Aspects historiques, socioculturels et économiques

Retranscription

Aspects historiques, socioculturels et économiques de la construction au Proche-Orient

La période néolithique démarre sur les franges de la Méditerranée orientale, soit les actuels Palestine, Israël et Liban. Autour de moins 12 000, on assiste à un changement majeur dans le mode de vie des populations de cette région, passant d'une économie de subsistance basée essentiellement sur la chasse et la cueillette à des communautés d'agro-pasteurs utilisant la terre comme moyen de production. On nomme cette longue phase de mutation le processus de néolithisation. Dans cette région, on dit qu'il est autochtone, c'est-à-dire qu'il met en jeu, sur plusieurs millénaires, une évolution des communautés vers des organisations sociales et économiques repensées. L'originalité du Proche-Orient réside dans le fait que la première étape de la néolithisation est marquée par l'émergence du mode de vie sédentaire et donc l'apparition des premières maisons durant la période du Natoufien, antérieure à l'invention de l'agriculture et de l'élevage, ce qui en fait un cas tout à fait original à l'échelle du globe. La caractéristique de ces premières maisons est qu'elles sont en partie enterrées : on creuse une fosse et on construit un mur en pierre contre les parois pour éviter leur effondrement, comme à Mallaha. Pour la couverture, on plante des poteaux dans le sol, dont les vestiges qui parviennent jusqu'à nous, archéologues, se matérialisent par ces trous de quelques centimètres de diamètre, disposés à espacement régulier et qui servaient à maintenir une toiture en matière végétale. Mais très vite, les techniques de construction évoluent vers une plus grande diversité et une certaine complexité. Autour de moins 10 000, la maison sort de terre, construite désormais en superstructure. Dans le nord de l'actuelle Syrie, on retrouve, à la place de la pierre, l'usage de la terre et du bois pour la construction selon la technique dite du clayonnage, qui consiste à construire une armature de poteaux plantés dans le sol et sur laquelle la terre va être plaquée pour combler les interstices et recouvrir l'armature en bois, afin d'isoler la maison. Comme la terre peut avoir des propriétés différentes en fonction des contextes géologiques, on va y ajouter, au moment de l'utiliser, des graviers, de la paille ou encore des fibres animales ou végétales pour la rendre plus résistante, le tout étant mélangé avec de l'eau en quantité suffisante pour qu'elle soit malléable. Les constructeurs profitent ainsi d'une matière première abondante et disponible sur place, ainsi que de nouvelles capacités techniques, pour proposer des solutions architecturales originales, mieux adaptées aux besoins de la communauté. Dès 9 000, le matériau est utilisé seul, sans armature en bois : il est alors autoportant. On assiste, dans l'espace de 1 000 ans, à une évolution majeure dans l'histoire de la construction, avec l'apparition des premiers matériaux préfabriqués : les premières briques de l'histoire de l'humanité. On peut considérer à juste titre ces briques comme les lointains ancêtres de nos parpaings actuels, car ils suivent le même principe de production en série d'un module prédéfini. Entre 7 000 et 4 000 avant Jésus-Christ, on assiste au Proche-Orient à de profonds bouleversements au sein des communautés sédentaires. D'une part, entre le Nord et le Sud, on constate une importante fracture technique, qui se matérialise par une importante fracture sociale, où chaque région développe des techniques originales. Dans le Nord, la diversité des procédés architecturaux est le signe de techniques maîtrisées par tous. Dans le Sud, en revanche, la standardisation de l'architecture, avec le développement d'une architecture normalisée et modulaire, confirme l'existence de spécialistes de la construction dès la Préhistoire : ce sont les premiers architectes du monde. Il est probable que ces constructeurs se soient déplacés et aient transmis leurs connaissances et savoir-faire au sein d'un milieu social restreint que nous pourrions qualifier de corporation. Cette proposition irait dans le sens des découvertes faites sur le site de Tepe Gawra, en Irak, vers 4 500, où des miniatures de briques en terre cuite à l'échelle 1/10 ont été découvertes sur le sol d'un édifice monumental construit en briques crues. Ces preuves archéologiques apportent des éléments quant à l'organisation du travail durant la Préhistoire. Cette plongée dans les origines de l'architecture proche-orientale est riche d'enseignements pour qui s'intéresse aux dynamiques liées au développement et à l'évolution des techniques de construction. L'architecture en terre a su conserver un statut hégémonique pendant des millénaires, et cela jusqu'à la fin du siècle dernier et son remplacement progressif par de nouveaux matériaux comme le béton. L'archéologie offre ainsi une vision sur le temps long de l'évolution des techniques. 

