Entretien
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Langue :
Français
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/mbsk-rt81
Citer cette ressource :
IEANANTES. (2016, 22 mai). Entretien #93 avec Souleymane Bachir Diagne. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/mbsk-rt81. (Consultée le 19 mars 2024)

Entretien #93 avec Souleymane Bachir Diagne

Réalisation : 22 mai 2016 - Mise en ligne : 22 mai 2016
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Descriptif

Projet de recherche : Scènes de traduction

Il s’agit de montrer que la traduction est création de réciprocité, y compris dans les situations d’asymétrie et de domination comme l’espace colonial. Certes, la traduction manifeste le plus souvent entre les langues une relation de profonde inégalité mais il faut aussi s’aviser que la meilleure réponse à la domination linguistique, à la division en langues impériales et langues subalternes ou dominées, c’est encore la traduction. Ainsi étudiera-t-on en particulier le rôle des « interprètes de l’administration coloniale », ces intermédiaires qui souvent sont aussi devenus des traducteurs de cultures et de littératures orales dans la langue impériale montrant ainsi la valeur de savoir penser et créer de langue à langue. La transformation du statut d’interprète, de simple truchement en la position de traducteur, est un développement important qui sera objet de réflexion.

La seconde scène de traduction sera l’espace religieux dans lequel les langues se distribuent entre langues sacrées et langues profanes. Il s’agira ici de s’interroger sur les questions (théologiques, philosophiques, politiques) que pose l’acte de traduire, horizontalement pour ainsi dire, d’une langue proclamée sacrée dans d’autres langues humaines, la parole divine qui se sera elle-même déjà traduite, verticalement, dans les mots humains.

La troisième scène de traduction concernera ce que l’on convient d’appeler les « Timbuktu Studies », qui font référence, dans l’Ouest africain, à une tradition d’érudition écrite qui remet en question la définition essentialiste et réductrice des cultures africaines à l’oralité. Elle met en lumière également l’importance des clercs musulmans que l’on a appelés « les intellectuels non europhones ». L’étude de la tradition d’étude qu’ils ont établie dans des centres intellectuels dont le plus connu est Tombouctou permettra de poser également la question du devenir philosophique des langues africaines par la traduction.

Autour de ce projet, en fonction des différents axes, les résidents ainsi que des chercheurs invités partageront des réflexions qui pourront conduire à la publication d’un volume collectif sur les Scènes de traduction que voilà.

Biographie

Souleymane Bachir Diagne est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Agrégé de philosophie (en 1978), il obtient en 1988 son doctorat d’Etat en philosophie de l’Université Paris Sorbonne. Avant de rejoindre l’Université Columbia à New York en 2008, il a enseigné vingt ans la philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sénégal, puis huit ans à l’Université Northwestern, à Chicago. Ses recherches et ses enseignements portent sur l’histoire de la logique mathématique, l’histoire de la philosophie, la philosophie islamique, ainsi que les questions de littérature et de philosophie en Afrique. Son livre Bergson postcolonial. L’élan vital dans la pensée de Senghor et de Mohamed Iqbal a été couronné en 2011 par le prix Dagnan-Bouveret de l’Académie des sciences morales et politiques, l’année où il a également obtenu le prix Edouard Glissant de l’Université Paris VIII pour l’ensemble de son travail. Ses publications les plus récentes sont : L’encre des savants. Réflexions sur la philosophie en Afrique ; Comment Philosopher en islam, Paris ; Philosopher en islam et en christianisme (avec Philippe Cappelle-Dumont).

Projet de recherche : "De langue en langue : scènes de traduction"

Le projet de recherche a pour finalité la rédaction d’un ouvrage reprenant un concept de traduction déjà développé. Le concept de traduction retenu doit être pris dans un sens assez large même si au cœur de la réflexion se trouvent bien entendu les langues dans leur pluralité.

L’étude s’attachera aux « scènes de traduction », qui sont autant de situations de rencontres entre cultures et entre langues. Un propos introductif sera consacré à la notion de « traduction radicale », développée par QUINE. Un premier chapitre s’intéressera aux interprètes en situation coloniale. L’interprète colonial n’est pas un traducteur mais un simple truchement car l’espace colonial interdit toute relation de réciprocité entre les langues. Il devient pleinement traducteur lorsqu’il est « écrivain », lorsqu’il traduit l’orateur en écriture. Un second chapitre sera consacré à des scènes de traduction liées à ce que l’on appelle la translatio studii (référence faite au transfert des savoirs du monde grec au monde latin puis chrétien). On insistera sur le fait que la translatio studii a aussi été un parcours allant d’Athènes à Tombouctou en passant par Bagdad, Cordoue et Fez. Ce sera l’occasion de réfléchir au devenir philosophique de la langue arabe, devenir qui concerne aussi les langues africaines. Dans la continuité de cette réflexion, l’étude sera consacrée aux questions théologico-philosophiques et aux aspects politiques de la traduction de « la Parole de Dieu » (notamment le Coran) dans les langues profanes.

Enfin, il s’agira de revenir sur une l’idée de « l’universel comme traduction ». Dans notre monde postcolonial l’universel est, d’après Merleau-Ponty, « latéral ». Or, selon nous, la réalisation de cet universel est justement la traduction. Ou pour reprendre l’expression de l’écrivain Kenyan Ngugi Wa Thiong’o, la langue des langues, c’est la traduction.