"Anthropologie et Cinéma" par Marc-Henri Piault. Leçon 8 : Vers un ethnocinéma (English and Portuguese subtitles)

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Réalisation : 2013
Mise en ligne : 09 mai 2022
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Piault, Leçon 8, chapitre 1

Descriptif

Fr : Un ethnocinéma dialogique

La production d’images met un regard à l’épreuve d'autres regards et l’écoute à d'autres écoutes. Cette confrontation conduit au discours critique de l’intersubjectivité. Les expériences menées permettent une réappréciation des rapports entretenus entre sociétés différentes et contribuent à cette décentration de la visée de l’autre dont l’anthropologie contemporaine tente de se faire l’instrument. On s’oriente vers une réflexion critique collective à propos du réel, donnant lieu notamment à des reconstitutions (Jean-Pierre Olivier de Sardan au Niger : La bouche déliée, mariage wogo). Il s’agit de rendre compte de la vie quotidienne aujourd’hui : les relations des hommes et des femmes, les interactions du social et du politique, du religieux et de l’économique. Guy Le Moal (Les Masques de feuilles ; Le grand masque Molo) est conduit par ses « acteurs » à s’interroger sur les modalités contemporaines de la croyance en Afrique. Peu à peu le regard est entraîné, à travers la caméra entre les mains du réalisateur, à dépasser un simple enregistrement, il y a un mouvement vers, une adhésion dynamique au développement d’une situation. La situation anthropologique est un sas d’interconnaissance. Faire un film devient une conversation construite aussi bien d’incompréhension que de reconnaissance. Notamment lorsqu’il s’agit d’interpréter la relation des êtres humains avec leur environnement visible ou invisible (Nicole Echard : Noces de Feu). Au-delà des quotidiens vécus et ressentis, les situations locales se relient de plus en plus aux transformations économiques et politiques d’environnements plus larges et il y a une utilisation de plus en plus fréquente de techniques légères incluant la vidéo. On peut alors reconsidérer ce que pourrait être un ethnocinéma dialogique questionnant les transformations en cours sur les lieux des anciennes recherches (Patrick Menget, Yves Billon, Jean-François Schiano : Chronique du temps sec ; Bernard Saladin d’Anglure, Michel Treguer : Iglolik, notre terre ; Luis Figueroa : Les fils de Tupac Amaru). Le vécu exprimé et les expériences individuelles apparaissent, s’expriment (Jean-Louis Le Tacon : Cochon qui s’en dédit), interrogent le réalisateur mis en cause à son tour (Marc Piault : Akazama ; Eliane de Latour : Comptes et Contes de la Cour ; Les Temps du Pouvoir, Si bleu si calme).

L’expérience de l’anthropologie audiovisuelle conduit aux interrogations réciproques, aux mises en question partagées, à la reconnaissance nécessaire. Jean Rouch engage une narration autour et avec des personnages bien identifiés qui agissent et s’expriment comme tels. Avec des travailleurs immigrés venus du Niger et du Mali, il réalise un film fondateur, film-culte du cinéma et de l'anthropologie, Les Maîtres Fous. Possession, migrations, aliénation coloniale sont les thèmes dominants de ce film. Par la suite il poursuit une longue conversation avec les hommes et les dieux des Songhay du Niger (Les Magiciens de Wanzerbé ; Dongo Horendi ; Yenendi de Gangel ; Fête des Gandyi Bi à Simiri…). Il prend notamment au sérieux l’imaginaire créateur des Songhay. L’autre ethnologisé n’est plus une curiosité archéologique : sujet, il s'adresse à ceux qui le regardent (Moi un Noir). L'anthropologue ne doit plus monopoliser l'observation et, à son tour, lui et sa culture doivent être l'objet du regard de l'autre. Cette tentative de réciprocité des regards se met en place avec Chronique d’un été, réalisé avec Edgar Morin. L’univers de l’affect et du sentiment fait partie des préoccupations anthropologiques tout autant que migrations internationales, relations interraciales, relations de genre, données de la communication non verbale, constitution de l'ordinaire et de l'extraordinaire… (Bataille sur le Grand Fleuve ; Jaguar ; La Pyramide Humaine ; La chasse au lion à l'arc). En fictionnalisant certaines apparences, Rouch contribuait à la mise en question de notre propre réalité par les autres : il montrait bien qu’il s’agissait d’une réalité ethnologisable.

