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Langue :
Français
Crédits
Mission 2000 en France (Réalisation), Mission 2000 en France (Production), Jean-Claude Mounolou (Intervention)
Conditions d'utilisation
Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/6r0a-qq73
Citer cette ressource :
Jean-Claude Mounolou. UTLS. (2000, 6 janvier). La biodiversité , in Diversité de la vie, évolution et préhistoire. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/6r0a-qq73. (Consultée le 16 mai 2024)

La biodiversité

Réalisation : 6 janvier 2000 - Mise en ligne : 6 janvier 2000
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Descriptif

Pour se nourrir et construire leur société, les hommes exploitent la diversité biologique. Agriculture, élevage, artisanat et industries sont des activités qui associent des choix d'objets vivants et des techniques d'exploitation. Au cours des trois derniers siècles leur développement s'est appuyé sur l'élaboration patiente de la science biologique. L'intervention des chercheurs et la prise en compte des connaissances nouvelles dans le fonctionnement social se faisait cependant très progressivement. Réciproquement, la société ne s'imposait guère dans le champ de la biologie dont l'évolution n'obéissait qu'à une logique scientifique. En conséquence la définition des droits et le système juridique qui organisent le rapport entre les hommes à propos du vivant s'établissaient au fur et à mesure et paraissaient tenir en équilibre les perceptions culturelles et philosophiques, les activités économiques et la connaissance de la diversité biologique. Depuis quelque vingt années la cohérence passée a fait place à une situation de crise juridique et biologique. Plusieurs événements y concourent. D'un côté la croissance démographique, l'épuisement envisagé de certaines ressources biologiques et les changements climatiques menacent la diversité existante. D'un autre côté, le progrès des connaissances, en particulier génétiques et écologiques, fait entrevoir des perspectives tout à fait remarquables de créer des objets vivants nouveaux. Les enjeux économiques de la biologie, autrefois modestes et lointains, sont devenus majeurs et immédiats. Ils incitent à des transformations, des investissements et des productions qui bousculent les structures et les liens sociaux actuels. Les conflits qui apparaissent posent en termes nouveaux la question de la relation entre ressources biologiques et droits. Le monde s'accorde à penser que, d'une façon ou d'une autre, l'avenir des générations futures doit être construit dans une perspective de développement durable par une relation nouvelle, étroite, évolutive entre la société et la science. Le concept et le vocable de biodiversité, apparus dans les années 80, identifient ce champ de réflexion et d'action. Qu'on la précipite, qu'on la freine ou qu'on l'accompagne, une évolution se fait. Elle impose au citoyen d'intégrer, dans ses réflexions et ses choix, des concepts, des connaissances et des démarches de sciences biologique, économique, juridique, médicale et sociale. L'Université remplira sa mission si elle prépare cette synthèse en apportant plus d'informations par sa recherche et des formations adaptées pour les jeunes.

Intervention
Thème
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Texte de la 6ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 6 janvier 2000 par Jean-Claude Mounolou

La biodiversité.

La biodiversité ne fait pas lobjet dune discipline scientifique à proprement parler, elle est à un carrefour de rencontre entre les disciplines scientifiques, des sciences biologiques, des sciences physico-chimiques pour ce qui est de lenvironnement, des sciences humaines et sociales.

Ce carrefour, nous sommes tous convaincus quil existe. La biodiversité, cest la variété du monde vivant autour de nous : les arbres, ceux qui ont subi la tempête mais aussi ceux qui y ont résisté, cest aussi les poissons qui vont se trouver prisonniers dans des mares quand les crues seront terminées, cest aussi les microbes, les virus, cest aussi les prions.

Cette biodiversité a des fonctions. Dabord, pour chacun de nous, cest une ressource dans la vie quotidienne. Nous avons besoin de manger, de nous vêtir, de nous chauffer. Cest une ressource renouvelable, susceptible cependant dépuisement, mais cest aussi une ressource que lhomme a appris à renouveler et à enrichir. Bien entendu, cest un champ dactivité et de profit pour la société, cest un champ où la recherche trouve des objets à la hauteur de sa mission, où la conservation issue dun projet de société trouve des moyens et des champs daction, où la gestion va tâcher de faire lusage que lhomme souhaite de ces ressources biologiques et va les administrer. La biodiversité, cest enfin une image de nous-mêmes et des autres êtres vivants dans une vision éthique, avec des droits et une éducation.

