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Français
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UTLS - la suite (Production), Olivier Saint-Jean (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/nqw8-7f85
Citer cette ressource :
Olivier Saint-Jean. UTLS. (2004, 17 janvier). La médecine pour le vieillissement , in Les nouvelles thérapies, soigner demain. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/nqw8-7f85. (Consultée le 29 mai 2024)

La médecine pour le vieillissement

Réalisation : 17 janvier 2004 - Mise en ligne : 17 janvier 2004
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Descriptif

Le vieillissement appartient aux peurs de notre siècle, peur collective devant l'augmentation du nombre de sujets âgés facteur de déséquilibre des comptes sociaux, peur individuelle face à un état lu comme une dégradation inexorable incompatible avec un état de santé satisfaisant. L'objet de cette conférence sera de combattre ces peurs, de démystifier les fausses croyances, d'apporter l'état des connaissances scientifiques sur les chemins du vieillissement réussi. Vieillir appartient à la logique du vivant et constitue une des étapes du parcours de vie. C'est un processus dynamique d'adaptation et non une série de pertes inexorables vers la déchéance. Ce processus physiologique nous conduit naturellement vers un vieillissement harmonieux et réussi, dont nous écartent des agressions médico-psycho-sociales. Si nous ne comprenons pas encore la totalité des processus biologiques de la sénescence, d'important progrès ont été réalisés au cours des 15 dernières années, permettant de proposer des pistes de recherche fondamentale fécondes. Les progrès dans le domaine de la prévention et la prise en charge des affections liées à l'avancée en âge ont été spectaculaires. Ils permettent de proposer une réelle médecine de la vieillesse, basée sur des études scientifiques bien conduites, donc libérée des fantasmes d'élixir de jouvence et des croyances anecdotiques.

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Texte de la 520 e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 17 janvier 2004

Olivier Saint-Jean " santé et vieillissement "

Le vieillissement constitue l'un des défis majeurs posés à notre système de santé. Cette évidence, connue et véhiculée par tous, n'a pour autant pas de réponse simple, en partie par défaut de données scientifiques et épidémiologiques, en partie par défaut de réflexion théorique sur le vieillissement. Rarement concept aussi important n'aura fait l'objet de si peu de travaux ou de consensus professionnel sur sa définition, ses mécanismes et ses conséquences. Que la vieillesse soit l'ultime phase du cycle de vie avant la mort par maladie n'y est pas étranger ; que le grand âge soit avant tout une construction sociale (par la juxtaposition de « politiques » de la vieillesse) non plus.

Notre objectif sera de replacer le processus de vieillissement dans la logique de parcours du vivant, comme une phase qui ne connaît pas vraiment de borne, hormis la mort. Le vieillissement est un processus continu qui voit l'organisme évoluer au fil du temps en interaction avec son environnement et les différents facteurs de risque de maladies. Rien n'autorise à l'assimiler à une usure, à une succession inexorable de pertes. Si les artéfacts, inertes par essence, sont victimes d'usure, le vivant recèle une capacité exceptionnelle d'adaptation et d'évolution qui s'oppose à une éventuelle érosion. Le vieillissement pourrait être lu alors comme une adaptation pertinente, la plus pertinente que notre patrimoine génétique nous offre. De fait on insistera particulièrement sur la différenciation absolue à faire entre le vieillissement et les maladies accumulées avec le temps. L'enjeu de la santé des aînés, un vieillissement réussi, passera peut être moins par une intervention sur le vieillissement que par la prévention et la prise en charge de ces maladies. Cela compte pour l'avenir autant que la thérapie génique et le cSur artificiel, tant les progrès découlant d'une prise en charge optimale des malades âgés et de la prévention de leurs maladies semblent importants.