Eng : A dialogical ethnocinema

The production of images puts a gaze to the test of other gazes and listening of other listenings. This confrontation leads to the critical discourse of intersubjectivity. The experiments carried out allow a re-evaluation of the relations between different societies and contribute to this decentering of the purpose of the other of which contemporary anthropology tries to make itself an instrument. We move towards a collective critical reflection on reality, above all giving rise to reconstructions (Jean-Pierre Olivier de Sardan in Niger: La Bouche Déliée, Mariage Wogo). It is about giving an account of everyday life today: the relations between men and women, the interactions of the social and the political, the religious and the economic. Guy Le Moal (Les Masques de Feuilles; Le Grand Masque Molo) is led by his "actors" to question contemporary modes of belief in Africa. Gradually the gaze is trained, through the camera in the hands of the director, to go beyond a simple recording, there is a movement towards a dynamic adherence to the development of a situation. The anthropological situation is an airlock of mutual knowledge. Making a film becomes a conversation built on misunderstandings and recognition. Especially when it comes to interpreting the relationship of human beings to their visible or invisible environment (Nicole Echard: Noces de Feu). In addition to everyday experiences and feelings, local situations are increasingly linked to the economic and political transformations of larger environments, and the use of light techniques, including video, is becoming more and more frequent. We can then reconsider what a dialogic ethnocinema might be by questioning the ongoing transformations in the sites of previous research (Patrick Menget, Yves Billon, Jean-François Schiano: Chronique du temps sec; Bernard Saladin d'Anglure, Michel Treguer: Iglolik, Our Land; Luis Figueroa: The Sons of Tupac Amaru). Expressed experience and individual experiences appear, express themselves (Jean-Louis Le Tacon: Cochon qui s'en dédit), question the implicated director in turn (Marc Piault: Akazama; Eliane de Latour: Comptes et Contes de the Court; The Times of Power, So Blue, So Calm). The experience of audiovisual anthropology leads to reciprocal questioning, to shared questioning, to necessary recognition. Jean Rouch initiates a narration around and with well-identified characters who act and express themselves as such. With the participation of immigrant workers from Niger and Mali, he made a founding film, a cult film of cinema and anthropology, Les Maîtres Fous. Possession, migrations, colonial alienation are the dominant themes of this film. After that, he continued a long conversation with the men and gods of the Songhay of Niger (The Magi of Wanzerbé; Dongo Horendi; Yenendi of Gangel; Festival of Gandyi Bi in Simiri...). In particular, he takes seriously the creative imagination of the Songhay. The ethnologized other is no longer an archaeological curiosity: subject, he addresses the one who looks at him (Moi, un Noir). The anthropologist must no longer monopolize observation, and in turn, he and his culture must be the object of the other's gaze. This attempt to reciprocate the gazes is set up with Chronique d’un Été [Chronicle of a Summer], produced with Edgar Morin. The universe of affection and feeling is as much a part of anthropological concerns as international migrations, interracial relations, gender relations, non-verbal communication data, the constitution of the ordinary and the extraordinary... (Bataille sur le Great River; Jaguar; The Human Pyramid; The Hunt for the Bow Lion). By fictionalizing certain appearances, Rouch contributed to the questioning of our own reality by others: he clearly showed that it was an ethnological reality.