La biodiversité telle que nous la vivons, nous, Parisiens, femmes et hommes de pays riche et développé, nous la vivons comme le symbole de la nature, dans la beauté et la diversité de son paysage. Lorsque nous nous sentons sentimentalement, viscéralement attachés à la biodiversité, nous commençons par penser à ça. Par contre, une mère de famille en pays tropical plutôt pauvre, quand elle pense à la biodiversité, pense à des choses beaucoup moins riches, peut-être tout aussi diverses pour le biologiste, avec lesquelles elle va nourrir sa famille : quelques petits piments, jaunes, verts, rouges, de plusieurs variétés, des pastèques, différents types darachides. La voilà la biodiversité. Cest celle aussi avec laquelle nous vivons. Et une bonne partie de lhumanité sintéresse à la biodiversité parce quelle a besoin de vivre.

Dun point de vue plus scientifique, ce que je retrouve quand je lis les livres des gens compétents me donne le vertige : vertige du temps et vertige des nombres.

Si nous parlons en espèces, dans les recensements des systématiciens des années 91, sont répertoriés 1.600.000 espèces mais le total estimé est probablement dix voire cent fois plus. Vertige devant linconnu.

Et là-dessus, on mexplique, sans me définir très clairement ce quest la domestication, quà peine quelques milliers de ces espèces sont de façon directe ou indirecte sous la tutelle de lhomme. Le reste, est-ce une richesse ? Est-ce un fardeau ? Faut-il aller en chercher dautres, puisque nous en utilisons déjà si peu dans ce que nous connaissons ?

Le vertige saccroît si je parle en termes de renouvellement. Les paléontologues, les biologistes de lévolution nous enseignent que la demi-vie moyenne dune espèce à la surface de la planète est de lordre du million dannées. A comparer aux trois et quelque milliards dannées que la vie a déjà vécu sur la Terre. Ce qui veut dire quil en est passé des espèces sur les sites sur lesquels nous vivons ! Combien sont nées ? Combien ont disparu ? Les nombres sont tellement grands. Je ne sais pas faire le calcul.

Et si je mintéresse maintenant aux individus, vous trouverez que la vie moyenne dun individu est, en général, de moins dune année. Certes, il y a des micro-organismes qui vivent quelques dizaines de minutes ou quelques heures, des végétaux qui sont annuels, dautres qui sont bisannuels, dautres qui sont pérennes. Nous sommes parmi les espèces qui vivons relativement longuement. Les arbres encore plus. Et vous avez, bien entendu, senti les effets de la tempête dans cette vision. Les mêmes livres nous disent que tous ces individus sont génétiquement différents. Chacun de nous certes se reconnaît comme partie prenante dune espèce, mais sait aussi quil est différent de son voisin, différent de son père, de sa mère, sait que ses enfants lui ressemblent sans être identiques à lui. Cest pour ça que jai le vertige des nombres, cest aussi pour ça que jai le vertige du temps.

Cest donc clair : cette biodiversité bouge tout le temps. Cest ce que jappelle un « système en devenir ».

Pourquoi alors vivons-nous une période de tension, dinquiétude à propos de cette biodiversité ? Parce que le temps de cette biodiversité - mais je devrais dire « les temps », tous ceux que jai passés en revue jusquà linstant -, ces temps sont clairement différents du rythme et du temps de la vie économique actuelle. Nous vivons à un rythme qui est beaucoup plus rapide que celui de la biodiversité, nous accélérons les choses. Est-ce que nous lui laissons le temps de se renouveler, dêtre toujours à la disposition de lhomme ? Ce faisant, je prends une position idéologique : je mets lhomme au milieu, je mets lhomme à coté, je mets lhomme au-dessus ou peut-être au-dessous - cela dépend de ce que vous pensez. Est-ce que jai le droit de faire ça ?

Nous allons aussi avoir un vertige dans lespace, parce que cette biodiversité nest pas distribuée de façon homogène : la flore de montagne nest pas la flore des plaines, la flore du petit square devant le CNAM, nest pas la flore que vous trouverez, par exemple, sur les bords de la Méditerranée maintenant que lhomme a mis du béton et des géraniums partout. Ce sont pourtant des milieux vivants, bien structurés, bien organisés, et les biologistes savent les décrire, savent analyser, décrire, suivre éventuellement leur fonctionnement. Les biologistes nous disent que ces sites de biodiversité sont des mosaïques plastiques, qui se déforment. Nous lavons vu avec la tempête. Nous avons pensé que cétait terrible, cette tempête, et cela lest pour les hommes, cela lest peut-être aussi pour les plantes - elles ne nous lont pas dit -, mais nous savons que, dans un autre territoire national, lîle de La Réunion, ces tempêtes sont absolument indispensables au maintien dune biodiversité dynamique sur lîle. Le cyclone, quand il passe, arrache les arbres, comme la tempête la fait ici dans la région ou en Charente. Après ces arbres, des espèces végétales pionnières sinstallent et vivent, elles laissent des graines, elles laissent des descendants très nombreux, elles sont remplacées par dautres, elles font le passage pour dautres qui sinstallent à leur tour. Les précédentes, on pourrait dire quelles disparaissent. Le botaniste averti est amené à les chercher avec beaucoup de soin sils veut retrouver des graines ou des plantules. Y a-t-il crise de cette biodiversité-là ? Peut-être. Mais, en tout cas, le système de lîle de La Réunion vit avec des successions, des cascades de diversités biologiques qui font partie de leur système, qui se sont installées et qui vivent comme ça.

