Tresser les filets fantômes. Une anthropologie des déchets marins : entre visible et invisible

Retranscription

Bonjour à toutes et à tous, bienvenue à la Fondation Maison des sciences de l'Homme. Permettez-moi de présenter brièvement, en tant que responsable du programme Océans, la Fondation et notre engagement dans la cause de l'océan. La Fondation a compté cette année parmi les 855 organisations accréditées en tant que parties prenantes de la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, à Nice, qui s'est tenue en juin, et les 77 organisations ayant présenté une déclaration écrite, une position paper, que vous retrouverez sur le site des Nations unies ou sur notre site. C'est la première fois qu'une conférence des Nations unies est adossée à une conférence réunissant les scientifiques du monde entier travaillant sur les océans. C'est à ce titre que la Fondation Maison des sciences de l'Homme a voulu promouvoir la voie des sciences humaines et sociales en tant que sciences océaniques, à côté des sciences marines et biologiques. Un océan durable, ce sont des politiques publiques, des comportements individuels, des actions collectives, ce que montrent bien les enjeux liés à la pollution plastique dont il est question ce soir. Aussi la Fondation s'est-elle engagée dans la cause de l'océan reprenant le fil de la pensée de son fondateur Fernand Braudel, l'historien auteur de la Méditerranée. Par ailleurs, la Fondation consacrera un grand colloque à l'occasion des quarante ans de sa disparition fin novembre. Je vous invite à regarder le programme sur notre site. La Fondation s'engage dans la cause de l'océan en créant un programme sur cinq ans, Océans : mondes sociaux, mondes vivants. C'est un programme de financement de la recherche collaborative entre les sciences humaines et sociales et la société, en s'appuyant sur ses propres ressources, le financement du ministère de la Recherche, et sur le mécénat. C'est aussi un programme de diffusion de connaissances. Ce cycle de conférences, Océans : héritage commun, défis partagés, fait partie de cette initiative. Avant de céder la parole à Mathieu Vidard, présentateur de l'émission La Terre au carré sur France Inter, je tiens à remercier nos intervenants et nos partenaires, la Fondation Calouste Gulbenkian, délégation en France, et la Fondation Tara Océan, avec laquelle, je vous l'annonce en avant-première, nous lancerons l'année prochaine, à partir de mars 2026, un nouveau cycle dédié à la pollution plastique des océans, ici, à la Fondation Maison des Sciences de l'Homme. Merci pour votre écoute. Je passe la parole à Mathieu Vidard qui présentera nos intervenants.
Merci beaucoup et bonsoir à toutes et tous. Merci de nous avoir rejoints pour parler ce soir d'un phénomène. Je ne sais pas si vous le connaissiez avant de venir ici ce soir. En tout cas, c'est assez peu connu du grand public. Pourtant, ça a des conséquences majeures sur la biodiversité marine. C'est la question des filets fantômes, ces engins de pêche perdus et abandonnés par les pêcheurs et qui continuent de piéger pendant très longtemps après que ces filets ont été perdus ou abandonnés. Ils sont invisibles, évidemment, pourtant assez spectaculaires, on va les décrire. Ils racontent beaucoup de notre rapport à l'océan, à la matière aussi et à la responsabilité. On va en parler avec nos deux invités pour deux regards complémentaires sur le sujet. Géraldine Le Roux, bonsoir. Vous êtes anthropologue, professeure à l'Université de Bretagne occidentale et autrice d'un livre qui s'appelle L'Art des ghostnets, terme en anglais de ces filets fantômes, publié aux éditions du Muséum national d'histoire naturelle. C'est une approche anthropologique, c'est bien de ça dont nous allons parler avec vous, et esthétique de ces filets fantômes. Henri Bourgeois Costa, bonsoir à vous. Vous êtes responsable de la mission économie circulaire et du plaidoyer plastique à la Fondation Tara Océan. Cette Fondation œuvre depuis 20 ans à la recherche et à la protection de l'océan. Ensemble, nous allons explorer et raconter un peu ce que nous disent ces déchets, entre le visible et l'invisible, entre la science et la création, entre la pollution et la poésie. On va essayer de tisser toutes ces entrées possibles. Puis vous pourrez poser vos questions à l'issue de notre discussion. Géraldine Le Roux, on va commencer ensemble. En tant qu'anthropologue, quelle est votre définition de ces filets fantômes ? Qu'est-ce qu'ils nous racontent ? Et quels liens avec le plastique, d'ailleurs ?
Pour moi, un filet fantôme, c'est d'abord et avant tout un outil de travail qui a été perdu accidentellement le plus souvent, parfois délesté volontairement, et qui fait de plus en plus l'objet de resémentisation et de transformation plastique. Ce qui finalement invite tout un chacun à parler de la civilisation plastique, à questionner cette civilisation plastique, l'usage professionnel, l'usage du plastique que l'on fait dans notre quotidien, puis sa fin de vie, donc son cycle de vie.
Qu'est-ce qu'il incarne exactement pour vous, ce filet fantôme ? Parce qu'il raconte plein de choses au fond.
Il va nous falloir 1 h 30 pour en parler. Il incarne beaucoup de paradoxes, d'ambiguïté, la nécessité d'œuvrer à la transformation industrielle des produits et de ce que l'on met sur le marché, la nécessité de prendre en compte ce que l'on voit, mais ce que l'on ne voit pas non plus parce que c'est à fleur d'eau. On va voir pourquoi on parle de filets fantômes, mais aussi tout simplement comment se comporte ce mégadéchet, un certain type de filet, les filets maillants dérivants, peut faire plus de deux kilomètres. Il va aussi, on va en parler, se fragmenter, devenir des macrodéchets, des microdéchets, des nanoparticules plastiques. C'est tout ce processus de dégradation de cette matière qu'il nous faut absolument interroger et résoudre de façon à arrêter ce carnage.
Henri Bourgeois
Costa, est-ce que vous pouvez compléter cette présentation et nous dire ce que sont ces filets fantômes avec votre casquette de monsieur Plastique ?
S'il y a un mot qui caractérise bien la pollution plastique, c'est le mot fantôme, parce qu'on imagine des choses, on imagine ce macrodéchet. En fait, toute notre attention collective s'est construite depuis les années 1970 autour de ce gros déchet marin. Finalement, ça a occulté complètement la réalité de ce fantôme qui est une réalité bien plus complexe, une pollution systémique. En gros, qu'est-ce que ça veut dire derrière ? C'est une pollution climatique déjà, puisque ces filets fantômes sont en plastique, ces plastiques sont des produits pétroliers. Aujourd'hui, la production mondiale de plastique contribue à 4 % des émissions globales de gaz à effet de serre, de CO2 d'ailleurs, c'est sûrement beaucoup plus important que ça en termes d'émissions globales de gaz. C'est déjà une première réalité. La deuxième réalité, c'est que ces filets ne sont que la partie visible, ils sont cachés dans l'eau, mais on peut les toucher, et que derrière il y a des choses qui sont bien plus complexes. Dès qu'on produit un objet plastique, qu'on l'utilise, puis qu'il finit dans l'environnement, il va libérer des microplastiques, des nanoplastiques dans des petits bouts de plastique, des fantômes de plastique qui échappent complètement à notre regard et composent une partie essentielle de la pollution. Enfin, pour finir ce tour de table très agréable en début de soirée, j'en conviens, il y a également une composante chimique qui est sûrement le fantôme le plus effrayant de ce panorama-là : 16 000 molécules chimiques sont utilisées pour fabriquer les plastiques aujourd'hui, et parmi ces 16 000, en gros, on en connaît un tiers. II y a un tiers qui est vaguement étudié en termes de toxicité, dont les trois quarts sont problématiques pour la santé ou pour l'environnement. Donc, on a un fantôme, on n'est pas dans Ghostbusters avec le petit fantôme sympathique, on est vraiment avec un fantôme qui est extrêmement effrayant. C'est ce fantôme qu'on peut retenir de la pollution plastique.
Pour bien comprendre, le plastique représente quoi dans ces filets, exactement ? Ils sont uniquement composés de plastique ?
Oui, pour l'essentiel d'une matière plastique, polyamides, nylons. La diversité de la matière s'est développée au fur et à mesure de la recherche industrielle, mais ce sont toujours, pour dire les choses plus techniquement, des polymères artificiels, donc des matières plastiques issues du pétrole.
Et comme c'est polymatière très souvent, c'est encore plus compliqué à potentiellement recycler. C'est le grand sujet de la discussion d'aujourd'hui.
Ce sont des cocktails, en fait, de matières plastiques ?
Voilà, et d'additifs qui vont permettre de colorer, parce que parfois pour certaines actions pêche, certains pêcheurs vont dire que si c'est vert ou violet, peut-être que ça va attirer plutôt telle espèce ou, au contraire, telle espèce ne le verra pas et ça va la piéger mieux. Puis, selon qu'on est sur un chalut, il faut que ça aille vers le fond, il faut aussi du poids, on va donc rajouter des matériaux. Alors que si on est sur du filet maillant dérivant, au contraire, il faut que ce soit très léger, presque transparent. Les additifs vont permettre de développer un peu ces caractéristiques mécaniques.
no_speaker Oui, le slogan des années 1970,
« Le plastique, c'est fantastique », vient de là.
Ces matières-là sont des matières complètement polymorphes, dont on peut adapter les performances à tous les besoins, grâce justement à ces additifs-là. Déjà grâce à un choix de différentes sortes de plastiques au départ, des nylons, des PET, il y a plein de sortes de matières, auxquelles on va ajouter toute une série d'additifs fonctionnels. Ils vont permettre d'être plus souples, par exemple, c'est le cas des phtalates, d'être colorés, Géraldine l'avait évoqué, d'être anti-feu pour d'autres, notamment ceux de nos objets électroniques. Évidemment, toutes ces matières chimiques vont modifier profondément la structure et les performances des plastiques, mais également ajouter une dose de complexité.
Est-ce qu'on arrive à évaluer l'ampleur du problème aujourd'hui lié à ces filets fantômes ? Est-ce qu'on en fait une estimation, ce que ça représente par rapport au nombre d'engins de pêche qui sillonnent les mers du monde entier, aujourd'hui, Géraldine Le Roux ?
