Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans cet épisode audio du Labex Comin Labs. Aujourd'hui, on s'intéresse au projet SPARS, un projet à la croisée de la médecine et du numérique. Son objectif, développer des méthodes d'analyse de données pour mieux comprendre la chirurgie. Pour en parler, nous avons le plaisir d'accueillir Pierre Janin, directeur de recherche INSERM, responsable de l'équipe Médicis et coordinateur du projet SPARS. Bonjour Pierre. Bonjour. Merci d'être avec nous et de nous accorder ce temps précieux. Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu'est le projet SPARS ? Le projet SPARS essaie de comprendre la chirurgie. Il essaie de comprendre la chirurgie principalement sur des aspects techniques, à la fois de la gestuelle et du déroulé, de la séquentialité de la procédure chirurgicale. Pour ça, on utilise des données qui viennent de robots chirurgicaux et on essaie de développer des méthodes qui vont nous aider à mieux comprendre à la fois la variabilité qu'il y a dans les procédures chirurgicales, mais aussi les invariants entre procédures pour permettre aux machines, aux robots chirurgicaux, par exemple, de mieux comprendre la complexité de la chirurgie et donc de mieux l'assister. Concrètement, quelles méthodes ou innovations le projet SPARS développe pour mieux comprendre les gestes chirurgicaux, mais aussi leur variabilité ? En d'autres termes, comment le projet SPARS se différencie-t-il de l'état de l'art ? Alors, en analyse de données, il y a deux principales approches qui existent aujourd'hui. Une approche qui est plutôt ce qu'on appelle l'IA, qui est basée sur l'apprentissage automatique, et puis des approches qui sont basées modèles, où on essaye de construire des modèles explicites et qui permettent de mieux comprendre. Et nous, on travaille sur ces deux stratégies, à la fois sur l'aspect des données cinématiques, qui sont globalement le comportement des instruments, les trajectoires des instruments. On les considère comme des séries temporelles, et on va développer des méthodes qui permettent d'analyser ces séries temporelles. On essaye d'appliquer ces méthodes et d'adapter les méthodes d'analyse de séries temporelles pour classifier les procédures chirurgicales, classifier leurs trajectoires, calculer des moyennes de trajectoires, éventuellement des variations, des écarts-types entre ces trajectoires. Et notamment, là où on regroupe les deux modèles, on s'appuie aussi sur la décomposition procédurale de la chirurgie pour avoir une analyse beaucoup plus fine, une analyse par phase de la chirurgie, par étape de la chirurgie, voire même par action chirurgicale. De l'autre côté, sur l'aspect procédural, sur l'aspect séquence d'activités, qui sont complémentaires, on essaye de développer deux approches en parallèle. Une qui va être de créer ces modèles de variances ou d'invariances à partir de consensus créés par interview d'experts. Ça, c'est une approche qu'on appelle en général top-down. Puis aussi une approche bottom-up, où on va récupérer des données sur des procédures chirurgicales réelles. Et on va essayer de, sur ces trajectoires, sur ces séquences d'activités, sur les données qu'on récupère, on va essayer de construire des modèles qui représentent, elles aussi, la variabilité dans la chirurgie. Encore une fois, une variabilité de réelles procédures chirurgicales. Quand on construit des modèles par approche top-down, d'interview des chirurgiens en leur demandant d'expliquer la variabilité ou l'invariance, en général, ils l'expriment de manière très idéalisée. Donc on a une représentation, un graphe par exemple, en termes de représentation, on s'appuie beaucoup sur les graphes. On a un graphe d'une variabilité idéale. Quand on s'appuie sur les données, on s'appuie sur la réalité. Et donc il y a une différence entre le graphe qu'on va construire par interview d'experts et le graphe qu'on va construire par analyse de données. Un représente la réalité, l'autre représente l'idéal. Et en fait, les deux sont deux modèles de connaissances différents dont peut avoir besoin pour différents types d'applications. Les deux sont importants. Et admettons qu'on se projette vraiment dans le futur, quelles pourraient être les applications les plus prometteuses de vos travaux ? Finalement, les applications couvrent un peu toutes les étapes de la chirurgie, de l'apprentissage à la préparation, voire à l'exécution de la chirurgie. Par exemple, pour la formation, si on a des modèles qui expliquent la variabilité de la chirurgie, on doit pouvoir montrer ces modèles à des chirurgiens en phase d'apprentissage pour qu'ils comprennent les différents chemins possibles. On peut aussi apprendre si on a les trajectoires moyennes pour la réalisation de certaines étapes chirurgicales. Ça peut les aider à comprendre ce qui doit être réalisé exactement, physiquement, avec les instruments. Aussi, beaucoup d'applications dans l'assistance au bloc opératoire, l'assistance à la chirurgie. Notamment, si on arrive à modéliser la variabilité de la chirurgie, à la fois, encore une fois, sur les déplacements des instruments ou sur les séquences d'activité, on doit pouvoir identifier, quasi en temps réel, des moments où le chirurgien ou la chirurgienne dévie d'une certaine normalité pour éventuellement déclencher des systèmes d'alarme, par exemple. Les robots chirurgicaux, aujourd'hui, sont assez simples dans la compréhension de la chirurgie. On pourrait donner à ces robots chirurgicaux cette connaissance, à la fois procédurale, voire de la trajectoire, qui pourrait éventuellement même amener à une certaine automatisation de certaines parties du geste chirurgical. Et puis, enfin, dans la partie réalisation de la procédure chirurgicale, si on anticipe ces variabilités entre procédures chirurgicales et qu'on les corrèle avec les données de patients, on devrait pouvoir, en amont, en fonction des caractéristiques