La révolution de la longévité et de la morbidité chronique

Le XXe siècle a été marqué par la révolution de la longévité. L'espérance de vie à la naissance est aujourd'hui de 76 ans pour les hommes et de 83 ans pour les femmes. Elle a cru d'une manière considérable, et ce aux différents âges de la vie. Son rythme de croissance s'est révélé plus soutenu pour les âges avancés, comme si les sujets âgés tiraient plus profit que les jeunes des progrès sociaux et sanitaires. On voit dans la figure 1 que cette accélération de gain d'espérance de vie apparaît dans les années 70 pour les hommes. On peut imaginer qu'elle traduit les progrès de la médecine (antibiothérapie, traitement des facteurs de risque des maladies cardio-vasculaires, ...) et des conditions de vie (amélioration des retraites au terme d'une carrière plus courte et aux conditions de travail surveillées). Mais ce phénomène semble plus progressif et précoce pour les femmes (fin des années 1950), période à laquelle il est plus difficile de discerner des facteurs explicatifs. Cet exemple démontre l'extraordinaire complexité des facteurs de longévité d'une population. Ces progrès d'espérance de vie se sont accompagnés d'une réduction de la durée de la période d'altération de l'autonomie pour les actes de la vie quotidienne. On vit donc plus vieux et dans de meilleures conditions. Il n'y a en fonction de nos connaissances actuelles aucune raison de penser que cette tendance va s'inverser pour le futur. Même si la canicule de l'été 2003 nous a rappelé la fragilité de certains malades âgés et, du fait de 15000 décès supplémentaires, a fait reculer l'espérance de vie à la naissance d'un mois pour la première fois depuis fort longtemps.

Il n'est pas inutile, pour fixer les esprits, de citer les chiffres d'espérance de vie aux âges avancés (tableau 1). A 85 ans, celle-ci dépasse pour les deux sexes 5 ans. Cette information est d'importance pour les décisions médicales et sociales.

La morbidité des malades âgés en France est marquée par trois tendances lourdes :

- L'accumulation de pathologies (cinq en moyenne dans diverses études)

- Des ordonnances pléthoriques (plus de cinq spécialités, rarement toutes justifiées)

- Le poids essentiel des maladies chroniques incapacitantes.

Parmi ces dernières, nombre d'entre elles ont comme facteur de risque principal l'avancée dans le temps. Il convient ici de noter cet élément essentiel : ces maladies, dont l'acquisition et l'évolution sont liées à l'avancée en âge, n'ont rien à voir avec le processus de vieillissement. Ce contresens, dominant, y compris encore aujourd'hui dans la pensée médicale, a accrédité l'idée du vieillissement - perte. Les plus grands auteurs médicaux, y compris Charcot au XIXe siècle, ont décrit les pathologies séniles, la démence sénile, l'insuffisance cardiaque sénile, comme des entités autonomes, fruits du vieillissement et non des mêmes causes que celles des adultes jeunes. Ce contresens médical était en harmonie avec les perceptions sociales et politiques de la vieillesse, catégorisant les vieux dans des ghettos, sociaux et médicaux. Le vieillissement était lu comme une succession de pertes fonctionnelles, d'usure, qui aboutissait inéluctablement à un naufrage et à la mort. Il était alors possible de « mourir de vieillesse » car le vieillissement conduisait à une érosion inéluctable. Dans ce paradigme l'obtention de la longévité passait par la lutte contre le vieillissement.

L'enjeu doit être déplacé. La révolution de la longévité a été le fruit de la réduction et de la maîtrise des pathologies médicales et sociales. Sa poursuite dans le futur obéira aux mêmes lois. On a vu les succès de la médecine cardio-vasculaire (réduisant les décès par infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux) et de l'orthopédie réparatrice (rendant une mobilité indolore à des patients qui auparavant auraient été des grabataires douloureux). Il faut ajouter un nouvel enjeu, celui de la prévention des maladies dégénératives cérébrales, dont les conséquences sont le déclin cognitif et sa forme ultime improprement appelée « démence ». La Maladie d'Alzheimer représente la plus fréquente de ces maladies et est un exemple parfait des errements de la pensée médicale et des défis du futur. D'abord identifiée comme vieillissement cérébral, elle a été longtemps une démence sénile, puis une forme particulière de maladies de vieux, avant d'être reconnue comme une maladie de tous les âges, si ce n'est que sa fréquence est anecdotique avant 70 ans. C'est peut être ce que soupçonnait Charles de Gaulle dans le « naufrage » de Philippe Pétain. La Maladie d'Alzheimer concerne en France 600 000 personnes de plus de 75 ans, dont moins de la moitié est correctement repérée : on continue à dire « c'est l'âge » quand une personne âgée perd la mémoire et raréfie ses contacts avec le monde. Cet aveuglement médical et parfois familial fait qu'à peine un malade sur cinq reçoit une prise en charge adaptée. Ses déterminants sont totalement inconnus ... en dehors de l'avancée en âge et d'une prédisposition génétique.

