Bonsoir à toutes et tous, merci d'être là. Juste avant de vous présenter aux intervenants, je veux juste vous dire - intervenantes, nous sommes trois femmes là, on revient toutes les trois de Nice, justement, on y était la semaine dernière ou la semaine d'avant en précongrès scientifique de cette conférence des Nations Unies sur l'océan, donc je me disais qu'on allait peut-être commencer par ça, mais je vais évidemment vous présenter Catherine Boemare, bonsoir. Vous êtes directrice adjointe du Centre international de Recherche sur l'Environnement et le Développement, c'est le CIRED, et c'est à partir de votre travail, de ce chapitre dans l'ouvrage générique sur l'état de notre environnement, chapitre intitulé "le sauvage dans les aires marines protégées", expérimenter une métamorphose de notre rapport au vivant, qu'a été pensée cette rencontre. Pauline Bricault, bonsoir à vous. Vous, vous êtes responsable de la campagne Marché à l'association Bloom, qui lutte et milite activement contre la destruction de l'océan du climat et des pêcheurs artisans, une ONG 100% efficace, moi j'ai envie de dire 100% océanique, que vous n'avez pas choisi par hasard, puisqu'on y reviendra, vos études en économie et en gestion d'entreprise vous y ont mené, mais c'est surtout, vous êtes plongeuse et apnéiste au départ. Donc, vous aimez l'océan, Pauline ça c'est sûr, qu'est-ce que vous avez retiré de cette conférence mondiale sur l'océan ? Vous étiez à Nice, qu'est-ce que la militante de Bloom peut en dire ?
Alors, moi c'était la première conférence internationale à laquelle j'assistais, c'était seulement la troisième conférence des Nations Unies sur l'océan, donc c'est un cycle de conventions relativement récent, et je dois dire que j'ai été particulièrement déçue par le manque de courage du chef du gouvernement français, Emmanuel Macron, qui nous a surpris par les annonces erronées qu'il a pu annoncer. On a donc eu des mensonges de la part du président de la République, de la part de la ministre Agnès Pannier-Runacher à l'environnement et à la forêt, à la biodiversité, à la mer, je dois dire que je m'attendais à tout sauf à ça pour être honnête, on sait que ça fait des mois qu'en tout cas, les ONG, la société civile sont mobilisées sur ce sujet des aires marines protégées, donc cette conférence arrive à point nommé parce que vraiment, c'est le sujet, on ne s'attendait pas il y a quelques années à ce que ce sujet prenne autant d'envergure. Je pense que c'est une des campagnes les plus puissantes et qui aligne absolument tout le monde, c'est-à-dire la société civile, les scientifiques, la communauté internationale également. Et malheureusement, face à ce (momentum), on a eu un président et un gouvernement qui n'ont pas été à la hauteur. Beaucoup de déceptions mais beaucoup de fois, on a la société civile qui s'est mobilisée et qui a été à la hauteur.
Qui s'est mobilisée, ça, c'est clair. Alors, Catherine Boema, vous avez peut-être un peu plus d'expérience de ces... Je dis que vous étiez, vous, au pré-sommet scientifique qui a réuni 2,000 chercheurs, chercheuses, 2,300, vraiment, de interdisciplinaires et de tous les pays et de tous les coins du monde. Vous en avez retenu quoi ? Puisque vous avez évité le gros raout, j'ai envie de dire, et par contre, vous avez été au pré-sommet scientifique.
Oui, donc j'ai juste assisté, en fait, à la conférence scientifique qui a précédé le sommet et qui était justement là pour faire le point, donc donner à voir quelles étaient les connaissances scientifiques, produire des recommandations pour, en fait, inciter les gouvernements qui se réunissaient la semaine d'après à prendre, effectivement, des dispositions. Donc, dans ce congrès, il y a eu, donc vous l'avez dit, 2,000 scientifiques, il y a eu 8 à 10 sessions parallèles, des interventions de keynote, donc il y a eu énormément de production de connaissances, enfin de données, de production, de savoirs mis à disposition et exposés. Donc, ça, c'est quand même beau à voir, c'est-à-dire que sur un objet, un seul objet: l'océan, avoir autant de manifestations scientifiques, c'est quand même intéressant. Après, la contrepartie, c'est effectivement ces multiples sessions parallèles qui font qu'on court d'une session à l'autre, mais ce que je retiendrai quand même, c'est que même si, effectivement, ça peut être décevant en termes de prise de décision, d'engagements concrets, il y a quand même eu, à un moment donné, une concentration de l'attention sur cet objet de l'océan, ça fait plusieurs années que ça dure, ce n'était jamais arrivé, et donc ça met quand même à l'agenda politique cette question de la protection des océans.
Des océans, de l'océan, parce que moi, j'ai appris sur place qu'effectivement, il n'y a qu'un océan, c'est le même. Moi, je veux juste vous rapporter, effectivement, entre l'investissement de la société civile, des chercheurs, des chercheuses, des scientifiques qui étaient vraiment remarquables, et puis, effectivement, ensuite, pour accoucher d'une souris, c'est quand même souvent le cas. Je suis journaliste, j'ai fait d'autres COP et autres, et je trouve que c'est souvent le cas. Pour vous donner un ordre d'idée, pour résumer ce sommet, ce pré-sommet scientifique qui a donné des recommandations issues de plus de 2,000 chercheurs et chercheuses de tous horizons, qui avaient fait des rapports, alors les officiels ont lu les rapports, mais enfin, ils ont eu, pour la restitution, face à notre président et à tous les chefs d'Etat, ils ont eu 4 minutes pour donner leurs recommandations. Voilà, ça vous donne un peu une idée de ce qui se passe. Mais maintenant, on va reparler de cet océan, puisqu'on est là pour ça, et je me retourne vers vous, Catherine Boemare, parce que c'est vous qui nous avez inspiré cette réflexion autour de la question du sauvage dans les aires marines protégées. Et je pense qu'on va avoir besoin de définir ce que c'est, parce qu'apparemment, oui, on est tous pour préserver le sauvage, on est tous pour les aires marines protégées, c'est un peu plus complexe que ça. Qu'est-ce que c'est que le sauvage, Catherine Boemare ?
Alors, le sauvage, on peut en donner une définition quand on interroge les personnes sur quelle serait leur définition du sauvage. On l'oppose souvent aux domestiques. On peut donner une définition de Virginie Maris, qui est une philosophe, en a donné une définition assez claire. Elle parle la part sauvage, le sauvage altérité, c'est-à-dire que c'est la nature qui n'a pas été créée, façonnée par l'homme. Donc, le sauvage, si on regarde cette définition toute simple, c'est ce qui n'a pas été créé par l'homme. Après, quand on regarde en sciences sociales, ou même en sciences écologiques, comment le sauvage est utilisé, c'est beaucoup plus complexe. Et il y a énormément de débats, effectivement, parce que c'est un terme qui peut être utilisé de façon péjorative, de façon non pas péjorative, mais au contraire plutôt emphatique, présenter une nature rêvée. Donc, il y a les deux facettes. Et du coup, parce que justement, c'est un terme polysémique, c'est intéressant de le convoquer, de convoquer cette catégorie du sauvage pour voir ce que les uns et les autres peuvent mettre dedans, comment ils articulent justement, du coup, la place de l'homme et la place de la nature plus vaste que l'homme, puisque l'homme fait partie de la nature, dans leur définition et donc dans la manipulation, en fait, de cette idée de cette catégorie du sauvage.
Alors, le sauvage dans les aires marines protégées. Alors, c'est pareil, mais je me retournerai aussi vers vous ensuite, Pauline, parce qu'on entend « aires marines protégées », on se dit, c'est formidable, il faut protéger le vivant, les vivants dans l'océan, l'océan, la communauté de vivants, dont nous faisons partie aussi, qui vivons de par et grâce à l'océan, sauf que, là encore, il y a plusieurs sens, c'est plus complexe que ça, des aires marines protégées. Il s'agit pas de mettre sous cloche, mais il y a ça quand même derrière aussi.
Les aires marines protégées, c'est pareil, il y a une définition qui est celle de l'UICN, l'UICN, c'est l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature, qui donne une définition, donc c'est une superficie géographique, donc c'est un espace et un volume, si on parle des aires marines, donc c'est une surface et un volume, pas que le fond, pas que la surface, mais l'intégralité de la colonne d'eau, ça va être une surface qui fait l'objet de politiques de conservation, sur le long terme, mais qui fait également l'objet d'une gestion, et d'une gestion efficace, donc qui vise à conserver la nature, mais qui vise également à préserver les services écosystémiques et les valeurs qui sont attachées, donc ça, c'est la définition de l'UICN. Après, dans les différentes catégories d'aires marines protégées, la France en reconnaît, je crois, à peu près une dizaine, dix ou
onze d'aires marines protégées, donc on va avoir différentes catégories, on va avoir des réserves naturelles, on va avoir des zones naturelles du mil, des arrêtés de protection du biotope, on va avoir des sanctuaires marins, on va avoir différentes aires marines protégées qui vont faire l'objet de différentes mesures de gestion, en allant d'une zone très protégée à une zone moins protégée. Donc là, c'est pareil, il y a un guide qui est produit par l'UICN, qui est très précis et qui définit, suivant les aires marines protégées, différents niveaux de protection, de protection faible à protection forte. Donc, on peut avoir des aires marines qui ne sont pas protégées, mais qui ne portent que le nom de "protégées", parce que la gestion est inefficace ou elle est inexistante, et on peut avoir des aires marines qui sont des réserves, et où là, la protection va être très forte, parce que certains usages, notamment les usages les plus impactants, vont être interdits. Donc ça dépend de la gestion qu'on a.
Merci pour ces définitions, Catherine. Pauline, je me tourne vers vous. Qu'est-ce que vous pensez de ces zones aires marines protégées, de cette question aussi évidemment du sauvage, et je sais que vous n'aimez pas du tout qu'on considère l'océan en termes uniquement de ressources, pour nous, évidemment. Donc quel est votre rapport, vous, à cette question de la protection, de la gestion d'aires marines ?