Alors, il y a une équipe de recherche qui, en se basant sur des déclarations volontaires de pêcheurs professionnels et amateurs, a estimé que c'est de l'ordre de 2 % de tous les engins de pêche qui sont perdus chaque année. Ça va du chalut, chalut de fond ou chalut pélagique, au filet maillant dérivant, celui que j'ai décrit, qui peut mesurer plusieurs centaines de mètres, voire aller jusqu'à deux kilomètres. Ça peut être aussi le simple hameçon ou le fil de nylon. Tous ces engins de pêche peuvent être impactants sur la faune, la flore et aussi potentiellement les activités humaines, ce qui est peut-être moins important. En tout cas, trêve de plaisanterie, ils sont impactants. Un animal va pouvoir ingérer un hameçon ou un fil de pêche en nylon et va se retrouver avec des organes qui seront impactés, ou bien une tortue ou des mammifères marins vont se prendre dans ces filets et vont avoir les pattes natatoires, pour la tortue, qui vont être lacérées. Il y a quantité, depuis plus de cinquante ans, d'études scientifiques qui montrent l'impact de ces filets fantômes sur la faune et la flore.
Avec un fort pouvoir destructeur.
Oui, pour redonner un chiffre un peu terrifiant encore, on parle de 100 000 mammifères marins chaque année qui meurent d'enchevêtrement, d'étouffement et d'un million d'oiseaux. On n'est pas en train de parler de quelque chose d'anecdotique, on est en train de parler de quelque chose qui affecte vraiment très profondément les grandes espèces et celles qui conditionnent les fonctionnements des écosystèmes, également. Puis un autre élément chiffré pour venir éclairer d'une autre façon ce chiffre de la perte, on estime qu'aujourd'hui, ce sont 11 millions de tonnes de déchets plastiques qui finissent dans les océans, chaque année. Sur ces 11 millions, il y en aurait 20 % issus des activités de pêche et d'élevage. Les deux sont rassemblés dans un tout. Ce ne sont pas des chiffres contestés, mais des chiffres de l'OCDE, donc pas vraiment d'une organisation environnementale. Ça donne bien l'ampleur de la problématique et la réalité de cette problématique entre le déclaratif et ce qui échappe au déclaratif, et ce qui parfois échappe même au regard des professionnels eux-mêmes et de la réalité comptabilisée.
Depuis quand on s'y intéresse,
à ces filets fantômes, Géraldine Le Roux ?
Depuis le début des premières enquêtes sur le plastique. Dès les années 1970, 1971, 1972, on a quantité d'articles, à l'échelle internationale, qui sortent et montrent qu'il y a des engins de pêche perdus ou qui dérivent, parfois pendant une très longue durée, voire des années. On va avoir des personnes du littoral qui vont dire qu'ils revoient les mêmes engins de pêche qui sont là et qui, au gré des grandes marées ou des cyclones, reviennent inlassablement. Il faudra des actions pour les enlever, je vais dire un anglicisme, et les sortir de l'eau. Donc ça fait cinquante ans.
Avec les conséquences environnementales qui vont avec ? C'est-à-dire que ça fait cinquante ans qu'on parle aussi des impacts de ces filets ?
Oui, mais à moindre échelle. C'est-à-dire que localement, les gens observent qu'il y a des crabes, des poissons, des espèces protégées, des grandes espèces de la mégafaune qui sont dedans, parfois mortes, parfois blessées, et qui succombent progressivement à leurs blessures. Les gens peuvent, historiquement on l'a vu, essayer d'interagir sur cela. Mais on parle de déchets qui peuvent pour certains peser plus d'une tonne. Il faut alors tout un dispositif pour les sortir de l'eau, puis travailler à la source.
SPEAKER_06_00 Ce n'est pas un sujet qu'on découvre.
Il a cependant des facettes qu'on découvre, notamment celles que j'évoquais, pollution chimique, pollution climatique. Quand on va retirer un filet de pêche dérivant et perdu, c'est évidemment quelque chose de bien, ça fait autant d'individus, d'animaux, qui ne sont pas piégés dedans. Mais ça ne veut pas dire qu'on a résolu toute la problématique, notamment toute la problématique du relargage des microplastiques pendant la vie dans l'océan de ce filet fantôme, le relargage des produits chimiques pendant tout son usage. C'est quelque chose qui est irrémédiablement dans l'océan. Ce n'est pas parce qu'on enlève le déchet qu'on a résolu l'entièreté de la problématique qu'il a posée. C'est quelque chose qui est beaucoup plus récent en termes de recherche et de connaissance, cette appropriation de ces dimensions-là, même sur les microplastiques, puisque ce filet va évidemment se fragmenter et libérer des microplastiques. On fait avec les moyens de la science. Pendant très longtemps, on a travaillé sur les grands microplastiques, les microplastiques qui font entre 5 millimètres et 1 millimètre, et depuis quelques années, on travaille sur les petits microplastiques, ceux qui sont en dessous d'un millimètre, beaucoup plus difficiles à étudier. Aujourd'hui, l'image qui s'esquisse, en tout cas les recherches, notamment les recherches dans le cadre de la mission Tara Microplastiques, montrent qu'ils sont jusqu'à mille fois plus importants en masse que les grands microplastiques. En fait, on est passé à côté d'une dimension de la pollution qui est vraiment très importante et a des effets sur les écosystèmes qui dépassent largement celui de l'enchevêtrement et de la mort par étouffement. C'est une pollution à la base du fonctionnement de l'écosystème, c'est-à-dire une contamination de la chaîne alimentaire dès le début.
Justement, ce terme de fantôme, Géraldine Le Roux, cette métaphore, qu'est-ce qu'elle nous raconte exactement ?
Je pense que c'est un terme qui est très approprié pour plusieurs raisons. Déjà d'un point de vue presque métonymique, il nous permet de parler de la pêche fantôme, sur laquelle il n'y a pas toujours de consensus, même la FAO ou le Comité des pêches n'établissent pas de statistiques.
Qu'est-ce que ça veut dire la pêche fantôme ?
Ce sont ces engins de pêche qui vont continuer et continuent à capturer des espèces, soit les espèces pour lesquelles ils ont été fabriqués, soit d'autres, et bien souvent c'est d'autres bien évidemment, puisqu'ils ne sont plus liés au navire, donc ils pêchent indistinctement, ils les capturent. En fait, pourquoi on parle de fantôme ? Parce que, par leur matérialité même, à un moment donné, on ne va pas les voir, les espèces ne vont pas les voir. Il y a des très grandes différences, on a une heure et demie, on peut peut-être entrer dans le détail. Certains engins de pêche, une fois qu'ils sont déconnectés du navire, vont s'entortiller et devenir presque comme un édredon. Là, peut-être vont-ils moins capter, mais on parlera des espèces invasives qui vont se développer dessus. D'autres vont continuer un peu à être comme un filet maillant, soit à capturer ce qu'ils trouvent sur leur chemin, le long de la dérive océanique. Ils sont fantômes parce qu'ils ne sont plus connectés à l'intention humaine qui va, plus ou moins, suivre le bon sens et des cadres contraignants. Ils sont fantômes aussi de manière presque littérale, c'est-à-dire que même pour des humains, lorsqu'on est, par exemple, des navigateurs en Océanie ou en Afrique ou, ici, en Bretagne ou encore ailleurs, j'ai l'habitude de faire mes conférences en Bretagne, on peut se retrouver presque happé par cette chose-là. Il suffit qu'il y ait un soleil rasant et le filet, s'il est à fleur d'eau, d'un coup il surgit. Si on est un plongeur et qu'on est au fond des océans, on peut, à un moment donné, avoir une masse qui va se dresser devant nous, assez effrayante à juste titre parce qu'on peut se retrouver très facilement pris dans ces tentacules filaires. C'est presque littéral qu'on puisse l'appeler fantôme. Métaphoriquement, c'est aussi parce qu'il y a toutes ces entités non humaines qui sont mortes dedans. Puis il y a une sorte de surgissement de présence et c'est sur cette valeur un peu symbolique que des artistes vont construire une pratique et une resémantisation.
C'est-à-dire qu'ils ont une vie propre finalement, ils s'échappent de l'humain pour acquérir un fonctionnement autonome.
Tout à fait. Ça impacte, on l'a dit, la vie animale océanique, mais aussi ça va sur les strands et peut étouffer des mangroves, par exemple, des écosystèmes très fragiles. Donc, il y a une quantité d'impact flagrante.
Henri Bourgeois
Costa, lorsque Tara, votre Fondation, a commencé à travailler sur la question des plastiques, qu'est-ce que vous avez découvert exactement ?
La recherche de Tara a porté longtemps sur le vivant, elle porte toujours sur le vivant, c'est le moteur, beaucoup de travail sur les micro-organismes marins. Quand on s'intéresse aux micro-organismes marins, la question du plastique s'impose, c'est un peu arrivé comme ça à Tara. Quand on relève du microplancton, on a en même temps dans le filet du plastique. Le constat initial, c'est que cette pollution plastique est partout. Quel que soit l'endroit où on recherche des micro-organismes, on ramène en même temps une pollution plastique importante. Ça a donné lieu à plusieurs missions scientifiques, notamment Tara Méditerranée en 2014, la première mission qui a révélé l'ampleur de la pollution plastique en Méditerranée. Celle-ci n'est pas forcément connue pour ses gros déchets, ce n'était pas documenté, mais on s'est rendu compte qu'il y avait une pollution massive par les plastiques, en l'occurrence en Méditerranée, est une pollution par des microplastiques pour l'essentiel. Cette première chose a mené à une deuxième mission, Tara Microplastiques. L'idée, c'était de comprendre, en Méditerranée, mais également sur l'ensemble du littoral européen, en particulier neuf des plus grands fleuves, ce qui se passait entre les fleuves et la mer, finalement. Ces microplastiques que toutes et tous, en tout cas les scientifiques, imaginaient comme le fruit de la dégradation des gros déchets, était-ce réellement le cas ? La surprise a été assez importante : les microplastiques sont déjà très présents dans les fleuves ; l'essentiel de la pollution plastique dans les fleuves, ce sont déjà des tout petits objets, des tout petits morceaux. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu'on a aujourd'hui un gisement à terre, un gisement dans l'atmosphère de microplastiques, qui est absolument gigantesque. Au cours des épisodes climatiques un peu forts, pluies violentes, orages, il y a des phénomènes de lessivage qui emmènent cette pollution-là vers les océans. Ce fantôme dont on parlait au début, c'est bien lui. Il y a tout un aspect qui nous échappait complètement. La question du plastique est une question des usages, des usages quotidiens. La pollution de l'océan ne fait que révéler quelque chose qui se passe très loin de l'océan, dont le filet fantôme n'est qu'une toute petite composante, vraiment infime dans la globalité de la pollution. Celle-ci est devenue absolument universelle, elle concerne tous les êtres vivants qui contiennent du plastique aujourd'hui, vous et moi, les fœtus humains avant même d'être nés ont déjà des plastiques dans le corps, l'ensemble des organismes et l'atmosphère. On marche sur du plastique là, ce type de sol est générateur de microplastiques. Donc, cette question-là nous a amenés, à la Fondation Tara, à nous interroger : comment va-t-on chercher des solutions ? Évidemment des solutions à la pollution globale, je ne parle pas de solutions à la pollution par les filets fantômes, qui sont néanmoins très en amont et très loin de l'océan. Ce
n'est pas juste nettoyer, c'est bien prévoir les choses.