Les processus biologiques du vieillissement

L'étude du vieillissement se heurte à de nombreux écueils méthodologiques et diverses voies sont explorées pour les contourner, sans pour autant autoriser une compréhension globale :

- l'étude des facteurs de longévité chez des sujets exceptionnels (les centenaires) ou parmi des groupes expérimentaux (animaux)

- l'étude d'un paramètre chez des sujets d'âges différents ( études transversales) ou chez des sujets de même âge à des époques différentes

- le suivi d'un paramètre au fil du temps chez un groupe de sujets ( études longitudinales)

- l'étude de maladies exceptionnelles qui mimeraient certains aspects du vieillissement (trisomie 21, progéria, etc ...)

Aucune de ces pistes n'est exempte de sources d'erreur. Les travaux sur les sujets exceptionnels ou les études animales n'ont pas de valeur universelle car ils portent justement sur des sujets à part. Les études transversales explorent des sujets qui ont eu des conditions de vie très différentes et les études longitudinales durent trop longtemps pour que les réponses soient opérationnelles et auront peut être une pertinence limitée à leur époque. Quant aux maladies supposées mimer un vieillissement accéléré on exprime clairement maintenant qu'elles n'ont rien de commun avec celui-ci.

A ces réserves près, on progresse dans l'identification des manifestations et des mécanismes de vieillissement. Mais notre connaissance demeure parcellaire et aucune théorie d'ensemble n'est valide. Nous sommes face aux fragments d'un puzzle dont la logique d'ensemble nous échappe encore. Cependant trois grands axes sont privilégiés : le rôle des facteurs génétiques et les modifications biochimiques liées au stress oxydatif et à la glycation des protéines.

Le rôle essentiel des facteurs génétiques

Ils ont d'évidence un poids lourd dans la longévité des espèces et dans la différence d'espérance de vie entre hommes et femmes. Les centenaires appartiennent à des familles à longévité forte. Quant à Jeanne Calment, elle représentait une sorte de hasard de lignée, convergence exceptionnelle de rameaux familiaux à grande longévité. De même l'étude des descendants des centenaires montre que leur longévité est plus importante que la moyenne. Plus encore, et ce point est essentiel, ils souffrent moins de certaines affections liées à l'âge : le cancer, les maladies cardiovasculaires et métaboliques. Par quels mécanismes interviennent ces facteurs génétiques ? La réponse n'est pas univoque. Peut-on imaginer que le processus de vieillissement soit ralenti, mettant à l'abri ces individus d'effets délétères du vieillissement ? Aucun argument expérimental définitif ne vient étayer cette théorie, bien que certains modèles animaux aient pu être interprétés en ce sens. On imagine plutôt que ces individus recèlent une combinaison génétique particulièrement favorable pour résister aux facteurs de risque de maladies ou au contraire sont exempts de gènes prédisposant à ces mêmes maladies.

