Ce film est dédié aux victimes des inondations. Merci à toutes les personnes qui
ont participé à notre enquête en 2018-2019.
Préambule
Marinette Crampe :
« Moi je n’en ai pas vu d’autres. C’est la première que je vois. »
Pascal Aribbet :
« On sait que nous sommes sujets à des événements de ce type. On
n’était quand même pas préparés psychologiquement à subir une crue de
cette ampleur. »
Jean-Daniel Cavaillé :
« Quand nous avons évacué, les employés municipaux étaient en pleurs
et en stress absolu. Ils nous disaient : « Partez... on va tous y
passer. ». »
Jean-François Meyer, gendarme (Haute Vallée de la Garonne) :
« Là, ça dépasse tout entendement. On ne s’imagine pas, un jour, vivre
ça. Puis on ne maîtrise pas, ça, on ne maîtrise pas… »
Alain Bron :
« Jusqu’à présent on n’avait pas, nous, subi réellement une centennale. »
Le 18 juin 2013, alors que les Pyrénées centrales connaissent une fonte tardive
d’un épais manteau neigeux, de fortes pluies s’abattent. Elles déclenchent une
crue exceptionnelle qui surprend, au petit matin, les habitants des hauts bassins
versants du gave de Pau et de la Garonne.
Jean-François Meyer, gendarme (Haute Vallée de la Garonne) :
« On voit le centre de Saint-Béat avec deux mètres vingt, deux mètres
trente de flotte, dans les rues. »
Frédéric Valot, gérant du Casino/Vival (Haute Vallée de la Garonne) :
« Vous voyiez des bêtes, des moutons qui passaient. Une vache est
passée aussi. J'ai vu des voitures qui flottaient… Vous avez de tout, des
meubles, tout ça, qui sortaient des maisons. C'était impressionnant. »
Christian Armary, restaurateur, moniteur de parapente et de ski (Vallée du
Bastan) :
« C'est une furie, c'est un bruit, c'est du soulèvement de matière, des
enfouissements, qui roulaient… On n’aurait jamais imaginé ça dans notre
petit torrent des Pyrénées alors qu'on y est toujours passé, on l’a
toujours traversé, on y est toujours passé d’une pierre à l’autre, et là ce
n'était carrément plus possible du tout. »
Daniel Delous, retraité RTM-ONF (Vallée du Bastan) :
« Et puis ce bruit, il y avait du brouillard partout, une odeur de terre… Il
y avait des pans de montagne qui tombaient. »
Christian Armary, restaurateur, moniteur de parapente et de ski (Vallée du
Bastan) :
« Ça faisait quelque chose qu'on ne voyait qu'à la télé. »
David Pujadas, présentateur du Journal Télévisé de France 2 de 20h :
« Bonjour à tous. Dans l’actualité ce soir, le bilan des crues s’alourdit au
pied des Pyrénées. Deux retraités ont été emportés par les flots, des
routes ont cédé, des villages restent isolés. On parle de millions d’euros
de dégâts. L’État se mobilise. Page spéciale. Ce soir nous serons en
direct… »
Dominique Boutonnet, membre du collectif « Vivre à Saint-Béat » (Haute
Vallée de la Garonne) :
« Et c'est seulement le lendemain matin qu'on a pu mesurer l'importance
de ce qui venait de se passer. Une fois l’eau repartie, on a vu ce qu’il y
avait en-dessous, c’était impressionnant. Vers 7h-8h du matin, tout le
monde sortait au petit jour dans les rues. Entre habitants, on se croisait
dans les rues du village, mais sans se parler. Oh, c'était terrible, terrible.
Très dur. »
Dominique Souberbielle, Directeur des Thermes de Barèges (Vallée du
Bastan) :
« Le lendemain, à 4h30 j’étais déjà dehors, je n’avais quasiment pas
dormi. Effectivement là, on voyait les gens qui sortaient dans la rue...
hébétés. »
Maryse Carrère, Sénatrice des Hautes-Pyrénées :
« On a été tellement choqué sur le moment que dès le lendemain on était
abattu. On s’est dit : « On n’y arrivera jamais, on ne se relèvera
jamais. » »
Absorber un tel choc et s’en remettre ne se fait pas en quelques jours. Pour
comprendre cette phase mal connue de l’après-crue, une étude a été réalisée cinq
ans après par des chercheurs du laboratoire de Géographie de l’environnement de
l’Université de Toulouse.
Deux territoires ont été choisis car ils font partie des secteurs les plus touchés.
La vallée du Bastan est située dans le département des Hautes-Pyrénées. Le
Bastan est un torrent qui se forme sur les pentes du Pic du Midi, puis traverse les
villages de Barèges et de Luz-Saint-Sauveur avant de se jeter dans le Gave de
Pau en direction de Lourdes. La crue du Bastan a provoqué des destructions aux
ouvrages publics estimées à 60 millions d’euros.
Christian Armary, restaurateur, moniteur de parapente et de ski (Vallée du
Bastan) :
« Wow, wow. Il n’y a plus de champs, tout n’est que galets, tout n’est
que minéral. »
L’autre territoire étudié est la Haute Vallée de la Garonne. Elle est située à
l’extrémité sud du département de la Haute-Garonne. Le fleuve prend naissance
à 40 km en amont en Espagne, dans le Val d’Aran, puis il débouche en France
dans le village de Fos avant de traverser Saint-Béat. L’inondation a commencé en
Espagne avant de se poursuivre en France. Les dégâts dans la Haute Vallée de la
Garonne ont été évalués à 8 millions d’euros.
Laetitia Bellenger, employée municipale (Haute Vallée de la Garonne) :
« De la boue partout, avec des odeurs nauséabondes… c’est vrai que c’est
un peu apocalyptique. »
1. Les trajectoires de résilience
Pour comprendre quel impact la crue a eu sur le fonctionnement des vallées et
sur la vie de leurs habitants, l’étude part du point de vue des acteurs locaux. Les
chercheurs observent comment les territoires ont récupéré de la crue et dans
quelle mesure ils se sont adaptés pour anticiper la prochaine. Pour cela, ils
étudient leur trajectoire de résilience.
Leur étude s’arrête sur plusieurs moments-clefs : les premiers jours, les premiers
mois, un an après et cinq ans après la crue.
1.1 Sortie de crise
Les premiers jours correspondent à la sortie de crise. C’est le moment de la remise
en service en urgence des accès et des services essentiels à la vie quotidienne.
Cette phase est très médiatisée.
François Hollande, Président de la République (2012-2017) :
« Il convient d’aller très vite parce qu’il convient maintenant de réparer.