Exactement. Finalement, on est un peu les victimes de la recherche scientifique, je le dis gentiment, mais la connaissance de la pollution plastique a commencé par l'océan, par cette prise de conscience de la présence des macrodéchets. Elle a construit tout un imaginaire collectif autour de cette problématique-là, c'est-à-dire qu'on s'est posé la question de la pollution dans l'océan : comment nettoyer l'océan ? On a mis très longtemps avant de se poser la question : comment couper le robinet de cette pollution qui finit par se déverser dans l'océan ?
Donc, où qu'on aille aujourd'hui, du pôle Nord au pôle Sud, dans tous les océans du globe, on a ce problème systémique.
Du pôle Nord au pôle Sud, de la surface jusqu'au plancher océanique, de la terre jusqu'à l'atmosphère.
Il n'y a plus un endroit, il n'y a plus une poche aujourd'hui épargnée par la question du plastique, même dans les abysses, dans les lieux les plus profonds des océans.
Je pourrais même vous faire la réponse d'un de nos experts scientifiques avec qui on travaille, qui, à la question d'un politique qui était la même que la vôtre, a répondu : « Le seul endroit où on ne trouve pas de plastique, c'est là où on ne le cherche pas. »
Géraldine Le Roux, vous parlez de déchets mémoire au sujet de ces filets fantômes.
Ce n'est pas tout à fait cette expression que j'emploie, mais c'est sûr que le déchet peut être vecteur d'une mémoire. En tout cas, il peut interroger aussi nos pratiques. En anthropologie des déchets, il y a une longue tradition selon laquelle Mary Douglas, une anthropologue britannique, dès les années 1960, définissait le déchet comme quelque chose, notamment une matière, mal placé. Les écotoxicologues peuvent fournir une autre définition sur laquelle Henri reviendra sûrement.
Comment faut-il le comprendre, mal placé ?
Justement, c'est la question de l'ordre culturel. On en arrive à ce que les cultures acceptent, autorisent, et ce qu'elles définissent comme une non-pratique, des choses qu'elles ne veulent pas voir, peut-être. Pendant longtemps, on a des personnes qui ont évoqué la surconsommation. On a des artistes qui, dès le début du 20e siècle, ont parlé du plastique, à terre, en milieu terrestre, et qui ont dénoncé les absurdités en termes d'inégalité sociale, d'inégalité environnementale, d'injustice. Aujourd'hui, on nous parlerait de justice sociale et de justice environnementale. Ça fait un siècle que cette société de surconsommation est questionnée. Mais on ne s'y intéressait pas, jusqu'à peu. C'est vrai que le déchet marin, me semble-t-il, est un révélateur de pratique dysfonctionnelle parce qu'il touche un espace que l'on va, dans notre culture européano-américaine, occidentale, définir comme étant de la nature. Aujourd'hui, on a des gens, on en parlera tout à l'heure, qui participent à des actions dites de nettoyage de plage. Souvent, ces gens-là vont ramasser ces déchets, comme s'ils cherchaient à ré-ensauvager cette nature. Il y a les travaux d'un collègue, Denis Blot, qui a montré, en faisant une ethnographie de ces actions, que les gens nettoyaient la plage, mais quand ils voyaient des déchets sur le parking, par exemple, ils ne les ramassaient pas spontanément. Qu'est-ce que ça nous dit ? Ça nous dit qu'il y a un ordre et des espaces qui sont régulés. Selon ces personnes, le parking est un espace culturel. Donc c'est à la mairie, à l'État, à je ne sais qui, de le gérer. La nature, elle, serait potentiellement à tout un chacun. Il faut, disent-ils, la ré-ensauvager en enlevant le déchet. Bien évidemment, il a été montré que c'est enlever une aiguille dans une meule de foin. C'est bien de manière systémique qu'il faut trouver une solution à ce problème. Mais en tout cas, il y a des personnes qui vont quand même considérer que le déchet interroge sur des pratiques professionnelles, sur de l'intime, sur ce que l'on fait à nos corps, mais aussi aux entités non humaines. Donc, il y a des artistes qui vont travailler sur ces lambeaux de mémoire, à partir du déchet marin.
Vous parlez de lambeaux de mémoire, en fait ?
Oui, parce qu'il y a quelque chose de l'ordre du réalisme, mais aussi une surinterprétation, une extrapolation. Ce que les artistes vont développer, parfois, va s'ancrer dans un réel professionnel ou un quotidien culturel, mais il peut aussi y avoir toute une tradition d'imaginaire ou la création d'un nouveau récit.
Donc, ça raconte aussi cette culture maritime ?
Tout à fait. J'ai pu observer, autour de cet art des ghostnets, ces objets faits à partir de filets de pêche, soit un mouvement artistique qui a émergé en Australie, on en parlera peut-être tout à l'heure, soit aussi d'autres artistes qui, à travers le monde, se saisissent, comme beaucoup de cultures l'ont toujours fait, de ce que la mer apporte et vont l'interroger, l'utiliser directement. Parfois, c'est très pratique, ce que la mer apporte, ils vont simplement le transformer pour créer un autre monde.
Henri Bourgeois
Costa, Tara évoque la plastisphère ? C'est un mot que vous employez ?
Hélas, oui, ça définit ces micro-organismes qui se fixent sur les petits morceaux de plastique, comme sur les grands, et ça crée un « écosystème », le mot est un peu fort, mais en tout cas un système du vivant un peu particulier. Ça va favoriser certaines bactéries, on parle plutôt de micro-organismes, certains virus, certaines larves, au détriment d'autres. Ça va remodeler l'écosystème, donc on parle bien de plastisphère, un monde qui est en train de se construire avec le plastique qu'on a mis dedans.
Ça veut dire qu'il y a une adaptation, aussi, de certains organismes dans les limites du possible, mais certains en font quasiment une opportunité. On pourrait dire les choses comme ça ?
Complètement, le vivant s'adapte toujours à tout. La question n'est pas de savoir
si un monde plein de plastiques sera un monde sans vie ; c'est un monde où il y aura de la vie. La question est de savoir si ce sera le même monde que celui qu'on connaît, le même que celui qui nous est vivable aujourd'hui, le même que celui qui est vivable par nos espèces commensales, celles qu'on embarque dans cette catastrophe.
On peut parler d'une sorte de niche écologique artificielle ?
Oui, de reconstruction d'un équilibre dans le déséquilibre.
Géraldine Le Roux, vous parliez justement de ces personnes qui vont ramasser les déchets sur les plages. En Bretagne vous observez les pratiques de glanage, est-ce que c'est la même chose dont on parle ou pas ?
Oui.
Ça raconte quoi, ce geste ? On peut y revenir un petit instant parce qu'il est intéressant. On a tous vu ces gens ramasser des déchets, on l'a parfois fait soi-même d'ailleurs sur les plages, en se donnant bonne de conscience d'ailleurs, en ayant presque l'impression qu'on allait sauver le monde. Qu'est-ce que ça raconte pour vous ?
Pour moi ça commence déjà par raconter un attachement à un territoire, que ce soit un territoire auquel on est lié par la culture ou un territoire auquel on est lié justement par un sentiment de nature et d'obligation vis-à-vis de ces entités non humaines. C'est quelque chose qui se développe. Il y a des journées mondiales du nettoyage de plages, avec des structurations plus ou moins efficaces parce qu'elles permettent de mettre en place des protocoles qui, in fine, alimentent la recherche scientifique et permettent de déterminer de manière précise les pertes, les conséquences.
Il y a une science participative ? Tout à fait, exactement.
Autour de ces nettoyages de plages, aujourd'hui se développent aussi des applications. Il y a Fish & Click, une application de l'Ifremer, qui permet à tout un chacun, quand il va sur un littoral, de photographier le déchet qu'il voit. Il est fortement recommandé qu'il le prenne en photo, le ramasse et le mette dans les poubelles, ce qui permettra aux statisticiens de continuer à faire leur travail. Ce qui est intéressant pour moi, ce que j'ai pu remarquer de manière ponctuelle sur certains littoraux, c'est que les déchets plastiques, ceux de notre quotidien, étaient systématiquement ramassés parce que c'était de l'ordre du désordre, selon la définition de Mary Douglas, quelque chose qui n'a rien à faire là. Autour des petits fils de pêche, ceux qui sont issus du ramendage, il faudra dire tout à l'heure que les pêcheurs ne délaissent pas systématiquement leurs engins de pêche…
C'est quoi, le ramendage ?
