Chapitres
- Présentation de Michèle THéRRIEN01'10"
- Introduction de Michèle THéRRIEN07'27"
- Le territoire Inuit : nouna06'29"
- Les inuits et "l'extrême"08'08"
- Le changement climatique24'10"
- Conclusion 03'41"
- Questions25'24"
Notice
Les Inuits ne trouvent pas ça extrême - Michèle THERRIEN
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Descriptif
L'histoire de l'exploration, la géographique classique et une certaine ethnographie ont contribué à transformer l'Arctique en lieu emblématique de « l'extrême ». Il serait plus juste de considérer que les Inuit de l'Alaska, de l'Arctique canadien et du Groenland vivent dans un milieu exigeant, soumis à de constants changements climatiques. Face à l'imprévisibilité, un système de connaissance ouvert et des mécanismes d'ajustement ont permis à ces sociétés originaires de la Sibérie, de se développer, de perdurer, de connaître une démographie ascendante et de s'affirmer aujourd'hui politiquement.
Si le qualificatif « extrême » correspond à l'image que les Occidentaux projettent sur les régions de hautes latitudes, il est absent du discours tenu par les Inuit sur ce même grand espace choisi et non subi, malgré les défis posés par l'acquisition de nourriture : « Nous vivons d'animaux qui déguerpissent à notre approche et non de végétaux incapables de fuir ».
Thème
Documentation
Documents pédagogiques
Texte de la 639e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 28 juin 2007
Les Inuits ne trouvent pas cela extrême
Par Michelle Therrien
L'histoire de l'exploration, la géographique classique et une certaine ethnographie ont contribué à transformer l'Arctique en lieu emblématique de « l'extrême ». Il serait plus juste de considérer que les Inuit de l'Alaska, de l'Arctique canadien et du Groenland vivent dans un milieu exigeant, soumis à de constants changements climatiques. Face à l'imprévisibilité, un système de connaissance ouvert et des mécanismes d'ajustement ont permis à ces sociétés originaires de la Sibérie, de se développer, de perdurer, de connaître une démographie ascendante et de s'affirmer aujourd'hui politiquement. Si le qualificatif « extrême » correspond à l'image que les Occidentaux projettent sur les régions de hautes latitudes, il est absent du discours tenu par les Inuit sur ce même grand espace choisi et non subi, malgré les défis posés par l'acquisition de nourriture : « Nous vivons d'animaux qui déguerpissent à notre approche et non de végétaux incapables de fuir ».
L'Arctique est un milieu de vie que les Inuit voient comme plein, saturé de présences humaine et animale interactives, sans oublier les défunts et les entités, lesquels, tout invisibles qu'ils soient, ne cessent de se manifester. La sociabilité ne se limitant pas aux seuls humains, des réseaux d'échanges symboliques permettent aux diverses composantes de l'univers d'interagir. Ces pratiques s'appuient sur un arrière-fond chamanique encore à l'Suvre malgré la christianisation. Ni réductible à la à la glace ou à la nuit polaire, le terme « arctique » reste sans équivalent en langue inuit ; nuna inclut la terre, le continent par opposition à la mer, le lieu de résidence, la région parcourue, les animaux qui s'y déplacent, l'ensemble des configurations du paysage, le sol, et aujourd'hui le sous-sol et ses minéraux. Ce milieu de vie dont la moindre parcelle porte un nom appartient à tous : humains vivants, défunts, animaux, entités invisibles. Nuna est un bien collectif qui nul ne peut s'approprier. Pourtant, les Inuit de Alaska (en 1971), de l'Arctique canadien (1975, 84 et 99) et ceux du Groenland (en 1979), se sont vus, à la suite de leurs revendications, reconnaître des droits territoriaux. Difficile alors de parler de nuna comme le faisaient les générations précédentes. Qu'à cela ne tienne! un nouveau terme, construit sur le premier, a été créé : nunaquti. Il existe désormais deux régimes de représentations : sur un terrain de chasse et chez soi, on parle de nuna, comme par le passé, et nunaquti figure dans les récents textes de loi ou s'énonce autour des tables de négociations. Du point de vue inuit, ceci n'est pas contradictoire ; même si nuna a acquis le statut de territoire légalement approprié, la transmission orale du savoir, qui s'opère d'aîné à cadet, présente encore nuna comme un lieu d'expériences accumulées, comme la source de toute pensée et comme une référence identitaire forte.