Pt : Um etnocinema dialógico

A produção de imagens coloca um olhar à prova de outros olhares e escutas sobre outras escutas. Esse confronto leva ao discurso crítico da intersubjetividade. As experiências realizadas permitem uma reavaliação das relações mantidas entre as diferentes sociedades e contribuem para esse descentramento da finalidade do outro do que a antropologia contemporânea tenta fazer-se instrumento. Caminhamos para uma reflexão crítica coletiva sobre a realidade, suscitando sobretudo reconstruções (Jean-Pierre Olivier de Sardan em Níger: La Bouche Déliée, Mariage Wogo). Trata-se de dar conta da vida cotidiana hoje: as relações entre homens e mulheres, as interações do social e do político, do religioso e do econômico. Guy Le Moal (Les Masques de Feuilles; Le Grand Masque Molo) é levado por seus “atores” a questionar as modalidades contemporâneas de crença na África. Gradualmente o olhar é treinado, através da câmera nas mãos do diretor, para ir além de uma simples gravação, há um movimento em direção, uma adesão dinâmica ao desenvolvimento de uma situação. A situação antropológica é uma câmara de ar do conhecimento mútuo. Fazer um filme torna-se uma conversa construída sobre mal-entendidos e reconhecimento. Especialmente quando se trata de interpretar a relação do ser humano com seu ambiente visível ou invisível (Nicole Echard: Noces de Feu). Além das experiências e sentimentos cotidianos, as situações locais estão cada vez mais ligadas às transformações econômicas e políticas de ambientes maiores e é cada vez mais frequente o uso de técnicas de luz, incluindo o vídeo. Podemos então reconsiderar o que poderia ser um etnocinema dialógico questionando as transformações em curso nos locais de pesquisa anterior (Patrick Menget, Yves Billon, Jean-François Schiano: Chronique du Temps Sec; Bernard Saladin d'Anglure, Michel Treguer: Igloolik, Notre Terre; Luis Figueroa: Os Filhos de Tupac Amaru). A experiência expressa e as experiências individuais aparecem, expressam-se (Jean-Louis Le Tacon: Cochon qui s'en dédit), questionam o diretor implicado por sua vez (Marc Piault: Akazama; Eliane de Latour: Comptes et Contes de the Court; Les Temps du pouvoir, Si bleu si calme). A experiência da antropologia audiovisual leva ao questionamento recíproco, ao questionamento compartilhado, ao reconhecimento necessário. Jean Rouch inicia uma narração em torno e com personagens bem identificados que agem e se expressam como tal. Com a participação de trabalhadores imigrantes do Níger e do Mali, ele fez um filme fundador, um filme cult do cinema e da antropologia, Les Maîtres Fous. Possessão, migrações, alienação colonial são os temas dominantes deste filme. Depois disso, ele continuou uma longa conversa com os homens e deuses do Songhay do Níger (Les Magiciens de Wanzerbé; Dongo Horendi; Yenendi de Gangel; Fête des Gandyi Bi à Simiri …). Em particular, ele leva a sério a imaginação criativa dos Songhay. O outro etnologizado não é mais uma curiosidade arqueológica: sujeito, dirige-se a quem o olha (Moi, un Noir). O antropólogo não deve mais monopolizar a observação e, por sua vez, ele e sua cultura devem ser objeto do olhar do outro. Essa tentativa de retribuir os olhares é montada com Chronicle of a Summer [Crônica de um Verão], produzida com Edgar Morin. O universo do afeto e do sentimento faz parte das preocupações antropológicas tanto quanto as migrações internacionais, as relações inter-raciais, as relações de gênero, os dados da comunicação não verbal, a constituição do ordinário e do extraordinário... (Bataille sur Le Grand Fleuve; Jaguar; La Pyramide humaine; Chasse au lion à l'arc). Ao ficcionalizar certas aparências, Rouch contribuiu para o questionamento de nossa própria realidade por outros: ele mostrou claramente que era uma realidade etnológica.

Vidéos

Intervenants et intervenantes

Documentation

Chapitre 1

Chris Marker, Alain Resnais, Les statues meurent aussi, 30 mn, France, 1953. 

Chapitre 2

Film : Guy Le Moal, Les Masques de feuilles, CFE, 37 mn, 16 mm, France, 1961.

Archives sonores : Burkina Faso. Le Moal, G. ; 1952-1981

Chapitre 3

Nicole Echard, Noces de feu, CFE, 32 mn, 16 mm, France, 1968.

Chapitre 4

Patrick Menget, Yves Billon, JF Schiano, Chronique du temps sec, Films du Village/CNRS AV, 52 mn, 16 mm, France, 1976.