Déjà, pour revenir sur ce que Catherine disait, je trouve ça très intéressant, la définition du sauvage, par l'exclusion de tout ce qui a pu être façonné par l'homme. Ça fait référence à un film qu'on a sorti la semaine dernière à l'occasion de la conférence des associés sur l'océan avec Bloom, qui s'appelle Shifting Baseline, et qui parle de ce syndrome d'amnésie environnementale, où, finalement, notre point de référence se décale dans le temps au fur et à mesure que les générations se succèdent. Pour vous donner un exemple très précis, aujourd'hui, les adolescents vont traverser la France en voiture et ne verront pas d'insectes écrasés sur le capot. Et ça leur paraîtra totalement normal. Alors que pour vous, enfin, quand je dis vous, pour les personnes qui... très sympa. Mais en tout cas, pour les personnes qui sont nées dans des périodes un peu plus... enfin, avant, quoi, c'est complètement aberrant. Il y a même Claire Nouvian racontait une anecdote qui disait qu'elle, elle devait s'arrêter plusieurs fois par trajet pour pouvoir enlever tous les insectes qui étaient sur le capot. Donc, en fait, rien que par rapport à ça, moi, je me pose la question personnellement. Est-ce que c'est possible, en fait, d'avoir encore du sauvage dans une aire marine protégée, étant donné que les activités humaines, industrielles ou non, ont façonné cet environnement et ont façonné le monde d'une manière générale ? On ne parle même pas que des océans, de l'océan, c'est important, depuis tout ce temps. Maintenant, chez Bloom, nous, ce pour quoi on se bat, c'est protéger l'existant, aller plus loin que ce qui est fait, parce qu'on a ce constat qui est que la pêche industrielle est la première cause de dégradation de l'océan. Ça, c'est l'IPBES qui l'a établie en 2019. Et l'IPBES, c'est en gros le pendant du GIEC pour la biodiversité. Et donc, le GIEC explique que, justement, pour lutter contre le réchauffement climatique et en parallèle, parce que l'enjeu climat et l'enjeu biodiversité sont extrêmement liés, le deuxième levier pour y arriver, c'est la protection et la restauration des habitats. Et donc, les aires marines protégées apparaissent comme un outil absolument crucial pour pouvoir protéger l'environnement et l'océan. Donc, ce qui nous est fort utile, en tout cas chez Bloom, c'est que l'Union internationale pour la conservation de la nature s'est effectivement prononcée sur cette définition des aires marines protégées, mais est allée encore plus loin. Et en 2016, ils se sont prononcés sur quelles étaient les activités qui pouvaient ou non être incluses dans une aire marine protégée, c'est-à-dire qu'il y a plein de strates de protection, en allant du plus protégée au moins protégée, comme le disait Catherine, mais il y a quand même un stade qui est la limite à ne pas dépasser pour parler de protection. Et donc, cette protection est définie comme une zone où il n'y a pas de chalut, il n'y a pas de pêche et d'infrastructures industrielles. Donc, il y a quand même des choses, on sait, on n'a pas le droit de les avoir dedans si on veut parler de protection. Et ça, aujourd'hui, ce n'est pas quelque chose qui est mis en œuvre par les gouvernements, la France en premier lieu, parce que si on regarde cette précise définition de protection, on est aujourd'hui à 0,1 % des eaux métropolitaines qui sont véritablement protégées. On est très, très loin des objectifs internationaux de 30 %. Mais en parallèle, on a un président de la République qui scande sur la scène internationale que nous avons plus de 33 % de nos eaux qui sont protégées. Donc, on a un double discours qui a lieu au fait que la France a défini sa propre terminologie pour définir ce que c'est qu'une protection. Elle parle de protection forte au lieu de protection stricte. Donc, il y a plein de petites nuances de langage qui viennent, en fait, si je puis dire, polluer le débat, créer de la confusion et apparaître comme un champion de la protection de l'océan, alors qu'en réalité, si on regarde les standards internationaux, on n'y est pas du tout.
Il faut être vigilant là-dessus. Bien sûr, Catherine, vous voulez réagir là-dessus. Moi, je vous ferais réagir aussi sur la question du sauvage.
C'était sur le sauvage.
Parce que je trouve que c'est très compliqué, cette définition, puisqu'en fait, on est tous extrêmement liés. Toute la communauté de vivants sur terre, sur mer, on vient de l'océan, et bien voilà. Donc, le sauvage, voilà, c'est quand on ne fait pas de mal aux autres êtres vivants, ça serait un peu ça, peut-être.
Alors, la définition que vous avez donnée, Virginie et Marie, c'est une définition, pour moi, qui est absolue et très exclusive. Bien sûr. Après, effectivement, quand on réfléchit à cette question du sauvage, c'est intéressant de convoquer, justement, cette définition et puis de voir ce qu'on en fait et comment on peut la manipuler. Et notamment, dans l'article dont vous faisiez référence, ce qui m'intéressait, c'était justement de convoquer d'autres philosophes. Donc, il y en a un autre que j'aime bien citer, et notamment un exercice auquel il se prête. Ce philosophe, c'est Emanuele Coccia. Donc, il a écrit un petit livre qui commente, en fait, une peinture de Vincent Van Gogh qui s'appelle « Le semeur au soleil couchant ». Et il fait l'interprétation de cette peinture que, je trouve, enfin, pour moi, c'était assez lumineux quand je l'ai lue. Donc, en fait, cette peinture, elle représente, vous la connaissez tous, vous voyez le semeur qui jette comme ça les graines, la peinture, mais sur le même plan, le semeur et un arbre. Et en fait, l'interprétation que donne Emanuele Coccia de cette peinture, c'est de dire dans l'acte du semeur et dans l'acte de l'arbre, qui donc laisse tomber et disperse ses graines, c'est le même processus de captation de la vie, c'est-à-dire qu'on capte la lumière du soleil par la photosynthèse, on transforme la matière organique, et en fait, on ensemence quelque part le sol, et on diffuse en fait la vie dans le sol par le même acte. Et effectivement, si on transpose, qu'est-ce qu'on peut tirer en fait de cette image que je trouve, moi, assez explicite et très belle, c'est l'idée qu'en fait, c'est ce qu'il dit lui, chaque espèce dans un environnement, dans un territoire, en fait, elle modifie ce territoire, elle le cultive. Et donc, on est à la fois le cultivateur, enfin, on est à la fois le jardinier et l'espèce et le jardin d'une autre espèce. Donc, en fait, c'est une espèce de relation de culture réciproque, qui est mise en scène dans cette peinture. Et finalement, c'est en ça que la catégorie du sauvage, elle m'intéresse. C'est-à-dire qu'elle permet de considérer chaque être vivant comme étant un modificateur, ou un agent qui intervient dans un territoire, dans un environnement, et qui en fait, le constitue et le construit. Et en mettant l'arbre et le semeur sur le même plan, ça met aussi, ça donne le même poids à ces deux actes. Et je trouve que c'est ça qui est intéressant dans la catégorie du sauvage. Et du coup, dans les aires marines protégées, c'est se dire, on va reconnaître la (gentilité) de chaque être vivant, que ce soit une plante, que ce soit un animal, que ce soit un humain, et reconnaître donc l'action, en fait, et les conséquences, donc l'impact, l'intervention, quelle que soit en fait sa provenance, et que donc c'est cette multiplicité d'interventions qui construit le monde. Et le fait de reconnaître la (gentilité), non pas simplement des humains, mais des animaux, ça permet de leur donner de la valeur et de leur reconnaître cette possibilité, et donc du coup de prendre soin de leur existence et des conditions de leur existence dans cet environnement.
De sortir au fond de la nature ou de l'océan uniquement comme ressources, à condition que l'homme reste un jardinier de la mer, des océans comme de la terre, Pauline.
Effectivement, c'est vraiment super intéressant, parce qu'aujourd'hui, justement, cette idée de protection, c'est aussi de conserver, du coup, la pêche traditionnelle, les usages qu'ont pu être, en fait, même les connaissances qu'ont pu être dérivées par certaines populations, qui dépendent de l'océan et qui l'utilisent au jour le jour, mais qui l'enrichissent aussi et qui le protègent. Et ça, c'est vraiment, je pense, l'imaginaire qu'on se fait de la protection. Maintenant, aujourd'hui, ça implique de ne pas avoir... Enfin, de considérer l'aire marine protégée comme un système indépendant et autonome, et de ne pas considérer ces activités, par exemple, de pêche, comme des activités extractives qui viennent aller chercher, cueillir du poisson sauvage, qui ne sera plus trop sauvage, étant donné que ce sont des activités extractives, et l'utiliser pour nourrir un système global de consommation de poissons dans des chaînes mondialisées, etc. En fait, je pense que c'est ça, la vraie protection, c'est considérer un écosystème, y compris les humains et les activités qui s'y sont développées depuis, parfois, plusieurs... Enfin, centaines, voire milliers d'années, et le considérer comme un tout, et ne pas le considérer comme un frigo dans lequel on peut aller se servir, qui va invariablement avoir des impacts assez importants, à la fois sur les populations de poissons, les écosystèmes, les fonds, les habitats, mais aussi sur les populations locales qui en dépendent. Et donc, aujourd'hui, il y a ce combat entre la mondialisation de nos chaînes alimentaires et la volonté de protéger le vivant. Et ce qu'on a vu à la Conférence des Nations Unies sur l'océan, c'est qu'il y avait une volonté, de la part, en tout cas, de l'État français, de conserver cette vision d'une aire marine protégée comme un garde-manger pour que nos activités de pêche industrielle puissent nourrir les chaînes de valeurs mondialisées, ou bien simplement juste la France, en fait, tout dépend de l'échelle. On va avoir des navires usines qui sont acceptées aujourd'hui dans des aires marines protégées. Je pense qu'on est tous d'accord aujourd'hui pour se dire que ce n'est pas du tout la définition qu'on a en tête quand on pense à de la protection. Et donc, moi, ce qui m'a un petit peu perturbée aussi pendant ce sommet des Nations Unies pour l'océan, c'est qu'on était là pour parler de la protection de l'océan, mais que beaucoup d'acteurs, en fait, visualisent encore l'océan comme un garde-manger. Et en fait, si on veut que ce soit un garde-manger, il faut aussi se poser la question de comment le préserver. Aujourd'hui, on a atteint le maximum de ce qu'on peut exploiter dans l'océan. On est à peu près à 90 millions de tonnes pêchées chaque année, et on a atteint un stade où on ne peut plus... Aujourd'hui, on est au maximum, malgré le fait que la puissance de pêche se soit démultipliée ces dernières années. En fait, on a une courbe qui fait comme ça, où on a d'un côté les rendements qui sont décroissants, et de l'autre côté, la puissance de pêche qui est sans arrêt augmentée. Donc, il y a un vrai problème de gestion de l'océan, et qui nécessiterait justement de mettre des endroits en dehors de ce système de pêche international extractif. Et pour autant, on a encore une résistance au niveau des gouvernements.