Bien que la Grèce antique ait placé ces régions lointaines et inconnues sous le signe de l'ours ( arktos) de la blancheur et de la luminosité apte à régénérer l'âme, les représentations et le vécu des Inuit, n'évoquent ni l'ours, ni la neige. Mais qu'en est-il du froid ? Dans cette société, il n'est pas de bon ton d'en parler, sauf pour discuter des moyens mis en place pour s'en préserver et pour répondre du tac au tac aux assauts de l'hiver. On se sent, dit-on, bien disposés à l'égard des autres et prompts à leur venir en aide à la suite d'un copieux repas de viande de phoque. Le froid qui n'a rien d'un absolu ne constitue pas en soi un danger En revanche, la chaleur, associée à la diminution de l'énergie vitale, est redoutée. La terre réagit de manière identique. Sensible à la présence humaine et à la maladie, nuna court le risque de s'échauffer. Les plus âgés se rappellent avoir provisoirement déplacé leur campement pour lui permettre de se rétablir.
Le qualificatif extrême risque-t-il d'être un jour accolé à nuna ? Les Inuit se posent la question de savoir quels seront les effets à long terme du dérèglement climatique. La conscience du danger encouru est d'autant plus grande qu'ils ont été parmi les premiers à partager, dès le début des années 1990, leurs observations. Au cours d'un déplacement de chasse, il devient plus délicat de construire un iglou sécuritaire car la neige mollit dans sa partie inférieure. Les ours qui chassent l'hiver sur la banquise ont, pour certains d'entre eux, de moins en moins de temps pour se nourrir en raison des débâcles prématurées. La fonte graduelle du pergélisol provoque des affaissements de terrain d'autant plus inquiétants que l'habitat contemporain est adapté à un sol gelé et stable. Les tempêtes soudaines font naître un sentiment d'insécurité grandissant lié à l'état changeant de la glace de mer. La banquise s'ouvre ou se referme de manière imprévisible, les accidents se multiplient. Les chasseurs inuit expérimentés ont du mal à effectuer une lecture juste du temps et du comportement animal. Il devient alors difficile de transmettre un savoir fiable aux plus jeunes.
Sur la scène internationale, les porte-parole de la Conférence circumpolaire inuit (une ONG les représentant depuis 1977) défendent le droit à un environnement sain comme condition de la survie d'une culture spécifique. En 2005, sans privilégier la victimisation, sans stigmatiser l'ensemble de l'Occident, Sheila Watt-Cloutier (alors présidente de la Conférence circumpolaire inuit) a dénoncé les gaz à effet de serre, à Washington, devant la Commission interaméricaine des Droits de l'Homme et exigé que la protection de l'environnement arctique soit inscrite dans la Charte des Droits de l'Homme. L'une des stratégies inuit consiste à considérer que les exigences formulées à partir des régions circumpolaires concernent l'ensemble de la planète. La lutte en faveur d'un environnement sain se pose comme un droit applicable à tous, autochtones ou non, riches ou démunis.
Le réchauffement climatique constitue une pression supplémentaire exercée sur les sociétés inuit déjà fragilisées par la présence de polluants organiques persistants dans les eaux arctiques et par les campagnes visant à interdire la chasse au phoque. Si l'accélération des changements environnementaux est une réalité dans les régions arctiques, les Inuit redoutent que les Occidentaux se laissent aller aux déclarations abusives, maintes fois formulées à leur propos : « Ils disparaîtront, ils seront assimilés, leur culture cèdera sous la pression du monde moderne ». L'Arctique a toujours été un milieu changeant et, au cours de leur histoire, les Inuit ont connu maints bouleversements climatiques. Leurs ancêtres se sont adaptés à des périodes de réchauffement et de refroidissement les forçant à modifier leurs trajectoires de migration, leurs techniques de chasse et des aspects de leur organisation sociale et de leur vision du monde. Il faut, disent leurs descendants, tenir compte d'une réelle capacité à résister. Nuna a toujours été un milieu de vie.
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