Si le Proche-Orient néolithique offre un parfait exemple d'invention technique dans le domaine de l'architecture, où la profondeur historique peut être comprise sur des millénaires, vous devez avoir conscience que ces phénomènes d'invention peuvent se produire durant toutes les périodes de l'histoire. Martin Paquot nous en propose un autre exemple à propos de la naissance et du développement de l'architecture en bottes de paille. Ce qui est fascinant avec la paille, c'est qu'on l'utilise depuis la nuit des temps dans la construction, mais plutôt pour armer la terre : on va faire un mélange terre-fibre, cela depuis des millénaires ; c'est un peu l'équivalent du ferraillage dans du béton, mais pour la terre. On va évidemment avoir des toits en chaume. Mais finalement, cela ne fait que depuis un siècle et demi que l'on a des constructions à proprement parler en paille, avec des murs en paille porteuse. Pourquoi est-ce si récent ? C'est parce que, pour construire en paille, il fallait l'invention de la botteleuse. Donc il fallait l'invention de la botteleuse, il fallait la révolution agro-industrielle pour que les fermes se mécanisent et donc qu'on invente ces botteleuses qui étaient d'abord à bras, puis à chevaux, puis à vapeur, et qui sont aujourd'hui évidemment branchées à un tracteur et fonctionnent au pétrole. Ce qui est très surprenant, c'est qu'il y a donc 150 ans, dans les Grandes Plaines américaines — « Grandes Plaines » signifie qu'il n'y a pas d'arbres — des fermiers qui devaient se loger, parce que pour devenir propriétaires des terres que le gouvernement leur octroyait, ils devaient à la fois construire une maison, construire une grange, avoir du bétail ou cultiver la terre, rendre la terre productive. Sauf que, dans les Grandes Plaines, et notamment dans les Sandhills — les collines de sable — au Nebraska, il n'y avait ni bois ni terre, pas de voies de communication encore. Et donc avec quoi construire ? Mais comme ce sont les Grandes Plaines, on avait des graminées, des grandes herbes qui poussaient partout. Et eux étaient fermiers, donc ils avaient 3 ou 4 têtes de bétail, ils avaient aussi une botteleuse. Et à un moment, j’imagine que plusieurs d'entre eux se sont dit : « On n'a toujours pas d'abri pour cet hiver, mais par contre, on a ces grosses bottes qui ressemblent à de grosses briques pour notre bétail. Est-ce que, finalement, si on n'en empile pas 5 ou 6 de haut et qu'on forme 4 murs, on pose un toit dessus, est-ce qu'on n'obtient pas une maison ? » Je romance un peu, mais je pense que cela s'est passé à peu près comme ça. Ce qui fait que, dans ce petit État, cette petite région reculée du Nebraska, au plein cœur des États-Unis, on a construit, dès les années 1880, en paille, quelques maisons, mais aussi des écoles saisonnières. J’ai retrouvé un document du rectorat du Nebraska intitulé « Quand le bétail mangea l’école », parce que c'était des écoles saisonnières : l'été, les enfants étaient dans les jardins, dans les champs, avec leurs parents, donc on donnait l'école à manger au bétail. Ils ont aussi construit un garage avec une pompe à essence, une église qui est toujours debout un siècle plus tard : je l’ai visitée, elle est à Arthur, Nebraska. Elle a été construite en 1928 en paille porteuse. Un pasteur y a officié jusque dans les années 1960. Depuis, elle est inoccupée, mais le bâtiment est toujours là ; ils l'utilisent de temps en temps, mais plus pour des offices religieux. C'est quand même assez surprenant : on a des maisons en bottes de paille porteuses qui sont centenaires, qui tiennent toujours, qui sont toujours