Je suis convaincu, mais je voudrais que vous le soyez, que ce nest pas un système statique. Nous ne pourrons pas larrêter, cette biodiversité, mais nous pourrons peser sur son avenir.

Peser sur lavenir, cela veut dire que nous sommes dans un problème de société. Biodiversité, oui, mais les conflits arrivent. Tout le monde na pas la même opinion, tout le monde na pas le même intérêt. Certains veulent survivre. La mère de famille qui va au marché na pas le même objectif vis-à-vis de la biodiversité et des ressources quelle peut ramener à la maison pour ses enfants que ceux qui vivent avec des objectifs de société, eux aussi, dans des sociétés riches, structurées, dans des entreprises, publiques ou privées, dont lobjectif est le profit. Mais tous ceux-là mangent comme vous et moi tous les jours à leur faim et leur objectif, notre objectif, cest de payer la meilleure nourriture possible au plus bas prix. Nous ferons aussi des efforts pour des raisons qui concernent sentimentalement, spirituellement chacun de nous. Là-dessus, il faudra quand même, quelles que soient nos sociétés, assurer sécurité alimentaire, santé à chacun de nous. Il est bien clair que tout le monde nest pas égal devant ce système. Développements économiques, profits, développements durables : on voit les objectifs, on voit les conflits venir.

***

Quest-ce que la biodiversité ? La définition de la Convention sur la diversité biologique parle de variabilité entre organismes vivants dans des milieux différents. La diversité inclut la diversité au sein des espèces, entre les espèces et entre les écosystèmes. Cest une définition qui oublie le fonctionnement intime des organismes.

LUnion internationale pour la conservation de la nature ainsi que le Programme de la Banque mondiale ont une définition plus simple et probablement plus claire bien quambitieuse et parlent de « la totalité des gènes, des espèces et des écosystèmes dans une région ».

Ce qui nous fait parcourir lensemble de léchelle du niveau dorganisation du vivant. La biodiversité est donc un concept important, mais cest aussi un concept ambigu, pour tout le monde

Je vais donner quatre petits commentaires de biologiste.

Pour les généticiens et les évolutionnistes, la biodiversité, cest la diversité des gènes et des individus et celle des espèces. Ils savent étudier et comprendre certains processus. Ce sont les mutations, les échanges génétiques et la dynamique des génomes, qui est une façon peut-être grossière et pas très correcte de parler de tous ces remaniements qui se sont produits au niveau de lADN et qui ont autorisé lévolution dont parlait François Jacob.

Mais cela se passe dans un contexte de système biologique, de système écologique. Certains des objets qui apparaissent et disparaissent, ne font ni chaud ni froid à leurs voisins, dautres se trouvent avoir une propriété qui les favorise. Ce sont des questions de neutralité et de sélection, la question revisitée du darwinisme aujourdhui. Tout cela fonctionne avec des nombres, avec des fonctions - dans le jargon des biologistes, en méta-populations. Cest une autre façon de dire que le système est organisé en mosaïques et que certains individus passent de lune à lautre, séchangent, certains séteignent, le site est recolonisé par des individus de la même espèce, de la même famille génétique, parfois dautres différemment, certains reviennent chez leurs grands-parents, pour ainsi dire et, au passage, ils ont un peu changé en donnant de la richesse, de la nouveauté dans les sites occupés par leurs anciens grands-parents. Tout cela va donc de façon divergente. Le nombre des espèces, disent les évolutionnistes, est allé en augmentant, et beaucoup dentre elles ont disparu et nous nen recueillons aujourdhui que ce qui reste en lan 2000. Il y a dans ces dynamiques des processus qui sont bien déterminés, dont on peut analyser les mécanismes et prédire de façon certaine les résultats et dautres processus qui sont au contraire probabilistes, dont on peut dire comment ils fonctionnent mais pas avec quelle probabilité ils donneront tel résultat.