Alors une résistance au niveau des gouvernements, de nos gouvernements, on va dire, occidentaux ou plus riches, parce qu'effectivement, ce sont en plus souvent du côté des humains les plus vulnérables, qui eux-mêmes n'arrivent plus à pêcher, ou qui, dont la ressource dont ils vivaient et qu'ils prélevaient précautionneusement, n'arrivent pas à la renouveler. D'où l'intérêt, parfois même, moi, j'étais au Sénégal, voir comment des scientifiques peuvent aider, travailler avec des populations locales, à la fois sur leurs savoirs locaux, mais aussi sur la manière de remettre des coquillages dans des vasières, etc., pour que ça reparte. Donc, il faut vraiment penser tout ça en même temps. Mais ça implique véritablement un changement complet de perspective sur ce que c'est que l'océan, sur ce que nous sommes là-dedans. C'est vraiment, quand on se met à parler et qu'on fait appel à des chercheurs en sciences humaines et sociales, du sauvage dans les aires marines protégées, on se rend compte qu'on va beaucoup plus loin que le simple fait de dire qu'il faut protéger des parcelles de l'océan pour continuer quoi ? Pour continuer notre système. C'est un peu ça, la question.
C'est pour ça que les aires marines protégées, elles sont intéressantes. Il y en a une catégorie qui est un parc marin. Donc en France, il y en a huit parcs marins. Et dans un parc marin, il y a un conseil de gestion. Dans ce conseil de gestion, toutes les activités et tous les usages, tous les usages et les activités économiques sont représentés au sein de ce conseil de gestion. Donc ça permet, chaque parc marin a un plan de gestion également. Donc il y a des objectifs qui sont définis à long terme. Donc, ça correspond bien à la définition aussi de l'aire marine protégée. Et comme les différentes parties prenantes se réunissent autour d'une table, ça permet effectivement d'établir des règles. Et je trouve que c'est ça qui est intéressant, de pouvoir discuter à un moment donné sur fond d'analyses scientifiques. Quelles sont les activités qui sont impactantes ? Pour quelle raison ? A quel endroit ? Qu'est-ce qu'on veut protéger ? Dans quel objectif ? Et du coup de définir en négociant effectivement avec toutes les parties prenantes les règles qui vont être adaptées à l'atteinte de tel ou tel objectif.
Et aussi pour métamorphoser, transformer notre rapport à l'océan de même à Nice, j'ai eu la chance de voir un documentaire des dauphins et des humains, regards de dauphins et regards d'humains, qui parle du sanctuaire de Pélagos, dans lequel justement sont protégés notamment les dauphins. Mais en même temps, c'est une réflexion avec ceux qui font visiter le parc. Comment est-ce qu'on découvre (notre) rapport aux animaux, notamment en l'occurrence aux dauphins, qu'on ne va pas les déranger, que ce n'est pas parce qu'ils s'approchent qu'ils veulent contacter avec nous, etc. Donc c'est aussi une manière peut-être, dans ces aires marines protégées, quand il y a vraiment une réflexion commune de tous les acteurs, de faire changer les mentalités, de nous faire réapprendre que nous sommes une partie de cette nature et qu'on a tous autant besoin de l'océan. Pauline.
Je pense qu'il faut juste partir du point de départ, qui est de comment est-ce qu'on protège vraiment. Et à partir de ce moment-là, on vient ensuite se mettre autour de la table pour réfléchir à quelle est la place de chaque acteur dans cet écosystème, pour le faire fonctionner, pour le restaurer, pour le faire fluctuer. Et comment ?
Justement, comment est-ce qu'on protège le mieux pour vous ?
Je pense que là, c'est à Catherine qui a l'expérience de pouvoir mieux répondre que nous. Nous, malheureusement, on en est encore à l'étape d'avant, c'est-à-dire comment assurer qu'on parle réellement de protection. Je fais juste un petit laïus sur la protection au cas par cas, qui est un élément de langage utilisé par le politique aujourd'hui pour expliquer que la protection, ça se fera, mais ça se fera de manière spécifique en fonction des aires marines, de justement des usages qui sont déjà en cours, de la spécificité environnementale à protéger. Et en fait, cet élément de langage au cas par cas vient complètement détruire la notion de protection qui était à la base établie par les scientifiques de l'UICN, qui voulait dire que, en gros, on exclut toutes les pêches industrielles. Comme je vous expliquais, on considère le tout comme un système fermé. Et ensuite, on vient réfléchir à comment est-ce qu'on peut réguler les actions, les activités qui restent. Ce, au cas par cas, il est apparu pour la première fois dans les présentations de la part des lobbies de la page française. Il a ensuite été utilisé par notre ministre Agnès Pannier-Runacher, ensuite par M. Emmanuel Macron au sommet SOS-Océan en mars, et enfin par M. Kostas Kadis au niveau européen pour venir parler d'une protection qui se fera, mais au cas par cas, et notamment a été reprise dans le pacte océan qui a été présenté lors de la conférence des Nations unies pour l'océan la semaine dernière, qui vient amoindrir l'ambition européenne, qui avait été annoncée en 2023. La Commission européenne avait expliqué qu'il fallait interdire les arts traînants dans les aires marines protégées, les arts traînants, donc ça va être les chaluts, tout ce qui est motorisé et vient traîner derrière. Donc, ça faisait partie des volontés de la Commission européenne en 2023, ce à quoi le gouvernement s'était totalement fermement opposé. Notre ministre de la Mer, Hervé Berville, à l'époque, avait expliqué que ce ne serait pas le cas en France. Mais tout ce que je veux vous dire, c'est qu'en fait, aujourd'hui, on a finalement une dérive de ce que c'est que la véritable protection, que le mot « au cas par cas » et donc l'idée de venir consulter les acteurs et définir comment est-ce que nous allons protéger les aires marines protégées, vient finalement racheter du temps, rajouter un élément, un millefeuille d'actions et administratifs qui vont prendre beaucoup de temps. Aujourd'hui, on a plus de 400 aires marines protégées en France. Imaginez si on va rechercher au cas par cas et se battre au cas par cas avec les acteurs économiques sur l'interdiction de méthodes de pêche qui sont extrêmement lucratives pour certains acteurs.
Alors Catherine, comment est-ce qu'on fait pour protéger, justement pour sortir de ces "au cas par cas", pour véritablement nous protéger autant qu'on protège l'océan,
enfin, protéger les vivants ? Vous parliez tout à l'heure du changement de comportement, mais je vais répondre à votre question en parlant du changement de comportement. La plupart des gens, par rapport à la mer, c'est différent dans d'autres milieux, mais la plupart des personnes ont une méconnaissance absolue de ce qu'est la mer, pour une raison bien simple, c'est que ce n'est pas notre habitat du tout. Donc, ça fait la différence par rapport à un tas d'autres milieux, c'est-à-dire que le milieu marin n'est pas le milieu dans lequel on vit, donc ce n'est pas un milieu qu'on connaît, c'est juste un milieu qu'on voit et beaucoup ont une appréhension de la mer qui est simplement un paysage, c'est celui qu'on voit quand on est sur la plage, quand on est sur le rivage, et n'ont aucune connaissance de ce qui se passe dessous de la colonne d'eau, de comment ça fonctionne. Donc, effectivement, il y a un effort à faire, il y a des aires marines éducatives aussi qui permettent de faire comprendre, donc il y a tout un processus lié à l'éducation pour faire comprendre ce que c'est que le milieu marin, ce n'est pas simplement le paysage qu'on voit quand on est sur la plage. Ou même, quand on fait du bateau, ce n'est pas juste cette étendue comme ça qui donne la sensation de la liberté parce que c'est l'altérité absolue et que la perspective est large. Donc, il y a cette idée-là, de faire changer effectivement les comportements en permettant une meilleure connaissance. Mais après, je trouve que si on change de l'individu aux collectivités, par exemple territoriales, elles aimeraient, elles sont toutes confrontées à des problèmes d'érosion du littoral, elles sont confrontées aux problèmes de montée des eaux, elles sont tout à fait conscientes des enjeux. Après, pourquoi est-ce que les mesures ne sont pas prises comme elles devraient l'être ? Parce qu'aussi, il y a des effets systèmes, c'est-à-dire qu'il y a des incitations qui bloquent les comportements et qui bloquent les décisions. Et c'est là où j'en viens justement à ce dont vous parliez au niveau de la pêche. La pêche la plus industrielle et la plus destructrice, pas la petite pêche côtière ou la pêche artisanale. C'est qu'il y a des subventions qui sont des incitations. Moi, j'ai une formation en socio-économie, donc l'économie, c'est un petit peu la discipline des incitations, on va dire, puisqu'effectivement, on donne des incitations quantitatives ou par les prix pour modifier, justement inciter au changement de comportement. Il y a tout un tas d'incitations systémiques qui font qu'on est bloqué dans des trajectoires de développement et c'est ce qui fait qu'il y a une certaine inertie également au changement, c'est-à-dire qu'il y a des effets systèmes qui empêchent la modification des comportements à différents niveaux et donc on a besoin d'avoir des décisions fortes qui sont prises au niveau national et au niveau international. C'est pour ça aussi que quand même les grandes mobilisations internationales, elles sont intéressantes, c'est parce qu'à un moment donné, elles constituent une arène où on discute de ces problèmes, on les met à l'agenda et le fait de les discuter, ça quand même, ça favorise la prise de décision qui est ensuite à un niveau multilatéral, qui va ensuite descendre effectivement à différents niveaux et modifier le système. Donc, même si ça semble effectivement être des grands raouts, je pense quand même qu'ils sont nécessaires pour modifier à différentes échelles ou provoquer les modifications à différentes échelles et la première sûrement des actions à faire pour protéger l'océan, ce serait d'enlever les incitations aux mauvais "comportements" plutôt aux comportements qui sont néfastes à la biodiversité.
