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Les mouvements sociaux : de la grève aux émeutes

La manifestation est l’une des expressions les plus visibles de la démocratie. Elle incarne le droit inaliénable des citoyens à exprimer leurs revendications collectives, à interpeller les institutions et à rendre visibles des causes invisibilisées. Mais à mesure que les mouvements sociaux se renforcent - qu’ils soient liés aux réformes des retraites, aux luttes écologiques, aux droits sociaux ou encore aux contestations étudiantes - on observe une montée parallèle de la répression et de l’encadrement policier. La ligne de tension entre liberté d’expression collective et maintien de l’ordre devient alors le théâtre d’un conflit plus profond : celui entre un droit fondamental et un pouvoir étatique soucieux de stabilité.
Dossier

Vertige de l'émeute : comprendre le basculment des manifestations en France

La manifestation est souvent décrite comme l’espace où s’exprime un sentiment d’impuissance quotidienne. Elle rompt avec l’ordinaire et ouvre une scène collective où se mêlent revendications politiques, libération pulsionnelle et effet cathartique. Mais que se joue-t-il lorsqu’une manifestation bascule dans l’émeute ?

Le moment du basculement

La frontière entre protestation pacifique et désordre radical est ténue. Comprendre ce basculement est essentiel : il éclaire la dynamique interne des mouvements sociaux et interroge la réponse de l’État. La répression est-elle proportionnée ? Ou bien traduit-elle l’incapacité des institutions à entendre une crise sociale profonde ?

La narration des violences

La désignation d’un événement comme « émeute » n’est jamais neutre. Les pouvoirs publics et les médias isolent certains actes de violence, les mettent en récit et les catégorisent pour justifier des mesures coercitives. Cette narration oriente les perceptions de l’opinion publique, alimente les débats politiques et influence le champ juridique.

bastille

Le rôle du sentiment d’injustice

L’émeute ne se réduit pas à la violence brute. Elle s’enracine dans le ressenti d’un blocage : conditions de vie dégradées, absence de canaux d’expression, fermeture de l’écoute institutionnelle. C’est cette expérience d’injustice qui nourrit la colère et donne à la protestation sa dimension explosive.

Liberté ou sécurité ?

Face à ces tensions, l’État est pris dans un dilemme : garantir le droit de manifester tout en « sécurisant » l’espace public. Or cette volonté d’encadrement conduit parfois à repousser les limites du cadre légal, au risque de fragiliser l’un des droits fondamentaux de la démocratie.

Une perspective ethnologique 

L’intérêt d’une approche ethnologique est de pénétrer au cœur du phénomène, dans l’« ici et maintenant » de la rue. Plus qu’un projet de transformation radicale, l’émeute objective les évolutions sociales en cours. Elle révèle la fragilité des équilibres démocratiques et l’importance du vécu collectif dans l’écriture de l’histoire sociale.

Le travail des chercheurs 

Dans cette vidéo, l’équipe de Chercheurs en ville accueille Romain Huët, auteur de l’ouvrage Vertige de l’émeute, et propose une plongée ethnologique au cœur des manifestations. Ensemble, ils explorent l’émeute non pas comme une rupture radicale mais comme une mise en lumière des tensions sociales déjà présentes. En interrogeant le moment où la protestation bascule, il met en évidence le rôle du sentiment d’injustice, la construction médiatique du terme « émeute  », questionne la violence qui en découle et interroge la finalité de ces manifestations. Une réflexion qui éclaire, par l’intérieur, les enjeux contemporains des mobilisations collectives.

Pour aller plus loin : pourquoi faire grève ?

Ces vidéos forment une traversée des mouvements sociaux du XXème et XXIème siècle. Des grèves ouvrières de Mai 68 à celles de décembre 1995, en passant par les mobilisations minières étudiées par Ariane Mak et les luttes autour des retraites dans les années 2000, elles illustrent la permanence d’un même besoin collectif : rendre visible une parole que les institutions n’entendent plus. Ces mobilisations révèlent l’évolution des rapports entre citoyens, État et travail, mais aussi la tension croissante entre légitimité démocratique et logique de contrôle. Ensemble, elles dessinent le fil conducteur d’une société où la contestation n’est pas une rupture de l’ordre social, mais une condition de sa vitalité. 

manifestation 2019
Documentaire
01:13:51

Une histoire des retraites - Les années 2000

Menjoulet
Jeanne

Figure spectrale et spectaculaire brandie lors du mouvement social de décembre 2019-janvier 2020 contre la réforme des retraites, la société financière Blackrock ne symbolise qu’une petite part de

Illustration extraite du programme de la journée d'études "Radicalisation des mouvements écologistes ?"
Conférence
00:27:44

Construction de la menace et pénalisation du militantisme écologiste : le cas de Bure (Meuse)

Corroyer
Pablo

À mesure que s’amplifient les transformations globales, les mouvements écologistes appelant une action décisive des autorités publiques pour freiner les changements climatiques et préserver les

Comprendre l'émeute

Les analyses sociologiques et politiques de la violence émeutières suivent en principe deux perspectives différentes. La première cherche à dégager les facteurs issus du contexte social, susceptibles d’expliquer l’apparition de la violence émeutière (inégalités sociales, exclusion, discriminations, expériences de l’injustice, etc.). La seconde perspective, quant à elle, vise à comprendre les processus et la dynamique des violences en s’appuyant sur un profilage sociologique des émeutiers. La plupart des études s’accordent pour établir un diagnostic sociologique selon lequel la généralisation de la frustration sociale favoriserait l’expérience émeutière. En bref, il y a une base institutionnelle (sociale, politique et culturelle) qui constitue un ensemble de conditions importantes pour l’expression des formes de violence.

