Désassemblons le numérique #E15 - Demain, des avions aussi silencieux que des oiseaux ?

Retranscription

Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de Désassemblons le numérique. Aujourd'hui, nous allons prendre un peu d'altitude, direction le ciel pour parler de bruit. Celui que font les avions que l'on prend, que l'on entend ou que l'on subit. Un bruit qui n'est pas qu'une gêne, mais aussi un véritable enjeu de santé publique, d'innovation industrielle et de modélisation numérique. Fermez les yeux et imaginez un avion qui décolle sans fracas, qui traverse le ciel comme un oiseau glisse dans le vent. Un futur silencieux ou une utopie aérienne. Pour explorer tout ça, nous sommes allés à la rencontre des scientifiques de l'équipe projet CONCACE, une équipe commune entre INRIA, Airbus et le CERFAX. Et c'est Guillaume Sylvain, responsable de l'équipe pour Airbus, qui nous accompagne aujourd'hui. Bonjour Guillaume. Bonjour. Merci d'être avec nous aujourd'hui pour nous parler de ce que réalise l'équipe CONCACE dans le domaine de l'aéronautique. Mais avant de parler de réduction de bruit, peut-être que tu pourrais nous expliquer un peu plus en détail ce qui entraîne justement le bruit que font les avions. Alors le bruit que font les avions, déjà, ça va dépendre des phases de vol dans lesquelles se trouve l'avion. Typiquement, dans des phases de décollage, les moteurs sont à 100% pour s'éloigner du sol le plus vite possible en sécurité. Donc là, la source principale de bruit, ce sont les moteurs. Durant les phases de vol, ce sont évidemment les moteurs aussi, mais ils marchent à un régime plus faible. Durant les phases d'atterrissage, ce ne sont plus les moteurs qui sont en fait à un régime très faible, ce sont des bruits aérodynamiques. Donc les bruits qui sont générés par l'écoulement de l'air autour de la structure de l'avion. Et comme au moment de la phase d'atterrissage, le train d'atterrissage est sorti, il est sorti relativement tôt pour des raisons de sécurité, eh bien ce train d'atterrissage provoque en fait des fortes perturbations aérodynamiques et c'est ça la principale source de bruit au moment de l'atterrissage. Et la dernière phase, ce sont les phases de taxiing, de roulage sur les pistes et de stationnement au point d'arrêt, où en général à ce moment-là, les moteurs font à faible origine, voire coupés. Et donc la principale source de bruit sur certains aéroports, ça va être ce qu'on appelle l'APU, donc l'unité de puissance auxiliaire, qui est donc un moteur supplémentaire qui se pose dans la queue de l'avion en général et qui produit de l'électricité lorsque l'avion est à l'arrêt et que les moteurs principaux sont arrêtés. Donc voilà, ce sont les différentes sources de bruit d'un avion et ces différentes sources de bruit impactent différents types de populations puisque typiquement lorsque l'avion est stationné, ça va surtout impacter les personnes qui travaillent sur l'avion ainsi que les passagers qui embarquent et qui débarquent. Durant les phases de décollage et d'atterrissage, ça va impacter les populations qui se trouvent autour des aéroports et durant les phases de vol en haute altitude, en général on n'entend pas l'avion au niveau du sol, donc les seules personnes impactées sont les passagers eux-mêmes de l'avion. Et du coup, est-ce qu'il y a déjà des solutions qui existent pour réduire le bruit de ces différentes sources ? Alors oui, donc l'air de rien, on ne s'en rend pas forcément compte lorsqu'on entend un avion qui décolle d'un aéroport, mais le niveau sonore des avions a énormément baissé, enfin, il reste perpétuellement en fait au fil des années. Les normes imposées par les aéroports sur le niveau sonore des avions sont de plus en plus strictes, et l'air de rien, des avions qui sont produits dans les années 2020 ont font beaucoup moins de bruit que des avions qui ont été créés dans les années 72 ou 80. Donc les technologies qui sont mises en jeu, elles elles sont à des atteintes aviennes à différents niveaux. Donc pour ce qui est des passagers, c'est principalement des isolants acoustiques qui se trouvent dans la cabine. Pour ce qui est de réduire le bruit des moteurs eux-mêmes, il y a un travail qui est fait d'une part par les motoristes eux-mêmes, donc les technologies récentes de moteur à double flux sont moins bruyantes que les anciens moteurs simple flux qui existaient jusque dans les années 80. Côté avionneurs, on travaille sur la nacelle des avions, donc qui est la coquille dans laquelle se trouve le moteur, et on met dans cette nacelle des matériaux acoustiques qui permettent d'absorber et de diminuer les émissions sonores. Et pour ce qui est du bruit aérodynamique, on travaille sur la finesse et la somme de l'avion en général et des parties qui génèrent le plus de bruit, comme typiquement le train d'atterrissage, pour essayer de diminuer au maximum les perturbations aérodynamiques et donc le bruit créé par cette site. Merci. On disait tout à l'heure que tu travaillais au sein de l'équipe