là, debout, inoccupées. Et ce qui est surprenant, c'est que cela n'a pas vraiment fait tache d'huile. Il y a eu quelques constructions jusqu'à la guerre, mais dans une zone très restreinte des États-Unis. On sait qu'ensuite, la construction en paille a été réinventée au Canada, en Norvège, en Allemagne et surtout en France. Bien avant cela, dans les années 1920-1921, dans l'immédiate après-guerre, un ingénieur, Émile Feuillette, a imaginé un système constructif pour les zones dévastées par la guerre. Ce système utilisait des bottes de paille et une ossature bois en petites sections, parce que les grosses sections, les grosses armes, avaient été utilisées pour les tranchées : il n’y en avait donc plus. Il y a une maison à Montargis qui est toujours debout et que l'on peut visiter : elle accueille le Centre national de la construction en paille, et c'est une maison absolument magnifique. Ce qui est très surprenant, c'est que l’ancêtre du magazine *Science & Vie*, qui existe toujours aujourd'hui, avait publié en 1921 un article sur cette maison, où il disait que c'était une maison fraîche en été, chaude en hiver et économe toute l'année — qui sont encore aujourd'hui les trois qualités mises en avant. Si je poursuis dans le temps, il y a eu un renouveau dans les années 1970-1980, aussi bien aux États-Unis qu'en Allemagne et en France, de cette construction en paille, qui a été pendant très longtemps le pré carré des auto-constructeurs, parce que les bottes, il y en a partout : on cultive du blé partout. Je précise qu'on ne cultive pas la paille pour construire : on cultive le blé pour se nourrir, ou le riz. On utilise ensuite la paille pour construire. Mais tout cela s'est professionnalisé et structuré plus récemment. En France, cela s'est structuré en 2006 avec la création d'un Réseau français de la construction en paille. Mais si l’on s’autorise cet écart, qu’en est-il de l'architecture de terre aujourd'hui ? Selon un rapport publié en 2012 par la Chaire UNESCO de la construction en terre, un tiers de l'humanité vivrait dans une maison en terre, ce qui représente 2,5 milliards de personnes et fait de la terre le matériau le plus répandu au monde, présent dans 150 pays. Il est également intéressant de remarquer qu'à l'échelle du globe, persiste une extraordinaire diversité des techniques de construction, en fonction du contexte environnemental, économique et social. Excellent isolant thermique, protégeant des intempéries, du froid, de la chaleur et de la pluie, isolant phonique et matériau durable, réutilisable à l'infini, il est pourtant menacé de disparaître partout depuis plusieurs décennies. Dans son bilan, le CRATerre fait état des menaces qui pèsent sur le patrimoine classé, phénomène d'autant plus accentué pour l'architecture vernaculaire. Par ordre de grandeur, les menaces principales qui pèsent sur le patrimoine en terre sont financières : les plans d’action pour promouvoir ces pratiques constructives ont été marginalisés face à l'utilisation toujours grandissante du béton. De plus, les changements climatiques et les événements dramatiques qui se produisent dans certaines régions — pluies torrentielles, érosion naturelle des sols — incitent les communautés à opter pour des solutions architecturales alternatives et à abandonner des techniques séculaires. À l'heure où les enjeux écologiques sont plus importants que jamais, certains architectes se sont détournés d'une architecture dite conventionnelle pour opérer un retour aux matériaux traditionnels : biosourcés, géosourcés et respectueux de l'environnement. Voici la suite de notre podcast.