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Langue :
Français
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UTLS - la suite (Production), Didier Houssin (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/4avh-gt39
Citer cette ressource :
Didier Houssin. UTLS. (2004, 12 janvier). Le phénomène de l'urgence , in Les nouvelles thérapies, soigner demain. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/4avh-gt39. (Consultée le 27 juillet 2024)

Le phénomène de l'urgence

Réalisation : 12 janvier 2004 - Mise en ligne : 12 janvier 2004
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Descriptif

La vie n'est qu'habitudes, mais soudain un événement surgit et suscite une nouvelle manière d'être. L'urgence est là, née d'une triple contrainte alliant nécessité, durée et réaction. La menace vitale, l'émotion et le secours en sont les thèmes les plus intenses. Ils tiennent une place prépondérante dans l'urgence médicale qui concerne chaque année des millions de personnes en France. L'urgence répond à un étonnement : elle n'est pas si fréquente et pourtant, elle semble être partout. Notre société serait même malade de l'urgence qui instaurerait une nouvelle tyrannie. L'urgence n'est-elle pas trop souvent confondue avec le présent ou la vitesse ? Il est encore temps de réfléchir sur la véritable nature de l'urgence, y compris dans ses aspects philosophiques ou sociaux. De la maîtrise de la réaction urgente, l'homme a su faire le coeur de nombreux métiers. Pour la sécurité des biens et des personnes, dans le monde de la santé et jusque dans la vie économique, administrative ou judiciaire, des techniques ont été développées pour que la réaction soit efficace et vienne à point nommé. Il ne sera jamais banal que le camion des pompiers, l'équipe de réanimation ou l'hélicoptère de sauvetage arrive à temps. C'est un des grands progrès de l'humanité.

Intervention
Thème
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Texte de la 515e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 12 janvier 2004

Didier Houssin, « Le phénomène de l'urgence [1] »

L'urgence est vieille comme le monde vivant. Ce phénomène vécu naît avec la sensation d'une menace, qui fait événement, surtout lorsqu'elle met en péril la continuation de la vie. De tout temps, l'homme a connu cette manière d'être qui rompt le rythme de la vie dans l'habitude. Les événements capables d'induire le sentiment d'urgence sont très nombreux. Dans sa forme la plus banale, ce n'est pas la continuation de la vie qui est en jeu, mais simplement sa programmation : plusieurs des participants à cette conférence, conscients qu'elle débuterait à l'heure dite, se sont hâtés en chemin. Le sentiment de l'urgence, généré par la crainte d'un retard, venait de les saisir. Heureusement, les introductions ont été inventées par les conférenciers pour permettre un arrangement avec les menus tracas que chacun connaît avec le temps.

L'urgence en médecine est un événement plus grave. Elle traduit la survenue d'un déséquilibre brutal que connaît l'être humain, en son sein ou dans la relation qu'il établit avec son environnement. Si une réaction n'est pas alors vivement engagée à son bénéfice, il peut en résulter, selon le cas, un déficit fonctionnel définitif ou la mort. La médecine de l'urgence est la forme que prend cette réaction. Son efficacité n'est plus à démontrer. Elle est même sans doute une des médecines les plus efficaces : l'appendicite aiguë ne fait plus de ravages, la gangrène ne menace plus si gravement en cas de plaie, l'Sdème aigu du poumon ou la crise d'asthme ont trouvé des solutions grâce aux progrès des thérapeutiques médicamenteuses.

Pourquoi dès lors parler de médecine de demain ou de thérapie du futur à propos de l'urgence ? La raison en est que l'urgence a beaucoup à voir avec le futur, aussi avec les progrès de la médecine. Le passé l'a démontré : les catastrophes sanitaires individuelles ou collectives ont été la source de grandes nouveautés : par exemple, l'amputation, l'ambulance, les corps de pompiers, la chirurgie vasculaire, Les motifs en sont profonds : l'urgence médicale, par la nécessité impérieuse qu'elle constitue et par la pression temporelle qui l'accompagne, est un puissant moteur de l'innovation et du progrès technique. Elle contraint et, en même temps, libère les imaginations. Celui qui dit « c'est urgent » oblige. Il dit en fait « c'est normal ». Il mobilise aussitôt, non seulement tous les moyens de réaction qu'une société peut mettre en place, mais aussi toutes les réserves d'inventivité, car la réaction urgente fait feu de tout bois.