d'une patiente, pour une hystérectomie, entrevoir la procédure idéale qui donnerait les meilleurs résultats cliniques. Et donc, on est dans l'anticipation, la personnalisation, voire la prédiction d'une chirurgie optimale. Vous l'avez mentionné, SPARS s'appuie sur des données issues de différentes chirurgies, plus précisément sur les données cinématiques, des vidéos annotées et des paramètres cliniques de 60 hystérectomies. Est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi avoir choisi de travailler sur ce type de chirurgie ? Alors, déjà, toutes les méthodes qu'on a étudiées dans le cadre du projet SPARS sont des méthodes qui pourraient être appliquées à n'importe quel type de procédure chirurgicale. On travaille au sein de l'équipe avec d'autres chirurgiens, neurochirurgiens, chirurgiens en orthopédie, et les besoins sont les mêmes. Et les méthodes pourraient être exactement les mêmes. Mais pourquoi l'hystérectomie ? C'est un choix qu'on a fait il y a quelques années de mettre un focus sur la santé des femmes, parce qu'il y a une réelle inégalité de traitements et de recherches et de moyens affectés à la recherche sur la santé des femmes par rapport à la santé des hommes. C'est aussi parce que, dans le laboratoire, on travaille depuis plusieurs années avec le service de chirurgie gynécologique et obstétrique, que les hystérectomies sont, ces dernières années, réalisées avec un robot chirurgical. Et que, grâce à une collaboration avec la société qui fait ce robot chirurgical, on a eu accès à les vidéos et les données cinématiques, c'est comme ça qu'on appelle les trajectoires des instruments chirurgicaux, directement. Donc on est un des rares sites internationaux à avoir accès à ce type de données cliniques qui sont très riches pour nous aider à comprendre la chirurgie. On le comprend assez bien. Le projet SPARS est un projet pluridisciplinaire. Qui ont été les partenaires impliqués et comment avez-vous travaillé ensemble ? Pour arriver à résoudre, ou au moins à étudier différentes méthodes, on a besoin de différents types de compétences. Déjà, on a besoin des compétences chirurgicales. Ça, c'est évident. Donc on travaille avec le professeur Christelle Nyangotimo, qui est chirurgienne gynécologique, qui fait de la robotique, qui est aussi prof d'anatomie, qui est au CHU et qui est aussi dans l'équipe Médicis. On travaille aussi avec le LS2N à Nantes, avec Philippe Loret et Christine Sinoquet, qui développent des méthodes à la fois sur l'aspect procédural et sur l'aspect séries temporelles. Et on travaille aussi avec Pierre-François Marteau, de l'Université Portagne Occitantale, qui lui aussi étudie ces méthodes d'analyse de séries temporelles. Donc c'est toutes ces compétences ensemble. Nous, au labo, on est plus graphes, ontologie, on gère les Delphi. On fait aussi de la reconnaissance automatique dans les vidéos chirurgicales des différentes actions. Donc on a tout un ensemble d'expertises mises en commun qui nous permettent d'aborder ces problèmes, de développer des méthodes. Et on est en fin de projet. On a mis en place des méthodes quasiment sur toutes ces questions-là, où on est en train de les valoriser en termes de publication en ce moment. Le projet SPARS se clôturera à la fin de l'année 2025. Quelles sont les prochaines étapes ou perspectives pour ces derniers et pour les recherches qui vont suivre ? Des questions comme la compréhension de la chirurgie, c'est des questions complexes, sur lesquelles il y a eu un avant et il y aura un après à SPARS. L'après, c'est évidemment de poursuivre les méthodes. On voit bien qu'il y a des méthodes sur lesquelles on a commencé à avoir des premiers résultats, mais il faut les développer un petit peu plus. Donc on a par exemple un doctorant au sein du laboratoire qui commence sur la modélisation de la trajectoire des instruments. Ce n'est pas simplement les classifier et de montrer des différences, mais aussi de modéliser, représenter ces différences. On a aussi un projet ANR qui est en cours, qui a commencé depuis un an avec l'Université d'Hong Kong, où on essaie d'aller un petit peu plus loin. en essayant de comprendre la notion de qualité, savoir comment se déplacent les instruments ou quelle est la séquence d'activité, c'est bien, mais si on peut la corréler au résultat clinique, à une notion de qualité, pas simplement savoir ce qu'on fait, mais est-ce qu'on le fait bien, et l'étape suivante. Parce qu'évidemment, notre objectif, c'est de faire mieux pour les patientes, dans ce cas-là, c'est l'hystérectomie. Et donc, c'est non seulement comprendre comment on fait, mais comment on fait bien les choses pour un meilleur résultat clinique. Un autre exemple très concret qu'on est en train de finaliser, c'est de travailler sur une représentation graphique et compréhensible de cette variété. Parce que, quand c'est représenté par des modèles informatiques, parfois, ils sont très complexes, et on a du mal à les transmettre aux chirurgiens, pour l'apprentissage, par exemple, comment on peut les donner. Et donc, on est en train de développer une application qui est un peu comme un GPS pour la voiture, et qui permet de se déplacer dans la chirurgie, dans sa variabilité de la chirurgie, et de suivre un chemin, et puis de voir à quoi est lié ce chemin, quel est le type de trajectoire qui est appliqué à ce moment-là. C'est un vrai GPS. Visuellement, ça ressemble à un GPS pour de la conduite automobile. Merci beaucoup, Pierre, pour cet échange et pour ces éclairages sur le projet SPARS. Ce travail ouvre visiblement de très belles perspectives. Merci à vous qui nous écoutez. Vous pouvez retrouver plus d'informations sur le site du LabEx Comminlabs, comminlabs.inria.fr, et découvrir d'autres projets où le numérique rencontre les défis scientifiques et sociétaux. A très bientôt.
Le projet SPARS : analyser pour comprendre la chirurgie
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