Le ramendage c'est l'opération où on répare, c'est comme si on recoud son engin de pêche, en l'occurrence, presque exclusivement le chalut. Il faut imaginer une aiguille avec un fil. Sur les quais portuaires, mais en mer aussi, régulièrement, les pêcheurs doivent ramender, réparer le chalut abîmé. Ils vont utiliser un autre type de fil pour marquer l'espace recousu qui est plus fragile par nature. Régulièrement, en fin de bobine, il y a des petits bouts qui traînent. Parfois ils vont les jeter, ou si les bouts traînent, s'ils tombent sur le quai, il suffit qu'il y ait un coup de vent et on revient à ce que Henri disait, il y a une dispersion par voie atmosphérique, ruissellement de l'eau ou du vent. Donc on a ces petites choses-là, insignifiantes a priori, qui se retrouvent dans l'océan et ensuite sur les littoraux. J'ai pu constater que parfois les gens ne les ramassaient pas. Je me suis interrogée sur ce geste-là et il semble que finalement il y a presque de l'ordre de l'invu. C'est comme si culturellement, on avait appris à se dire : oui, c'est un engin de pêche, il fait partie du littoral, il est là. En plus, très souvent, ils peuvent être très profondément enfouis sous le sable, ils peuvent être, pour certains, ceux qui ne sont pas issus des ramendages très lourds, donc sortir une corde marine, c'est compliqué. En fait, ils font partie du paysage, à tel point que j'ai même un jour fait un entretien avec un photographe sur la presqu'île de Crozon, dont je trouvais les photos très esthétiques, en effet. Je l'ai interrogé en me disant : est-ce qu'on pourrait conduire un entretien sur cette question du plastique ? Il a refusé l'entretien parce que je souhaitais travailler sur la question du plastique et que lui se revendiquait photographe de paysage, que pour lui, le paysage marin, le littoral du 21e siècle, était cette chose hybride, qui allie nature et culture. Il me semble que sur les actions de nettoyage, ça a ce côté d'exemplarité où on va apprendre aux gens le problème et les amener à interroger ce problème avec ses répercussions chimiques sur le vivant, quel qu'il soit. Ce
sont des gens très informés, en général, qui procèdent à ces ramassages ?
Non, il y a un peu de tout. Bien sûr, il y a des gens qui sont des activistes environnementaux, mais aussi des badauds qui viennent se promener le dimanche ou qui, à un moment donné, développent presque une sorte de routine. Ils apprécient presque ce geste de glaner. Donc, on va aller chercher la couleur ou la texture pour servir peut-être un geste d'artiste, que ce soit le leur ou ceux d'autres personnes. Enfin, pour répondre à votre question, il y a aussi beaucoup d'écoles qui, maintenant, de manière ponctuelle, dans le cas d'une éducation à la mer ou à la biodiversité, vont glaner.
Il y a une esthétique du filet, aussi. C'est vrai, quand vous évoquez ce paysage de plage, on voit ces filets et on n'est pas forcément choqué par leur présence.
Oui. Une des enquêtes que j'avais pu mener au tout début laissait entendre que même pour des Bretons, les filets, c'était du noir et du gris, du blanc, quelque chose d'un peu banal, sans intérêt. En fait, c'est par le geste du glanage puis d'exposition aussi, que les gens se rendent compte qu'il y a une palette de couleurs, une palette chromatique absolument incroyable. Aujourd'hui, en effet, les engins de pêche peuvent être très techniques et coûtent parfois très cher. C'est ce qui fait que beaucoup de pêcheurs ne veulent pas les perdre et vont tout faire pour ne pas les perdre. On parlera aussi, par le biais de la science participative, d'outils qui permettent de géolocaliser l'engin de pêche accidentellement perdu ou potentiellement identifié par des pêcheurs et des plongeurs. Mais, en tout cas, c'est paradoxal. Je sais qu'il y a des écologues qui sont embêtés quand je parle de cette esthétique du filet, parce qu'ils vont me dire que ça ne se fait pas de dire qu'un déchet, c'est beau, ça va être contre-productif. En travaillant avec les personnes qui font du ramassage ou des visiteurs d'expositions ou des participants à des workshops, je me rends compte que, au contraire, cette forme d'esthétisation amène une notion de joie et nous sort du caractère un peu plombant de l'écoanxiété, de la solastalgie, etc. On pourra en discuter, je crois qu'on a toute la soirée.
Un joli sujet de controverse, en tout cas, et de discussion. Encore un tout petit mot avant de passer à Henri Bourgeois
Costa. Est-ce que c'est un geste ancien, le glanage, cette pratique, justement ?
Bien évidemment. C'est même André Leroy-Gourhan qui, très tôt, a dit : « Qu'est-ce que ça fait chez nous, humains, de collecter du naturel et de l'entropie ? Qu'est-ce que ça nous dit de notre civilisation ? » L'homme a toujours été attiré par la chose et a toujours eu ces gestes et ces actions de collecte et de conservation, en fait.
Ça raconte aussi un lien entre l'humain et l'océan quand même, quand c'est procédé comme ça sur une plage, évidemment.
Oui. Il y a quelque chose de l'ordre du mystère avec le déchet marin, qui fait que certains badauds vont plus facilement collecter le déchet marin que le déchet dans la rue, dans la zone urbaine. Peut-être qu'il se charge d'une sorte de substance un peu magique, celle de cette pérégrination océanique. Mais là, c'est un imaginaire qu'il nous faut en effet requestionner parce que derrière, il y a des polluants organiques persistants qui sont loin d'être beaux et bons pour tout un chacun. C'est sur ça qu'il nous faut travailler. Mais en même temps, beaucoup de scientifiques l'ont dit très tôt. Aujourd'hui, on continue et la production ne cesse d'augmenter. Donc, il faut aussi travailler à ces récits-là.
Henri Bourgeois
Costa, quel regard vous portez sur ces citoyens et citoyennes qui ont ces actes de ramassage du plastique ? Est-ce que ce n'est pas finalement peine perdue ?
Mon regard est évidemment beaucoup moins poétique et désespérément moins poétique. Il est marqué par mon métier. La première chose que je vois, c'est un magnifique hold-up sur l'inconscient collectif. Un hold-up opéré par des lobbies qui n'ont de cesse, depuis plus d'un demi-siècle, de ramener la question de la pollution plastique vers l'inconscient collectif autour de la responsabilité individuelle, du geste incivique de l'abandon, donc de la culpabilité. Cette culpabilité amène à nettoyer comme une espèce de purgatoire obligatoire pour pouvoir sortir grandi et avoir renaturé la nature. Ce n'est pas du tout le fait du hasard. Cette relation qu'on a au déchet est vraiment construite par des organisations que vous voyez opérer au quotidien, sans vous en rendre compte. Quand vous prenez une gare et que vous avez une campagne de publicité qui vous dit, je cite : « Marie n'aurait pas dû jeter son déchet plastique, il y avait mieux à faire, trier, recycler ». Ce n'est pas le fruit du hasard. C'est une organisation qui est financée quasiment à 100 % par des metteurs en marché, des producteurs d'emballage et des metteurs en marché d'emballage. Quelle est la réalité scientifique derrière ? Elle est nulle. Quand on commence à regarder quel est le geste volontaire d'abandon, il y a très peu d'études au monde d'ailleurs, là-dessus, c'est assez révélateur, le fait qu'on se soit très peu penché là-dessus. Par contre, ça occupe la quasi-totalité de la réglementation mondiale. Presque tous les textes parlent du geste incivique. En France, plus de 75 % des textes réglementaires parlent du geste incivique. Or, on a deux études en France sur ces plastiques abandonnés volontairement. À chaque fois, on est en dessous de 10 % des plastiques qu'on trouve dans l'environnement. C'est-à-dire que ce geste incivique est un non-sujet, pour autant il occupe toute la place, pour autant il nous oblige et nous amène à faire des choses comme le nettoyage de plages, etc. C'est la première chose que ça évoque, et la deuxième...
Sauf que, pardon, mais pourquoi ça occupe toute la place, justement ? C'est complètement construit par les lobbies, précisément, du plastique. C'est peut-être là aussi qu'il faut préciser les choses.
Parce que derrière cette narration-là, il y en a une autre qui arrive tout de suite derrière : si le problème, c'est le geste incivique, la solution, c'est de résoudre l'incivisme. Donc, il y aurait une économie du plastique qui serait vertueuse, 100 % de plastique collecté, 100 % de plastique recyclé. Sauf que c'est une fable qui ne tient pas trente secondes scientifiquement, d'une part parce qu'on n'est pas capable de collecter 100 % du plastique, déjà. Des plastiques qu'on pourrait qualifier d'abandonnés par nature, fabriquer un filet dont on sait qu'une partie va forcément échapper à un moment ou à un autre aux pêcheurs, pour des raisons de météo violente qui font qu'on va être obligé d'abandonner son filet, ou de casse, ça peut arriver, etc. C'est déjà construire une économie du plastique qui ne permet pas de le récupérer à 100 %. Derrière, ce plastique, on l'a dit, va relarguer des polluants, émettre des gaz qui contribuent au réchauffement climatique. Il va relarguer des produits chimiques qu'on ne va jamais récupérer. Toute la narration qui a été construite, c'est pour nous faire croire qu'il y aurait un modèle vertueux de l'économie du plastique. Or ce modèle vertueux n'existe pas. Il n'y a pas d'économie vertueuse du plastique. On pourrait même aller plus loin, on peut même dans certains domaines se poser la question de la pertinence écologique, sanitaire de recycler certains plastiques. Peut-être, d'ailleurs, est-il mieux de ne pas les recycler, peut-être que certains plastiques sont tellement toxiques, tellement problématiques, que ça ne vaut pas le coup. Là encore, on peut s'étonner qu'il y ait très peu d'études sur les bénéfices-risques sanitaires et environnementaux du recyclage. Quand il y en a, les résultats ne sont pas extraordinaires. On a une étude qui date de l'automne dernier, une étude de sept universités européennes sur les PE, polyéthylènes, qui est une autre famille de plastiques recyclés. C'est un plastique qu'on considère comme un des plus banals, un des moins problématiques. Ce que révèle cette étude, c'est que ces PE recyclés ont une charge toxique qui est monstrueuse, bien plus importante que celle des matières vierges. En fait, à quoi ça sert de faire cette narration ? À quoi ça sert de focaliser l'attention du public sur ce geste incivique, sur le non-geste de tri ? Ça sert juste à détourner l'attention de la réalité de la solution, et la réalité de la solution, il n'y en a pas d'autres que celle de réduire la production et la consommation de matière plastique.
Alors, qui sont les responsables, parce que vous ne les nommez pas ?
On peut revenir à l'origine de la problématique. On a tous cette image des plastiques qui sont arrivés presque par magie. Ils se seraient imposés à la société, parce qu'ils sont fantastiques, ils sont absolument pratiques, ce qui est absolument faux. Ce n'est pas du tout comme ça que ça s'est passé. Les plastiques sont fabriqués à partir d'un sous-produit des matières pétrolières, dont la pétrochimie ne savait que faire. Coup de génie des chimistes, on a réussi à en faire des matières, les matières plastiques. Ces matières plastiques ne se sont pas imposées. Il y a eu des armées de commerciaux, des armées de chimistes qui ont travaillé à en faire mille et un usages, à tel point qu'aujourd'hui, ces usages-là rendent notre société captive. Mais ça a été fait volontairement. Ce n'est pas du tout le fruit du hasard. Pour dire nommément les choses, les responsables, c'est le secteur de la pétrochimie.