Pour le formuler autrement, il existe des configurations sociales spécifiques qui créent des conditions favorables aux expressions émeutières. L’objectif de cette communication est de se plonger plus au cœur de l’émeute pour en déceler sa réalité sensible et son vécu subjectif. Autrement dit, il s’agira de décrire l’expérience subjective de l’émeute, la façon dont les émeutiers mettent en sens leurs actes, les thématisent et en donnent une explication. Romain Huët tâchera alors de réaliser une « phénoménologie » de l’émeute au sens où elle sera comprise comme une « expérience sensible » produisant une série d’affects, de rapports sociaux, et de pratiques symboliques qui maintiennent ou encouragent les activités à la stratégie émeutière. Il tentera d’appréhender l’émeute dans une perspective de « corps assemblés en des lieux »  afin d’examiner les effets de verticalisation corporelle qui l’orientent ; c’est ainsi éprouver l’unité phénoménologique depuis laquelle cet acte se donne simultanément comme action et affection. C’est reconnaître, donc, l’acte de l’émeutier pour ce qu’il est et éviter de re-présenter autre chose que lui : une colère, une perte de repères, une haine, etc.

Une approche historique, un regard au-delà des frontières

Quatre exemples à travers le temps et l'espace pour élargir le champ de réflexion

Paris des émeutes, Paris des révoltes

L’historien Jean-Claude Caron explore la ville de Paris comme un « laboratoire » des révoltes populaires, depuis les journées insurrectionnelles du XIXᵉ siècle jusqu’à des formes contemporaines de tensions urbaines. Il choisit Paris pour sa fréquence exceptionnelle de « journées » de soulèvement (insurrection, guerre sociale, émeute) et pour la figure du « citoyen-combattant » qui surgit à l’occasion de ces épisodes. Il montre aussi comment la rue devient un espace politique où le peuple affirme sa présence lorsque les institutions ne l’écoutent plus. L’émeute y apparaît non comme un simple débordement de violence, mais comme une forme de participation populaire, inscrite dans une mémoire collective de résistance. Cette perspective éclaire les tensions contemporaines entre le droit de manifester et la répression : chaque émeute révèle la fragilité du dialogue entre l’État et les citoyens, et la nécessité de repenser la place du conflit dans la démocratie.

Au tournant du 6 février 1934 

Ce 2ème "épisode" du parcours de Jean-René Chauvin porte sur l'année 1934. Le coup de force fasciste du 6 février 1934, et la contre manifestation des organisations ouvrières du 12 février 1934, racontée par Jean-René Chauvin. La division entre le Parti Socialiste et le parti Communiste au début de l'année 1934 est encore de vigueur, et le cheminement qui finit par aboutir, le 27 juillet 1934, au Pacte d'Unité d'action entre communistes et socialistes, sera le prélude au Front Populaire... Le rôle de la gauche socialiste, menée par Marceau Pivert et Jean Zyromski est souligné. De même que l'analyse trotskiste du fascisme.

Les révolutions arabes

Ce cycle décrypte des mouvements historiques de révoltes et de combats, pacifiques ou non, qui ont été à l’origine de bouleversements politiques et sociaux, et qui restent, encore aujourd’hui, gravés dans nos cultures et nos imaginaires.

Cette conférence analyse les soulèvements dans le monde arabe, notamment pendant et après 2010-2011, comme des formes contemporaines de révoltes sociales et politiques inscrites dans une continuité historique. Elle invite à considérer ces mouvements non seulement comme des “révolutions” abouties, mais comme des processus inachevés mêlant espoirs de modernisation, contestation des régimes autoritaires et réaffirmation de l’espace public. 

Une histoire de la vie chère au Burkina Faso

Au Burkina Faso, la « vie chère » occupe aujourd’hui une place centrale dans les difficultés matérielles et les sentiments d’injustice ressentis par les classes populaires. L’augmentation des cours de biens de consommation courante a ainsi suscité des mobilisations parfois violentes dans ce pays depuis le début des années 2000, et alimente également un mécontentement plus diffus à l’encontre des autorités jugées responsables des prix.

À partir d’une enquête menée dans les quartiers populaires de villes burkinabè, l’auteur traite d’un phénomène peu étudié : la place grandissante des prix dans l’expression de la colère au sein de sociétés contemporaines. Cette colère est interrogée sous l’angle de la vie quotidienne et des représentations populaires de l’économie, sous celui de l’histoire de la politique des prix et des traces qu’elle a laissées dans les mémoires, et enfin sous celui de différentes formes de mobilisations (manifestations, émeutes, pillages). Au-delà du cas du Burkina Faso, cet ouvrage propose une réflexion plus générale sur l’évolution des modes de gouvernement et de leurs contestations à l’ère néolibérale.

Les révolutions arabes
Conférence
01:24:36

Les révolutions arabes

Stora
Benjamin

Conférence de l’Université populaire du quai Branly (UPQB), donnée le 17 février 2016 Ce cycle décrypte des mouvements historiques de révoltes et de combats, pacifiques ou non, qui ont été à l