Bernard Saladin d'Anglure, Michel Treguer, Igloolik, notre terre, Warc' Haozh/fr3, 104 mn, France, 1977. 

Luis Figueroa, Les Fils de Tupac Amaru, 95 mn, 35 mm, Pérou. 

Yann Le Masson, Kashima Paradise, Coréalisé avec Bénie Deswarte, Le Grain de Sable, 106 mn, 16 mn, 1973.

Akira Kurosawa, Rashomon, 88 mn, 35 mm, Japon, 1950.

Chapitre 5

Jorge Preloran,  Imaginero, Université nationale de Tucuman, 68 mn, Argentine, 1969. 

Gary Kildea, Rowena Katalinekasan-Gonzales, Celso and Cora, Australia Film Commission/ Ateneo Univ. Manila/N-AV Prod. Tokyo, 109 mn, 16 mm, 1983.

Jean-Louis Le Tacon, Cochon qui s'en dédit, 37 mn, super 8, France, 1978.

Chapitre 6

Jean Rouch, Maîtres Fous, 36 mn, 16 mm, France, 1954.

                   Les Magiciens de Wanzerbé, 33 mn, 1948. 

                   Dongo Horendi, 30 mn, 1966. 

                  Yenendi de Gangel, 60 mn, 1968. 

                  Fête des Gandyi Bi à Simiri, 30 mn, 1977. 

Chapitre 7

 Jean Rouch, Moi un Noir, Films de La Pléiade, 70 mn, 35 mm, France, 1959.

Chapitre 8 

Jean Rouch et Edgar Morin, Chronique d'un été , Argos Films, 85 mn, 16 mm/35 mm, France, 1961. 

Chapitre 9

Jean Rouch, Bataille sur le grand fleuve, CFE/CNRS, 45 mn, 16 mm, France, 1951. 

                   Jaguar, 110 mn, 35 mm, France, 1967.  

                   Chasse au lion à l'arc, 88 mn, 16 mm, France, 1967. 

                   La Pyramide humaine, 90 mn, 35 mm, France, 1961.

                   Petit à petit, Paris-Niamey, Les Films de la Pléiade/ CNRSH/CFE, 105 mn, France, 1970.

Chapitre 10

M. H. Piault, Akazama, CNRS AV, 52 mn, 16 mm, France, 1982. 

Eliane de Latour, Comptes et Contes de la Cour, Caméra Continental/Aaton/ CNRS AV, 97 mn, 35 mm, France, 1992.

                          Les Temps du pouvoir, 90 mn, 16 mm, France, 1984.

                          Si bleu si calme, CNRS AV/ Aaton/Les Films d'Ici, 73 mn, 16 mm, France, 1996.  

Références bibliographiques générales

Boukala M., (2009), Le dispositif cinématographique, un processus pour (re)penser l'anthropologie, Téraèdre, Paris.

Colleyn J.P., (1993), Le regard documentaire, Centre georges Pompidou, Paris.

De France C., (1994), L’anthropologie filmique : une genèse difficile mais prometteuse, Du film ethnographique à l’anthropologie filmique, Editions des archives contemporaines.

Gardies A., (1993), Le réel filmique, Hachette, Paris.

Laplantine F.,(2005), La description ethnographique, Armand Colin.

Lioult J.L., (2004), À l'enseigne du réel, penser le documentaire. Pub.Univ.Provence(PUP).

MacDougall D., (1998), Transcultural Cinema, Princeton, New Jersey, Pinceton University press.

Niney, J.F., (2009), Le documentaire et ses faux-semblants, Klincksieck, Paris.

Piault M.H., (2008), Anthropologie et Cinéma. Passage à l'image, passage par l'image, Paris, Téraèdre (1ère édition Nathan 2000).

Références  bibliographiques spécifiques:

Paul Henley, (2010), The Adventure of the Real: Jean Rouch and the Craft of Ethnographic Cinema, University of Chicago Press

Eliane de Latour et Alain Morel,(1993), Ethnologie et cinéma : regards comparés, revue Terrain, n°21