Il convient de remettre en état et de permettre à cette commune, comme
à d’autres, d’être en situation, dans quelques jours, dans quelques
semaines, d’accueillir des touristes. Parce qu’il faut avoir confiance. »
Journalistes de reportage de Journal Télévisé :
« Pour le moment tout le monde s’affaire au nettoyage et prend son mal
en patience. »
« Les pompiers, les services municipaux et de nombreux bénévoles
s’activent pour évacuer cette boue épaisse qui commence à durcir. »
« De son côté, le Président de la République a fait le déplacement sur le
terrain aujourd’hui. »
« 150 boules de fourrage récoltées gratuitement auprès de plus de
cinquante exploitants agricoles en solidarité avec les agriculteurs
sinistrés. »
« Le ministre de l’Intérieur Manuel Valls s’est rendu sur place cet après-
midi. »
« Le Centre national des ponts de secours a dépêché son personnel. »
« Tout le village est en chantier pour évacuer des tonnes de boue. »
« Le ministre de l’Agriculture est venu en personne aujourd’hui constater
les dégâts. »
« Parents, amis, sont venus prêter main forte pour tout nettoyer. »
« Retrousser les manches pour relever la tête. La solidarité bat son
plein. »
Pierre Tristan, hôtelier (Vallée du Bastan) :
« Il y a eu un énorme élan de solidarité. Des gens vraiment très
respectables… et c'est touchant même encore maintenant. »
Louis Bron, propriétaire du camping de Saint-Béat (Haute Vallée de la
Garonne) :
« Formidable. Il y a des gens qui sont venus du Nord de la France. Faut
quand même le faire ça ! Vraiment ils nous ont aidés et nous ont remonté
le moral, parce qu'on en avait besoin. »
Laetitia Bellenger, employée municipale (Haute Vallée de la Garonne) :
« C’était impressionnant de voir cette mobilisation. On a nettoyé assez
vite les villages, parce qu’on a eu tellement d’aide que sur quinze jours,
le très gros du travail a été fait. Ça été quinze jours, trois semaines,
vraiment à fond. Après il faut retomber dans le quotidien… La chute peut
être un peu rude. »
Dans cette phase de sortie de crise, l’étude montre que les deux territoires ont
rencontré les mêmes difficultés : la coupure des réseaux, la sidération face à
l’événement et l’isolement. Ils les ont résolues de la même façon : par l’entraide,
par une importante solidarité venue de l’extérieur et par la mobilisation des
services publics. Cadrée par des procédures et menée par des experts, cette
période est bien rodée.
1.2 Les premiers mois
Après la phase de sortie de crise, les services de secours, les politiques et les
médias repartent.
Les premiers mois après la crue, les entreprises et les collectivités poursuivent
leur action. Elles sécurisent les cours d’eau, reconstruisent les réseaux, remettent
en état les maisons. Pendant cette période, les vallées et leurs habitants doivent
affronter des moments difficiles.
Reportages télévisés :
Journaliste :
« De part et d’autre de la rue principale de Barèges, partout des
commerces fermés, des rues désertes. Quelques rares habitants sont
restés, quelques commerçants aussi. »
« La rivière s’est depuis retirée mais les marques, elles, sont indélébiles.
La plupart des commerces sont fermés. »
Commerçant de Saint-Béat :
« On ne sait pas quelle position adopter, on ne sait pas quoi faire, on n’a
aucune nouvelle, rien. Les choses qui paraissaient simples au vu des
annonces du Président de la République, on les voit compliquées
aujourd’hui. On se pose beaucoup de questions pour notre avenir. »
Hervé Péréfarrès, maire de Saint-Béat (2008-2014) (Haute Vallée de la
Garonne) :
« Saint-Béat venait de prendre plusieurs mètres d’eau. Qu’est-ce qu’on
fait du village ? »
Marjolein Fourtine, propriétaire du camping de Barèges (Vallée du Bastan) :
« Est-ce que tu vas recommencer ? Sur le moment, tu ne le sais pas. »
Dominique Souberbielle, directeur des Thermes de Barèges (Vallée du
Bastan) :
« À l'époque bon, on savait pas si on allait pouvoir reconstruire, si on
allait devoir démolir. On savait pas. Parce que, vous savez, les rumeurs
c'était « ce sera pas reconstructible, on va pas reconstruire ». »
Dominique Boutonnet, membre du collectif « Vivre à Saint-Béat » (Haute
Vallée de la Garonne) :
« Pour pouvoir se reconstruire, ce n’est pas seulement dans la tête, ça
veut dire reconstruire aussi sa maison. Pour certaines personnes, ça a
mis du temps. Moi, je fais partie des personnes pour lesquelles ça a duré
le plus longtemps. Pendant deux ans j’ai été obligé d’aller vivre ailleurs.
Plusieurs fois, vous vous surprenez à vous dire « Est-ce que je vais
pouvoir revenir chez moi ? Est-ce que ça va être un jour possible ? ». »
Marjolein Fourtine, propriétaire du camping de Barèges (Vallée du Bastan) :
« Il y a qui sont impactés directement par la crue. Après il y en a qui
sont impactés économiquement, qui n’ont pas subi l’inondation directe
mais indirectement, ils ont subi la fermeture de leur établissement pour
tout l’été. »
Pierre Tristan, hôtelier (Vallée du Bastan) :
« Quand vous perdez deux mois de saison, vous ne vous en remettez pas
comme ça. On s'est retrouvé au démarrage de la saison avec une vallée
dévastée. Les touristes ne viennent pas pour voir ça, ils viennent pour se
sortir de leurs problèmes, ce n'est pas pour voir les problèmes des autres.
Donc on a eu une saison très compliquée derrière. »
Laurent Marcou, adjoint au Maire de Barèges (2008-2014) (Vallée du
Bastan) :
« Ça a créé quand même un déficit financier à certains commerces. Il y
en a qui ont fermé, oui, c’est vrai. »
Un commerçant du village et Hervé Péréfarrès, maire de Saint-Béat (2008-
2014), reportage du 12 août 2013 (Haute Vallée de la Garonne) :
« Je compte arrêter l’activité fin septembre ou fin octobre.
— On va essayer de se battre, on va trouver une solution, non ?
— Non, non…
— C’est vrai que quand vous êtes maire du village et vous savez qu’un
commerce ne va vraiment pas repartir suite à cette crue, vous le vivez
mal. »
Reportage du 12 août 2013 :
« La situation est critique, car le poumon économique du village est
touché. »
Hervé Péréfarrès, maire de Saint-Béat (2008-2014), reportage du 12 août
2013 (Haute Vallée de la Garonne) :
« S’il n'y a pas de camping, Saint-Béat ne pourra pas repartir. »
Hervé Péréfarrès, maire de Saint-Béat (2008-2014) (Haute Vallée de la
Garonne) :
« Il y a eu le combat de l’eau, mais maintenant, le combat qui s’annonce
et qu’on voit très vite arriver, c’est le combat de la reconstruction. Ce
petit tissu économique d’un petit village de montagne rural, si vous le
perdez, après… Si vous n’avez pas de services, les gens, à un moment
donné, ils partent. Parce que les services auraient pu partir ailleurs. Et
je répète : ce n’était pas qu’à Saint-Béat que je pensais, c’était à toute
cette vallée. »
Pour ces vallées, récupérer rapidement est un enjeu crucial, car elles sont
vulnérables sur le plan socio-économique.
