Vivre dans la rue - Jacques Hassin
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Descriptif
Les gens des rues
Des gens vivent dans les rues de nos villes. C'étaient les Gueux, les Va-nu-pieds, les Inutiles au monde. Ce sont les Sans domicile fixe, les Clochards, les Zonards. Ils seraient aujourd'hui 10 à 15000 à Paris, dont 15% de femmes. Comment ces personnes vivent-elles ? Et comment peut-on les aider ?
Comment vit-on dans la rue ?
J'évoquerai ici l'expérience qui peut être celle de ces gens. Je le ferai depuis ma place de soignant, qui m'offre une vision forcément partielle. Certains signes permettent cependant de saisir, de l'extérieur, ce que vivent ces personnes. Ils concernent en particulier le rapport au corps, ainsi que le rapport au temps et à l'espace.
Chapitres
- Présentation de Jacques Hassin01'03"
- Introduction de Jacques Hassin03'26"
- Petite histoire de la désocialisation19'02"
- Les critères de désocialisation06'28"
- La vie dans la rue11'03"
- La problèmatique éthique06'02"
- Conclusion de Jacques Hassin01'38"
- Questions26'21"
Thème
Notice
Documentation
Documents pédagogiques
Transcription validée par l'auteur de la 641e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 30 juin 2007
« Vivre dans la rue »
Par Jacques Hassin
Les gens des rues
Des gens vivent dans les rues de nos villes. C'étaient les Gueux, les Va-nu-pieds, les Inutiles au monde. Ce sont les Sans domicile fixe, les Clochards, les Zonards. Ils seraient aujourd'hui 10 à 15000 à Paris, dont 15% de femmes. Comment ces personnes vivent-elles ? Et comment peut-on les aider ?
Comment vit-on dans la rue ?
J'évoquerai ici l'expérience qui peut être celle de ces gens. Je le ferai depuis ma place de soignant, qui m'offre une vision forcément partielle. Certains signes permettent cependant de saisir, de l'extérieur, ce que vivent ces personnes. Ils concernent en particulier le rapport au corps, ainsi que le rapport au temps et à l'espace.
Manger, boire, dormir
Dans la rue, on meurt tôt - la moyenne d'âge de cette population est de 53 ans. On y meurt le plus souvent de maladies qui auraient pu être soignées. Car la santé n'est pas le premier souci, l'hygiène non plus : le corps, ce sont d'abord les besoins vitaux.
Chaque soir il faut trouver où dormir. Chaque jour il faut trouver à manger. On s'étonne parfois de ce qu'« ils font la manche pour acheter de l'alcool et des cigarettes ». Oui. Et l'inverse est tout aussi vrai : beaucoup disent qu'ils sont incapables de faire la manche s'ils ne sont pas ivres. Pour ces personnes qui consomment parfois jusqu'à 10 litres de vin par jour, on peut parler d'« alcoolomanie ».
La résistance à la douleur et à la dégradation physique s'accroît d'autant. Les lésions corporelles ne sont pas soignées. Il peut sembler étonnant que quelqu'un refuse un traitement au risque, par exemple, de se faire amputer. Mais pour se représenter ce que serait la vie avec une jambe en moins, il faut une perception globale de son corps, au-delà des besoins immédiats - il faut pouvoir se projeter dans l'avenir.
Enfermés dans le présent
Quand nous arrivons à entrer en contact et à parler avec eux, les gens de la rue font presque toujours état d'un changement brutal, d'un grand malheur arrivé dans leur vie : avant, j'avais une vie normale ; puis il y a eu un accident ; j'ai perdu mon boulot, mon logement, et je me suis retrouvé à la rue. Mais ces récits de vie recouvrent d'autres choses : ces gens ont souvent connu, dans leur enfance, la violence, l'abandon familial, l'inceste - et ces histoires-là ne se racontent pas au tout-venant.
Autre phénomène, disons-le, troublant : ces personnes ne se suicident pas. Quand on connaît leurs conditions de vie, comment ne pas se dire : « si j'étais à leur place... » ? Mais se suicider, c'est refuser un avenir. Or pour les gens de la rue, l'avenir n'existe pas. Il est nié.