Cette dernière hypothèse pourrait expliquer les résultats d'une expérience particulièrement brillante réalisée en France récemment par une équipe de l'INSERM. On a montré que la durée de vie d'une souche de souris femelles pouvait être accrue d'un tiers par une modification du génome. Celle-ci consiste à réduire la capacité d'expression du gène codant la synthèse du récepteur de l'Igf1, molécule, entre autre fonction, effectrice de l'hormone de croissance. A ce titre, elle joue un rôle important dans la maturation de la fertilité et le métabolisme glucidique. On voit dans la figure 2, extraite de la publication, les courbes de survie des souris normales et de celle (Igf1 r+/-). Il apparaît d'emblée que le rythme de mortalité n'est pas modifié aux âges avancés mais à l'âge moyen. L'augmentation de la longévité du groupe de souris semble liée à une survie à l'âge moyen plus qu'à une moindre mortalité dans le grand âge. L'intervention génétique a permis à un plus grand nombre de souris de rentrer dans la « vieillesse » et ne semblerait pas avoir eu d'effet sur le vieillissement lui même. En outre ces souris montraient une capacité exceptionnelle de résistance au stress oxydatif, facteur impliqué dans la genèse de nombreuses maladies mais aussi dans le vieillissement.

Cela éclaire la fantastique progression du nombre de centenaires, qui entre 1950 et 2050 devraient passer de 1000 à plus de 150 000 en France. Car, des nombreuses études l'ont montré, les centenaires en bonne santé n'existent pas. Ils sont tous atteints de maladies chroniques et de plus, cela est démontré par une étude danoise, plus de 70 % d'entre eux ont survécu à une pathologie mortelle (accident vasculaire cérébral, cancer, fracture du col du fémur) grâce à la conjonction des progrès de la médecine et de leurs facteurs génétiques de résistance. Il y a de plus en plus de centenaires car il y aura de plus en plus de candidats à une longue vieillesse par simple survie.

On est loin du gène de jouvence et/ou d'une intervention génétique applicable à l'homme.

On doit également noter que le patrimoine génétique d'un individu peut se modifier avec l'avancée en âge, notamment dans les cellules à renouvellement rapide. On voit ainsi de modifier une zone chromosomique qui a à voir avec la capacité de multiplication cellulaire : les télomères. Ceux-ci semblent diminuer en taille. Causes et conséquences de cette évolution ne sont pas connues. Dans la mesure où ces anomalies des télomères s'observent dans diverses maladies on a voulu y voir, jusqu'à présent sans preuve, un phénomène délétère lié au vieillissement.

Le stress oxydatif

C'est le deuxième processus très fortement impliqué dans la problématique du vieillissement. L'organisme est soumis en permanence à l'agression de produits de notre catabolisme à fort pouvoir oxydant, les radicaux libres. Nous disposons de mécanismes de défense anti-oxydant, certains enzymes, dont l'action est dépendante de co-facteurs vitaminiques (A, E et C). Le lien établi avec le vieillissement repose sur l'accumulation, dans les cellules à durée de vie longue, de protéines altérées par le stress oxydatif (notamment une protéine appelée lipofuscine). Cela serait lié moins à une augmentation de la production de radicaux libres au cours du vieillissement qu'à une réduction de l'efficience des défenses anti-oxydantes. D'où la piste proposée de pallier cette réduction des capacités anti-oxydantes. Ce serait d'ailleurs faire d'une pierre deux coups car ces processus oxydatifs sont au coeur d'un grand nombre de maladies, en particulier les maladies dégénératives, les maladies cancéreuses, les maladies cardio-vasculaires. Mais nous ne disposons pas encore de moyens pharmacologiques valides pour intervenir sur ces réactions chimiques.

La glycation des protéines de structure

Le troisième processus identifié de vieillissement s'appelle la glycation des protéines et concerne les protéines de structure de notre organisme, notamment celles dont la durée de vie est la plus longue. Au fil du temps, des molécules de glucose se fixent sur ces protéines. Elles en altèrent certaines propriétés, tout en les rendant moins accessibles au processus physiologique de renouvellement. On observe ainsi une altération de certaines protéines des parois artérielles qui perdent une partie de leur propriété élastique, ce qui modifie les conditions d'écoulement du flux sanguin. Ce processus, mille fois amplifié, existe dans le diabète et est responsable de graves altérations artérielles.