C'est quand même bien de les nommer une fois pour toutes et clairement. Géraldine Le Roux, vous dites que ces filets continuent de capturer, vous l'avez dit un peu tout à l'heure. C'est une métaphore très importante pour parler du capitalisme industriel et de ses effets aujourd'hui sur la nature ?
Oui et non. Oui, parce que certains de ces engins sont tirés par une flotte qui est associée à l'industrie capitaliste, à la pêche industrielle. Non, parce que beaucoup de ces engins de pêche sont aussi issus d'une petite pêche artisanale. Il y a quantité d'exemples. Il faut casser des représentations un peu romantiques que l'on pourrait avoir, même des pêches patrimonialisées, des gestes. Par exemple, à Rapa Nui, sur l'île de Pâques, dans une aire marine protégée qui a en effet été coconstruite par des partenaires qui se targuent beaucoup d'être dans une dynamique positive, certains de ces gestes, certes, sont anciens et transmis de génération en génération, ils sont dits traditionnels. Mais aujourd'hui, les matériaux utilisés, c'est le fil de nylon. À ce jour, il n'y a pas particulièrement, sur cette île comme dans d'autres îles du Pacifique ou d'autres régions du monde, de souhait à réintégrer des matériaux naturels. Comme on le disait, le plastique est aussi pour certains fantastiques. Il a des qualités absolument incroyables. Il s'agit bien de montrer la dangerosité de ces plastiques. Par exemple, dans le Pacifique, on pourrait en parler longuement, un premier élément de réponse à votre question : ils ne sont pas si avant-gardistes ou si proactifs dans la lutte contre la pollution plastique, parce que c'est d'abord et avant tout une lutte un peu systémique qu'ils mènent, car ils sont parmi les premiers directement impactés par le changement climatique, l'érosion côtière, la surpêche et la pêche illégale. Il s'agit mieux pour eux de réinviter à des gestes qui soient respectueux du vivant et des générations suivantes. C'est vrai qu'à ce jour, que ce soit par le plastique, les polluants organiques persistants ou certaines activités industrielles, on est irrespectueux de ceux qui vont nous suivre.
Henri Bourgeois
Costa, le traité international qui était en discussion en août à Genève autour du plastique, a-t-il abordé ce type de déchets que sont les filets fantômes ou pas ?
On a beaucoup de mal à parler de cas très précis, très particuliers. Les discussions et les négociations se font plutôt sur l'amont, qui est le cœur, vous l'avez bien compris, de l'enjeu et de la problématique, la réduction de la production mondiale. Finalement, on parle très peu d'océan. C'est à la fois incroyable et en même temps plutôt positif. Aujourd'hui, les acteurs dans ces négociations qui portent la question de l'océan, c'est plutôt dans une logique de détournement de l'attention, de la vraie solution. C'est plutôt pour mettre en avant des solutions de nettoyage et de valorisation de ces déchets.
Donc l'océan n'a pas été abordé ?
L'océan est abordé au travers de l'ensemble de la problématique et du constat que ces pollutions plastiques sont partout. Comme elles sont partout, si on veut diminuer la pollution de l'océan, il faut diminuer la production et la pollution globales.
C'est toujours l'histoire de la source. Si je peux me permettre de rebondir sur ce qui a été dit précédemment,
je rejoins pleinement ce que Henri vient de développer. Mais ceux qui participent aux sciences participatives comprennent que le plastique qu'ils vont potentiellement collecter sur le littoral ou en milieu urbain est issu d'un problème structurel et qu'il faut travailler, en effet, auprès de l'industrie et auprès des États pour qu'il y ait des pratiques contraignantes. Ils se rendent compte que bien trier ne suffit pas. Si on a la cuillère en plastique pour manger sa glace sur une île en vacances, par une action de dispersion naturelle, que ce soit le goéland ou le vent, elle vivra sa fin de vie dans l'océan. Je pense que, aujourd'hui, il y a une vraie connaissance de la part d'un grand nombre de personnes qui sont en attente d'une action par les décideurs.
Encore une notion intéressante,
j'en ai parlé très rapidement tout à l'heure,
c'est le miroir entre le visible et l'invisible. C'est quelque chose sur lequel vous avez travaillé en tant qu'anthropologue. Qu'est-ce que ça nous raconte justement de cette pollution plastique ?
La question est un peu ardue. Aujourd'hui, les gens savent que le plastique est un problème. Il y a le texte d'un grand auteur chamorro qui s'appelle Craig Santos Perez, et qui vient d'être traduit en français par les éditions Bruno Doucey. Il écrit un texte à sa fille qui vient de naître et témoigne de cette absurdité de notre société. Son texte me fait penser aux travaux de Van Gennep qui disait, à propos des différents âges de la vie, que c'est du berceau à la mort. Le plastique, aujourd'hui, nous accompagne du berceau à la mort, du fœtus jusqu'à la génération suivante. Parler des filets fantômes, c'est parler de cet invisible qui imprègne les corps et se transmet de génération en génération parce qu'ils sont bio-accumulants, notamment.
Une des grandes difficultés qu'on a à traiter cette question du plastique est profondément ancrée dans notre perception, celle de matériaux inertes. On est en boucle sur cette question du déchet. On a bien démonté le côté, ça ne marche pas et ce n'est pas le tri et le recyclage qui… Néanmoins, dans notre rapport à l'objet, on n'y voit pas quelque chose de toxique. L'exemple qui l'illustre le mieux c'est celui de ce gobelet qui est en cellulose avec un petit bout de film plastique pour rendre le carton étanche parce que, jusqu'à preuve du contraire, le carton n'est pas naturellement étanche. On s'est battu à la Fondation Tara pour obtenir quelque chose qu'on n'a pas obtenu, c'est que ce petit logo infâme qui ne veut rien dire et que personne ne regarde, soit remplacé par le vrai logo par lequel il aurait dû être remplacé, c'est-à-dire un logo officiel que vous connaissez toutes et tous. Logo qui est sur vos produits ménagers avec un poisson mort et une croix à côté qui dit « toxique pour l'environnement ». Le plastique est un poison chimique. Dans les plastiques, notamment dans celui-là, il y a probablement des choses très problématiques du type plastifiant, vous connaissez tout ça sous le nom de phtalate, ce n'est pas terrible pour la santé, ça a pu être remplacé à d'autres moments par d'autres encore moins sympas pour la santé, qui s'appellent les PFAS. Certains PFAS sont des plastiques polymérisés. Tout ça est très dangereux pour la santé. Mais aujourd'hui, on n'est pas dans l'acceptation de cet aspect-là de la problématique. Donc c'est difficile de traiter du problème. Ce
sont des industriels qui ne sont pas dans l'acceptation.
Oui, les industriels, les décideurs politiques et économiques.
Il y a les travaux d'une collègue qui s'appelle Hélène Arthaud, je crois qu'elle va être invitée prochainement à ce cycle. Elle parle à propos des humanités océaniques et dit que dans l'anthologie océanique qui existe sur terre, on peut éventuellement dégager une perspective atlantique et une perspective pacifique, en se basant sur toute l'histoire de la navigation et nos rapports à l'océan. La perspective atlantique, c'est cette histoire, depuis notre XVIe siècle, de nos grands navires européens qui partent et ont besoin de toute la machinerie pour conquérir les mers et transformer les poissons en ressources, etc. Dans d'autres régions du monde, par exemple dans le Pacifique, la perspective pacifique va être beaucoup plus relationnelle. Elle va se baser sur une cartographie qui sera sensorielle, qui l'était et continue en partie à l'être. Les personnes vont être sensibles à des signes et vont apprendre à les lire. En considérant que les entités marines sont des ressources halieutiques que l'on doit extraire, que l'on doit consommer, et que notre technopoïèse a toujours raison et amène toujours à plus de progrès, plus de solutions, on se dit que le plastique est un problème, mais qu'on va bien trouver une solution technologique pour y répondre. Ce qu'on vise à faire, que ce soit des artistes ou d'autres intellectuels non occidentaux, c'est peut-être à se resensibiliser au monde. On a, et Hélène Arthaud le montre très bien, depuis les années 1970 en Europe, été un peu plus sensible à l'océan et à ce qui le peuple. On a tout un imaginaire des documentaires avec Cousteau, etc. Mais comment est-on sensible à la fois au vivant et à cette fumée qui nous environne ?
Puisqu'on parle d'art, parce qu'on peut à la fois parler de poison et d'art, la Fondation Tara fait souvent appel à des artistes. Qu'est-ce que ça peut apporter à ces dossiers éminemment importants ?
Je ne suis pas le mieux placé pour en parler. J'ai des collègues en face de moi qui seraient bien plus pertinents pour en parler. En deux mots, le rapport qu'on a au monde est une vision qui est très tournée vers la science, aujourd'hui. On a besoin d'autres formes de vision qui viendraient alimenter ce que vous évoquez et nous permettraient peut-être d'avoir un rapport au monde qui change et serait d'ailleurs un des éléments du changement, de la prise de conscience. Autrement dit, les poissons ne sont pas des ressources, ils sont des êtres vivants. On peut les percevoir autrement que simplement comme du stock à gérer. Je ne parle même pas d'exploiter, je parle de gérer. Cette conception qu'on a en économie-écologie est assez effrayante de considérer le reste du vivant comme du stock. Je trouve que le terme est d'une violence absolue. Le fait de faire appel à des artistes, à des gens qui ont une sensibilité qui vont nous donner à voir le monde différemment, nous permet de faire ce pas de côté et d'avoir une réflexion qui s'enrichit. J'ai finalement envie de dire que ça nous permet aussi de nous poser la question, vous parlez, Géraldine, de progrès. J'ai envie de réhabiliter un concept d'un grand monsieur qu'on ne cite plus du tout. C'est un géographe du XIXe siècle, qui s'appelle Élisée Reclus et qui, face à ce mot progrès, en avait opposé un autre qui est celui de régrès. Lequel, en gros, consisterait à dire que ce n'est pas parce qu'on va en avant que c'est quelque chose qui est positif. On pourrait aller en avant, mais ça constituerait un pas en arrière pour l'humanité. Le fait d'avoir justement cette temporalité, ce décalage de vision entre de la recherche technologique, la recherche appliquée, la production et, de l'autre côté, avoir une vision poétique du monde permet peut-être d'avoir cette capacité d'analyse et de considérer ce qui est du progrès et du régrès.