projet CONCACE. Concrètement, qu'est-ce que fait l'équipe projet CONCACE sur ces sujets ? Alors CONCACE, c'est une équipe projet commune INRIA Industrie qui associe l'INRIA Centre de l'Université de Bordeaux, le CERFAX, qui est donc un centre de recherche qui se situe à Toulouse, et Airbus, et en particulier l'entité centrale R&T, qui est localisée en France, principalement à Toulouse et à Issy-les-Moulineaux. Donc l'équipe s'intéresse à la composabilité appliquée au calcul de performance. Donc le calcul de performance, c'est quoi ? C'est l'exploitation la plus efficace possible des ordinateurs, principalement pour faire des simulations. Et la composabilité, c'est l'idée d'essayer d'utiliser les langages de programmation modernes pour réécrire les algorithmes classiques utilisés dans la simulation numérique. Donc ce sont des algorithmes d'algèbre linéaire qui ne sont pour la plupart du temps pas nouveaux, même s'il y en a qui émergent régulièrement, et d'essayer de les réécrire sous une forme qui soit la plus composable possible afin d'optimiser l'utilisation qui est faite aujourd'hui de ces algorithmes et leur adaptation aux machines de calcul récentes qui sont de plus en plus performantes et qui offrent des capacités de calcul, notamment en termes de précision de calcul réduite, qui sont sans commune mesure avec ce qu'on avait encore il y a 10 ans. Donc en particulier sur la question de l'acoustique, c'est un sujet qui est porté donc par Airbus, naturellement, pour lequel on a déjà une certaine expérience, on travaille sur un certain nombre de méthodes numériques depuis maintenant 40 ans, et aujourd'hui on cherche à utiliser les idées portées par CONCACE, donc de composabilité des algorithmes, pour résoudre de manière plus efficace et plus rapide et plus précise les simulations que l'on cherche à faire sur les avions du cycle. Alors typiquement, pour donner des ordres de grandeur en termes de taille de calcul, il faut savoir qu'aujourd'hui, lorsqu'on cherche à simuler l'acoustique et donc la propagation du son autour d'un avion, on est amené à créer un maillage, c'est-à-dire une discrétisation du domaine dans lequel le bruit se propage, qui est donc tout l'air environnement, l'avion et même éventuellement l'intérieur de la cabine, discrétiser ce volume avec un pas, donc une finesse de discrétisation qui va dépendre de la fréquence acoustique qu'on cherche à simuler, et un pas de maillage qui peut descendre jusqu'à l'angle du centimètre, voire du millimètre, alors qu'on parle d'une structure qui peut faire jusqu'à 70 ou 80 mètres de long, et donc on se retrouve facilement avec des problèmes d'algèbre linéaire à résoudre qui peuvent comporter des centaines de millions, voire des milliards d'équations et des milliards d'inconnus. Donc on est vraiment sur des problèmes à résoudre de très très grandes dimensions pour lesquels la dimension HPC, donc calcul haute performance, high performance computing, est absolument essentielle. Est-ce qu'il y a des choses que vous avez réalisées chez CONCACE qui ont déjà permis de modifier la conception des avions ? Alors concrètement aujourd'hui, pas encore, déjà parce que l'équipe CONCACE est relativement jeune, puisqu'elle a maintenant deux ans seulement, alors que les cycles de conception des avions chez Airbus sont beaucoup plus longs que ça. Donc déjà, l'entité Airbus à laquelle j'appartiens, l'R&T, est une entité qui travaille en amont des bureaux d'études Airbus, principalement localisés à Toulouse et à Hambourg, travaillent sur la conception des avions. Vous voyez, nous, nous travaillons sur la conception des outils qui sont utilisés par ces bureaux d'études. Vous voyez qu'entre le moment où nous, nous mettons en point une méthode, ensuite on la transmet au bureau d'études, et que cette méthode est utilisée par les bureaux d'études pour toucher un nouvel avion, il s'écroule facilement, on va dire à peu près une dizaine d'années. Et ceci dit, les méthodes sur lesquelles on travaille, qu'on essaye de moderniser, dont on essaie d'augmenter la performance, sont déjà aujourd'hui utilisées dans les bureaux d'études. Je vous parlais tout à l'heure, par exemple, des matériaux absorbants qui sont à l'intérieur des nacelles et qui contribuent à réduire le bruit des avions. Donc, ce type de conception a été faite initialement en simulation numérique, en utilisant les outils sur lesquels aujourd'hui on travaille. Un autre exemple d'application, c'est la propagation du sang autour de l'avion et à travers le jet du réacteur, où on cherche à modéliser l'impact de la présence d'une jet sur la façon dont le son va partir vers le sol et donc typiquement impacter les riverains des aéroports. Ce genre de simulation est aujourd'hui également utilisé en bureau d'études et c'est également un type de simulation et de modélisation sur lesquels on travaille activement aujourd'hui à l'intérieur de l'équipe qu'on passe. Donc, c'est typiquement pour répondre à la question. Les outils sur lesquels le travail qu'on casse