On voit donc que nos connaissances sur les processus biologiques du vieillissement demeurent modestes et mélangent des informations recueillies dans différentes espèces. L'universalité du processus de vieillissement est soupçonnée, mais rien actuellement ne nous permet d'affirmer que chaque espèce vieillit avec des processus identiques ou que leurs conséquences physiologiques pèsent le même poids selon les espèces. Les espèces à forte longévité pourraient être soit exemptes de certains processus, soit armées pour en minimiser les effets. Car au-delà de l'analyse des processus biologiques du vieillissement il convient d'en évaluer les conséquences sur la physiologie de l'organisme vieillissant. En fait les données humaines laissent deviner une capacité d'adaptation qui en réduit voire en annule les effets pour les organes essentiels. Un tissu serait particulièrement mal armé pour faire face aux effets du vieillissement et surtout aux agressions externes : la peau. Ce tissu, perçu en premier comme identifiant d'un individu, accrédite faussement l'idée du vieillissement-altération, au-delà des effets de mode ou d'esthétique. Il représente aussi faussement le vieillissement que l'identité génétique d'un individu. Car la notion de « race » identifiée par la couleur de la peau est une supercherie génétique. Il peut y avoir mille fois plus de parenté génétique entre un « blanc » et un « noir » qu'entre deux « blancs ». L'aspect de la peau révèle finalement bien peu de la réalité de l'organisme qu'elle recouvre. Ainsi en va-t-il pour le vieillissement.

L'avancée en âge : une succession d'adaptations pertinentes ?

Au cours des années vont d'enchaîner un certain nombre de processus modulant les équilibres physiologiques d'un certain nombre d'organes. Certains processus pourront être lus comme des « pertes », telles les réductions hormonales, nous y reviendrons. D'autres au contraire semblent témoigner de capacité d'adaptation particulièrement pertinente. Les modifications cardiaques au cours du vieillissement en sont un exemple très démonstratif La glycation des protéines des parois artérielles réduit la souplesse artérielle et oppose une résistance accrue au flux sanguin pulsé par le cSur. Celui-ci doit donc augmenter la puissance de sa force d'éjection, sans pour autant disposer d'apports énergétiques supplémentaires. En réponse à l'avancée en âge, on observe une modification des protéines contractiles cardiaques. Une nouvelle « version » de la protéine contractile principale, la myosine, est préférentiellement synthétisée à partir de notre patrimoine génétique, molécule dont justement l'une des caractéristiques est de produire plus de force d'éjection pour un coût énergétique plus faible. On montre ainsi (figure 3) que malgré l'augmentation de la rigidité artérielle le débit cardiaque reste remarquablement constant avec l'âge. Au cours du processus de vieillissement, nous avons donc puisé dans notre patrimoine génétique le code d'une protéine adaptée aux nouvelles conditions. Cependant, toute pertinente qu'elle soit, cette adaptation a un coût, qui est une réduction, modeste, du débit cardiaque à l'effort. Vieillir ne serait peut être pour le cSur que perdre une petite partie de ses capacités d'effort extrême, selon un processus d'adaptation/désadaptation. Mais la désadaptation semble bien modeste et certaines données laissent entendre que cette «perte de capacité d'effort» pourrait être en grande partie compensée par l'entraînement physique. Ce qui aura permis à John Glenn de retourner dans l'espace à plus de 75 ans.

Quelle action (préventive ?) sur le vieillissement

L'illusion de la jouvence a fourni dans l'histoire de la médecine mille recettes, cocasses ou non, illusion qui se poursuit dans le questionnement du secret de leur longévité demandé aux centenaires : le petit verre d'alcool après le repas, le cigare quotidien, etc ... Le même esprit, paré d'habits neufs, prévaut dans les média pour baby-boomers en mal de jeunesse, fait la fortune de quelques malfaisants et vit de modes sans cesse renouvelées. Sans passer en revues les dizaines de propositions farfelues actuellement en vogue, on insistera sur les concepts expérimentaux ayant donné lieu à études animales sérieuses et à retombées potentielles crédibles chez l'homme et sur les études humaines.

