Capsule 3 – Échelle de production et modèle économique
Dans cette capsule, nous allons voir comment s’organisent les différentes filières en éco-construction, leur origine et leurs caractéristiques, à partir d’exemples franciliens et nationaux. Martin Paquot revient avec nous sur les différentes échelles de production autour du bâti bas-carbone.
Comment sont organisées les filières autour de l’utilisation de ces matériaux?
Les filières se sont inventées ou créées en France à des époques différentes. C’est le bois qui a été pionnier en France depuis déjà une quarantaine d’années, et qui s’est structuré au fur et à mesure. Pour la paille, c’est un peu plus récent : cela s’est structuré en 2006, lorsqu’un réseau s’est créé à l’échelle nationale, le Réseau Français de la Construction Paille. Il a créé des représentations, des associations ou des collectifs dans plusieurs régions pour porter son action auprès des pouvoirs publics.
Mais on va dire que, à une échelle plus locale, il faut convaincre les élus, les maires, car le levier de la commande publique passe beaucoup à l’échelle régionale, départementale ou municipale. Il faut donc être présent sur les territoires.
Pour la terre, c’est finalement un peu l’inverse. Comme il y avait une tradition de construction en terre dans plusieurs régions françaises, il existait déjà des associations locales de préservation du patrimoine, mais aussi des savoir-faire très importants. Le patrimoine n’est pas mort : on a aussi des artisans qui ont des compétences et un savoir-faire qu’il faut préserver. Des associations se sont donc positionnées pour faire connaître ce patrimoine, mais aussi pour entretenir et transmettre ces savoir-faire.
À un moment, ces associations — comme le Collectif des Terreux Armoricains en Bretagne, le réseau Bâtir en Occitanie qui s’intéresse plutôt à la terre allégée, Tera en Auvergne-Rhône-Alpes qui a surtout un patrimoine en pisé, ou encore les ARPE Normandie, qui s’intéressent aux pans de bois et aux torchis — ont été sollicitées par le gouvernement, par la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et du Paysage, pour écrire un guide de bonnes pratiques.
Dans la foulée de ce guide, paru en 2020, ils ont créé la Confédération de la Construction en Terre Crue, qui regroupe ces associations régionales, une association de professionnels de la terre crue qui s’appelle AsTerre, Maisons Paysannes de France, ainsi que plusieurs syndicats du bâtiment.
Aujourd’hui, il y a un vrai fourmillement d’initiatives, avec plusieurs réseaux qui se fédèrent. Les relations étaient encore informelles, mais sont de plus en plus nombreuses. Il existe désormais un Comité de Liaison National des Matériaux. Une expérimentation est aussi en train de se monter à l’échelle francilienne pour favoriser le dialogue et les échanges entre ces différentes filières, qui ont parfois des enjeux similaires.
Si l’on prend l’exemple de l’Île-de-France, comment ces filières s’organisent-elles ?
En Île-de-France, on a cette particularité : il n’y a pas de patrimoine vivant en terre crue. En revanche, il y a énormément d’architectes : un tiers des architectes français sont en Île-de-France. Beaucoup d’entre eux intègrent de plus en plus ces matériaux dans leurs projets, parce que c’est beau — ce qui est une qualité fondamentale — mais aussi parce que, d’un point de vue environnemental, c’est très intéressant.
Ces architectes se rassemblent avec les quelques artisans et ingénieurs compétents sur le sujet pour faire connaître la construction en terre, se structurer, alerter les pouvoirs publics et tenter de recréer une culture que l’on a perdue.
D’ailleurs, vous êtes à l’Université de Nanterre : l’un des premiers bâtiments publics contemporains en terre crue a été construit à Nanterre, le groupe scolaire Makeba. Quelques murs en pisé, non porteurs, viennent en remplissage d’une structure en béton.
La commande publique en Île-de-France est vraiment moteur pour changer d’échelle, passer de la maison individuelle à d’autres types de bâtiments. Il y a de plus en plus d’écoles en paille : à Épinay-sur-Seine, à l’école Victor Schoelcher construite il y a plus de huit ans, à Issy-les-Moulineaux avec l’école Louise Michel, ou encore à Romainville avec une école en bottes depaille.
L’organisation du travail y est vraiment dynamique. Elle repose sur des individus engagés, qui construisent en bonne intelligence et qui, de projet en projet, cherchent à aller encore plus loin. Ils apprennent beaucoup, cette somme d’individus fait collectif. C’est ainsi que l’on parvient à faire bouger les choses, à l’échelle d’une réalisation comme à une échelle plus importante.
À Paris, par exemple, il y a deux écoles dans le 13e arrondissement construites en paille. Il y a aussi une résidence sociale de Paris Habitat isolée sur sept niveaux en paille. Vous avez la crèche de l’Élysée, construite en pisé. La visiter est plus difficile, mais cela reste très symbolique. Vous avez aussi la Ferme du Rail, dans le 19e, un restaurant en paille.
La difficulté principale reste cependant le manque d’artisans. Pour la terre, comme il n’y a plus une tradition vivante d’artisans, c’est plus compliqué. Plusieurs projets ont été réalisés par des maçons venant d’autres régions de France. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont parfois formé des entreprises conventionnelles locales.
Récemment, une formation de maçons en terre crue vient d’être délivrée : douze maçons viennent d’être formés. Beaucoup d’initiatives sont tournées vers l’économie sociale et solidaire, souvent portées par des entreprises d’insertion. L’objectif premier était la réinsertion par le travail.
L’Île-de-France est aussi un bon exemple avec les terres excavées du Grand Paris. Le renouveau de la construction en terre y est en partie lié au Grand Paris Express, qui va excaver environ 40 à 50 millions de tonnes de terre. Des architectes ont montré que certaines de ces terres étaient propres à la construction. Cela a créé une véritable émulation.
Il y a eu beaucoup de projets en terre dans le cadre de Réinventer Paris ou Inventons la Métropole. Il y a même eu une forme de « clay washing ». Pourtant, peu de projets ont réellement été construits, car la filière n’était pas encore mûre : il manquait des artisans, des ingénieurs, des cadres réglementaires.
Un des fruits de cette dynamique a été la création d’une fabrique de briques de terre comprimées à Sevran, appelée Cycle Terre. Pendant trois ou quatre ans, elle a beaucoup produit, mais l’initiative a fini par fermer. Les temporalités économiques de l’entreprise et celles de l’urbanisme n’étaient pas compatibles.
Toute la filière n’avançait pas à la même vitesse. Il manquait des ingénieurs, des artisans, une capacité de mise en œuvre suffisante. La terre était peut-être un peu en avance sur son temps. À cela s’est ajoutée la crise de l’immobilier.
Enfin, en tant qu’architecte, on est prescripteur. Construire en paille, en bois ou en terre demande un dessin particulier, une structure particulière. Le rôle de l’architecte est donc de se former, de connaître ces techniques, leurs spécificités, pour concevoir des projets cohérents, constructibles.
Il y a aussi un énorme travail de pédagogie à faire auprès de la maîtrise d’ouvrage. Et enfin, les architectes doivent encore davantage collaborer avec les artisans pour que ces matériaux trouvent pleinement leur place.