui m'a interpellée, c'est au niveau des chartes, est-ce qu'il y a des sanctions lorsqu'il y a un non-respect des chartes. Est-ce que vous avez des participations de mécènes ou des subventions pour financer les recherches. Et la quatrième question, vous parliez tout à l'heure de votre étude sur l'amélioration des conditions de travail, j'ai travaillé 39 ans dans ce métier mais pas sur les marins, est-ce que quand vous avez étudié les marins lors des récupérations de ces cétacés, quelles sont les améliorations que vous avez pu apporter pour les échanges, voilà les 4 points qui m'ont interpellée lors des interventions.
SPEAKER_03_00:
Moi je travaillais sur les conditions de travail des marins pêcheurs mais c'était un autre terrain, c'était vraiment déconnecté des questions d'interaction avec la faune. Et ce que je voyais, c'était que ces conditions n'évoluaient pas énormément et que surtout, c'était très difficile de porter la voix des matelots, des gens qui sont sur le pont et c'est pour ça qu'une partie du turnover en tout cas qu'il y a sur la profession, c'est comme ça qu'il s'expliquait. Les jeunes ne voulaient plus forcément être dans ces conditions de travail qui n'évoluaient pas sur des bateaux où il n'y avait pas forcément de douche alors qu'ils étaient là pendant 15 jours dans des conditions pas terribles. Mais je vais rebondir plutôt sur la première question, sur la question du langage, c'est une question qui émerge souvent et c'est vrai que même les premières études en cétologie ou tout le courant new âge qui s'est développé autour des dauphins aux États-Unis à partir des années 70 étaient désireux de communication avec ces animaux, ces autres mammifères, et de manière parfois assez intéressante. Je vais prendre par exemple un exemple. C'est très frustrant parfois de voir que certains mammifères marins se mettent à vocaliser dans d'autres langages que les leurs. Je prends l'exemple d'un dauphin commun qui parle marsouin, mais sauf qu'on ne comprend pas donc on ne sait même pas s'il se fait trop comprendre. Et nous, on n'est pas capables, il y a une grande frustration des scientifiques à cet endroit-là. Et donc se sont développés ces derniers temps beaucoup de programmes bio-acoustiques avec des tentatives très dans l'interaction donc les questions d'approche ou pas ne préexistent pas. De toute manière l'idée, c'est d'entrer en contact et de communiquer. Et je peux par exemple prendre le cas du projet SETI qui est un projet piloté notamment au MIT qui est un projet qui brasse énormément de moyens pour enregistrer avec le machine learning comme ChatGPT les clics et les codas des cachalots de Dominique, et de développer des outils qui permettent de, comme ChatGPT, de vous sortir le bon clic ou le coda au bon moment dans la discussion avec le cachalot. Sauf qu'a priori, ce que ça peut donner, c'est un robot qui discute avec un cachalot mais on ne comprend toujours pas, c'est vertigineux. Par contre
SPEAKER_04_00:
dans les études de bio-acoustique, on sait très bien qu'il y a eu des études où il était montré que pour une même espèce, les baleines pouvaient avoir un accent entre guillemets elles avaient des intonations qui étaient un peu différentes et c'est par groupes sociaux. C'est aussi assez étudié chez les orques par exemple. Par contre il y a aussi des études qui ont montré, repéré des cris d'alerte, des cris de stress sur certaines espèces, c'est connu sur quelques espèces. Et d'ailleurs c'est peut-être ça que tu allais dire mais ça a servi pour par exemple développer des effaroucheurs acoustiques sur les engins de pêche. Alors au départ avec des effaroucheurs qui étaient des espèces de gros bruiteurs qui étaient des trucs monstrueux qui effectivement, ça les effrayait, ça c'est certain. Maintenant on a des choses qui théoriquement sont quand même meilleures, elles se déclenchent seulement si les animaux s'approchent, normalement elles sont unidirectionnelles ou multidirectionnelles mais avec un pinceau relativement fin qui est vraiment lié à l'engin de pêche avec des fréquences différentes.