Laurent Marcou, adjoint au Maire de Barèges (2008-2014) (Vallée du
Bastan) :
« La population, mais pas qu’ici, déserte les zones rurales. Même si nous
sommes touristiques, il n’y a pas un bassin d’emplois permanents. C’est
un bassin d’emplois saisonniers, donc c’est assez précaire comme
situation pour les gens qui veulent vivre. »
Francis Dejuan, maire de Fos (2014-2020) (Haute Vallée de la Garonne) :
« Le problème c'est le travail, l'emploi dans notre canton. Il n'y a pas
beaucoup d'emploi. »
Pascal Arribet, Maire de Barèges depuis 2014 (Vallée du Bastan) :
« On est dans l’évolution normale d’un village rural, d’un village de
montagne. On peut regarder dans tous les massifs, tous les villages du
gabarit de Barèges ont la même problématique. »
Le tourisme est aujourd’hui le moteur économique de ces vallées mais il est
fortement dépendant de la conjoncture climatique et sociale et reste fragile.
L’agriculture, qui était une ressource majeure des vallées de montagne, ne suffit
plus depuis longtemps à maintenir l’emploi. La crue a accentué ces difficultés.
Dans la vallée du Bastan, elle a détruit l’abattoir, mettant en danger l’AOP Mouton
de Barèges-Gavarnie, un label difficilement obtenu pour valoriser l’élevage ovin.
Marie-Lise Broueilh, éleveuse et initiatrice de l’AOP Mouton de Barèges-
Gavarnie (Vallée du Bastan) :
« Les grands élus comme le Président de la République François Hollande,
le ministre l'Agriculture Stéphane le Foll… On a eu le premier ministre
même qui était là. Ils ont dit « votre abattoir, reconstruit ! ».
Changement de préfet, on a une préfète qui dit : « non non, non non,
pas d'abattoir ». Donc pas d'agrément, pas d'argent, pas de subvention,
pas d'agrément : « vous n'aurez rien ». Il faut vraiment avoir du sang
dans les veines pour repartir. »
Marjolein Fourtine, propriétaire du camping de Barèges (Vallée du Bastan) :
« Après, le combat, c’est avec les assurances. Ça c’est un combat qui
n’est pas toujours juste, qui est dur pour les gens… Il faut prendre des
experts d’assuré. Heureusement, nous on en avait un bon. En face, on
avait des loups avec des dents comme ça, prêts à nous dévorer ! C’est
négocier, c’est un combat. Et si tu ne reconstruis pas, l’argent n’arrive
pas. En fait, on te laisse peu de choix. Pour une assurance de perte
d’exploitation, il faut reconstruire dans les deux ans qui suivent le jour
même, sinon tu ne l’as pas et pendant deux ans tu n’as pas cet argent. »
Dominique Boutonnet, membre du collectif « Vivre à Saint-Béat » (Haute
Vallée de la Garonne) :
« Vous ne pouvez pas imaginer… Vous êtes tout seul pour vous
débrouiller… Il y a quelque chose de bien quand même, c’est que comme
c’était considéré comme une catastrophe naturelle d’ampleur, l’État a
débloqué des fonds pour payer des personnes, dans les communautés de
communes ou dans les mairies, qui ont été dédiées à aider les gens. Cela
a mis un petit moment pour se mettre en place. Après, sur le long terme,
elles n’avaient plus personne pour les aider. »
Hervé Péréfarrès, maire de Saint-Béat (2008-2014) (Haute Vallée de la
Garonne) :
« Je considère avoir été, avec mon équipe, comme un pitbull. J’ai rien
lâché. Et c’est vrai que les gens ne s’en sont peut-être pas aperçus, parce
que là il y avait en jeu des centaines de milliers d’euros, voire un peu
plus. La reconstruction du village passait par là : ne pas se louper avec
les assurances. »
Dans les deux vallées, les habitants doivent faire face à la complexité et à la durée
des procédures. Cette situation, en décalage avec les promesses des premiers
jours, ne les aide pas à retrouver une vie normale, mais les maintient dans
l’incertitude face à l’avenir.
1.3 Un an après
Un an après, les procédures suivent leur cours mais des différences commencent
à apparaître entre les deux vallées.
Laurent Grandsimon, Maire de Luz-Saint-Sauveur, lors d’un reportage
télévisé (Vallée du Bastan) :
« Vous voyez maintenant c’est bien vivant. On a les commerces ouverts,
les gens qui sont souriants, il fait beau. — Le maire nous montre les rives
du torrent en train d'être consolidées. La voirie est entièrement refaite,
à la grande satisfaction des habitants. — Oui, ça avance vite ils ont fait
un bon boulot. — Ça fait un an qu’il y a des camions tous les jours, enfin,
ils ont bien travaillé. »
Reportage télévisé (Haute Vallée de la Garonne) :
« Ils sont une centaine de Saint-Béat, Fos, Arlos, Chaum : tous les
villages touchés pas l’inondation. Ils filtrent l’unique route qui relie la
France à l’Espagne pour alerter l’opinion. »
Reportage télévisé (Haute Vallée de la Garonne) :
« Dans les rues de Saint-Béat, les stigmates de la crue sont encore bien
visibles. Les maisons qui bordent le fleuve n'ont pas été réinvesties. »
Philippe Prax, habitant de Chaum – Collectif « Sortir de l’eau » (Haute Vallée
de la Garonne) :
« La situation n’a absolument pas changé, quoi qu’ait pu dire Monsieur le
Préfet à la radio et dans les journaux. Donc on est très en colère à cause de
ça. »
Reportages télévisés (Haute Vallée de la Garonne) :
« Sentiment d’abandon car ils attendent depuis un an le déblaiement de
la Garonne, la sécurisation des berges et le renforcement des maisons
qui font aussi office de digues. »
« Mais c’est aussi la résurrection économique des villages qui inquiète en
ce tout début de saison touristique. »
« Municipal ou privé, les deux campings du bourg ont été fermés
définitivement par arrêté préfectoral en mars dernier. Un coup dur pour
l'économie locale, qui repose essentiellement sur le tourisme vert. »
Les habitants de la haute vallée de la Garonne ne comprennent pas les modalités
de gestion de l’après-crue sur leur territoire.