Géraldine Le
Roux, il y a des mouvements artistiques autour de ces filets fantômes ?
Oui. Celui qui est le plus structuré et a fait l'objet d'une reconnaissance institutionnelle à l'échelle internationale a émergé en Australie en 2009, à la suite d'actions écologiques et d'une alliance entre des écogardes, des rangers comme on les appelle en Australie, des scientifiques et des marins-pêcheurs. Les artistes, eux, ont été invités à faire quelque chose de ce stock de déchets qui avait été sorti de l'eau et qui, sur des territoires géographiquement éloignés des grands centres urbains, n'avait pour finalité que d'être enterré ou brûlé, deux solutions qui ne sont pas viables. Donc, les artistes ont été invités à travailler. Certains ont réinterprété des gestes anciens, de vannerie, par exemple, et ils ont fabriqué des paniers en tressant des fibres synthétiques comme on tresserait des fibres végétales, en adaptant bien évidemment le geste à la matérialité qui est très particulière : ce filet fantôme peut être à la fois dense et se dégrader, devenir cassant, ça dépend du matériau et de son cycle de vie. D'autres ont inventé de nouvelles manières de faire avec, en empruntant au langage de l'art contemporain ou au monde du théâtre. Puis, à un moment donné, ils sont sortis un tout peu de cette dynamique uniquement restauratrice d'un territoire et se sont pris de passion pour ces nouveaux matériaux qui sont, de toute manière, sur ces territoires-là. On est dans le nord de l'Australie, on est sur le golfe de Carpentarie. Au milieu de l'Australie nord-ouest, vous avez la ville de Darwin puis, sur la partie un peu plus à l'est, vers la Papouasie–Nouvelle-Guinée, vous avez Cairns et le cap York. À ce niveau-là, vous avez un golfe dans lequel les courants marins vont amener tous les déchets marins qui sont à peu près à l'échelle de l'Asie du Sud-Est. Il y a une sorte de logique de machine à laver qui fait que, par les courants, on a une sorte de gyre, de tourbillon naturel, dans lequel les déchets restent et pénètrent.
Est-ce que c'est ce qu'on appelle les continents plastiques ou c'est encore autre chose ?
Ce n'est pas un continent plastique, il n'est pas identifié comme tel, à juste titre. Mais on a cette dynamique océanique qui fait qu'il y a une concentration de déchets. Si on n'enlève pas ces déchets, ils restent puis régulièrement, au gré des marées ou des périodes cycloniques, ils vont venir à proximité de la côte et impacter faune, flore et activités humaines. Les artistes, en quelques années, ont développé un mouvement artistique à part entière. Ce qui est très intéressant, c'est que celui-ci a suscité un intérêt émanant des différentes institutions, aussi bien le monde des aquariums que le monde des musées d'ethnologie parce qu'il y avait une continuité de gestes et de formes, et le monde de l'art contemporain. On a eu des expositions lors de la conférence Océans à New York en 2016. On a eu en même temps à la Biennale de Sydney, qui est l'un des plus grands événements d'art contemporain, une exposition d'œuvres un peu plus abstraites. Donc, on a vraiment des artistes qui se sont saisis de ce matériau.
Et pour en dire quoi ? Est-ce qu'il y a un message derrière ? Parce que si c'est juste pour faire de l'art et de l'esthétique, vu l'ampleur du problème que vous nous avez décrit, on peut rester un peu sur sa faim, quand même. Non,
c'est polysémique. C'est d'abord et avant tout pour parler du problème écologique, qui est un problème qui vient en grande partie d'ailleurs. Il faut bien qu'il y ait une structuration à l'échelle transnationale, soit de la région, soit à l'échelle du monde, comme il peut y avoir aujourd'hui avec le traité. Là, on est en 2009, à un moment où on n'en parlait que très peu. Sur cette région-là, on n'en parlait pas du tout. Une des visions, notamment de la fondatrice du réseau Ghostnets Australia, Riki Gunn, qui était elle-même une patronne pêche et voyait, depuis les années 1990, augmenter le nombre de filets fantômes dans la région, la mer du golfe de Carpentarie, la mer d'Arafura, était de dire : « Il faut qu'on fasse quelque chose, qu'on mettre en place un réseau pour travailler avec les metteurs sur le marché, les pêcheurs, les autorités, parce que les filets fantômes résultent aussi d'actions de largage quand il y a de la pêche illégale et que la douane ou d'autres autorités viennent. Hop, ni vu ni connu, on délaisse l'engin de pêche et on n'est pas vu, pas pris. » Ces artistes vont donner à voir ce problème et venir toucher un peu du doigt les politiciens ou les acteurs décisionnaires. C'est le premier niveau de lecture le plus évident, celui sur lequel il y a eu vraiment beaucoup de papiers dans la presse. Même les musées ont repris un peu ce discours très construit. Ce que j'ai pu voir en travaillant avec ces artistes depuis une dizaine d'années, on est vraiment dans les communautés autochtones du nord de l'Australie autour d'un mouvement artistique porté à la fois par des personnes autochtones et non autochtones, j'insiste sur ce point, c'est très important, c'est qu'à un moment donné, ils se rendent compte que ce matériau, ce déchet marin, devient un matériau artistique à part entière qui va leur permettre de faire de l'art et de diffuser leurs propres valeurs, notamment des enjeux de souveraineté, souveraineté environnementale, souveraineté culturelle. Ce qui est très important parce que le problème du plastique, on dit c'est un problème global, c'est vrai, mais il y a des perceptions culturelles du plastique comme il y a des perceptions culturelles de l'océan. Le traiter de manière uniforme, homogène, depuis trois ans autour de l'UNOC, c'est très bien, ça bouge, il y a plein de déclarations. Mais le nombre de fois où je vois, j'entends qu'il faut que les gens se disent plus sensibles à l'océan, pour les quantités de personnes qui vivent sur le littoral, ça ne veut rien dire, cette phrase-là. L'art va permettre justement de faire passer des valeurs. Je terminerai sur ce point parce que je pense qu'on en parlera par la suite, c'est un art qui peut être très collaboratif. Au moment de la pratique collaborative, il va y avoir des transferts de compétences, d'informations, d'histoires personnelles et collectives qui vont permettre aux uns et aux autres de mieux comprendre les problèmes. Juste une anecdote, une artiste qui est en l'occurrence française, Océane Jacob, travaille les filets fantômes et les a exposés dans différentes régions de France. Elle fait des grandes installations d'ailerons de requins parce qu'elle est très sensible à la question de la pêche au requin, elle a grandi à Hong Kong notamment. Elle a un jour installé cette œuvre faite à partir de filets, il y avait tout un jeu d'ombre et de lumière, c'est assez subtil comme travail. Un pêcheur est arrivé, il s'est présenté comme un pêcheur, et a fondu en larmes en expliquant qu'en fait, il n'avait jamais raconté l'histoire qui était celle de son expérience sur un thonier. Lui-même avait préalablement travaillé dans la petite pêche, qu'on dit artisanale en France, mais c'est un sujet dans lequel on ne va pas rentrer. En fait, il savait quel était l'impact de cette pêche pour laquelle il avait travaillé, parce qu'à un moment donné c'est aussi un travail. L'art a été le support de l'énonciation d'un récit personnel et de la transmission à la jeune génération qui l'accompagnait, pour que les erreurs du passé ne soient pas idéalement reproduites.
Donc, il y a une dimension politique et critique de ces mouvements artistiques, pour il n'y ait pas d'ambiguïté là-dessus.
Oui, bien évidemment. Après, si on s'arrête à l'exposition des œuvres, on peut faire dire beaucoup de choses aux œuvres, il peut y avoir des formes d'instrumentalisation de l'art. C'est pour ça que nous, en tant qu'anthropologues, je suis historienne de l'art de formation, mais j'aime bien travailler sur le cycle de vie, de la production à la réception, on voit que les messages peuvent être glissants et que les dynamiques de lobbying dont on parlait tout à l'heure peuvent aussi s'insinuer dans les interstices artistiques. Il faut donc faire très attention à ce qui se joue en arrière-scène, et avoir justement des formes de souveraineté, pour le dire vite, mais en tout cas s'assurer que les artistes aient voix au chapitre, et qu'on n'aille pas instrumentaliser leurs pratiques. J'ai vu, sur cet art des ghostnets, des gens me dire : « C'est un exemple de zéro déchet. » Pas du tout, dans leur quotidien, ils consomment du plastique parce que dans le monde d'aujourd'hui, même dans les communautés autochtones d'Australie et d'autres régions du monde, du fait de l'histoire coloniale et de la colonialité, on a une omniprésence de cet empire capitaliste.
Notre discussion pour cette partie-là, en tout cas, va toucher à sa fin dans un instant, avant de passer à vos questions. Henri Bourgeois Costa, juste un mot sur le traité international de Genève parce que vous y étiez, vous avez suivi évidemment toutes les négociations au mois d'août. Il y avait beaucoup d'attentes autour de ce traité, beaucoup ont été très frustrés par l'issue des négociations. Quelle est votre analyse là-dessus et est-ce que ce traité a été en mesure d'imposer des contraintes fortes à l'industrie, justement, ou pas ?