Les modèles de restriction calorique

On peut chez des souris augmenter de 20 à 30 % la longévité de la souche sous l'effet d'une restriction draconienne de la ration alimentaire. Mais ces souris sont tellement fragiles qu'elles ne survivent que dans des conditions de laboratoire, leur système immunitaire étant particulièrement déficient. La pertinence humaine de ce modèle est bien évidemment douteuse car les restrictions caloriques humaines sont associées à une mortalité accrue, notamment dans le grand âge. Cependant un lien entre équilibre alimentaire et réduction de la glycation des protéines est établi. Une alimentation « saine » est également associée à une réduction du risque de maladies cardio-vasculaires. Les caractéristiques de cette alimentation « saine » ne sont pas encore clairement identifiées mais la présence des fruits et légumes frais, la réduction des graisses animales, l'apport d'huile végétale et de certains acides gras sont utiles.

Les anti-oxydants

Dans l'état actuel de la science, rien ne légitime l'engouement pour les supplémentations vitaminiques, qui actuellement se focalise sur la vitamine E. Aucune étude correctement menée n'a montré de bénéfice à prendre quotidiennement des comprimés de vitamine E, que ce soit dans le vieillissement ou dans certaines pathologies fréquentes avec l'âge (des essais ont été menés dans la prévention de certains cancers, sans succès). Tout juste devine-t-on qu'une alimentation pauvre en vitamine E exposerait à certains risques morbides. Et une alimentation riche en vitamine E est justement ce que nous venons de décrire. Quant aux préparations cosmétiques anti-oxydantes censées lutter contre les rides et autres « tâches de vieillesse », aucune étude sérieuse n'a montré un quelconque effet. Elles ne reflètent qu'une part de rêve.

L'enthousiasme pour la vitamine E est encore plus fort aux USA compte tenu d'une surprenante recommandation de l'Association des Neurologues Américains, qui pare la vitamine E d'un pouvoir préventif face à la Maladie d'Alzheimer et à ses conséquences fonctionnelles. Cette recommandation ne repose sur aucune preuve tangible et n'est pas reprise par les médecins des autres pays.

L'intervention hormonale : doutes et échec

La réduction de la production d'un grand nombre d'hormones avec l'avancée en âge a fourni un exemple quasi idéal au concept du vieillissement-perte. Il est vrai que la ménopause provoque l'effondrement des hormones sexuelles chez la femme, que l'hormone de croissance, la DHEA, etc... diminuent au fil des années dans les deux sexes. Reste à prouver que cette réduction ait un effet délétère (autre que les inconforts sérieux de la carence brutale en hormones lors de la péri-ménopause) et que sa correction modifie positivement des paramètres chez les sujets âgés sains. On dispose maintenant d'études humaines nombreuses et à la méthodologie rigoureuse permettant de répondre pour certaines hormones et d'ouvrir un débat passionnant pour d'autres. Elles sont, dans l'ensemble, non seulement décevantes, mais pour certaines très préoccupantes car observant des effets secondaires significatifs. On pourrait alors imaginer que ces « carences » hormonales non seulement ne seraient pas délétères mais constitueraient peut être une adaptation pour une plus grande longévité.

Les essais d'apport en hormone de croissance ont été négatifs ou n'ont montré qu'un accroissement modeste de la masse musculaire, sans augmentation significative de la capacité d'effort. Un tel résultat aurait sûrement pu être obtenu par un peu d'exercice physique. Quant aux essais avec la DHEA, substance très médiatique, ils sont négatifs, y compris l'étude française DHEAge. Cette dernière mérite un commentaire méthodologique car la presse, plus que ses promoteurs, en a fait un rapport positif, tellement que l'Agence Française de Sécurité Sanitaire a été obligé, devant la prolifération de prescriptions, de rappeler aux médecins la réalité scientifique. Lorsqu'une étude d'intervention pharmacologique est menée, sa méthodologie suit un certain nombre de règles, dont la définition préalable de la variable de résultat principale, celle des variables de résultats secondaires ainsi que les groupes sur lesquels seront menées les analyses statistiques. Sinon, on s'expose à ce que le simple hasard rende significatif sur le plan statistique des résultats qui ne le sont pas. C'est ainsi que l'on pourrait expliquer certains résultats statistiquement significatifs de DHEAge et c'est ce que rappelle l'Agence. Plus encore elle met en garde contre les effets délétères potentiels, notamment carcinologiques.