Jean Lafont, Maire de Fos (2008-2014) (Haute Vallée de la Garonne) :
« C’est une grande injustice de la part des services de l’État. On a fermé
trois campings et on a signé l’arrêt de mort économique de notre vallée. »
Francis Dejuan, maire de Fos (2014-2020) (Haute Vallée de la Garonne) :
« Le camping municipal, le camping privé de Saint-Béat, le camping de
Fos ont été rayés de la carte par un coup de baguette magique. Or ils
avaient été évacués. Il n’y avait aucun danger. Il n’y avait plus de
campeurs, le système d’alarme avait fonctionné parfaitement, il n’y avait
aucun problème. On a tout essayé : j’ai écrit au Président de la
République François Hollande, au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, au
Premier ministre Manuel Valls, au ministre de l’Intérieur Monsieur
Cazeuneuve, Madame Ségolène Royal… J’ai fait un dossier énorme. On
n’a rien pu faire, on n’a pas pu rouvrir le camping. »
Frédéric Valot, gérant du Casino/Vival (Haute Vallée de la Garonne) :
« Pourquoi interdire les campings ? Ça arrive une fois tous les cent ans
une inondation, ça n’arrive pas tous les jours, pas tous les mois, et pas
toutes les années. Ça arrive une fois tous les cent ans ici. »
Jean-Pierre Tièche, Président de l’Association de pêche de Saint-Béat (Haute
Vallée de la Garonne) :
« Le 65, les Hautes-Pyrénées, les vallées des Hautes-Pyrénées ont été
impactées autant que nous, sinon plus, avec la crue de 2013. Et tous les
campings sont rouverts. »
Louis Bron, propriétaire du camping de Saint-Béat (Haute Vallée de la
Garonne) :
« Partout ailleurs, tout le monde est reparti. Vous allez au Val d'Aran, en
Espagne. Alors là, deux jours après, ils étaient dans la Garonne en train
de nettoyer. »
Reportage télévisé :
« Coût des travaux : 25 millions d'euros. D'où des travaux
impressionnants qui donnent une sensation de canalisation de la Garonne
dans une vallée étroite et qui peuvent inquiéter les habitants, situés en
aval, en France. »
Louis Bron, propriétaire du camping de Saint-Béat (Haute Vallée de la
Garonne) :
« Vous allez dans les Hautes-Pyrénées, c'est en France. Il faut voir le
travail monumental qu'ils ont fait. »
Reportage télévisé :
« C'est un peu le Salon des travaux publics. Les plus gros engins, pelles
mécaniques de 40 tonnes et camions énormes. Et sur le chantier, 50
ouvriers travaillant 10h par jour. »
Hervé Péréfarrès, maire de Saint-Béat (2008-2014) (Haute Vallée de la
Garonne) :
« Au niveau des gens cela a été de se dire : « Si là-bas ils l’ont fait, cela
doit être nécessaire. Nous, si on ne l’a pas fait, c’est que ce n’est pas
normal ». Du coup : inquiétude. Je pense que là il aurait fallu mieux
communiquer. »
En fait, qu’il s’agisse des types de crues ou des types de travaux de protection, la
comparaison entre la Vallée de la Garonne à Saint-Béat et celle du Bastan, et
même le val d’Aran, est biaisée.
Jean-Marc Antoine, Géographe, Université Toulouse II – Jean Jaurès,
Laboratoire GEODE – CNRS :
« Les deux vallées, donc la vallée de la Garonne et du Bastan, ont subi
le même phénomène météorologique. Il n'y a pas eu la même réponse
hydrologique des deux vallées, c'est-à-dire l'écoulement des eaux. Les
dégâts qu'ils ont pu faire n'ont pas été identiques parce qu'on est dans
des conditions topographiques qui sont très différentes. »
Anne Peltier, Géographe, Université Toulouse II – Jean Jaurès, Laboratoire
GEODE – CNRS :
« Ce sont des vallées qui ont des configurations géographiques
différentes. La Vallée du Bastan, c'est une vallée de haute montagne,
étroite, avec un cours d'eau torrentiel donc, qui dévale la pente très
rapidement et qui charrie beaucoup de matériaux, des blocs, etc. La
Haute Vallée de la Garonne est beaucoup plus large, avec une pente
beaucoup plus faible à plus basse altitude. Et là, ce qui s'y passe, c'est
essentiellement des débordements qui vont générer des dépôts de
graviers, de matériaux plutôt fins.
Dans la Vallée du Bastan, le torrent occupait toute la largeur de la vallée.
Il avait détruit la route complètement. La route était emportée jusqu'au
pied du versant. Donc il fallait rétablir la route. Il fallait protéger les
maisons. Donc il y avait vraiment une nécessité d'intervenir tout de suite
parce que l'on ne pouvait même plus circuler. Dans la Haute Vallée de la
Garonne, une fois le nettoyage fait, et un certain nombre de points de
sécurisation assurés, il y avait plus de temps pour étudier les travaux à
mener. »
Jean-Marc Antoine, Géographe, Université Toulouse II – Jean Jaurès,
Laboratoire GEODE – CNRS :
« Les travaux qui ont été faits dans le Val d'Aran sont différents. C'est
en partie lié au fait qu'on est sur la partie plus haute de la Garonne, donc
on est déjà dans un système qui est beaucoup plus torrentiel qu'à Saint-
Béat. Donc on retombe sur la problématique de : « on ne traite pas le
risque torrentiel de la même façon ». Mais de toute façon, on est, à Saint-
Béat, dans un bassin qui fait que quoiqu'il arrive, que l'eau arrive vite ou
pas, ça fait goulot d'étranglement et donc l'eau déborde très
facilement. »
Les types de crues différents dans les deux vallées, ainsi que la prise en compte
d’enjeux économiques différenciés, conduisent également l’État à reconsidérer
l’implantation des campings.
Jean-Hugues Vos, Responsable mission post-crue DDT 65 2013-2015,
Responsable territorial DDT 31 2016-2019 :
« Est-ce qu’on peut extraire les campings du risque inondation ? Oui,
non ? Saint-Béat, non. Donc on ferme. Et ça, les gens n'ont pas compris
parce qu'ils voient le camping de Barèges. Oui, il y a un camping à
Barèges, mais ce n’est pas, mais alors pas du tout le même camping qu’il
y avait avant la crue. »
Reportage télévisé :
« Deux ans plus tard, le camping a perdu près de la moitié de sa surface
pour faciliter l'écoulement du Bastan. Mais les campeurs ou locataires
des chalets en bois ont fait leur retour. Des curistes fidèles à Barèges, à
son camping et à ses patrons. »
Jean-Hugues Vos, Responsable mission post-crue DDT 65 2013-2015,
Responsable territorial DDT 31 2016-2019 :
« Saint-Béat, c’est un verrou glaciaire. Donc, à un moment donné, tout
passe là. Et c'est vrai qu’on ne sait pas répondre à ça. »
Hervé Péréfarrès, maire de Saint-Béat (2008-2014) (Haute Vallée de la
Garonne) :
« On a beaucoup travaillé avec les services de l'État par rapport au
camping, à savoir qu'est-ce qu'on faisait des campings, si on les
déplaçait, etc. C'était un très, très gros travail avec eux. On a cherché à
voir toutes les possibilités, toutes les hypothèses. Et ça jusqu'au bout.