Ceci étant, le biologiste ne sintéresse pas quaux gènes et à lévolution, il sintéresse aussi au fonctionnement des organismes, des individus, à ceux qui ont froid, à ceux qui ont mal, à ceux qui ont faim, à la façon dont les animaux, les plantes, les micro-organismes, les hommes, les femmes se reproduisent, aux problèmes de démographie. Il y a là de la biodiversité. Les individus, les espèces nutilisent pas les mêmes stratégies de reproduction selon le milieu, lidée quils sen font et la façon dont ils le perçoivent. Cela a des conséquences. Il y a des espèces qui développent des organisations sociales pour raffiner leur réponse à cet objectif de reproduction et dautres qui utilisent les voisins, qui vivent en communauté. Ce sont des consortiums. Nous savons bien que les bons fromages ne sont pas le produit dune seule espèce de ferment lacté mais dun consortium astucieux qui sest partagé les tâches, qui sest entraidé pour faire apparaître des saveurs, des textures, des sapidités qui sont celles que nous, nous sélectionnons. Cest une vie de consortiums. Ces espèces microbiennes échangent entre elles. Elles échangent de quelle manière ? Elles échangent des signaux certes, des gènes quelquefois, elles échangent aussi et elles partagent les substrats pour se nourrir.

Nous en arrivons ainsi progressivement au système, à ces milieux, à ces régions. Cest le domaine de lécologie, lécologie scientifique.

Le consortium dans lécologie, cest linteraction entre espèces, cest une interaction durable. Claude Combes parlera ici même de la naissance de cette interaction, de la façon dont elle fonctionne, de son rôle dans la reproduction éventuellement sexuée des différents partenaires bien quils ne soient pas de la même espèce.

Ces habitats sont fragmentés. On a parlé de mosaïques. Pour un écologiste, cest extrêmement intéressant. Cest de là quil tire ses références, quil peut dresser ses comparaisons, quil peut expérimenter, au sens dun scientifique, cest-à-dire en faisant des prédictions sur la base dhypothèses, en analysant les résultats. Il découvre que les variations sur un même thème sont aussi extrêmement diverses, enrichissant notre biodiversité, mais quelles sont vulnérables.

Cependant, ce quils nous disent aussi, cest que, si nous faisons attention aux constantes de temps, au rythme des choses et des dynamiques, il y a différents types de scénarios possibles pour voir évoluer, se transformer ces écosystèmes.

Nos collègues décologie se posent à partir de là une question. La biodiversité a-t-elle une fonction ? Bien sûr que oui. Comment lanalyse-t-on ?

Pour répondre, il faut connaître les animaux, les bactéries, les plantes. Autrement dit, il faut être un bon systématicien, un bon botaniste. Depuis Linné, la systématique a construit la base de notre savoir vivant, de notre capacité à distinguer les objets les uns des autres. Cette systématique a tiré sa gloire mais elle a aussi vécu et elle vit encore la difficulté du vertige du temps et du vertige des nombres. Nous avons cruellement besoin de la systématique et nous naurons jamais fini cette systématique. En plus, tout change tout le temps. Dans tous ces endroits nouveaux que nous découvrons, dans tous ces remaniements qui vont se faire, il nous faudra connaître les êtres vivants. Peut-être que les enjeux de la systématique nouvelle sont non plus dans la connaissance des genres, des espèces, des sous-espèces, mais du côté de la connaissance des patrons, des collectivités, des fonctions. Il y a là un immense espace de liberté, de progrès pour les systématiciens.

Au passage, les systématiciens rencontrent des difficultés, parce que les généticiens disent que les échanges génétiques, les échanges dADN, cela existe. Rarement, heureusement, mais cela existe. Quel concept despèce alors utiliser ? Lorsque vous rencontrez un virus qui passe de la pomme de terre au tabac, direz-vous que ce virus fait partie de lespèce pomme de terre ou direz-vous quil fait partie de lespèce tabac ? Cest pourtant le même ADN, nucléotide par nucléotide. Moi, je ne sais pas répondre, mais je sais quil y a un problème pour les systématiciens et pour nous tous - et pour vous et pour moi. Parce que jai parlé du tabac gentiment, mais vous pensez bien que jaurais pu parler de lespèce humaine.

