L’éco-construction qu’est-ce que c’est ?

Retranscription

Afin de définir ce qu’est l’éco-construction, ce qu’on entend par matériaux bio et géosourcés, mais aussi d’appréhender ce type d’architecture en termes de réglementation, et voir s’il semble adapté et adopté par le public, nous nous sommes entretenus avec Martin Paquot.

Je m’appelle Martin Paquot, je suis architecte, et je suis impliqué dans ce qu’on appelle le nouveau BTP : bois, terre, paille.

Alors, on entend souvent parler d’éco-construction dans les médias. Est-ce que tu peux nous définir ce terme d’éco-construction ?

Oui, absolument. Par contre, je ne suis pas forcément d’accord avec toi : on n’entend pas tant parler de ça, en tout cas pas suffisamment à mon goût, alors que le bâtiment ou la construction est un enjeu majeur par rapport à la lutte contre le réchauffement climatique.

L’éco-construction, c’est un terme que toute la profession n’utilise pas. C’est un terme qui, je pense, date des années 60-70, avec la naissance de l’écologie politique, des communautés alternatives qui se voulaient plus autonomes, etc., et qui aujourd’hui, c’est vrai, est peut-être utilisé essentiellement quand on parle de maisons individuelles ou d’auto-construction.
Quand on est sur des programmes plus complexes, d’écoles ou de logements collectifs, j’ai rarement entendu parler d’éco-construction.

Alors, “éco” vient évidemment d’écologie, donc, ce serait une construction un peu plus sobre, mais justement, dans le monde anglo-saxon, on va utiliser l’expression natural building, qui se trouve être peut-être plus juste : il y a moins d’ambiguïté derrière le terme. On utilise des matériaux naturels pour faire une construction naturelle, et donc des matériaux qui sont moins transformés. Il y a une idée, quand même, de circuit court derrière tout ça.
Aujourd’hui, on va plutôt parler de construction bas-carbone : c’est l’expression qui a le vent en poupe. Mais ce n’est pas exactement la même chose que l’éco-construction, qui, je pense, avait en son sein une dimension sociale et politique.

Et donc, quand on parle de matériaux biosourcés ou géosourcés, on est un peu dans cette définition d’éco-construction, dans l’utilisation des matériaux en eux-mêmes ?

Complètement, complètement.
Les matériaux biosourcés, en fait, c’est tout ce qui est issu de la vie, aussi bien végétale qu’animale. On va évidemment avoir le bois, le bambou, la paille, le chanvre, les roseaux, même les algues, mais aussi la laine de mouton.
Le géosourcé, là, pour le coup, c’est ce qui est minéral, donc la terre crue, la pierre sèche.

Mais ces matériaux biosourcés et géosourcés sont aussi bien utilisés par les tenants de l’éco-construction que par les tenants de la construction bas-carbone. Finalement, ce sont des outils.

Par rapport aux enjeux écologiques actuels et aux enjeux politiques également, l’utilisation de ces matériaux biosourcés et géosourcés… est-ce qu’on peut dire qu’ils sont en adéquation avec les besoins de la population ? Et est-ce que cela répond aussi aux enjeux écologiques et climatiques ?

Oui, absolument. Je pense qu’on peut voir cette adéquation par plusieurs biais, notamment celui de la santé. Comme ces matériaux naturels sont beaucoup moins transformés que les matériaux pétrochimiques, ils contiennent moins de chimie ajoutée et sont plus sains : ils émettent moins de polluants et de composés organiques volatils, invisibles, mais potentiellement néfastes pour la santé.

C’est pourquoi, dans les crèches ou les équipements pour la petite enfance, les commanditaires sont très vigilants sur la qualité de l’air, et les matériaux naturels sont alors privilégiés.

Généralement, on s’inscrit dans un circuit court entre le lieu de production et le chantier. Cela fait vivre l’économie locale avec des emplois qualifiés non délocalisables. Ces matériaux, parce qu’ils sont peu transformés, deviennent “matériaux” grâce au savoir-faire des artisans qui les mettent en œuvre.

Ils ont aussi des qualités physiques : ce sont de très bons isolants. Par exemple, la paille contient de l’air dans chaque brin, ce qui permet de maintenir fraîcheur et confort pendant les épisodes de canicule. Les matériaux géosourcés, comme la terre crue, apportent un confort thermique passif : enduits, cloisons en briques de terre, etc.

Et au niveau de la réglementation : a-t-on les mêmes règles pour le béton et l’acier que pour ces matériaux biosourcés et géosourcés ?

Non. Chaque matériau a ses propres normes et réglementations. Ce qui est surprenant, c’est qu’on construit en bois, en pierre ou en terre depuis des millénaires, bien avant que les tests et normes n’existent, et ces bâtiments sont toujours debout.

Après-guerre, avec l’essor du béton armé, les normes ont été construites autour du béton et de l’acier, sans prendre en compte les spécificités du bois, de la terre ou de la paille.
Les tests actuels, auxquels doivent se soumettre les matériaux biosourcés et géosourcés pour être utilisés dans des bâtiments publics, sont donc inadaptés pour mesurer leurs qualités. Il existe une iniquité réelle.

Tu rappelais l’histoire du béton, qui est finalement récente à l’échelle de l’humanité. Comment notre génération, habituée à un paysage bétonné, perçoit-elle l’intégration de ces matériaux naturels ?

C’est une question complexe, car au-delà du combat réglementaire, il existe un combat culturel, celui des représentations. Il faut agir par tous les moyens : visites, ateliers, communication, participation des habitants…

Les architectes et artisans qui construisent en bois, terre ou paille montrent très volontiers leurs bâtiments : beaucoup de visites sont organisées pour les riverains, les écoliers, les enseignants et les parents. Les retours sont très positifs : atmosphère singulière, textures, confort thermique. Dans certaines écoles en paille, on installe même une “fenêtre de vérité”, qui montre l’isolation réelle derrière le mur.

Les gens sont souvent surpris.
Pourtant, il est vrai que peu de stars architectes construisent en terre ou en paille. Herzog & de Meuron, qui ont réalisé un bâtiment en pisé, ont suscité énormément d’attention : cela contribue à changer les représentations.

Un autre levier essentiel : les ateliers de sensibilisation et les chantiers participatifs. Les gens peuvent manipuler les matériaux, porter une botte de paille, enduire un mur… Cela change tout, crée une appropriation forte, ce que le BTP classique ne peut pas offrir.

On pourrait penser que l’architecture en terre ne tient pas sous nos latitudes, qu’elle ne résiste pas à la pluie. Quel message transmettre à ces sceptiques ?

C’est une idée fausse. Le patrimoine en terre crue en France est immense et multiséculaire. On ne le sait simplement pas, car ces bâtiments sont souvent ruraux ou ont été recouverts d’enduits au ciment, qui ont causé des désordres.

Des recherches récentes (par exemple d’Emmanuel Mille) ont montré que Lyon possède plus de 700 bâtiments en pisé, dont des immeubles de 6 étages et 25 mètres de haut, datant de deux siècles. On ne les voit que lors de travaux, car les quatre faces d’un immeuble n’étaient pas réalisées dans le même matériau : façade en pierre, pignons en moellons ou en pisé.
Le pisé n’était pas le matériau du pauvre, mais le matériau de l’économe. On réservait la pierre pour l’apparence.