Au final, quand je quitte la mairie en 2014, c'est toujours en phase de
réflexion. »
Dans la vallée de la Garonne, le retard des travaux et la fermeture des campings
cristallisent la colère.
Pourtant, un an après, si tout n’a pas été réparé, les travaux les plus urgents ont
été réalisés sur les routes et les bâtiments.
Mais les rumeurs et le mécontentement s’installent, faute de communication et de
concertation. La gestion des crues est effectivement complexe à comprendre.
Anne Peltier, Géographe, Université Toulouse II – Jean Jaurès, Laboratoire
GEODE – CNRS :
« Ce qu'on a pu voir dans nos enquêtes, c'est qu'en fait, il y a beaucoup
de gens qui pensent qu'une crue centennale ou une avalanche
centennale, ça ne se produit qu'une fois tous les 100 ans. »
Jean-Marc Antoine, Géographe, Université Toulouse II – Jean Jaurès,
Laboratoire GEODE – CNRS :
« Ça peut être dangereux parce que de dire qu’une crue centennale c’est
une crue qui revient une fois tous les cent ans, ça peut laisser croire aux
gens ou à la société, et on l'observe d'ailleurs, qu'une fois qu'elle est
survenue, on est tranquille pour cent ans. Ce qui n'est pas le cas. Ça peut
se reproduire dix ans après, 25 ans après, et ensuite on peut avoir une
période très longue où on n'a plus de crues de ce type. »
Un an après la crue, on voit donc apparaître un contraste entre les deux territoires,
l’un adhérant globalement aux interventions menées, l’autre étant dans une
complète incompréhension.
1.4 Cinq ans après
Finalement, cinq ans après, où en est la résilience des deux vallées ? La résilience
est la capacité, après une catastrophe, à revenir à un fonctionnement normal, ou,
si possible, à une nouvelle normalité adaptée au risque afin d’être moins
vulnérable. En 2018, la haute vallée de la Garonne, particulièrement à Saint-Béat,
a-t-elle pu revenir à une situation normale ?
Hervé Péréfarrès, maire de Saint-Béat (2008-2014) (Haute Vallée de la
Garonne) :
« C’est pas fini. Le retour à la normale ? Il n’y est pas parce que je vois
encore certains stigmates de la crue. »
Du côté des agriculteurs, très touchés en 2013, le travail n’est pas fini.
Jean-François Delvallez, éleveur bovin (Haute Vallée de la Garonne) :
« Il reste aujourd'hui une surface d’à peu près de 3000 ou 4000 mètres
carrés à remettre en état. Je trouve ça pas trop mal, mais bon, ça fait
cinq ans. Dans les parcelles que j’ai nettoyées, je retrouve encore
aujourd’hui des papiers, des bouts de plastique, des chaussures, de tout…
ça remonte. »
À Saint-Béat, la plupart des commerces ont réhabilité leurs locaux et un projet de
relocalisation du camping municipal est en cours. En revanche, les deux autres
campings de la vallée, à Fos et à Saint-Béat, n’ont pas trouvé de solution
satisfaisante et ne rouvriront pas.
Quant aux travaux sur la Garonne, ils ont été retardés et ne seront entrepris qu’à
partir de 2019.
Cependant, des efforts ont été faits pour rendre la vallée moins vulnérable. Le
système d’alerte aux crues, qui ne couvrait pas Saint-Béat, a été étendu et
complété grâce à une coopération avec le Val d’Aran.
Dans la Haute Vallée de la Garonne, la trajectoire de résilience reste donc difficile.
Dans la Vallée du Bastan, quelques difficultés persistent. En particulier, les
éleveurs n’ont, en 2018, toujours pas résolu le problème de l’abattoir.
Marie-Lise Broueilh, éleveuse et initiatrice de l’AOP Mouton de Barèges-
Gavarnie (Vallée du Bastan) :
« Il faudrait que le nouvel abattoir soit reconstruit le 31 décembre 2019.
On n’a pas posé la première pierre. On est là en fragilité, ça, c'est
évident. »
Malgré ces fragilités, la vallée du Bastan se montre résiliente.
Maryse Carrère, Sénatrice des Hautes-Pyrénées :
« La vie a repris son cours. Les gens aujourd'hui ont repris une vie
normale. »
Christian Armary, restaurateur, moniteur de parapente et de ski (Vallée du
Bastan) :
« En moins de deux ans, tout a été réglé. On n'en parlait plus. On avait
un nouveau village, une nouvelle route. »
Maryse Carrère, Sénatrice des Hautes-Pyrénées :
« Je pense qu’on a été relativement exemplaires parce qu’en trois ans,
on a fait des travaux qu'on n'aurait pas fait en 40 ans. On a fait sur le
territoire de la vallée des Gaves, Bastan, Cauterets, vallée d'Argelès, on
a fait plus de 60 millions d'euros de travaux. C'est quelque chose
d'énorme, en quatre ans. »
Les travaux liés à la crue ont même permis d’améliorer les infrastructures.
Laurent Marcou, adjoint au Maire de Barèges (2008-2014) (Vallée du
Bastan) :
« Puisqu'on a eu notre station d'épuration emportée, ça nous a permis
quand même de réaliser une conduite jusqu'à Luz-Saint-Sauveur et
d’enterrer tout le réseau sur la départementale qui rejoint Barèges et
Luz-Saint-Sauveur. Maintenant, tous les réseaux sont enterrés, que soit
l'électricité, que ce soit le téléphone. Tout a été enfoui sous la route. Ça
nous a permis de sécuriser. Il y a moins d'impact sur le paysage. »
Pascal Arribet, Maire de Barèges depuis 2014 (Vallée du Bastan) :
« Ça a été l'occasion également de prendre conscience que ça faisait
quelques années que le village n’avait pas eu de gros investissements
pour le remettre en valeur. Nous sommes partis sur un programme de
rénovation. »
À Luz-Saint-Sauveur, la crue a été l’occasion de réaménager une des places du
village.
Également, une promenade a été créée le long du Bastan dans l’objectif de
réconcilier les habitants avec leur torrent et d’entretenir la mémoire du risque.
Pour réduire le risque, à Barèges, la crue a conduit à repenser les logiques
d’aménagement du passé.