Dans le monde de la santé, les urgences occupent ainsi de façon croissante l'espace des mots, le monde de l'hôpital (les Urgences autrefois cantonnées en un coin de l'hôpital en sont devenues un des pivots, autour duquel s'organise la vie du monde hospitalier, en un aval des Urgences, puis en un aval de l'aval des Urgences), et le champ des métiers (permanencier, régulateur, coordinateur, urgentiste). Les progrès des techniques de l'information et de la communication et la prégnance de la mesure du temps sont au cSur de cette évolution. Ainsi, l'essor des biotechnologies ne se limite pas à la mise en culture de cellules vivantes dans de petits pots : la médecine de l'urgence réalise ce mariage du « bio » et du « techno », de la vie qui cherche, sinon à s'expandre, du moins à se maintenir, et des techniques que l'homme invente sans cesse dans ce but.

L'alerte

Dans de nombreuses circonstances de la vie, l'événement déclencheur de la mise en urgence est d'emblée reconnu comme tel par celui qui en pâtit. Dans d'autres cas, cette reconnaissance n'est pas évidente. Seule l'éducation à la santé peut conduire à ce qu'une attention précise soit portée à certains signes révélateurs ou annonciateurs. Ainsi, la douleur dans la poitrine qui, lorsqu'elle présente certaines caractéristiques, est évocatrice de l'insuffisance coronaire aiguë ; ou encore, les modifications comportementales annonciatrices d'un passage à l'acte suicidaire chez l'adolescent. La compréhension sûre des symptômes requiert cependant un long apprentissage et l'accès rapide au médecin capable d'assurer cette compréhension est une étape déterminante.

Mettre en relation, dans les délais les plus brefs, celui qui vit l'accident de santé menaçant et les ressources capables de lui venir en aide est donc une première étape cruciale pour l'efficacité de la réaction médicale urgente. Au coursier à pied ou à cheval a fait suite le véhicule automobile, mais l'efficacité maximale du point de vue de l'alerte est la mise en communication directe du malade et du médecin par le téléphone. Aujourd'hui, l'appel au 15, ou au 18 si les circonstances ont conduit à s'adresser d'abord aux pompiers, ou encore au 112, si l'on a déjà l'esprit européen, met en contact direct, tout d'abord avec un permanencier apte à recueillir les informations de base (lieu d'origine, heure et motif de l'appel) et à trier les trop fréquents appels illégitimes (recherche d'un vétérinaire, demande d'un renseignement du style SVP, voire plaisanterie ou insulte), puis avec un médecin régulateur. La tâche de ce dernier est difficile : par la seule écoute, en dehors de toute possibilité de voir, de palper, de sentir, il doit tenter de cerner le mal qui se cache derrière cet appel, sa gravité, la marge temporelle qu'il offre, les moyens qu'il impose de mettre en Suvre.

D'ores et déjà, l'alerte est facilitée et accélérée grâce au développement de la téléphonie mobile. Celle-ci bouleverse les capacités de donner l'alarme, notamment pour les accidents survenant dans le contexte du sport extrême : un dévissage en haute montagne ou un panaris sous les quarantièmes rugissant, et l'alarme est partie, un conseil médical est donné et, si nécessaire, les secours sont en route. Aujourd'hui, c'est aussi le cas pour la prise en charge des urgences médicales survenant en zone très isolée, au Canada, en Australie ou à bord des navires au long cours. L'usage de la caméra et de l'ordinateur permet d'adjoindre l'apport de l'image, utile au médecin pour scruter l'altération d'un faciès ou pour préciser la topographie d'une plaie.

L'alerte doit être particulièrement rapide en cas de trouble grave du rythme cardiaque. Elle est rendue possible par l'enregistrement permanent de ce rythme chez des malades ayant déjà été exposé à de tels troubles et susceptibles d'une récidive mortelle. La transmission en continu des signaux vers une centrale de télésurveillance permet aux médecins en charge de celle-ci de détecter le rythme anormal et de proposer sans retard au malade une modification du traitement médicamenteux. Dans les cas les plus graves, la détection en continu d'un trouble grave du rythme cardiaque permet, afin de rétablir un rythme normal, de déclencher automatiquement un choc électrique à partir du défibrillateur implantable mis en place chez le malade quelques temps auparavant.

Faut-il imaginer dans l'avenir un être humain bardé de capteurs et connecté à un système de surveillance, afin que des signaux anormaux de toutes natures puissent être enregistrés si précocement que le mécanisme correctif soit déclenché aussitôt ?