aujourd'hui ne sont pas utilisés pour concevoir des avions nouveaux, mais ils seront directement applicables dès qu'ils seront transmis au bureau d'études pour les avions de la prochaine génération. On va revenir maintenant à la question qui nous intéressait un peu dès le début de cet épisode. Est-ce que demain, on pourrait vraiment imaginer des avions aussi silencieux que des oiseaux ? Alors, pour les avions de ligne, c'est peu probable. Parce que dans un cas d'avion de ligne, on va peser pour les plus gros plusieurs centaines de tonnes et se déplacer à des vitesses qui sont de l'ordre de 850 à 900 km à l'heure. On n'a pas de base de comparaison dans les oiseaux pour ce type de dimension et de vitesse, mais il est certain que ça n'est pas en mettant des ailes qu'on fera voler quoi que ce soit à cette vitesse-là et avec ces masses-là. Donc, c'est peu probable. En revanche, on peut imaginer s'inspirer de ce que sont les oiseaux, de ce qu'ils sont, pour améliorer la finesse de conception des avions. Et c'est d'ailleurs déjà ce qu'on voit aujourd'hui. Donc, si vous observez les profils d'ailes typiquement des avions modernes, Airbus ou même Boeing, en comparaison des avions qui étaient conçus dans les années 70, vous allez pouvoir voir que les ailes sont beaucoup plus fines, ont un design qui est beaucoup très, j'ai envie de dire, raffiné, alors que le design des ailes anciennes était beaucoup plus rectiligne. Et notamment, les bouts d'ailes font l'objet de beaucoup de travail parce que le fait d'avoir des bouts d'ailes qui sont avec un design intelligemment conçu permet de diminuer la traînée qui apparaît à l'extrémité des ailes. Et typiquement, si vous regardez les ailes d'un A350, typiquement, et vous comparez ça avec des ailes d'oiseaux, vous pouvez voir une claire similarité entre les deux. Donc, quelque part, il y a des sources d'inspiration, mais je doute qu'un jour, on puisse obtenir des avions qui fassent, en termes de silence, qui puissent rivaliser avec les oiseaux. En revanche, là, on peut s'en inspirer avec plus de succès, c'est dans la conception des drones de petite taille qui, aujourd'hui, sont extrêmement voyants. Et on peut tout à fait imaginer qu'à terme, ils puissent voler avec un silence qui soit comparable à celui d'un oiseau. Bon, on ne sera pas encore avec des avions très silencieux, mais tu nous disais quand même tout à l'heure qu'il y avait de nombreuses pistes pour la réduction du bruit des avions que nous connaissons actuellement. Est-ce qu'il reste encore des choses à faire sur ces pistes ? Alors, l'acoustique des avions, c'est un sujet, en fait, qui va revenir au premier plan, puisque les technologies de moteur qui sont proposées par les motoristes dans le but de réduire la consommation pour l'avenir, sont souvent des technologies qu'on appelle open fan, donc dans lesquelles les parties tournantes du moteur ne soient plus carénées à l'intérieur de la nacelle, mais elles sont ouvertes à l'air libre, en quelque sorte. Donc, vu de l'extérieur, ça ressemble un peu à un moteur à hélice, mais ce sont des moteurs qui sont de conception beaucoup plus moderne que le moteur à hélice antique, qu'on peut imaginer. Et le fait de ne plus être caréné, ça fait que ces moteurs sont, en fait, extrêmement bruyants, beaucoup plus bruyants que les moteurs à hélice. Et la conséquence de ça, c'est que l'acoustique de l'avion, de l'appareil, dans sa conception, va devenir, en fait, une physique beaucoup plus importante dans les choix de conception. C'est-à-dire que dans le passé, les choix de conception étaient principalement dictés par l'aérodynamique et par la structure de l'avion. Et l'acoustique arrivait vraiment après, on essayait, en utilisant des matériaux particuliers, d'atténuer le bruit, mais ça n'était pas prioritaire. Là, à l'avenir, il y a des chances que l'acoustique remonte en termes de priorité et que, donc, du coup, les simulations qu'on cherche à faire deviennent encore plus importantes que ce qu'elles l'étaient par le passé. Et du coup, les travaux auxquels se livre CONCACE en termes de simulation de grandes dimensions performantes et précises vont devenir absolument essentielles si les moteurs OpenFan deviennent la norme sur les années en déstructurant. Donc, des avions aussi silencieux que des oiseaux, ce ne sera pas pour tout de suite. Il reste encore beaucoup de choses à faire pour en arriver là ou s'y rapprocher, notamment pour l'équipe projet CONCACE qui s'attèle, grâce aux calculs haute performance, à aider notamment les ingénieurs d'Airbus à trouver des solutions à ces problèmes. Merci beaucoup, Guillaume, pour ces échanges passionnants et à bientôt pour un prochain épisode de Désassemblons le numérique. Vous venez d'écouter un nouvel épisode de Désassemblons le numérique, une création originale réalisée par Emmanuel Saillard, référente médiation, et Suzanne Fleury, chargée de communication et de médiation scientifique au sein du centre INRIA de l'Université de Bordeaux. Sous-titrage Société Radio-Canada