Jean-Hugues Vos, Responsable mission post-crue DDT 65 2013-2015,
Responsable territorial DDT 31 2016-2019 :
« Ils avaient oublié qu’ils avaient une rivière. Ils avaient oublié le côté
dangereux de la rivière. Avant la crue de juin, la rivière ne fait plus par
endroits que quatre mètres de large ! Parce que petit à petit, la ville se
construit et laisse peu de champ à la rivière. »
Laurent Marcou, adjoint au Maire de Barèges (2008-2014) (Vallée du
Bastan) :
« Notre capacité de logement est de 3800 personnes. Barèges a été
village, ville, en 1946. Jusque-là, c’était qu’un hameau, puis qui s’est
développé autour du thermalisme et des stations de ski. »
Reportage télévisé de 1986 :
« Que ne ferait-on pas pour développer une station de sports d'hiver ? À
Barèges, dans les Hautes-Pyrénées, malgré les dangers des avalanches
en hiver, la municipalité accepte sans sourciller la construction d'un
immeuble de 64 appartements. »
André Sabathier, Maire de Barèges et un journaliste :
« Les avalanches arrivent tous les 50 ans, 30 ans. Vous savez, peut-être
que ça tiendra cent ans… — Vous pensez que c'est raisonnable de
construire avec des « peut-être » ? — Bien sûr, ce n'est pas raisonnable,
mais que voulez-vous, il faut bien développer la station. — C'est cela qui
vous empêche d'intervenir ? — Un petit peu. »
Une révision des Plans de prévention des risques est initiée pour restreindre la
possibilité de construire dans les zones dangereuses. Leur mise à jour modifie
donc les Plans Locaux d'Urbanisme (PLU).
Pascal Arribet, Maire de Barèges depuis 2014 (Vallée du Bastan) :
« Des zones qui étaient urbanisées sur l'ancien PLU, qui datait de
pourtant de 2010, vont devenir des zones rouges, c'est-à-dire des zones
qui ne seront plus destinées aux habitations. D'où un impact parce que
c'est vrai que nous sommes un petit village où nous avions déjà très peu
de zones constructibles. Et là, du coup, entre les avalanches, les crues
et d'autres mouvements de terrain qui ont été répertoriés, nous avons
très peu de surfaces urbanisables à l'intérieur même du village. »
Globalement, cinq ans après la crue, les habitants de la vallée du Bastan ont
toutefois retrouvé une vie normale et ils sont nombreux à souligner que la
récupération a été rapide. Cependant, comme dans la vallée de la Garonne, les
esprits restent marqués par la crue.
Pascal Arribet, Maire de Barèges depuis 2014 (Vallée du Bastan) :
« On ne peut pas dire que cela soit de bons souvenirs, parce qu’on a
jamais de bons souvenirs d’une crue. Et puis l’impact sur le village… parce
que quand vous quittez votre village tel qu’il était, tel que l’on a retrouvé
après, même avec un réaménagement qui a été très positif pour
l’ensemble des habitants, les personnes âgées vous disent que ce n’est
pas leur village. »
Jean-François Meyer, gendarme (Haute Vallée de la Garonne) :
« Les gens ont été traumatisés. Si vous parlez à des Saint-Béatais
actuellement, même si ça fait six ans maintenant, à chaque fois, au mois
de juin, quand ils entendent l'orage gronder, quand il y a les mêmes
conditions qui sont réunies… Je vous garantis qu'ils ont un œil sur la
Garonne, et c’est normal. »
Laurent Marcou, adjoint au Maire de Barèges (2008-2014) (Vallée du
Bastan) :
« C'est vrai que ce printemps, quand il y a eu la montée des eaux, ça a
ravivé les mémoires, même celles des curistes qui étaient là. Donc c'est
vrai que c'est une crainte. »
Jean-Hugues Vos, Responsable mission post-crue DDT 65 2013-2015,
Responsable territorial DDT 31 2016-2019 :
« Nous, on a observé dans les agents et les élus, il y a des élus qui, au
bout d'un an, développent des pathologies : cancer, etc. Zéro
accompagnement, bien sûr. »
Frédéric Valot, gérant du Casino/Vival (Haute Vallée de la Garonne) :
« On a eu beaucoup de décès de personnes âgées. Je crois qu'ils ont été
traumatisés par la chose. Beaucoup de personnes tombées malades,
aussi. Moi, le premier : ils m’ont posé deux stents au niveau des artères.
C'est vrai que vous avez le stress, vous avez tout ça. Ça joue aussi. Ça
a foutu un coup sur la santé à tout le monde et ce n'est plus du tout
pareil après. »
Le traumatisme est difficile à évaluer car, à ce jour, il n’existe pas d’étude sur les
conséquences à long terme de la crue et il manque un suivi pour tous les acteurs
concernés.
1.5 Conclusion
Il ne faut pas des semaines ou des mois pour effacer les effets de la crue, il faut
des années. Ici, la vallée du Bastan a récupéré plus vite et plus complètement que
celle de la Garonne, ce qui est a priori surprenant car c’est la vallée qui a été la
plus touchée. Après avoir observé ces trajectoires différenciées, les chercheurs se
sont penchés sur les facteurs de résilience.
2. Les facteurs de résilience
Dans la vallée du Bastan, l’un des facteurs de réussite tient à la mobilisation.
Maryse Carrère, Sénatrice des Hautes-Pyrénées :
« Cette émulation qui a été due au choc des images du 18 juin, du 19 au
matin, quand on a pris les hélicos pour survoler… c’était un désastre. On
avait l'impression d'avoir été bombardé. Ces images ont tellement
choqué que tout le monde s’est retroussé les manches et « on y va ». »
Daniel Delous, retraité RTM-ONF (Vallée du Bastan) :
« Parce que ce n’était pas que Barèges, c’était toute la vallée ! C’était
Luz, Gavarnie, Cauterets, Pierrefitte, Soulom… C’est vrai que le tronçon
du Bastan a été un des plus ravagés, mais ailleurs ça a aussi été
extrêmement impacté. »
Maryse Carrère, Sénatrice des Hautes-Pyrénées :
« Le maître-mot c'était vite, vite, vite ! Re-protégeons, reconstruisons.
Et ça a été quelque chose d’assez exceptionnel. On a tellement été dans
ce mouvement d’émulation que même l’État s’est laissé entraîner. »
Les acteurs publics se coordonnent et se mobilisent très rapidement et selon des
modalités originales.
Par exemple, le président du Département a mis en place un bordereau unique
des prix qui permet d’alléger les procédures de mise en concurrence et d’accélérer
les travaux.