Et justement comment vous faites toutes les deux pour continuer à porter haut et avoir de l'espoir dans la protection de l'océan, moi je sais que je me suis posé la question, je trouve que c'est très important, comme vous dites, de mettre le doigt sur ce qui ne va pas, il y a vraiment énormément de choses qui ne vont pas, en même temps moi je trouve qu'une belle manière d'éduquer c'est aussi du côté de l'émerveillement, du côté de la beauté de cette richesse, du côté du fait qu'on ne connaît pas le tiers du quart et même beaucoup plus que ça de la vie du vivant dans l'océan, du fait que nos connaissances augmentent et qu'on arrive maintenant à aller jusqu'à les grands fonds, les abysses, partout il y a de la vie, c'est complètement fou. Est-ce que cet émerveillement là, vous est aussi apnéiste et plongeuse ? vous tient aussi ? Est-ce qu'on peut le faire passer ? Comment est-ce que vous faites pour continuer à avoir les yeux qui brillent quand vous parlez de la mer et de l'océan ? Pauline.
Je pense qu'effectivement, à un titre très personnel, le fait de pouvoir explorer l'environnement que je protège de manière assez régulière, c'est assez puissant pour se remotiver, je pense que collectivement aussi, Bloom n'est pas connue pour le fait de s'émerveiller devant la beauté des océans, on est une association qui est extrêmement basée sur la recherche scientifique et qui soulève l'ensemble des leviers possibles pour pouvoir obtenir des changements de manière assez rapide, on a un certain nombre de victoires politiques à notre actif. Et je pense que c'est ça qui nous donne la niaque, c'est de savoir qu'on a déjà gagné et qu'on sait comment y arriver et on continue à le faire. Je peux citer l'exemple de la pêche électrique qu'on a réussi à interdire au niveau européen en 2019, qui a été une campagne absolument éclaire en mobilisant les pêcheurs, les communautés de pêcheurs qui étaient affectées par cette pêche tellement efficace qu'elle a précipité la faillite de certaines crées en France. Et on a encore des dégâts de cette pêche aujourd'hui en Manche avec des populations de sols qui ont énormément de mal à rebondir. On a aussi la victoire contre la pêche en eau profonde en 2016. Donc ça, ça avait été grâce à un boycott notamment du magasin Intermarché qui avait sa flotte de chalutiers qui allaient pêcher en eau profonde et qui ont fini par, sous la pression citoyenne, qui a été absolument... Je pense que ça a été la plus grosse pression citoyenne à laquelle Bloom a été confrontée, mais je dirais même qu'on a été porté par cet engagement citoyen, et a permis d'atteindre un engagement de la part d'Intermarché qui s'est suivi par Carrefour, et donc un certain nombre de distributeurs ont fini par dire OK, j'arrête la pêche en eau profonde, et du coup, l'État a fait effet domino pour que la décision politique soit prise d'arrêter, enfin d'interdire le chalutage en eau profonde au-delà de 800 mètres. Ce qui correspond d'ailleurs aux nouvelles aires marines protégées qui ont été annoncées par le gouvernement français.
Ah tiens donc, comme quoi les citoyens sont toujours bien en avance sur leur politique, ça c'est clair. Comment vous, vous faites Catherine pour continuer à creuser ces questions
là et apporter de l'espoir une réflexion et des pistes ?
Il y a des beaux exemples, il y a des belles expérimentations, il y a des aires marines protégées qui sont réellement protégées, qui marchent. Dans le parc marin du Golfe du Lyon, à l'intérieur, il y a une réserve qui est la réserve de Cerbère-Banyuls. Donc, il y a une zone effectivement entièrement protégée, qui est protégée depuis très longtemps, depuis une cinquantaine d'années, et là, la biodiversité elle est magnifique, elle est exubérante, il y a plus de 700 mérou, il y a du corb qui revient. Donc ça marche, c'est pareil sur l'aire marine protégée de la côte Agathoise, il y a des coraux, il y a des coralligènes, il y a des très belles choses qui se passent effectivement quand on protège. En ne parlant pas de Porquerolles ou de Port Cros, le parc marin a des résultats magnifiques. Ce parc marin, c'est un parc naturel, tout court, il y a une partie marine, il y a des très très beaux résultats, alors que si on regarde des images de Porquerolles et de Port Cros, il y a encore 50 ou 60 ans, ce n'était pas du tout le même paysage sous-marin, ni même le même paysage terrestre, puisqu'il y avait des usines sur l'une des îles, une production de poudre, donc c'était pas du tout le même paysage. Donc effectivement, quand on protège, ça marche, et on n'est pas obligé pour protéger d'exclure tous les usages, on est obligé par contre d'établir les bonnes règles, et établir des règles. Elinor Ostrom avait travaillé sur les communs, et elle s'était basée sur énormément de travaux d'anthropologues, et (d'halieutes), et notamment il y avait beaucoup d'exemples dans les milieux marins, où elle montrait qu'en établissant les règles, en donnant des règles de comportement, on arrivait à maintenir à la fois les activités, enfin certaines activités, pas toutes les activités, et protéger la biodiversité. Donc, c'est ces compromis-là, ces règles-là, cet équilibre qu'il faut trouver, et questionner en permanence, pour arriver effectivement à des résultats, et là où on protège, ça marche.
Je voulais juste rebondir sur le fait que ces exemples d'aires marines protégées qui marchent, nous aussi ça nous porte énormément, et je pense qu'on est assez focalisé sur tout ce qui ne va pas, mais aussi on se focalise sur ce qui ne va pas, parce qu'on sait ce qui peut aller très bien. Et typiquement, il y a des aires marines à protégées qui marchent tellement bien, qu'on a des pêcheurs jaloux, sur les bordures des aires marines protégées, qui aimeraient bien que l'État vienne les voir, ou que leur municipalité vienne les voir, pour leur demander de mettre en place des aires marines protégées. Par exemple, dans les Pouilles, une aire marine protégée Torre Guaceto, on a interrogé des pêcheurs environnants, qui expliquent qu'eux aussi, ils aimeraient bien pouvoir protéger leurs eaux, parce qu'ils savent que leurs collègues de l'autre côté obtiennent beaucoup plus de poissons, des poissons plus gros, plus abondants, de meilleure qualité, et qui leur permettent de mieux les valoriser sur le marché, et donc qui permettent aussi aux pêcheurs d'avoir une vie beaucoup plus digne, et un métier dont ils sont fiers. ça c'est, cette aire marine protégée en Italie, on en a une autre en Turquie, qui est la plus grande en Europe, non pas forcément la plus grande d'Europe, mais en tout cas qui fonctionne extrêmement bien, et qui fonctionne tellement bien qu'elle a été étendue depuis sa création dans les années autour de 2010. Pareil, parce qu'on voit que l'abondance repart, que les poissons sont plus gros, et que ça génère plus de revenus. On se base aussi sur des études qui montrent que l'abondance des poissons peut faire fois 6 à fois 7, en 6 à 7 ans, dans une aire marine qui est protégée. En fait, c'est à la fois bon pour la biodiversité, c'est bon pour le climat, parce que si on aide l'océan à fonctionner, on aide aussi le climat à fonctionner, parce que l'océan absorbe nos excédents de chaleur et produit de l'oxygène que l'on respire, mais c'est aussi bon en termes d'équité et pour la résilience de nos économies locales, des petits pêcheurs, qui viennent avoir un travail bien mieux rémunéré.
C'est gagnant-gagnant, et on oublie souvent que l'océan est aussi important que les forêts, évidemment, comme poumons de la planète, comme régulateurs de climat et d'atmosphère. Là, on a repris un peu de joie, j'ai envie de dire. Est-ce que ça suscite des questions ? On peut continuer à parler, bien sûr, mais je veux bien vous ouvrir notre micro. Oui, il y a un micro qui va circuler sûrement.
Moi, ma première question, très spontanément, c'est à vous écouter, tout l'impact qu'ont ces aires marines quand elles sont réellement protégées. Comment est-ce que les simples citoyens peuvent avoir un impact pour multiplier, renforcer ces aires marines, tout simplement ?
Qui peut répondre ?
Tout simplement, on est les citoyens, et c'est toujours pareil, on est les citoyens, on vote, donc votons pour ceux qui ont des programmes qui protègent les océans.
Moi, je dirais en premier lieu, soutenez Bloom, parce que nous, on les soutiendrait au nom des citoyens. Je pense qu'au-delà de ça, on est passé dans un après. Je pense que pour l'association, Bloom, l'UN,OC, ça a été un moment de basculement. On a vraiment été à un moment où la communauté scientifique, la communauté internationale, la société civile, les citoyens, étaient tous d'accord sur la nécessité de protéger, et on a fait face à un échec du gouvernement. Donc, comment est-ce qu'on rebondit ? Moi, je pense que la seule façon qu'on puisse avoir de rebondir aujourd'hui, c'est en tant que citoyens, mais aussi en tant que consommateurs, de changer notre rapport à notre alimentation en poissons, et de se poser la question véritablement, est-ce qu'on a besoin de consommer 33 kg de poissons par an et par personne ? Est-ce qu'on a vraiment besoin de consommer autant ? D'où vient le poisson qu'on consomme ? Comment est-ce qu'il a été pêché ? Par qui ? À qui est-ce que finalement notre argent profite quand on achète ce poisson ? Et comme ça aussi, à donner un signal économique aux acteurs, qu'on n'accepte plus cette pêche industrielle, ce modèle, ces méthodes de lobbying qui viennent influencer jusqu'au plus haut sommet de l'État, et se dire, avec mon argent, je vais considérer que le poisson, c'est un animal sauvage, qu'on a encore la chance de pouvoir consommer, mais si on choisit de le consommer, choisissons un modèle de pêche qui permet de le renouveler au fur et à mesure du temps, et donc pas celui qui vient piller les eaux en France, mais aussi à l'international, et aussi voler la ressource d'autres populations qui en dépendent beaucoup plus.