La prégnance croissante des brèves durées vitales

Longtemps, la durée limite propre aux urgences médicales resta caractérisée par l'imprécision. La situation était grave ; une nécessité s'imposait : il fallait faire quelque chose ; il fallait aussi le faire vite et l'on parlait d'urgence, mais sans que ce mot soit lié à une limite de temps particulière. L'asphyxie et l'hémorragie massive étaient les seules circonstances où il apparaissait clairement que ce qu'il fallait faire devait être fait le plus vite possible, en priorité absolue. Aujourd'hui, dans de nombreuses autres circonstances, une durée limite s'est aussi précisée.

Cette précision résulte de l'analyse des résultats des traitements mis en Suvre, en fonction de la durée écoulée entre la survenue de l'événement et la mise en route du traitement. C'est le cas, par exemple, des ischémies aiguës du cSur (infarctus du myocarde) ou du cerveau (une forme fréquente des accidents vasculaires cérébraux). Dans ces cas, le résultat du traitement dépend de la rapidité du rétablissement de l'apport sanguin à l'organe qui en a été brutalement dépourvu, donc du délai de mise en Suvre du traitement.

En effet, la nature est bonne fille. Elle se donne de la marge, en particulier du point de vue du temps. Ainsi, les durées limites liées au fonctionnement de certains organes excèdent largement les rythmes propres à ces fonctions. Le rythme respiratoire est de 12 à 20 cycles par minute, mais l'interruption de la respiration, l'apnée, volontaire ou non peut, au prix d'un entraînement spécifique, durer sans grand dommage plusieurs minutes. Le rythme cardiaque est de 80 battements par minute en moyenne, mais un arrêt cardiaque peut rester sans conséquence grave durant près de 3 minutes. Au-delà, les dommages liés à l'interruption de la circulation du sang deviennent irréversibles, surtout pour le fonctionnement du cerveau, qui est alors définitivement lésé.

Ces marges temporelles sont offertes à la réaction médicale. En deçà, son succès reste possible ; au-delà, celui ci est très incertain, sinon impossible. La nouveauté de ces dernières années est que ces durées limites sont de plus en plus intégrées comme un élément central de la mise en Suvre des secours. Il y a là une nécessité technique. Ce phénomène va s'accentuer. Il prendra une place croissante dans le champ de la responsabilité, donc dans le corps du droit. Le droit suit la technique. S'il reste encore aujourd'hui très flou sur la durée qui peut s'attacher à l'urgence médicale, il est probable que, demain, le juge aura à se prononcer, après que des experts auront minutieusement comparé, d'une part, le délai écoulé entre l'annonce de l'accident de santé et la mise en route du traitement, d'autre part, la durée limite, c'est-à-dire la norme temporelle reconnue, compte tenu du diagnostic devant être évoqué dans cette circonstance et du choix de la procédure, notamment de transport, à adopter dans ce cas.

Durant de longs siècles, la mort subite, « celle qui, prévue ou non, emporte promptement le sujet contre son attente ou celle des autres personnes présentes en ce moment » (Morgagni, 1762), fut plutôt considérée comme une grâce de la nature, épargnant souffrance et agonie au défunt comme à l'entourage. A présent et, sans doute, plus encore demain, la mort subite, souvent liée à un trouble brutal du rythme cardiaque, est considérée comme une véritable maladie de la mort, contre laquelle il faut lutter. L'accent est mis alors sur une durée vitale, à la fois très brève et précise. Cette nouvelle orientation trouve son illustration dans une organisation encore peu visible en France, mais qui marque fortement la lutte de la société américaine contre la mort subite : la chaîne de survie. Les moyens de cette lutte sont : l'alerte la plus précoce possible (le téléphone portable joue alors un rôle essentiel) ; la formation et la participation de chaque citoyen à l'Suvre de réanimation par la mise en Suvre du massage cardiaque externe ; l'utilisation au plus vite d'une machine destinée à restaurer un rythme cardiaque normal, le défibrillateur externe ; enfin, le transport du malade au plus vite vers le service des urgences de l'hôpital le plus proche.

Demain, un nouveau visage de la médecine en France sera sans doute caractérisé par diverses mesures : l'incitation des citoyens à participer à la lutte contre la mort subite au nom de la solidarité ; l'enseignement à grande échelle du massage cardiaque externe ; la mise en place de défibrillateurs externes dans les lieux propices à l'émotion, peut être juste à côté des extincteurs.