Maryse Carrère, Sénatrice des Hautes-Pyrénées :
« Le président du département est ancien contrôleur de travaux de
l’équipement, de la DDT. C’est un homme de l’art. Après, il a la
connaissance de son territoire, de son département. Il connaissait les
entreprises de travaux publics et il a dit « On ne se relèvera pas si on n'a
pas aujourd'hui l'intégralité des entreprises de travaux publics du
département qui travaillent ensemble. ». Il a eu cette idée de faire
travailler ensemble toutes ces entreprises sur le même prix. »
Le préfet des Hautes-Pyrénées, lui, a mis en place la mission post-crue, chargée
de coordonner la réponse de l’État, d’assurer une communication efficace avec les
acteurs locaux et d’aider les élus à monter leurs demandes de financement.
Maryse Carrère, Sénatrice des Hautes-Pyrénées :
« L’état est arrivé avec, quasiment, des taux de subventions de 80 %-
95 %. On n’aurait jamais pu faire ça si on n’avait eu que 50 % de
subventions. »
Jean-Hugues Vos, Responsable mission post-crue DDT 65 2013-2015,
Responsable territorial DDT 31 2016-2019 :
« Au sein de la mission crue, on était allé analyser sur cinq ans les
capacités des communes, de chacune des communes. Combien ils
investissaient depuis cinq ans, combien ils avaient comme budget de
fonctionnement, quelle était leur capacité d'autofinancement. La capacité
d'autofinancement, pour faire simple, c'est la capacité à aller chercher
de l'emprunt, pour faire vraiment très simple. Et, sur la base de cette
analyse, on a justifié auprès de l'État qu'il fallait qu'il soit exceptionnel
dans son aide sur ce département. Il l'a été et il l'a été de façon globale,
c'est-à-dire qu'il l'a été à la fois dans les Hautes-Pyrénées et dans la
Haute-Garonne. »
Les membres de cette mission se sont investis avec une énergie saluée par tous
pour proposer des solutions adaptées.
Jean-Hugues Vos, Responsable mission post-crue DDT 65 2013-2015,
Responsable territorial DDT 31 2016-2019 :
« On a aussi une chance. Quand la crue de juin 2013 arrive dans le
département des Hautes-Pyrénées, elle arrive après la crue d'octobre
2012. On a rodé un certain nombre d'outils et de méthodes. Finalement,
on a rodé les bonnes questions à se poser, alors qu'on les avait un peu
oubliées. Et ça va participer à la réussite, finalement, de la réaction à la
crue de juin 2013. »
Pour gérer les travaux dans la vallée du Bastan et le bassin de Luz, l’État s’est
appuyé sur une structure préexistante. Il s’agit du SIVOM du Pays Toy, Syndicat
intercommunal à vocation multiple qui se chargeait jusque-là de la mise en valeur
touristique de la vallée.
Alain Masy, chargé de mission travaux torrentiels au PLVG (Vallée du
Bastan) :
« Alors pour moi, c’est la grande idée, parce qu’en fait le pays Toy
représente 17 communes qui ont à peu près chacune 150 habitants. Il
était inenvisageable de confier 35 millions de travaux, parce qu’on parle
de 35 millions de travaux, à des communes, et à dissocier quelque chose
qui finalement est un bassin-versant assez unitaire. C’était un trait de
génie, c’était aussi un défi, parce que pour rappel le SIVOM du Pays Toy
gérait un budget d’environ 200 000 euros annuels, et on était dans
l’obligation de faire les travaux pour 35 millions d’euros en deux ans. Ça
a permis de fédérer l’ensemble des communes et notamment de faire un
recrutement, le mien en l’occurrence, un recrutement pour suivre
l’ensemble des travaux. Au bout du compte, en permanence, les gens
savaient que tout le monde travaillait dans le même sens. »
Par la suite, le SIVOM a laissé la main au PLVG, le Pays de Lourdes Vallées des
Gaves, une structure de type syndicat mixte qui a pris en charge la gestion des
inondations dans le bassin du Gave de Pau.
Maryse Carrère, Sénatrice des Hautes-Pyrénées :
« Avec la mission de porter un PAPI, un Plan d'Actions de Prévention des
Inondations, qui est un programme sur trois ans normalement, -on a un
petit peu débordé-, de prévention des inondations, avec un programme
de travaux de près de 15 millions d'euros à mettre en place. »
Le PAPI mis en place dès 2015 a permis de réaliser d’importants travaux mais
aussi de financer des actions de réduction de vulnérabilité comme l’entretien de
la mémoire du risque.
Dans la Haute Vallée de la Garonne, où les dégâts ont été moins importants, l’État
s’est moins investi dans l’accompagnement des communes.
Jean-Hugues Vos, Responsable mission post-crue DDT 65 2013-2015,
Responsable territorial DDT 31 2016-2019 :
« En Haute-Garonne, en juin 2013, l’État laisse la main aux collectivités
pour lister leurs dégâts, etc. Il les accompagne pour créer les dossiers,
mais ne fait que les accompagner. Il ne crée pas le dossier à leur place.
Mais ils n’étaient pas structurés pour, ils n'avaient pas les agents
compétents pour, parce que quand on parle de rivière, il faut de la
compétence. Quand on parle de protection contre les inondations, il faut
être en mesure d'étudier, ou tout du moins de vérifier ce qui est produit.
Ça pose indirectement la question de la capacité des collectivités à être
armées pour faire face eux à ce qu'ils doivent faire. Là, la réponse est
qu'ils n'étaient pas armés pour, pas plus que ceux des Hautes-
Pyrénées. »
Pour répondre à ce problème, la loi MAPTAM de 2014 a créé la compétence de
Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI). Elle l’a
confiée aux intercommunalités à partir de 2018 pour qu’elles mènent des
politiques de prévention plus ambitieuses en regroupant leurs moyens financiers
et humains.
Mais dans la Haute Vallée de la Garonne, les trois communautés de communes du
secteur fusionnent, contraintes par la loi de 2015, et il faut attendre 2019 que la
nouvelle intercommunalité se crée et puisse monter un syndicat de rivière. C’est
cette structure qui prend la compétence GEMAPI et qui pourra, à terme, finir les
travaux post-crue et monter un PAPI.
Ces problèmes de structuration ne suffisent cependant pas à expliquer le
sentiment d’abandon des habitants de la vallée de la Garonne. Pour comprendre,
il faut s’intéresser aussi à la trajectoire socio-économique des territoires.