Évidemment, on attend beaucoup de ce traité. Vous l'avez bien compris, c'est un problème global, un problème qui concerne la planète, essentiellement l'amont, la production. On ne peut qu'attendre beaucoup de ce traité. Imaginez qu'il n'y ait que des petites solutions venant de petits gestes, ça serait se bercer d'illusions. Un traité, c'est quelque chose de très compliqué, c'est du droit international, ça s'inscrit dans une logique qui est délicate. Le droit international est un droit qu'on dit optionnel, c'est-à-dire qu'il ne s'impose qu'à ceux qui le veulent bien, si vous préférez. Si vous êtes d'accord avec ce traité, il peut s'imposer à vous. Si vous n'êtes pas d'accord, il ne s'impose pas à vous. L'enjeu est évidemment d'embarquer le maximum de pays dans quelque chose qui soit ambitieux, et c'est quelque chose qui est compliqué, qui prend du temps. Sur ce traité-là, on s'est fixé une ambition, quand je dis on, c'est la communauté internationale, une ambition très forte qui est de se dire qu'on arriverait à un texte final en deux ans, puisque l'idée du traité était actée en 2022 et l'agenda voulait qu'on y arrive en décembre 2024. On n'y est pas arrivé en décembre 2024, on n'y est pas arrivé non plus à Genève. On peut évidemment en tirer des regrets. Quand je suis sorti de Genève, je n'étais pas le plus heureux de tous, c'est évident, on aurait aimé que ce texte soit arrivé. En même temps il faut être réaliste, un traité international se négocie. Un traité aussi compliqué, qui touche autant à nos économies, à nos fonctionnements quotidiens, aux économies de tous les États, y compris des États dont l'économie dépend exclusivement des produits pétroliers, pour lesquels finalement on vient les chercher en matière de pétrole-énergie. Les enjeux de climat, je ne vous fais pas l'offense de vous les décrire. On vient déjà un peu titiller ces pays-là en leur disant qu'il va falloir réduire la production de pétrole, parce que c'est ce qui contribue au réchauffement. Eux s'étaient bercés d'illusion en se disant que ce qu'on ne fait plus en termes de pétrole-énergie, on va le faire en termes de pétrole-plastique, sauf que le pétrole-plastique émet les mêmes gaz à effet de serre que le pétrole-énergie. Évidemment ce n'est pas entendable, néanmoins il y a ce rapport de force très compliqué qui s'est établi entre une petite minorité d'une dizaine de pays pétroliers producteurs, d'un côté, et de l'autre, l'essentiel de l'humanité qui acte de la nécessité de réduire la production. On n'est pas arrivé à un accord, on n'est pas arrivé à imposer des choses. Ce n'est pas la fin du monde. Il y a un temps nécessaire pour ces négociations-là. On a vu des choses évoluer, des positions évoluer. On a vu la Chine acter de la nécessité de travailler sur ce sujet de façon globale, y compris en s'attaquant à la question de la production, ce qui est quelque chose de tout à fait nouveau et montre que ce temps-là est nécessaire. C'est un temps nécessaire, mais en même temps on est bien obligé de faire le constat que le chrono tourne contre nous. On est toujours dans l'équilibre entre ces deux choses-là. Il ne faut pas désespérer, ce n'est pas du tout le propos. Il est évident qu'on aura un traité, la question, c'est de savoir combien de temps on mettra pour y arriver.
La prochaine échéance c'est quand ?
Elle n'est pas encore fixée, probablement dans un an, parce qu'il y a des raisons organisationnelles un peu compliquées. Il ne vous a pas échappé que l'agenda international n'était pas le plus favorable et le plus heureux actuellement, donc ça vient évidemment peser sur ces négociations-là. Il y a des choses qui pèsent dans une négociation internationale, il y a des choses qui pèsent et qui n'ont rien à voir avec le sujet de la négociation. On peut parler
par exemple de l'attitude des Russes depuis le début qui n'est pas du tout
une attitude rationnelle sur le sujet plastique. Celle des Américains non plus d'ailleurs. Et encore moins celle des Américains, mais qui est une attitude de prise de force ou de pouvoir sur les instances internationales. Donc, c'est évidemment des choses qui sont très compliquées, mais on voit quand même qu'il y a un consensus scientifique qui est fort, qui n'est pas qu'un consensus scientifique occidental puisqu'il est partagé notamment par la science chinoise qui fait les mêmes constats que ceux qu'on fait, qui a vraiment un consensus sur ce qui nous permettra de sortir de la crise qu'on est en train de traverser. Et cette sortie c'est la réduction de la production mondiale et une réduction qui n'est pas une réduction anecdotique, une réduction drastique. En gros, ce qui se dresse devant nous, c'est la nécessité de sortir du monde du plastique et donc de réduire de plus des trois quarts la production mondiale de plastique. Donc c'est évidemment quelque chose qui va bouleverser nos fonctions. Pourtant,
on est dans une courbe exponentielle.
On est dans une courbe de croissance qui prévoit de multiplier par trois la production mondiale de plastique d'ici 2060. Aujourd'hui, on a 450 millions de tonnes produites par an et donc ça devrait faire fois trois si rien n'était fait d'ici 2060.
Merci beaucoup pour cette première partie. Il est tout juste 19 h 45, donc on va passer à la partie des questions. Alors je ne sais pas qui s'en occupe. Moi, je vais laisser mon micro, me brancher sur celui-là. Et voilà, qui souhaite intervenir pour une première question à nos invités pour réagir à ce que vous venez d'entendre ?
Qu'est-ce que vous attendez de nous ? Vous avez commencé cette conférence en disant ça serait bien si, vis-à-vis de nous, vis-à-vis des enfants, vous attendez quelque chose de particulier ? Est-ce que par exemple, ça serait parler du logo qui est sur le verre en disant, attention, ce n'est pas le bon logo ? Est-ce que vous attendez quelque chose comme ça ? Est-ce qu'on est un relais ?
Alors oui, en tant que citoyen, on est un relais. Vraiment, mon credo depuis des années, c'est de rappeler en permanence qu'on n'est pas que des individus isolés et que notre responsabilité, ce n'est pas une responsabilité d'individus, c'est une responsabilité d'individus dans une société et qu'on est des citoyens actifs et que c'est collectivement qu'on peut faire. Donc, ce que moi, j'attends du citoyen, c'est qu'il se mobilise en tant que citoyen et pas qu'en tant qu'individu isolé, parce que ça, ça ne marche pas. Le côté petit geste, trier bien vos déchets, consommer moins de plastique, je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire. Ne vous méprenez pas sur mes propos. Mais ce n'est pas à hauteur du tout de la problématique. Ce qui est à hauteur de la problématique, c'est de s'assembler en collectif, de s'investir, politiquement, dans les associations, etc., pour porter ces messages-là, pour qu'ils aient un poids sur la scène. Aujourd'hui, c'est un rapport de force dans notre société. Je suis désolé de le dire comme ça, ce n'est pas très agréable à entendre, mais c'est une réalité. C'est un rapport de force entre des intérêts, des intérêts économiques, des intérêts de position dans la société, etc., et des intérêts collectifs, de société, d'environnement, de viabilité du monde. Et donc il faut faire entendre ces intérêts-là. Et pour les faire entendre, on a besoin qu'il y ait le maximum de gens engagés pour ça.
Une autre question, ou si Géraldine voulait compléter.
Je partage pleinement ce qui a été dit. Il y a une expression de deux collègues, (Pendakis et Botts), qui parlent de stabilité ontologique et qui nous disent, mais si on arrive à vivre tel qu'aujourd'hui, c'est parce qu'on nous a fait croire qu'on pouvait les enterrer, qu'on pouvait les exporter et que si tout un chacun, on prend en compte le fait que ces déchets, ils débordent, qu'au Vietnam, ça produit presque des sortes de plasticité, c'est un jeu de mots de Mikaela Le Meur, qui a fait une étude passionnante sur le recyclage semi-industriel des déchets plastiques, eh bien, on va, à un moment donné, se dire qu'on ne peut plus vivre comme cela. Et donc on va se tourner, tout un chacun, vers des solutions, certaines qui existent d'ores et déjà, mais surtout vers une industrie qui doit changer et un monde qui doit changer. Moi j'ai participé très modestement à un projet d'expédition où ce n'étaient que des femmes qui embarquaient pour faire une science participative, une étude autour du plastique et leur discours des organisatrices, c'était de dire, mais on vous construit comme des ambassadrices et que, finalement, si on comprend mieux le sujet, peut-être que vous allez faire changer des choses à l'échelle de la sphère domestique ou à l'échelle de votre entreprise ou de votre lieu de travail ou potentiellement, si vous êtes des citoyens engagés dans la politique, peut-être qu'à ce niveau-là, vous allez faire bouger progressivement les lignes. Et c'est en étant, en effet, dans ce collectif très informel, agrégatif, que peut-être on pourra essayer de contrer cette force un peu mortifère.
Une autre question ?
Merci pour votre conférence. J'ai entendu parler de filets de pêche dégradables. Qu'en pensez-vous ?
La question de la biodégradabilité, c'est une question qui fait partie justement du mythe de la solution. En fait, on aurait des matériaux qui disparaîtraient dans la nature. On peut le déconstruire de deux façons. D'un point de vue purement technique, il n'y a pas de biodégradabilité des plastiques, ça n'existe pas, ça n'existe que sur le papier. Si vous confrontez ça, évidemment, aux bonnes bactéries, dans les bonnes conditions de laboratoire, ça se dégrade. Et encore, ça ne se dégrade pas si génialement que ça, mais ça se dégrade. Pourquoi je ne dis pas si génialement que ça ? Parce qu'en fait, pour analyser la dégradation, qu'est-ce qu'on fait ? On va mettre des conditions environnementales particulières, des bactéries, des levures, des choses comme ça, et puis on va analyser à partir de combien de temps j'ai tant de % de dégradation, et on va en tirer comme conclusion une courbe. Donc en gros, en une semaine, j'ai réduit 50 % de mon plastique, donc ça veut dire qu'en deux semaines,
je
n'ai plus de plastique. Sauf que ça, ça s'avère complètement faux. Quand vous poussez l'expérience jusqu'au bout, en une semaine, vous avez consommé 50 % de plastique, et la deuxième semaine, il ne se produit plus rien du tout, il n'y a plus de biodégradation. C'est déjà la première chose. D'un point de vue technique, ça ne fonctionne pas. Et puis d'autre part, il faut redéfinir un peu, en écologie, ce que c'est que la biodégradation. La biodégradation, ce n'est pas une notion absolue, c'est-à-dire qu'il n'y a rien qui est biodégradable. Il y a des choses biodégradables, un matériau, une matière biodégradable dans un contexte donné. Je vous donne un exemple tout bête. Si vous allez manger une pomme bio, et que vous jetez l'épluchure dans une forêt d'Île-de-France, elle va se dégrader, selon la saison, entre quelques semaines et quelques mois. Prenez cette même épluchure de pomme, toujours bio, vous la jetez au milieu du Sahara, vous pouvez revenir plusieurs années, elle sera racornie, abîmée, dégradée physiquement, mais elle ne sera pas du tout biodégradée, parce qu'il n'y a ni l'humidité, ni les bactéries pour le faire. Donc ça montre bien que cette question-là, elle dépasse ça. Et puis, même si on arrivait à obtenir cette biodégradation, biodégradation ne veut pas dire non-nocivité. Et vous en avez un exemple que vous connaissez toutes et tous par cœur, qui est l'exemple des algues vertes en Bretagne. Les algues vertes, c'est généré par quoi ? Par quelque chose qui ne peut être plus biodégradable que des excréments et de l'urine. Ça se biodégrade parfaitement, sauf que la masse qui est envoyée dans l'environnement n'est pas gérable par les écosystèmes donnés. Et en fait, sur les plastiques, on a toute cette problématique-là. On a la problématique de la masse, on a la problématique de la toxicité, on a la problématique du temps de dégradation, donc tout ça vient se mêler, et donc l'idée d'un plastique biodégradable est absolument farfelue, d'autant que pour faire un plastique biodégradable, on va travailler une matière première, ce qu'on appelle le polymère, mais on va complètement exclure une autre partie de la question, qui est celle des additifs, parce que si vous voulez qu'un plastique soit souple, il faut mettre des plastifiants, et les plastifiants biodégradables, ça n'existe pas. Si vous voulez un plastique qui résiste aux ultraviolets, il faut mettre des filtres anti-ultraviolets, et ça, ça n'existe pas de façon biodégradable. Donc tout ça, c'est un mythe qui vient alimenter cette idée qu'on pourrait continuer à produire et qu'on trouverait des solutions technologiques sans bouleverser nos systèmes et nos fonctionnements.