Jeu de temps pour survivre : la précaution

Face à la perspective de survenue d'un événement capable de déclencher une mise en état d'urgence, la précaution est la mesure essentielle de préparation d'une réaction qui doit être adaptée, mais aussi rapide. La mesure de précaution est avant tout une manière de constituer un capital de durée. Elle n'a pas l'ambition de la prévention qui vise à éviter la survenue de l'événement. S'abstenir du tabac, éviter la surcharge pondérale, pratiquer régulièrement l'exercice physique, fuir les émotions trop fortes sont des actions qui cherchent à éviter la survenue de l'insuffisance coronaire aiguë. Elles sont sans effet lorsque celle-ci est survenue. Il faut alors réagir vite et seule la précaution prépare à cette célérité. Toute l'organisation des secours sanitaires individuels, en vue de la prise en charge des urgences médicales, est un vaste ensemble constitué de mesures de précaution de nature différente, mais qui toutes visent à permettre la constitution d'un capital de durée.

La première mesure est la mise à disposition d'un système d'alerte fondé sur un numéro d'appel téléphonique unique accessible en permanence. La seconde mesure est la mise à disposition des compétences nécessaires pour un premier tri des appels, permettant de discerner les durées limites qui s'attachent à chaque situation sous l'angle de la rapidité de la réaction et de définir les moyens de réaction à mettre en Suvre (incitation à consulter un médecin le lendemain, envoi d'un médecin, ou envoi d'une ambulance de réanimation). Une importante mesure de précaution est en effet de pouvoir mobiliser à tout moment des moyens de transport à la fois rapides et techniquement armés. En France, les ambulances de réanimation transportent un médecin urgentiste. Aux Etats-Unis, elles transportent des personnels paramédicaux spécialement formés à l'urgence. L'ambulance de réanimation transporte aussi des équipements nécessaires à diverses techniques de réanimation. Les plus modernes sont de véritables laboratoires ambulants. Les manSuvres les plus poussées de réanimation peuvent être mises en Suvre dès l'entrée dans l'ambulance. La mesure ultime est que la cellule de réception des appels et de coordination du transport en ambulance (le SAMU) a pu organiser la réception du malade ou du blessé en un lieu, les Urgences de l'hôpital qui est préparé à cet accueil. En ce lieu, grâce à l'organisation de la garde ou de l'astreinte, des moyens humains et des machines sont en permanence disponibles. Ils permettent de confirmer, si besoin, le diagnostic et de mettre en route toutes les réactions adaptées du point de vue de la thérapeutique.

Ce dispositif de précaution n'a pas encore le niveau d'organisation, ni la capacité de mise en forme de celui des pompiers, mais il s'en approche. Il est vrai que son champ est beaucoup plus divers et que la fréquence de survenue des événements auxquels il doit faire face est plus élevée que celle des événements auxquels sont confrontés les pompiers. L'atout principal de ce dispositif est de s'appuyer de manière croissante sur des professionnnels de santé qui se sont spécialisés dans l'urgence.

Ils ont l'urgence pour thème permanent et visent ainsi à transformer leur objet en habitude. Pour le médecin urgentiste, l'urgence médicale est la médecine de tous les jours. Face à une médecine segmentée en spécialités selon les espaces du corps ou à une médecine à visée totalisante comme la médecine générale, la médecine de l'urgence émerge de plus en plus nettement comme celle dont l'objet est d'affronter l'événement que constitue l'accident de santé et qui doit prendre précisément en compte la durée dans la mise en Suvre de la réaction thérapeutique.

Cette médecine réagissante avance les atouts d'une médecine d'équipe prônant la coopération entre ses membres. Elle est encore jeune et, par ce fait, constitue bien une médecine de demain. L'organisation d'une formation spécifique et l'abord des problématiques de recherche qui caractérisent la médecine de l'urgence sont encore largement en devenir.

Il en est de même pour l'abord de toutes les questions éthiques qu'elle suscite. En urgence, rien n'est en effet jamais simple quant au devoir professionnel, tant du point de vue de la relation avec le malade, que de celui de la conduite de l'action thérapeutique.

En urgence, la volonté de protection de la vie du malade apparaît souvent contradictoire avec le respect de sa vie privée, c'est-à-dire de son autonomie. En effet, en urgence, tout incite le médecin à se mobiliser particulièrement pour la survie du malade. De ce fait, il est parfois difficile de bien informer le patient, de respecter son consentement et de protéger le secret médical.