Anne Peltier, Géographe, Université Toulouse II – Jean Jaurès, Laboratoire
GEODE – CNRS :
« Dans les Hautes-Pyrénées, on a un département qui est très
majoritairement rural, avec pas loin des deux tiers du département en
zone de montagne, et beaucoup de sites touristiques très attractifs. Ça
fait un département dont l'économie repose beaucoup, pour environ un
tiers, sur le tourisme. En Haute-Garonne, on a vraiment un
fonctionnement très différent avec la métropole toulousaine qui absorbe
l'essentiel de la croissance économique, et la partie montagne c'est
seulement un petit morceau du département de la Haute-Garonne avec
un tourisme vert beaucoup plus diffus : la pêche, la randonnée…
En plus, avec une difficulté supplémentaire dans la vallée de Saint-Béat,
qui est une concurrence à la fois avec le Luchonnais et avec le Val d'Aran.
Quand on regarde les chiffres, on voit bien le contraste dans l'activité
touristique, et en particulier au niveau du ski entre la vallée du Bastan
et la vallée de Saint-Béat. On avait déjà une situation qui était difficile
avant la crue et finalement, ses campings ayant été fermés, ça a accru
encore les difficultés pour la vallée. Dans les Hautes-Pyrénées, il y avait
un tel enjeu à redémarrer l'activité touristique que, dans les semaines
qui ont suivi, le département a financé une campagne de publicité pour
inciter les touristes à revenir. »
Jean-Hugues Vos, Responsable mission post-crue DDT 65 2013-2015,
Responsable territorial DDT 31 2016-2019 :
« Tout le monde est mobilisé pour que la vie reprenne et que la vie
reprenne également de manière économique. Parce que le pire qui peut
arriver, c'est six mois de coupure économique. Là, dans des vallées
comme celles de Barèges, la moitié des commerces ferme. »
Jean-Daniel Cavaillé, directeur école Esquièze (Vallée du Bastan) :
« Et c’est ça qui a redonné la dynamique, qui a permis aux gens d’arrêter
de tourner en rond avec ça. Heureusement qu’il y a eu tout ça au final.
La force du tourisme est assez impressionnante. »
Pierre Tristan, hôtelier (Vallée du Bastan) :
« Il y a un gérant de camping à Barèges qui a tout de suite dit « on se
retrousse les manches ». Denis Fourtine a été exemplaire. Il y a des gens
incroyables qui ont pu ramener de la dynamique. »
Denis Fourtine, propriétaire du camping de Barèges, dans un reportage de
2015 :
« C'est un élément qui nous a bougés, qui nous a permis de rebondir sur
ce projet-là. Moi je l’analyse comme ça : ce n’est pas un accident, c’est
un incident de la vie. »
Laurent Marcou, adjoint au Maire de Barèges (2008-2014) (Vallée du
Bastan) :
« On est des guerriers de la montagne. On est habitués à avoir des
conditions de fonctionnement pas normales : forts cumuls de neige,
routes emportées… On est habitués à vivre avec ce milieu-là. »
Pierre Tristan, hôtelier (Vallée du Bastan) :
« En montagne, on a été habitués à s'entraider, donc il y a toujours un
reste de cet esprit-là. La vie était très dure en montagne, donc on
s'entend tous toujours très bien pour faire avancer les choses…
normalement. »
Dans la Haute Vallée de la Garonne, une situation politique conflictuelle et une
cohésion faible autour du projet territorial compliquent la récupération.
Pourtant, les habitants de la Haute Vallée de la Garonne se battent pour faire
entendre leur voix.
13 avril 2018, AG de « Vivre en Vallée de Saint-Béat » :
« On est là tous pour se battre parce qu’on voit que cela fait vingt ans,
ou peut-être plus, que cela meurt, que les services publics s’en vont, qu’il
n’y a personne qui vient s’installer, que l’école est appelée à disparaître,
le collège est appelé à disparaître. »
Dominique Boutonnet, membre du collectif « Vivre à Saint-Béat » (Haute
Vallée de la Garonne) :
« On a créé une association, en 2016, qu'on a décidé de nommer « Vivre
en Vallée de Saint-Béat » pour être un interlocuteur pour X projets de
mécontentement, notamment celui de la Garonne, mais plein d'autres
sujets de mécontentement. Dès la première année, il y avait 150
adhérents, ce qui, pour une région qui est en dépeuplement complet est
assez étonnant. Et à chaque fois qu'on appelle à une mobilisation ou quoi
que ce soit pour se montrer, pour dire, pour protester, très rapidement,
il n'y a pas besoin d’appeler du monde à venir. Les gens se déplacent.
Donnez-moi l’occasion de poser des questions, et d’avoir des
explications, et de faire des propositions, et qu’on discute autour d’une
table. Ça on ne l’a pas eu, jamais. »
En fait, l’association prend en charge une mission qui, dans la vallée du Bastan,
est assumée en partie par les élus locaux, celle de relayer les attentes et les
besoins du territoire. Par conséquent, elle se positionne comme un opposant à
l’État, quand les collectivités locales des Hautes-Pyrénées apparaissent plutôt
comme des partenaires de l’État.
Anne Peltier, Géographe, Université Toulouse II – Jean Jaurès, Laboratoire
GEODE – CNRS :
« Ce qu'on a observé dans nos deux vallées des Pyrénées, c'est quelque
chose que l'on retrouve un peu partout après les catastrophes et quelle
que soit la nature de la catastrophe. C'est vraiment le signe du besoin
d'un travail scientifique et d'un travail politique sur ce sujet-là pour
améliorer l'accompagnement des territoires et de leurs habitants après
une catastrophe.
Et là, on se dit qu'il y a du travail à faire encore en matière réglementaire
qu'en matière d'accompagnement, notamment par les communautés de
communes, pour essayer d'être au plus près des territoires et d'aider
ceux qui sont en difficulté pour se remettre.
En tenant compte du fait, qu’avec le changement climatique, il faut
s’attendre que ce type d’événements devienne plus fréquent et peut-être
plus intense donc il y a vraiment une nécessité absolue à ce que toute
les catégories d’acteurs s’investissent dans l’amélioration de la résilience,
et une meilleure gestion de l’après-crue qui intègre la préparation de la
crue suivante.
Conclusion
Ici, cette étude nous a appris que les mesures d’amélioration de la résilience
doivent être réfléchies en accord avec les acteurs locaux, afin qu’ils adhèrent au
projet de territoire et qu’ils se sentent impliqués dans la reconstruction et dans la
réduction de la vulnérabilité du territoire. Dans le cas contraire, les habitants se
sentent abandonnés, ce qui freine la récupération et aggrave la situation d’un
territoire déjà fragile.
Enfin, on voit que la gestion de crise ne suffit pas à assurer la résilience d’un
territoire. Pour l’améliorer, il faut aussi tenir compte des dynamiques territoriales
dans la durée et en particulier mettre en place un cadre de gestion de l’après-crue
qui s’adapte aux spécificités du territoire concerné.
L’abattoir de la Vallée du Bastan a été reconstruit sur la commune de Betpouey
en 2022. La réouverture du camping de Saint-Béat-Lez est annoncée pour 2024.