Tout ce qui est nouveau est perçu comme menaçant. Leurs rendez-vous avec des médecins et des assistants sociaux sont presque toujours manqués. Ce sont des gens qui vivent sans aucun calendrier, en s'enfermant peu à peu dans la répétition mécanique du présent. Quand on est à la rue, il n'y a plus de jours de la semaine, plus de mois ni d'années : le temps se déroule de manière circulaire.
Isolés dans l'espace public
Il faut le dire avec force : personne, vraiment personne, ne peut choisir de vivre une vie pareille. Le plus difficile, c'est sans doute l'isolement psycho-affectif. Comme le dit Xavier Emmanuelli, ce sont des « hommes invisibles » - qui pourtant sont toute la journée à côté de nous. Mais les passants, ils passent : le contact direct n'existe plus, les regards se détournent.
Vivre dans la rue, c'être en marge, pas totalement en dehors. Des formes de solidarité se constituent, souvent liées au partage de l'espace. Il y a le territoire de jour, qui est notamment celui où on fait la manche. Et un lieu de repos, un peu plus protégé, pour la nuit. Comme un reste d'attachement au passé, ce territoire de nuit est parfois proche d'un endroit où ils ont vécu « avant ». Parfois, c'est simplement une cage d'escalier dans laquelle ils cachent un duvet.
Et la sexualité ? Pendant longtemps, on pensait : « ça doit être le cadet de leurs soucis ». Ce n'est pas vrai. Dans la rue, aucune intimité n'est possible. C'est un souci permanent, qui aggrave beaucoup les souffrances.
Comment peut-on les aider ?
La recherche de solutions durables
Tout le sens de l'action des travailleurs sociaux et des médecins est de trouver des solutions d'accompagnement durables pour ces populations. Nous cherchons des places dans les Centres d'hébergement d'urgence, les Maisons relais, les hôpitaux, les centres psychiatriques. Les étrangers déboutés du droit d'asile sont pris en charge par les urgences mais après, malheureusement, rien n'est possible pour eux. Autre difficulté : quelqu'un qui sort d'un centre de réinsertion se retrouve souvent accablé de dettes à payer. Il faut donc penser à long terme pour envisager ce type d'action.
« Ils refusent qu'on les aide »
Des liens se créent parfois, sur quelques mois, quelques années. Certains acceptent d'entrer dans une structure de soin, une maison de retraite. Mais dans un premier temps, ils mettent systématiquement notre action en échec. C'est très déstabilisant. Pourquoi nous insultent-ils lorsque nous venons vers eux, pourquoi refusent-ils notre aide ?
D'abord, ces personnes n'ont pas vraiment de vie privée : leur existence se déroule dans la rue ; qui plus est, quand nous venons à leur rencontre, nous leur demandons souvent de se raconter. Le refus et l'insulte sont des modes de défense psychologique. Et ce sont aussi des façons d'exister, d'avoir un rapport avec quelqu'un.
Le bénévolat et ses limites
La prise en charge de gens aussi déstructurés ne doit pas relever de l'improvisation. Un élan de générosité ne suffit pas. Il peut même s'avérer néfaste, pour celui qui en est à l'origine comme pour celui qu'on veut aider.
Bénévolat ne signifie pas incompétence. On peut devenir bénévole après une formation et s'engager à être présent régulièrement au sein d'une équipe. Surtout, il est essentiel de s'interroger sur les raisons pour lesquelles on se propose d'aider ces gens. Aider des « SDF », ce n'est pas les sauver.
Faire le deuil de la volonté de guérir
Cette prise de conscience est tout aussi nécessaire pour les médecins professionnels. Pour pouvoir exercer mon métier auprès de ces personnes qui vivent dans la rue, j'ai dû effectuer un véritable travail de deuil.
Avec eux, le suivi s'apparente beaucoup plus à un soin palliatif qu'à un traitement en profondeur. Les accompagner, tout en acceptant qu'ils puissent refuser mon aide ; les soigner, tout en sachant que je ne pourrai pas forcément les guérir : il faut reconnaître que ce sont des choses difficiles à accepter pour un médecin. Mais cela fait partie de ce que nous devons aux gens de la rue - à leur dignité d'êtres humains.
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