SPEAKER_03_00:
Ces effaroucheurs, c'est très intéressant parce qu'au début, on les pense comme des outils, c'est
SPEAKER_03_00:
des solutions un peu technicistes à des problèmes systémiques mais c'est aussi le premier pas sans qu'on s'en rende compte vers une forme de communication. En tout cas c'est communiquer que d'envoyer un bruit que nous on est incapables d'entendre parce qu'il est dans les hautes fréquences et qui pour eux est absolument insupportable. Déjà ça, c'est un premier mot dans l'échange. Et donc de développer des outils qui ensuite envoient à des dauphins communs le bruit d'un dauphin commun qui est emmêlé pour leur dire de ne pas venir, c'est aussi communiquer avec les dauphins communs. Dans le détroit de Gibraltar envoyer aux orques du langage orque sans savoir vraiment ce qu'on leur envoie, si ça ce trouve, on leur envoie... On ne sait pas ce qu'on leur envoie, on leur envoie des vocalisations mais on ne sait pas ce qu'on leur envoie. Et puis a priori est-ce qu'en plus, c'est des vocalisations d'orques ibériques, je ne sais pas, je ne suis pas très spécialiste. Et il y a un autre encore pinger assez intéressant dans le détroit, les orques ne sont pas... les rois du détroit, c'est les globicéphales noirs donc ces grands delphinidés que Laurent évoquait, qu'on a au large de nos côtes aussi de manière saisonnière, et qui sont en fait les rois parce qu'ils sont très nombreux et donc ils font peur aux orques. Et puis ils les attaquent en plus en meute. Et donc l'idée, c'était pour résoudre le problème des attaques, c'est-à-dire ces interactions violentes sur les voiliers, on leur envoie des sons de globicéphales. Mais là c'est pareil, d'une certaine manière, les orques qui sont de côté baie de Cadix, donc un peu plus à l'ouest, les globis sont plutôt dans le détroit, si on envoie des vocalisations de globis aux orques qui sont dans la baie de Cadix, est-ce qu'on ne va pas encore les décaler ? qu'est-ce qu'on fait en fait ? C'est un outil d'apprenti sorcier, le pinger, et c'est un outil techniciste d'apprenti sorcier qui aussi un peu refuse de voir peut-être les problèmes systémiques je crois. En fait on ouvre un tiroir
SPEAKER_04_00:
et le problème, c'est qu'il y en a peut-être un autre en dessous et on ouvre un tiroir, on essaye de...
SPEAKER_03_00:
Mais c'est aussi un outil de l'éthologue classique de vocaliser, hurler au loup et puis d'avoir une réponse. Tous les éthologues font ça, dans tous les langages animaux, mais dans ce milieu-là...
SPEAKER_04_00:
Alors il y avait d'autres questions et alors, il y avait par exemple sur les associations qui œuvrent dans le cadre du réseau national Echouages,
SPEAKER_04_00:
il y en a pas mal qui ont des subventions locales, loco-régionales parfois, alors de moins en moins parce que vous connaissez la situation, donc c'est difficile. Donc bien souvent maintenant, elles répondent à des appels à projets ou elles montent des projets pour essayer de se les faire financer. Donc maintenant, c'est essentiellement via ce biais-là donc il y a les subventions. Il peut y avoir du mécénat, alors c'est souvent la réponse par exemple à des fondations, diverses fondations soit sur des appels à projets, ça peut être aussi ce qu'on appelle le 1 % pour la nature. Mais il y a des conditions souvent qui sont un peu restrictives, ce qui est normal et chaque fondation fait ce qu'elle veut. Donc le mécénat, il faut savoir qu'il est, le mécénat d'entreprise par exemple, et pas de fondation, il est très peu développé dans notre monde. Et ça représente et surtout par rapport à des pays étrangers par exemple, et ça représente vraiment un problème surtout en ce moment où l'argent public est rare. Et il y avait une autre question, c'était la question numéro 2 je crois,
SPEAKER_01_00:
ah oui les sanctions.
SPEAKER_04_00:
Alors les sanctions, c'est exclu de la charte et après, la sanction potentielle c'est l'exclusion de la charte. D'ailleurs c'est comme dans le RNE, on a une charte et on peut être exclu si on ne respecte pas un certain nombre de dispositions mais le reste, les sanctions, elles peuvent correspondre si ça outrepasse la réglementation. Mais ces sanctions, elles ne peuvent être faites que par des OPJ, des gens qui peuvent le faire légalement donc c'est des gardes de l'OMB, c'est les douanes, les affaires maritimes, les gendarmes maritimes suivant le cas. Mais malheureusement, la France a été condamnée plusieurs fois pour des absences de dispositifs de contrôle notamment sur les pêcheries. Mais c'est un ensemble, on n'a pas assez de dispositifs de contrôle. Merci beaucoup et merci Sandrine, merci de nous avoir invités et de nous avoir surtout écoutés.