Et pratiquement, on fait comment en tant que consommateurs parisiens ?
C'est très compliqué, je vous l'accorde complètement. Je travaille du coup... Mon sujet de prédilection,
ce n'est pas les aires marines protégées à la base, c'est vraiment les marchés de la consommation, les distributeurs. Donc moi, je vois ce qu'aujourd'hui la grande distribution met en place comme pratique d'achats pour choisir les poissons qu'ils mettent en rayon. Aujourd'hui, on a des politiques d'achat qui ne sont pas du tout suffisamment ambitieuses pour pouvoir enrayer le développement de la pêche industrielle qui est aujourd'hui celle qui produit le plus de dégâts. Aujourd'hui, la pêche industrielle est très largement labellisée par des labels comme le MSC, écolabel pêche durable, qui en fait sont des pêches qui sont incompatibles avec la préservation du vivant. Donc ça, je pourrais y passer des heures, mais en tant que consommateurs, comment on fait du coup ? J'irais vraiment se poser la question véritablement de est-ce que j'ai besoin de manger du poisson ? Aller le chercher chez son poissonnier et lui demander comment il a été pêché. Aujourd'hui, en supermarché, les produits transformés que vous allez retrouver n'ont pas l'obligation légale d'expliquer d'où est-ce qu'ils viennent, quelle est l'espèce scientifique, le nom scientifique de l'espèce de poisson que vous mangez, et comment est-ce qu'il a été pêché. Donc c'est très, très difficile aujourd'hui en tant que consommateurs de pouvoir s'orienter dans un rayon de supermarché pour savoir ce qui est OK ou pas. Maintenant, là où vous avez de l'information, c'est la pêche, le poisson frais. Le poisson frais, il y a une obligation de donner l'engin de pêche et l'espèce et la zone de pêche. Il y a encore énormément de fraudes au niveau de cet étiquetage, donc même ça, ce ,'est pas complètement sûr. Mais voilà, je pense que c'est... consciemment, chacun se reposer ces questions-là et je pense qu'on sait tous intimement quand on achète un produit si on a confiance dans la pêche, qui l'a pêché ou pas et le système qui l'a produit.
Merci pour la question et pour les réponses.
A la suite de votre question sur la consommation, je voulais savoir s'il y avait des contrôles à Rungis parce que je prends mon poisson sur le marché et un jour, je suis tombée et j'ai forcé la main au marchand pour savoir ce qu'il y avait sous l'étiquette qui était caché par un papier d'aluminium et c'était du requin. On n'est pas censé en vendre ni en manger ici. Et quand j'ai posé la question à un poissonnier qui était établi dans sa boutique, il m'a dit, vous savez, les petits poissons pêchés à la ligne, ce sont souvent des pêcheurs qui suivent les chalutiers parce qu'il y a du poisson à foison ensuite derrière. Donc en fait, on est dans un cercle et on ne s'en sort pas. Au moins, est-ce qu'à Rungis, il y a quand même des contrôles ou est-ce que là, il y a des pots de vin et donc ça permet de faire passer des requins ? C'est vraiment une question.
Je vais être totalement honnête, je ne connais pas les contrôles à Rungis et je n'ai pas encore regardé quels étaient les contrôles sur l'étiquetage. Je sais qu'il y a des études qui montrent qu'il y a des fraudes mais je ne sais pas si c'est en lien avec les contrôles de l'État sur la bonne mise en œuvre de ce règlement. Malheureusement, je n'ai pas la réponse mais oui, je pense qu'il y a du boulot, clairement.
Merci en tout cas pour l'alerte. Oui, il y a beaucoup de mains qui se lèvent. On va vous laisser la parole et vos questions sont supers.
Je voulais parler d'une approche qu'on voit de plus en plus, l'approche One Health par rapport aux océans et donc l'impact de la santé des océans sur notre santé. Et aussi, je déplore un peu... Je ne l'ai peut-être pas vu, mais dans l'approche de Bloom, il y a très peu de références à l'impact des chalutiers sur la santé, notamment avec le plastique (des filets), le sonar, le mercure dans le thon, la peinture antifouling des bateaux qui polluent énormément. Pourquoi pas utiliser ce genre d'approche pour justement sensibiliser à l'arrêt de la pêche au chalutage de fond, plus que les vidéos qu'on a vues avec David Attenborough, qui sont des vrais coups de poing utiles, mais vraiment cet aspect santé, je pense qu'il y a vraiment quelque chose à faire là-dessus. Et même si ça a été mentionné à la commission scientifique de l'UNOC, c'est vrai qu'on a beaucoup de retours sur le traité plastique, mais peu sur l'influence des bateaux et des navires de pêche dans la santé. Parce que du coup, ça a été mobilisé.
Piste à suivre ?
C'est vrai que je pense que si
je fais un parallèle avec la manière dont le citoyen moyen perçoit le poisson, on est encore à plus de 80 % des Français qui pensent que le poisson, c'est sain à la consommation. On a une différence de perception entre ce que vous venez de présenter et ce qu'on envisage. Maintenant, Bloom, à la base, nous, on est vraiment... Enfin, on a toute une équipe de recherche qui travaille sur les pêches. On n'a pas une équipe de recherche encore très conséquente sur les enjeux toxicologiques. Maintenant, ce qu'on a montré aussi, c'est qu'on a quand même une petite base dessus, parce qu'effectivement, en octobre l'année dernière, on a publié le rapport du poison dans le thon qui établissait que 100 % des boîtes de thon qu'on avait testées étaient contaminées au mercure, qui est en fait un contaminant environnemental, qui est issu aujourd'hui des activités anthropiques qui viennent contaminer l'océan. Et en fait, c'est vrai que, pour l'instant, on en a choisi un, parce que c'est celui qu'on a retrouvé dans le thon et qu'on sait qui est extrêmement dangereux pour la santé, considéré comme l'une des 10 substances les plus préoccupantes pour la santé publique par l'Organisation Mondiale de la Santé. Mais, il y a encore un certain nombre de sujets qui sont extrêmement préoccupants, je pense, pour l'enjeu de santé publique. Et je pense, aujourd'hui, pas encore beaucoup de monde ne se penche là-dessus. Donc c'est une bonne question. On fait avec les moyens qu'on a, mais c'est clairement quelque chose qu'on regarde. Effectivement, les chaluts traînent des filets qui sont à base de microfibres plastiques, les pêche-thonières utilisent des DCP qui sont des radeaux flottants à base de bambou ou de plastique, et surtout de balises GPS avec des métaux lourds à l'intérieur et qui ne sont presque jamais ramassés, alors qu'elles sont disséminées par dizaines de milliers dans l'océan. Donc, on a tout un enjeu de pollution de l'écosystème, mais malheureusement, ce n'est pas que la pêche qui vient, et je pense que c'est surtout d'autres industries qui viennent polluer l'océan. Même si la pêche peut jouer un rôle, à mon avis, c'est surtout les activités terrestres qu'il faut questionner et la gestion des déchets sur terre pour le fait que l'océan soit devenu un petit peu la poubelle de nos sociétés, malheureusement.
Je confirme, et je confirme aussi que ce concept de One Health, ce concept de One Ocean peut vraiment être très important, parce qu'en fait, on fait tous ce constat-là, enfin le même constat de dire, attention, on est en train de faire de l'océan une poubelle, j'ai reçu une physicienne qui travaille sur les plastiques et qui racontait des choses absolument effrayantes. Effectivement, ce n'est pas principalement la pêche, la pêche au chalut, ça détruit tout, donc c'est assez simple, mais c'est aussi qu'il y a des espèces de radeaux, de plastiques sur lesquels s'accrochent en plus des bactéries, donc voilà, enfin, on se prépare à tout ce qu'il faut. Donc, on est conscient, effectivement, One Ocean, One Health, une communauté de vivants, ce serait intéressant, je pense.
Oui, ça me fait rebondir sur la question du monsieur auparavant, c'est vrai que la très, très grande majeure partie de ce qui atterrit dans les océans vient de la terre, donc ça demande d'avoir une approche intégrée, donc ça part effectivement des comportements individuels, mais pas que, c'est-à-dire qu'il y a tout un tas d'incitations qui font qu'on a le comportement qu'on a, parce que c'est aussi ce qu'on nous propose, et qu'il y a des effets systèmes, donc sensibiliser les citoyens, c'est une chose, mais je trouve que la responsabilité ne se fait pas uniquement au niveau individuel, elle se fait à toute la chaîne, et si on consomme du plastique, c'est parce qu'on nous propose aussi beaucoup de plastique, et dans d'autres époques, on ne consommait pas de plastique parce qu'on n'en avait pas, mais il y avait d'autres pollutions, je suis d'accord, mais voilà, il y a aussi quand même tout un tas d'effets systèmes qui font qu'on a les comportements qu'on a, parce que tout nous pousse à avoir ce comportement-là, et donc pour changer les comportements, il faut à la fois des réglementations, et des incitations qui se font à un niveau supérieur que l'échelon individuel.
Des incitations, vous avez raison, et aussi une connaissance, déjà une connaissance dont soutient évidemment la recherche.
Les incitations doivent être basées effectivement sur les connaissances scientifiques, sur les avancées de la recherche,
pour se situer au bon endroit. Des fois, on a l'impression que ça marche à l'envers. Il y avait d'autres mains qui se levaient.