Très bien. Autre question, monsieur.
Je reviens sur la question précédente. Est-ce qu'il a été évoqué un jour d'indiquer sur tout ce qu'on consomme, la composition ? Sur ce qu'on mange, on nous donne deux, trois infos. J'achète une voiture, je suis incapable de dire combien il y a de plastique, combien il y a d'aluminium, combien il y a d'autres choses. Et donc, éventuellement orienter mon choix vers l'une ou l'autre en fonction de mes convictions. Vous parlez d'un des enjeux majeurs
de ces négociations du traité plastique, qui est la transparence. Et je vais même vous dire quelque chose d'assez étonnant, c'est que l'entreprise qui fabrique votre voiture ne sait pas ce qu'il y a dans le plastique. Les seuls qui savent ce qu'il y a dans le plastique, ce sont les pétrochimistes. Aujourd'hui il y a une opacité absolue, et je travaille au quotidien avec un certain nombre d'industriels, qui vous diront qu'ils produisent des objets, des emballages en plastique, mais qui n'ont pas la moindre idée de ce qu'il y a dedans. Et ce qu'il y a dedans va varier en fonction de contraintes techniques, technologiques, de production, de cours des marchés. Tel polymère va être plus cher à un moment, moins cher à un autre, tel additif plus cher à un moment, moins cher à un autre, de législation qui va apporter une contrainte qui va faire qu'on va basculer sur un autre produit, etc. Et donc aujourd'hui c'est un des enjeux majeurs, c'est que ces plastiques, puisqu'on dit plastiques, il faudrait dire les plastiques, il y en a vraiment beaucoup de différents, on n'a aucune idée de ce qu'il y a dedans. On peut analyser des morceaux de plastique et faire travailler des chimistes qui vous diront quelle est la signature chimique de tel ou tel plastique, mais on ne peut pas le faire sur l'ensemble des objets, ça demanderait des ressources qui ne sont pas à notre portée. Et aujourd'hui un des grands enjeux, c'est de rendre obligatoire la transparence et d'avoir une vraie transparence sur les formulations.
Autre question ? Alors, tout au fond.
Je vais me lever sinon vous ne me verrez pas. Élisa Renard, je suis anthropologue. Merci beaucoup. C'est passionnant. Ma question s'écarte un tout petit peu de votre sujet parce que c'est pour savoir si justement pour les filets chaland, il y a des tentatives d'utilisation, Géraldine et moi on se connaît bien, tu me vois venir avec mes gros sabots, d'autres fibres, des fibres organiques qui seraient utilisées en ce moment pour créer des filets. Donc je ne parle pas du tout de plastique biodégradable parce que ça ne marche pas. Mais d'autres fibres, et notamment je sais qu'en Nouvelle-Zélande, à Aotearoa, où je travaille, il y a l'utilisation de la fibre de phormium tenax. Notamment dans des projets contre la pollution. Mais j'aimerais bien vous entendre sur ce sujet-là si c'est possible.
Merci Élisa pour cette question. Il y a en effet quelques initiatives sur les filets dits biodégradables en Europe, il y en a et je partage pleinement ce qu'Henri a pu dire. Dans le Pacifique, que ce soit au Vanuatu, en Papouasie–Nouvelle-Guinée, à Aotearoa-Nouvelle-Zélande, pas en Australie à ma connaissance, mais peut-être que je me trompe, il y a eu des initiatives pour tantôt remplacer le sac plastique par un bilum, un sac en fibre végétale ou pour réengager les personnes dans la fabrication de paniers en fibre végétale, que ce soit bananier, coco, etc., fibre de coco et en effet il y a quelques expériences par-ci par-là pour refaçonner ce qui avait jusqu'alors toujours été fait, à savoir des filets en fibre végétale donc en lin notamment, mêmes matériaux que ce qu'on a pu trouver par exemple en France et il faut savoir que par exemple à l'époque du néolithique, on avait déjà des filets en fibre de lin dont certains qui ont perduré dans le temps et qu'on trouve encore aujourd'hui sur des chantiers archéologiques. Donc ils ont une permanence, le problème étant que ça peut prendre beaucoup de temps à façonner, c'est un travail collectif, c'est bien évidemment en termes de coût bien plus onéreux que la bobine de fil qu'on achète facilement et puis on en revient à cette question des imaginaires, des valeurs, comment revaloriser quelque chose de naturel et au contraire dévaloriser ce qui potentiellement tue. Et je pense qu'en fait une des solutions, ça serait de redévelopper ou d'encourager le développement de fab lab, de design lab, d'espaces d'expérimentation autour de la création d'objets composites qui allient des matériaux naturels et d'autres matériaux en fonction aussi des usages contemporains dans une seule forme de patrimonialisation d'un geste parce qu'aujourd'hui, les filets de pêche on en parle en disant bah tiens avant c'était comme ça qu'on faisait, c'est comment est-ce qu'on résout ce problème, cette sortie, comment on accompagne cette sortie du plastique. Donc merci beaucoup pour la question.
Cette question, elle est passionnante et elle touche à un rapport très particulier qu'on a aux matières plastiques qui est le culte qu'on a dans notre société vers la performance et j'aime beaucoup le mot d'Olivier Hamant qui dit pour sortir de cette crise il va falloir ringardiser la performance. Cette performance technique absolue, cette recherche de l'hypersolidité, de l'hyperpraticité de la mobilisation immédiate, en fait elle a un prix. On en a parlé toute la soirée de ce prix-là et, à aucun moment dans l'évaluation de la performance, on ne fait rentrer la question de ce coût, de ce prix qu'on doit payer. Et donc la performance technique ; elle doit être remise à sa place, c'est-à-dire comme un second temps après une évaluation, on va dire de la capacité à préserver une vie en bonne santé, à préserver un tissu social parce que le plastique a aussi dégradé, a aussi détruit ça, c'est un autre sujet dont on parlera probablement l'année prochaine dans le cadre du cycle, ce qui est tout ce que conditionne en termes de liens sociaux ou déconditionne en termes de liens sociaux cette hyperpraticité, cette hyperperformance des plastiques. Une autre question, oui.
Merci beaucoup et bonsoir, j'avais une question par rapport au glanage, est-ce que dans la différence de gestion qu'on peut avoir entre le ramassage sur la plage et le ramassage dans les parkings par exemple, il n'y a pas une question aussi de propreté finalement du déchet où il y aurait en plus de cet aspect un peu magique de la mer, ce côté le déchet est propre et on peut le ramasser ?
Merci pour la question.
Oui,
mais au sens où c'est comme si la mer anoblie le déchet, alors à nouveau on ne va pas être content avec cela, mais en fait un déchet marin, il peut être sale aussi, il peut avoir du mazout, il peut être entremêlé à de l'organique, que certains vont considérer comme sale. Moi, lors de nettoyage de plage fait par des personnes ne connaissant pas grand-chose pourtant vivant en bord de mer, ils mettaient très souvent les algues dans le sac poubelle donc il fallait nettoyer la plage donc là aussi on en revient à cette question qu'est-ce que c'est qu'une plage propre ? Est-ce que c'est une plage en bonne santé ou est-ce que c'est une plage sur laquelle on se dort la pilule ? Donc c'est là aussi cette question d'apprendre ce que c'est qu'un milieu aquatique, pour faire une réponse courte.
Qui souhaite poser une question ?
Bonsoir,
merci pour cet échange.
Approchez bien le micro parce qu'on ne vous entend pas bien.
Bonsoir, merci beaucoup pour cet échange et cette table ronde qui ouvre plein de réflexions. Ma question porte sur la perception de l'océan, est-ce qu'il y a des études, j'imagine qu'il y a des études peut-être, je n'en ai aucune idée, mais est-ce qu'il y a des études quali quanti qui ont été réalisées ou qui sont en cours de réalisation, pour mieux comprendre la perception de l'océan, justement en fonction des personnes qui habitent au bord de l'océan, à l'intérieur. En tout cas ces données sont, je trouve, difficiles d'accès, donc je me demande est-ce qu'il y a ce type de données, est-ce qu'elles existent, et où est-ce qu'on peut les trouver ?
Pour faire une réponse courte, je peux renvoyer vers l'anthropologie maritime qui travaille beaucoup et qui a depuis longtemps travaillé cette question. J'ai cité tout à l'heure le travail remarquable d'Hélène Arthaud aussi, voilà, et puis je pourrais en donner plus tout à l'heure, hors conférence si besoin.
Il y avait un autre bras qui s'était levé tout à l'heure, juste à votre gauche, je crois, non ? Il y avait une autre question ? Ah d'accord, très bien, c'est une collaboration alors. On arrête là-dessus ? On vous applaudit, on vous remercie beaucoup. Merci beaucoup.