Enfin, les récentes données portant sur les effets au long cours des traitements hormonaux substitutifs de la ménopause ont bouleversé l'opinion médicale sur ce traitement. Il était antérieurement paré de toutes les vertus, modèle idéal des bénéfices à corriger une perte liée au vieillissement. La ménopause constituait un modèle idéal du vieillissement-perte : perte d'une fonction hautement symbolique, inconfort fonctionnel, handicap à l'épanouissement sexuel. Les premiers essais de traitement, assez mal construits, semblaient conclure à des bénéfices tout azimut : prévention de l'ostéoporose, des cancers, des maladies cardio-vasculaires, de la Maladie d'Alzheimer, etc... Malheureusement une série d'essais récents, portant sur des dizaines de milliers de femmes, démontre le contraire, c'est-à-dire que le traitement hormonal substitutif est responsable d'un risque accru de maladies cardio-vasculaires, de cancers et, chez les femmes de plus de 65 ans, d'un doublement du risque de démence. Soit une augmentation du risque de maladies liées à l'âge, comme si finalement la ménopause pouvait être interprétée comme une adaptation pertinente pour lutter contre certaines maladies auxquelles nous expose l'avancée en âge ou avait à voir avec la longévité féminine. Même si cela était au prix d'une certaine désadaptation, qui était la perte de la fonction de reproduction. Encore que des expériences, contestables sur le plan éthique, montrent que la capacité de mener à bien une grossesse à partir d'embryon implanté était préservée chez des femmes âgées, pour peu que des hormones leur soient administrées. D'où la recommandation médicale actuelle de limiter le traitement à la période inconfortable péri-ménopausique. Certes les caractéristiques des traitements employés dans ces études prêtent à débat, mais il est tentant de regrouper ici tous ces échecs des substitutions hormonales.

Les bienfaits de l'exercice physique

Le seul « traitement » ayant démontré quelques bénéfices est moins séduisant que la prise de petites pilules : il s'agit de l'exercice physique régulier et soutenu. Son étude a montré qu'il était paré de nombreux bienfaits, portant sur des variables « sérieuses », bien plus que la couleur de la peau des hommes de plus de 70 ans (en référence à un résultat hasardeux de DHEAge). L'exercice physique améliore la qualité de vie et l'autonomie fonctionnelle dans le grand âge, accroît le débit cardiaque et la force musculaire, réduit la fréquence de maladies du grand âge (cardio-vasculaires, ostéoporose et fracture du col fémoral, ....). Ces bienfaits sont d'autant plus importants qu'il est pratiqué longtemps, y compris à des âges très avancés. A tel point que le vieillissement musculaire « physiologique » observé chez les sujets très âgés semble avant tout lié à la sous-utilisation des muscles et serait donc réversible. On voit illustré ce propos dans la figure 4 qui montre le retard à l'entrée dans la perte d'autonomie chez les sujets âgés pratiquant un exercice physique par rapport à ceux qui n'en pratiquent pas.

Les chemins du vieillissement en santé

La santé est définie comme un bien être physique, psychique et social et cette définition s'applique parfaitement au grand âge. Le vieillissement en santé (ou réussi) est une alchimie complexe qui relève moins des processus de vieillissement que de l'absence de maladies sévères ou incapacitantes et d'exclusion sociale, ou de la capacité à faire face à ces dernières. Ainsi, en ce début de XXIe siècle, les obstacles à l'harmonie du vieillissement des Français relèvent plus du regard social porté sur la vieillesse et des conséquences des maladies que de la glycation des protéines... Ce qui laisse espérer de réels progrès pour les années à venir, autant que les années précédentes en ont apporté. Car le XXe siècle aura été aussi le siècle de l'émergence d'un épanouissement au grand âge et que rien ne s'oppose à ce que les progrès médicaux et sociaux se poursuivent.