Oui, bonsoir. Pour vous aider, pour la consommation de poissons, il y a Poiscaille. Finalement, le but c'est d'éviter de manger du poisson d'élevage, donc déjà Poiscaille n'en fera pas, parce que le poisson, je pense que vous allez expliquer le souci qu'est le poisson d'élevage. On a parlé de pêche locale, de pêche artisanale, donc Poiscaille, c'est justement de la pêche artisanale locale et française qui utilise des engins de pêche à moindre impact sur l'environnement. Donc c'est un site de vente en ligne de poissons. Vous commandez votre poisson et vous avez la livraison le lendemain, donc c'est du poisson super frais. Pour la question sur le thon, les gens mangent du thon alors qu'il est pollué au mercure et autres, il y a les fumeurs qui fument alors qu'ils savent très bien que c'est super mauvais pour la santé. On sait que l'eau en bouteille est polluée, on continue à boire de l'eau en bouteille. Je ne sais pas ce qu'il faut faire pour que les gens comprennent et soient respectueux envers l'océan. Il y a aussi un témoignage sur le poisson frais. Je suis allé dans une poissonnerie et je sais très bien que les étiquettes sont légales avec le nom latin du poisson, l'engin de pêche et le lieu de pêche. J'avais trouvé un bar qui était marqué par le pêcheur, qu'il était pêcheur artisan breton et pêché à la ligne, donc exactement ce que je voulais, sauf que quand je regarde l'étiquette qu'avait mis le poissonnier, c'était marqué que le poisson avait été pêché en Amérique du Sud. Donc j'interroge le poissonnier qui retourne l'étiquette et qui me dit que l'étiquette n'est pas à jour. J'ai dit à quoi ça sert d'avoir des étiquettes réglementaires si elles ne sont pas à jour ? Et derrière, il y avait les gens qui étaient en train de râler parce que je prenais trop de temps.
Merci pour ce témoignage et pour ce Poiscaille que je ne connaissais pas, donc on va aller regarder ça. D'autres ? Il y a une main qui se lève.
C'était juste pour rebondir sur la première question sur ce que les citoyens peuvent faire. Souvent, on s'arrête au fait que les élus, c'est une fois tous les cinq ans qu'on les considère. Ce serait bien de les considérer aussi sur tout le temps. On a justement, je pense, ce droit et puis surtout ce devoir de les interpeller constamment, aussi bien nos députés de circonscription, puisque c'est nous-mêmes qui les avons élus, que même nos maires qui élisent les sénateurs. Donc il y a aussi tout cet aspect qu'il ne faut pas oublier, qu'en fait, les élus, il ne faut pas les laisser tranquilles. On les a élus une fois sur un programme et il faut qu'ils tiennent ce programme. Il ne faut pas oublier ça aussi.
Merci. Merci.
Moi, je me retourne vers vous, Pauline et Catherine. Et quels seraient justement, puisqu'on se demande qu'est-ce qu'on peut faire pratiquement, on ne peut pas tout mettre sur le dos des citoyens de comportement, on est bien d'accord. C'est quoi votre message, Pauline ? Vous en avez plusieurs, mais c'est quoi votre message ? Là, on a commencé à discuter de cette question du sauvage, des aires marines protégées, de notre comportement, de l'océan qui est la poubelle de la terre et de ce poisson, et de tous ceux qui vivent dedans, qui ne sont pas que des ressources pour nous, on est une communauté de vivants. C'est quoi votre message ?
Je dirais que c'est continuer de s'indigner, de continuer de se battre pour une société qui est alignée avec nos valeurs, et de ne pas laisser faire les acteurs qui aujourd'hui ont le pouvoir, que ce soit politique, économique, culturel, de déployer un modèle de société, un système, comme tu le disais. Ce n'est pas nous, en tant que consommateurs, en tant qu'individus, qui pouvons tout faire, mais nous, on peut faire des choses, on peut continuer de demander le niveau que l'on mérite, et à toutes les instances, je pense que c'est complètement ça, c'est continuer de s'indigner auprès de nos politiques, s'ils ont des discours qui sont complètement antinomiques avec ce qu'on aimerait de notre société, continuer de demander à nos distributeurs de mettre en place des politiques d'achat qui sont respectueuses du vivant, se mobiliser, et je pense valoriser pleinement le collectif. Je suis désolée, je prêche ma paroisse, mais il y a des associations qui se basent sur les connaissances scientifiques qui émergent au fur et à mesure du temps, mais qui basent leurs actions sur des choses purement factuelles, et qui ont une force de frappe pour pouvoir faire changer les systèmes, et en tant qu'individus, on peut agir de manière individuelle, mais aussi surtout de manière collective, je pense que c'est comme ça qu'on démultiplie.
Catherine, votre message à vous, qui savez à quel point la communauté scientifique se mobilise dans son ensemble, moi je l'ai vu depuis ces dernières années, c'est vraiment flagrant, et de manière interdisciplinaire, que ce soient les océanographes, les climatologues, les physiciens, les biologistes, vraiment tout le monde se mobilise ensemble, les bio-acousticiens, tout le monde se mobilise, mais votre message à vous, qu'est-ce que vous en pensez ?
Je vais faire un message de science sociale. De science sociale. Oui. Ce serait reconnaître l'agentivité, ce que la science sociale appelle l'agentivité du vivant, non humain, c'est-à-dire cette capacité d'autres êtres vivants à co-construire le monde dans lequel on vit, et reconnaître leur agentivité, ça veut dire aussi leur faire une place et ne pas penser qu'en fait on est les seuls, nous, à construire le monde, à l'utiliser, donc ça va effectivement vers ce décentrement et avoir une vision qui n'est pas simplement anthropocentrée, ça va avec le fait de s'éloigner de la considération des êtres vivants uniquement comme des ressources, puisque ce sont justement des êtres vivants qui ont besoin de certaines conditions pour leur existence, tout en gardant l'idée qu'on a aussi nous notre place dans un réseau trophique, qu'on est aussi prédateurs puisqu'on mange, et que ça ne veut pas dire qu'il faut culpabiliser, parce qu'on a notre place dans la chaîne trophique comme les autres animaux, mais ça n'empêche pas de leur reconnaître une certaine agentivité, donc de leur faire de la place.
Et est-ce que c'est pas aussi, puisqu'on est, à
la fondation de la maison des sciences de l'homme, enfin on parle des sciences de l'homme, des sciences de l'humain, des sciences sociales, des sciences humaines, mais est-ce que ce n'est pas justement l'apport et le rôle de ces sciences-là en parallèle avec des sciences qu'on appelle dures, je ne sais pas lesquelles sont molles et lesquelles sont dures, justement d'apporter ça, c'est-à-dire ce regard plus large, cette perspective plus large, philosophique,
et au fond, moins centré sur notre petit nombril d'humain. Je pense qu'on est à un moment où on élargit beaucoup de considérations qu'on avait autrefois réservées uniquement aux humains, on les élargit à l'ensemble des vivants, et je pense qu'un des gros enjeux pour les sciences sociales et les sciences humaines aujourd'hui, c'est d'élargir un certain nombre de concepts pour voir comment est-ce qu'ils peuvent s'appliquer dans une communauté d'êtres vivants et pas simplement centrés sur l'humain. On n'a pas parlé de l'apport des sciences juridiques, mais en ce moment, il se passe quand même beaucoup de choses aussi de ce côté-là. Sur les droits, le droit des vivants. Voilà, reconnaître des droits. Même s'il y a d'autres juristes qui considèrent qu'il y a suffisamment d'éléments dans le droit actuel pour considérer différemment. Mais il y a tout un tas d'avancées, je trouve que l'époque est quand même intéressante pour ça. À la fois, on a des problèmes, mais à la fois aussi, il y a des avancées au niveau même conceptuel pour infuser et aller jusqu'à de nouvelles réglementations, de nouvelles règles.
Et des avancées très interdisciplinaires justement. Et comme vous le dites, sur cet aspect juridique, du droit des non-humains, c'est déjà bien que tout ça soit posé sur la table, un peu comme ce que vous disiez par rapport à l'UNOC. Au moins tout ça est posé sur la table, alors même si nos dirigeants ou les lobbies n'écoutent pas trop, c'est posé sur la table et on a le droit d'être d'avis divergent, mais au moins il y a une autre perspective obligatoirement transdisciplinaire.
D'ailleurs, pour le coup, une des avancées de l'UNOC, ça aurait été le lancement officiel de la plateforme de l'IPOS.
L'IPOS, c'est la plateforme...
Pour la science et l'océan.
C'est ça, pour la science et l'océan.
Donc ça va être une instance, peut-être comme le GIEC ou l'IPBES, pour justement informer et travailler cette question de l'océan.
Et en grande interdisciplinarité, One Health, One Ocean, c'est vraiment dans ce sens-là qu'on peut aller. Communauté de vivant, est-ce qu'il y a encore quelques questions ?
Je suis consultant en développement durable. Je constate souvent qu'on aborde la question des aires marines protégées sans mettre en avant la notion de marée blanche qui représente en réalité... Par exemple, quand les bateaux doivent vider leurs cales, surtout les chalutiers, et qui vont faire ce qu'on appelle des migrations involontaires d'espèces en déplaçant certaines espèces invasives dans des environnements où elles n'ont pas lieu d'être. Et ce qui va réduire aussi en réalité notre capacité à obtenir du poisson que l'on obtenait traditionnellement.
Très important. Qu'est-ce qui veut réagir là-dessus ? Parce qu'on parle d'espèces invasives, mais souvent c'est nous qui les amenons, ces espèces invasives.
Oui, les vecteurs de dissémination des espèces invasives, c'est beaucoup les transports et les navires, et le commerce maritime. Mais là, il y a des réglementations au niveau international, il n'y a qu'au niveau international que ça peut réellement avoir un effet, puisque le commerce maritime a considérablement augmenté dans ces dernières années, et donc c'est par la réglementation sur le fulling, l'anti-fulling, et sur la gestion des eaux de ballast, que ça pourra avancer.
Espérons que ça avance, c'est une grande question. Est-ce que... Allons-y, allons-y.