La conduite de la réaction urgente est aussi source d'interrogations. Elle doit savoir se centrer sur le danger présent, mais aussi tenir compte de ce que l'avenir prépare. Si la mesure du temps en est le principal guide, la qualité du temps qui passe, dans le cours de la relation entre soignants et soignés et entre les soignants eux-mêmes, en est un aspect important

Réagir vite et bien

En médecine d'urgence, la mise en Suvre rapide d'une réaction adaptée se heurte d'abord à l'obstacle de la compréhension des symptômes. L'événement de survenue soudaine et menaçant, que ressent le malade, n'est pas seulement une surprise, dont la compréhension serait par ailleurs immédiate. En effet, les symptômes dont le malade témoigne ne sont pas des signes directement compréhensibles. Leur compréhension suppose un savoir particulier que le médecin a mis plusieurs années à acquérir. Cette compréhension réclame un délai qui, en urgence, est toujours vécu comme contradictoire, par le malade, avec son souhait d'être soigné au plus vite, et par le médecin, désireux aussi d'agir sans retard mais également de ne pas commettre d'erreur d'interprétation. Or, les pièges sont nombreux. Il est probable que, à cette phase cruciale, la pratique de la médecine d'urgence accentuera encore demain le recours à des médecins expérimentés.

Le malade confronté à l'urgence reste, malgré son émotion, un acteur rationnel. Il a compris, ces dernières années, que l'hôpital lui offrait en un condensé ce que la médecine de ville ne pouvait lui offrir que de façon partielle ou séquentielle : un accueil à toute heure, un assemblage de savoirs et d'équipements auxquels il est possible de recourir sans déplacement supplémentaire, Le sentiment que ces moyens sont disponibles gratuitement. Ainsi, alors que l'épidémiologie des urgences a peu varié, le nombre des passages aux Urgences a beaucoup augmenté ces dernières années. L'hôpital attire les malades aux Urgences comme l'aimant la limaille de fer. En France, de 1990 à 1998, le nombre de passages aux urgences hospitalières a augmenté de 43 % ; de 1998 à 2002, il a encore cru de 20 %. En Ile-de-France, près de trois millions de personnes sont passées aux urgences en 2002.

Dans le futur, les enjeux pour la prise en charge des malades en urgence à l'hôpital se situent à plusieurs niveaux : s'efforcer de ne pas voir affluer aux Urgences ceux dont l'état n'en relève pas (la frontière est cependant ténue entre l'urgence médicale et la manifestation d'une situation de désarroi socio-économique, face à laquelle l'hôpital apparaît comme un refuge) ; expliquer à ceux qui se rendent aux Urgences de l'hôpital que l'attente est la rançon du succès de ce dernier et qu'un mécanisme de tri conduit à faire passer en priorité, non pas le premier arrivé, mais celui dont l'état de santé semble le plus menacé (l'attente aux urgences est toujours vécue comme hautement paradoxale) ; assurer une plus grande fluidité dans la circulation des malades au sein de l'hôpital, afin que ceux qui pourraient en sortir le fassent et que ceux qui devraient y entrer le puissent ; développer les mesures d'organisation permettant de faire face aux menaces collectives de tous les types et à leurs composantes sanitaires (les grands plans de secours en sont la traduction, mais leur efficacité doit être enrichie par la mise en forme permanente du retour d'expérience et par la mise en Suvre régulière d'exercices d'entraînement). Le progrès de la médecine d'urgence de demain tient pour une grande part à des mesures d'information, d'éducation et d'organisation.

La médecine d'urgence continuera cependant de se heurter à la question des distances. Si l'appel suscité par l'observation de la souffrance individuelle et de la menace vitale en son sein est capable de mobiliser nos sociétés, la distance freine beaucoup cette ardeur. Lorsque la distance est grande, seules des catastrophes massives jointes à une médiatisation très active sont en mesure de déclencher des réactions de secours sanitaire à l'échelle internationale dans des délais compatibles avec la survie de quelques-uns uns. Le SAMU-Monde est encore à inventer.

La réaction urgente a pour objet principal la préservation de la vie. En médecine, son efficacité est grande et son champ ne cesse de s'élargir. Le malade, le blessé ou le sauveteur qui vit cela dans sa chair ou sa pratique, peut en souligner les bienfaits. Mais, si la technique donne à l'homme la capacité de vaincre le temps et l'espace, elle sait aussi lui faire payer le prix de cette conquête. Le souci de la durée l'emporte alors parfois sur la signification des expériences. Dans le cadre de la mort subite, comme un texte, la procédure de sauvetage dévide l'enchaînement automatique des actions à conduire. Si l'on n'y prend garde, l'urgence tend à porter la médecine hors de toute norme. A la marche sans limite des progrès de la réaction urgente en médecine doit donc faire face une autre démarche, celle qui consiste à apprendre aussi toujours plus à mourir.

[1]Cette conférence s'inspire de l'essai de Didier Houssin , Maintenant ou trop tard. Sur le phénomène de l'urgence, Paris Editions Denoël, 2003.

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