Il reste encore beaucoup à faire dans la qualité de la prévention des maladies cardio-vasculaires et des cancers (j'ai parfois vu dans le sac à main de personnes venues consulter pour « ne pas vieillir » des boîtes de vitamine E et de DHEA côtoyer un paquet de cigarettes) ainsi que dans un grand nombre d'affections incapacitantes. Et surtout dans la correction des inégalités d'accès à ces actions, car les écarts entre catégories sociales demeurent importants. Comme dans toutes les problématiques sanitaires et sociales, l'enjeu est multiple, personnel et collectif.

Mieux soigner dans le grand âge.

Cela suppose une réflexion sur la représentation du vieillissement, de la maladie et notamment du déclin cognitif chez les professionnels de santé. Certains malades sont privés de leur chance au nom du « à son âge à quoi bon » et par méconnaissance des spécificités de la morbidité et de la thérapeutique des malades âgés. La médecine du grand âge, la gériatrie, n'est enseignée dans les facultés de médecine que depuis la fin des années 1990. Ce qui revient à dire que plus de 90 % des médecins en exercice n'ont pas eu de formation à la gériatrie et à ses pratiques spécialisées. Celles-ci reposent sur une lecture globale de la fragilité des malades âgés, fragilité médicale tout autant que sociale ou psycho-cognitive. Lorsqu'on compare dans des essais randomisés la gériatrie au soin usuel, l'écart observé, en terme de résultats pour les malades, est important. De nombreux travaux montrent que la prise en charge gériatrique permet de réduire la perte d'autonomie, le risque d'entrée en maison de retraite et de réhospitalisation, améliore la qualité de vie. Et surtout on observe une réduction de la mortalité à un an de 12 % ! Quelle est l'urgence ou l'action la plus utile pour un vieillissement réussi des Français dans les années à venir : la DHEA ou le développement de la gériatrie? Car pour le moment la France est très en retard dans le développement de la gériatrie. Très peu de professionnels la pratiquent et des oppositions corporatistes ne favorisent pas son développement en ville comme à l'hôpital.

Cesser de faire de la vieillesse un âge de relégation sociale.

Les politiques sociales dirigées vers les sujets âgés en France ont toujours été en retard sur celles concernant les autres classes d'âge. Les compensations de handicap sont plus modestes passé 60 ans à désavantage équivalent. Les effectifs des maisons de retraite sont squelettiques en comparaison avec ceux des centres d'accueil pour enfants en difficulté. Notre société tolère la maltraitance des aînés par manque de moyen dans les maisons de retraite alors qu'une gifle donnée par un enseignant à un enfant turbulent révulse la France entière. Ce décalage sociétal est d'autant plus surprenant qu'individuellement jamais les Français n'ont fait autant pour leurs aînés. Le discours de l'été 2003, privilégiant la responsabilité individuelle des Français dans les morts de la canicule (y compris dans la présence hautement signifiante du Président de la République aux obsèques de ceux dont probablement la lignée était éteinte), était en opposition absolue avec la réalité. Quinze mille français âgés sont morts faute d'une politique socio-sanitaire généreuse et non par rupture de solidarité familiale.

Se prendre en main

Il reste enfin à rappeler chacun est acteur de sa santé. L'éducation pour la santé doit faire passer les vrais messages, que la vitamine E et la DHEA n'ont pas d'effet, mais que l'activité physique en a et que le vieillissement réussi est aussi le fruit d'action personnel

Figure 1 Evolution des croissances d'espérance de vie à différents âges, selon le sexe (hommes à gauche, femmes à droite) au cours du XXe° siècle. Source INSEE

Figure 2 Courbe de survie des souris selon le profil génétique.

D'après Holzenberg M et al, Nature 2002

Figure 3 Evolution de la fraction d'éjection cardiaque au repos en fonction de l'âge

Age 1950 2000 2020
Hommes 60 15,4 20,3 22,8
75 7,0 10,1 11,6
85 3,7 5,2 5,9
Femmes 60 18,4 25,7 28,4
75 8,4 13,0 14,9
85 4,4 6,5 7,6

Tableau 1 Espérance de vie à différents âge Source INSEE

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