Bonsoir, merci pour le débat. J'aimerais revenir juste sur l'UNOC et l'annonce d'Emmanuel Macron sur le fait qu'on allait passer de 0,1 % de protection à 4 %. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi c'est une arnaque ? Comment ça fonctionne, le changement de chiffre ?
Pauline.
Merci de me donner cette opportunité. Comme je vous le disais tout à l'heure, jusqu'à l'UNOC, on avait véritablement 0,1 % de nos eaux métropolitaines qui étaient protégées, c'est-à-dire interdites au chalutage, aux activités industrielles et extractives. Emmanuel Macron, le 8 juin, lors de la journée pour l'océan, a annoncé le fait qu'on allait passer de 0,1 % à 4 % de protection, de véritable protection dans les aires marines protégées. En réalité, quand on regarde la carte qui a été publiée par le gouvernement suite à ces annonces, on avait toute une myriade de petites zones vertes qui étaient les zones protégées d'ici à 2026. D'ici à la fin de 2026, le gouvernement s'est engagé à protéger ces zones qui étaient présentées sur la carte. Chez Bloom, on a tout un tas de chercheurs qui connaissent bien le réseau actuel et la carte des fonds marins en France, et qui ont tout de suite vu que ces zones-là étaient au niveau du tombant, là où on passe d'une profondeur qui va tout de suite aller beaucoup plus profond. Il y a certains intérêts écologiques, parce qu'on est sur une zone de tombant, donc il y a des enjeux que peut-être Catherine saura beaucoup mieux expliquer que moi, mais en tout cas, on a un changement d'écosystème qui est intéressant. Mais surtout, on a une profondeur qui descend, et ce sont des zones qui sont interdites au chalutage, parce qu'on a interdit au niveau européen le chalutage profond, c'est-à-dire au-delà de 800 mètres. Quand on superpose la carte de ce qui est déjà protégé par ce règlement, et ce qui est annoncé par le gouvernement comme étant l'augmentation de nos aires marines protégées d'ici à fin 2026, il n'y a plus que des tout petits points très difficilement discernables à l'œil nu, ce qui va vraiment être nouvellement protégé. Voilà, on a été extrêmement perplexes quand on a mis le doigt là-dessus, du coup bien évidemment révélé dans la presse, et ce qui a été l'objet de nombreux débats politiques depuis qu'on l'a révélé. Enfin, en gros, même aujourd'hui, les lobbies de la pêche industrielle expliquent que ces zones sont déjà protégées, et qu'il n'y a pas grand-chose qui va changer. Donc, il n'y a pas de remise en question de cette augmentation, c'est simplement potentiellement un statut de protection qui va arriver sur une zone qui est déjà protégée.
Par ailleurs, l'objectif auquel on devrait arriver, ça devrait être 10 % ?
30 % même.
En protection forte, 10 %.
Il y a plusieurs niveaux de protection. C'est ça, alors c'est là où je repars sur mon laïus sur le glissement sémantique, je vous parlais tout à l'heure du cas par cas. Aujourd'hui, l'UICN parle de protection stricte, on parle aussi de protection intégrale ou de zone de no-take. Donc c'est là où on va vraiment limiter très fortement les activités de pêche. On n'aura plus que certaines activités vivrières, voire même seulement sous dérogation qui seront autorisées. Et le gouvernement parle de protection forte. La protection forte, elle est non définie par un décret qui est paru le 12 avril 2020. Qui explique la vision de la France sur la protection forte, qui n'est absolument pas fondée scientifiquement, et qui laisse globalement chaque gestionnaire, organisme de gestion définir de comment est-ce qu'on va adapter la pêche, mais qui, en fait, n'interdit rien véritablement. C'est pour ça que pour nous, la protection forte n'est pas une protection qui est ambitieuse, parce qu'elle laisse la place à des activités industrielles que l'UICN déclarerait comme incompatibles avec la véritable protection. Donc ce qu'on veut, c'est de la protection stricte. On veut 10 % de protection stricte, et que les 20 % restants, pour atteindre nos 30 % à 2030 selon l'accord de Koenig-Montréal, soient cette fois-ci réservés avec une gestion intelligemment pensée pour qu'on puisse préserver un certain nombre d'activités locales, tout en excluant la pêche industrielle.
L'idée, c'est vraiment d'arriver à exclure la pêche industrielle, c'est là dessus que
ça coince.
Mais le guide des AMP, des aires marines protégées, est très bien fait pour ça. C'est un guide qui a été publié, publication scientifique de 2021, il y a un guide qui est paru, je crois, en 2023, et qui donne bien, en fait, des différents niveaux de protection et les bénéfices qu'on peut, en fait escompter en termes écologiques et également social. Ce n'est pas que des bénéfices écologiques. Dans le principe des aires marines protégées de la protection, il y a quand même l'idée qu'on protège la biodiversité, mais on protège aussi, socialement, une certaine catégorie d'usagers. Ce n'est pas pour exclure les humains, c'est simplement pour autoriser les usages qui sont compatibles avec une protection de la biodiversité.
Bonsoir, merci pour le débat, pour le partage. Moi, j'ai une question suite au partage du film « Omerta », le film de Charles Villa que Bloom nous a montré dans une salle de cinéma à Paris, il y a un mois, à peu près. J'étais dans la salle et, en tant que consommateur, à l'issue de ce film, on se demande ce qu'on peut faire, comment on peut agir, et on se dit qu'il y a peut-être une chose qu'on pourrait faire, c'est essayer
de boycotter les produits de la pêche industrielle, puisque ce film dénonce la pêche industrielle. Est-ce que chez Bloom, vous avez identifié les marques de restaurants ou de transformations d'aliments qu'on pourrait, en tant que consommateurs, sciemment décider de boycotter pour justement ne pas continuer à les aider ? Je sais que ce n'est pas une question simple, mais on a envie d'agir, il n'y a pas 36 moyens.
Ça fait plaisir à entendre, et on se pose beaucoup de questions en interne en ce moment. Le fait est que les chaînes de production sont particulièrement opaques, et donc c'est difficile de faire le lien entre une pêcherie, par exemple, et un produit ultra-transformé quand on ne sait même pas quelle est l'espèce qui est présente dans le produit en particulier. Je pense que la première chose à faire en tant que consommateurs, au-delà de tout ce que j'ai pu vous partager tout à l'heure, c'est systématiquement regarder si même ces informations sont présentes sur l'emballage du produit que vous voulez consommer, parce que si elles n'y sont pas, très probablement c'est mauvais signe. Ça veut dire qu'il y a eu beaucoup d'étapes, et même si les acteurs sont censés savoir exactement ce qu'ils vous vendent, aujourd'hui, ils ne vous donnent pas forcément l'information. Après, je pense qu'il y a peut-être une pêcherie qui collectionne toutes les tares, et qu'on a déjà bien exposées. Ça fait plus de 3-4 ans qu'on travaille sur le sujet. Le sujet, c'est les pêches thonières. On a beaucoup parlé des pêches thonières tropicales. C'est celles qui pêchent le poisson, qui vont majoritairement se retrouver en boîte dans les supermarchés. Aujourd'hui, on a montré qu'elles sont destructrices pour les écosystèmes, parce qu'on a des méthodes de pêche qui sont absolument incompatibles avec le maintien d'un écosystème sain, parce qu'elles précipitent la capture de requins, de raies, de dauphins, de baleines. C'est absolument dingue ce qu'on peut retrouver dans les filets de pêche thonière à l'international. Ça capture aussi énormément de juvéniles. Les poissons juvéniles, ce sont les poissons qui ne sont pas suffisamment matures, qui ne se sont pas encore reproduits. Donc, capturer un juvénile, par définition, ça veut dire aller chercher dans la biomasse qui existe à date, et donc la réduire. Ce sont des pêcheries aussi où on a le plus de cas de violations de droits humains qui sont répertoriées à l'international. Une étude qui recense tous les cas d'abus de droits humains en mer a montré que 42 % d'entre eux avaient lieu sur des navires thoniers. On est quand même sur quelque chose qui est très important, quelque chose de gravissime. Et en plus de ça, on a découvert que le thon était contaminé au mercure systématiquement et parfois à des niveaux extrêmement préoccupants pour la santé. Donc moi, en tant que personne chez Bloom qui connaît un petit peu tous ces sujets, j'aurais tendance à vous dire que le thon, c'est quand même le sujet sur lequel on n'arrive pas vraiment à trouver un système qui fonctionne. Je dirais que c'est particulièrement le thon qui n'est pas pêché à la ligne. Il faut faire attention parce qu'on a des pêcheurs français qui pêchent à la ligne, qui le pêchent très bien. On peut même retrouver dans certains magasins spécialisés du thon en boîte qui est pêché avec des pêcheries à la ligne qui sont clairement beaucoup moins destructrices que ceux qu'on peut vous parler. C'est toujours difficile de se prononcer sur un boycott de tel produit, mais en tout cas, je pense que celui sur lequel vous pouvez freiner un maximum en tant que membre de l'équipe de Bloom, celui sur lequel on connaît le plus de choses, c'est le thon en boîte.
Le thon en boîte et
qui provient de (inaudible) ? Oui, voilà.
Le thon en boîte et tous les poissons en boîte (inaudible) ?
Vraiment, le thon, c'est le poisson qui est le plus connu. Il commence à être un petit peu rivalisé par le saumon qui remonte d'aquaculture. Je ne vous conseille absolument pas de saumon d'aquaculture non plus, parce que le saumon est partiellement nourri à des poissons qui sont pêchés par des pêches absolument pas souhaitables pour l'environnement, qu'il est élevé aussi dans des enceintes, que ce soit sur terre ou en mer, qui polluent énormément l'écosystème local. On peut même considérer le bien-être animal des saumons qui sont empilés les uns sur les autres dans des bassins. Pour revenir sur le thon, je n'ai plus exactement votre question. Ah oui, et les boîtes, tous les poissons en boîte. En fait, c'est vraiment difficile, parce que même pour le thon, on va avoir des petites conserveries qui sont allées s'approvisionner auprès de petites pêcheries qui ne sont pas forcément celles qu'on veut boycotter. Donc ce que je dirais, c'est plutôt faites attention à tous les produits issus de grandes marques industrielles, parce que c'est généralement des processus mondialisés. Et moi, en tant que responsable marché, j'ai regardé toutes les politiques d'approvisionnement des distributeurs aujourd'hui, et aucun n'est capable de me dire qu'il a envoyé un auditeur sur les navires pour vérifier les conditions de travail en mer. Ils se cachent derrière des politiques signées par leurs fournisseurs pour dire c'est tout bon, il n'y a rien, circulez, il n'y a rien à voir. Ils utilisent le label MSC qui certifie des pêches de navires usines, des pêches destructrices, pour dire que c'est de la pêche durable. Donc on a vraiment un manque de prise de responsabilité de la part des acteurs de la grande distribution, mais aussi des grandes marques sur ces enjeux de protection de l'environnement et des humains. Et donc, rien que pour ça, je vous dirais de faire très attention. Après, les plus petites marques au cas par cas, je ne peux pas vous dire, mais je pense que, d'une manière générale, faire attention aux produits transformés à base de poissons.
Pauline, tu m'as volé mon sujet puisque je voulais rebondir sur le saumon. Mais juste pour compléter, vraiment, quand on réfléchit à sa consommation, on pourrait avoir envie de se tourner vers le poisson d'élevage, et c'est vraiment ce qu'il ne faut pas faire. La majorité des poissons d'élevage, aujourd'hui, ce sont des poissons carnivores, et donc qui ont besoin d'être nourris avec d'autres poissons. Et on va notamment aller vider toutes les eaux d'Afrique de l'Ouest pour aller chercher, par exemple, de la sardinelle, pour en faire de la farine de poisson, qui viendront nourrir les élevages de saumon. Et puis, en plus, maintenant, il y a aussi du saumon bio, ou durable, où ceux-là, en fait, ce qu'ils font, c'est qu'ils disent, non, on ne
va pas chercher des poissons, on va les nourrir avec du soja. Et ce soja, il vient de la déforestation en Amazonie, donc on est vraiment sur une fraude totale. Et puis, pour aller sur la partie plus sociale, justement, il y a de plus en plus d'études, aujourd'hui, qui sortent, et notamment sur ce qui se passe en Afrique de l'Ouest, qui font le lien avec les migrations en Europe. Et du coup, je vous invite notamment à suivre une autre ONG, qui fait un super travail là-dessus, justement, avec s'appelle Seastemik, et qui montre, justement, que, par exemple, tous les livreurs de sushis à Paris viennent souvent de ces pays qui sont victimes, aujourd'hui, des eaux qui sont vidées de leurs poissons, que des petits pêcheurs artisans ne peuvent plus aller pêcher du poisson. Donc du coup, ils sont obligés, pour pouvoir nourrir leur famille, de quitter leur pays pour aller chercher du travail, qu'ils viennent souvent chercher en Europe, pour finir par livrer des sushis de saumon. Donc vraiment, ce n'est vraiment pas la solution, aussi, de partir vers le poisson d'élevage.
(Elle est la seule communauté) vivant sur toute la Terre. Est-ce qu'il y a encore une question ?
Je voudrais rajouter la crevette grise aussi. Non, non, ce n'est pas une blague. Je vous recommande le documentaire qui s'appelle « Sans queue ni
tête » de Julien Brigot, qui explique que quand vous achetez une petite boîte de crevettes dépiautée, la crevette, elle a été pêchée au large de chez moi, à Dunkerque, et puis elle est partie à Tanger, les femmes les dépiautent, et elles reviennent dans les restaurants à Ostende pour faire ces magnifiques croquettes de crevettes. J'avais une remarque, et peut-être une question. En fait, il y a dix ans, j'étais au Musée de la Marine, et on faisait une expo qui s'appelait « Dans les mailles du filet », qui était une expo sur la pêche, et en particulier sur l'écroulement des pêcheries à Terre-Neuve. Il y avait déjà des débats. Je me souviens avoir animé un débat avec Claire Nouvian, avec Greenpeace. C'est une époque où on séparait déjà les (inaudible) et les associations. Il y avait eu Gascuel, Alain Bizeau avant. J'avais trouvé ça un peu bizarre. Et puis c'était l'époque où, effectivement, l'ennemi, c'était déjà la boîte de thon. C'est l'époque où Greenpeace nous disait d'aller planquer les boîtes de thon Petit navire partout dans le supermarché. J'ai l'impression d'être un activiste en allant piquer la boîte de thon Petit navire, d'aller la mettre au rayon papier toilette, des trucs comme ça. Un grand rebelle. Je me suis avisé que finalement, sur les boîtes de thon, ce qu'on voit, c'est une chaloupe sardinière. C'est une chaloupe traditionnelle de Douarnenez. C'est quand même bizarre. On nous vend du thon. Je l'avais dit à la personne de Greenpeace qui n'avait pas remarqué ça. Il y a toute une histoire de Petit navire qui joue beaucoup sur son image patrimoniale, bretonne. Vous savez, cette pub avec le gamin qui gueule "eh reviens, reviens !" On voit la chaloupe (inaudible) et on achète du thon Petit navire, c'était assez fort. La question, c'est plutôt par rapport à Douarnenez, dont je reviens, sur la définition de pêche industrielle. Est-ce que c'est vraiment la taille du navire qui fait toute la pêche industrielle ? Parce que toutes ces petites chaloupes sardinières... On a fêté cette année le centenaire de la grande grève. Les femmes étaient dans des usines, donc il y avait déjà de l'industrie. Cette pêche qui se faisait sur des bateaux qu'on va aujourd'hui qualifier de traditionnels, à la voile, écoresponsables, tout ce qu'on veut, elle alimentait des usines qui étaient quand même... L'industrie, est-ce que c'est seulement le bateau ? Est-ce que c'est aussi ce qui transforme le poisson ? J'ai en tête, pour revenir sur des sujets plus contemporains, des images de pêcheries Mauritanie Sénégal où on voit là aussi des bateaux à moteur avec des pirogues, très joliment décorées, qui alimentent des usines à poisson dans lesquelles il y a pas mal de documentaires ethnographiques dans lesquelles personne ne peut aller filmer. Dans votre souci de définition, tout le monde parle de pêche industrielle qui s'opposerait à de la pêche, et on a dans notre tête petits navires pour revenir à ça, et grands. Qu'est-ce que la pêche industrielle ?
La pêche industrielle a été définie par l'UICN comme étant tous les navires qui sont au-delà de 12 mètres de long, de 6 mètres de large, et ayant une capacité d'un certain nombre de tonnages. Je n'ai plus le tonnage exact, mais c'est ces trois dimensions-là, en plus de certaines techniques de pêche qui sont par définition industrielles. On a le chalut, on a la (inaudible). Je crois que c'est à peu près tout, mais il y a certaines techniques de pêche qui, par définition, peu importe la taille, seront considérées comme industrielles. C'est pour ça d'ailleurs que, quand on parle de protection des aires marines protégées, on explique que le chalut, peu importe sa taille, même celui qui fait moins de 12 mètres, sera par définition industriel, et donc à exclure de cette zone si on veut la protéger. Je fais un petit aparté sur Petit navire. Est-ce que vous savez que Petit navire, c'est détenu par une entreprise thaïlandaise ? Parce que Petit navire, on imagine ce navire de pêche bretonne, mais depuis longtemps, Petit navire, c'est détenu par un conglomérat thaïlandais, Thai Union, qui est basé à Bangkok, en Thaïlande, et qui est le deuxième, c'est ça, le deuxième industriel le plus puissant sur le marché du poisson. Donc ils détiennent Petit navire en France, mais ils détiennent aussi John West au Royaume-Uni, et tout un tas d'autres marques par pays qui sont bien implantées. Et donc voilà, en fait, il y a vraiment un écart gigantesque entre le marketing auquel on est confronté, et la réalité des pieuvres capitalistiques derrière. Aujourd'hui, il y a une étude qui a montré, juste en deux secondes, que 13 entreprises possédaient entre 19 et 40 % de la valeur des captures mondiales. Donc en fait, on a vraiment un oligopole de quelques gros très puissants qui détiennent les quotas de certaines pêcheries industrielles, mais à l'international, et qui ensuite vont les vendre sous des marques peut-être françaises, mais en fait, qui viennent enrichir des investisseurs du monde entier, parce qu'en fait, Thai Union, c'est coté en bourse, et donc on vient faire de la spéculation sur le monde marin et le monde vivant. Et c'est un petit peu aussi ce qu'on mettait en exergue quand on a sorti notre rapport il y a très peu de temps, en même temps que le documentaire Omerta qui s'appelait les Big Five, et qui montrait en fait que cinq entreprises néerlandaises ont un monopole considérable sur les quotas de pêche, et en fait, sont conscients du fait qu'ils sont arrivés au bout de leur modèle et commencent à investir dans l'immobilier. Donc on vient prélever de la ressource naturelle, un capital... Enfin, je déprime à l'idée d'appeler une ressource un capital, mais qu'ils viennent ensuite investir dans autre chose, et donc c'est véritablement du profit sur la nature au détriment de tous et aux bénéfices de quelques-uns.
Juste pour le... par rapport à pêche artisanale, pêche industrielle, au-delà effectivement de la taille du navire, je crois qu'il y a également aussi le nombre de jours de pêche sans rentrer au port. Mais je trouve que plus qu'à opposer à artisanat industriel, ce qui est plus intéressant, c'est de s'intéresser à l'impact des engins de pêche, chaque engin de pêche, et regarder à un endroit quel est l'impact de chaque engin de pêche, plutôt qu'à opposer à artisanat industriel, même si effectivement la grande pêche industrielle, elle est rarement vertueuse.
Merci pour toutes ces précisions.
On peut continuer à discuter autour d'un verre.
C'est une très bonne idée.
Merci beaucoup. Merci à toutes et tous. Merci beaucoup.
Le sauvage dans les aires marines protégées
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