Donc, voilà les biologistes au travail. Allons-nous attendre pour faire quelque chose quils aient fini ce dont je viens de dire quils nauraient probablement jamais fini ? Sûrement pas. Ce système biologique, il faut bien lutiliser. Il faut avoir le courage de regarder cette biodiversité comme une ressource. Bien sûr, il faut la connaître. Bien sûr, il y a limpact de lhomme. Bien sûr, cela dépend du choix de société.

Alors, quelle démarche pouvons-nous proposer ? Nous proposons dévaluer la biodiversité, de regarder comment elle évolue et puis de traiter cette question-là dans nos décisions sociales et politiques en fonction de notre perception et de nos hiérarchies de valeurs. Cela passe auparavant par des inventaires, des observatoires, par des systèmes de conservation, cela passe par des ingénieries de gestion et dadministration. Il est bien clair que, si nous devons être plus nombreux sur cette planète, non seulement il faut accompagner cette préservation de la diversité biologique mais aussi nous avons intérêt à lamplifier, à ce quelle soit la plus riche possible, pour elle-même et peut-être aussi pour nous.

***

La biodiversité est en train de recevoir un encadrement juridique. Par rapport à la démarche du biologiste, la démarche de nos collègues des sciences juridiques est une démarche que jappelle inversée. Eux disent que cest moi qui suis inversé. Ils partent de léthique, de la société, des individus et définissent nos champs de liberté. Ils partent de nos rapports sociaux et proposent des lois et des règles que les citoyens votent à travers leurs élus. Ils partent des règlements, quil faut bien apporter aux conflits, et posent des interdits. Quand la société se fixe des objectifs, ils nous proposent des procédures compatibles avec les lignes précédentes. Pour cela, les juristes de la biodiversité ont besoin de connaître les mesures de gestion possibles, ils ont besoin dévaluer ce que les uns et les autres sont en train de faire.

Je vais prendre cette question en trois points, en redescendant les aspects de la biodiversité : des écosystèmes, des régions, jusquaux gènes.

Le droit et les écosystèmes, cest une vieille histoire. Cest ce que jappelle lhistoire de lapproche environnementale. Le droit de propriété est très ancien et il a des conséquences sur la biodiversité : droit de propriété foncière privée et publique. Il est dans notre Code, mais il existe aussi un code rural qui définit les usages, un droit de la mer, dont on sait quil est parfois bafoué. A lintérieur de ce corps juridique ont été définis par nos prédécesseurs, par nos pères, par nous-mêmes quand nous votons, des droits et servitudes particuliers : les droits de chasse, le régime des eaux qui règle la vie de la diversité aquatique mais aussi de lagriculture. Nous avons défini des mesures publiques, des mesures collectives de protection et de conservation. Nous avons un Conservatoire du littoral. Même lEurope sen est mêlée avec la directive « Habitats ». Je nai pas besoin de vous dire les conflits quil y a avec les chasseurs.

Ce droit a aussi été construit par espèces. Ici il nest plus question décosystèmes mais despèces. Quand on regarde la façon dont le droit évolue aujourdhui, on saperçoit que les sensibilités ont changé considérablement. Le loup, au temps de la guerre de Cent ans, était une espèce bannie. Nous cherchons aujourdhui à le réintroduire. Je ne dis pas que cest bon ou mauvais, je dis que cest une question de perception. Dautre part, nous navons pas la même attitude vis-à-vis despèces que nous assimilons à nous-mêmes et vis-à-vis dautres. Le nounours de nos enfants, on va le défendre tout en piétinant gentiment les plantes protégées de la flore pyrénéenne. Visiblement, nous navons pas le même sentiment pour lours que pour certaines petites plantes discrètes. Nous navons pas non plus de sentiments très gentils pour protéger lagent de la tuberculose. Pourtant, cest un être vivant, lui aussi. Nous aurions même tendance à le traiter autrement si nous le pouvions. Et si nous ny réussissons pas, cest peut-être aussi pour une question de société. Nous avons donc des espèces en voie de disparition, des espèces protégées, un droit, des classements, des mesures. Sont-elles bien appliquées ? Vous avez chacun votre réponse. Même pour les espèces domestiques, il y a un encadrement juridique de la diversité biologique. Dans le meilleur des mondes possible, on imaginerait que juristes et biologistes conçoivent un droit de la prospection sans ambition. Je crains bien que nous nen soyons pas encore là. Gardons ça comme un rêve.

Reste à parler du droit et de lapproche génétique. Ce nest pas nouveau, lapproche génétique. Depuis le Néolithique, les agriculteurs ont fait de lapproche génétique sans savoir quils faisaient de la génétique : ils ont domestiqué les plantes. Quand je vous ai dit que le blé à la veille de la guerre de Cent ans faisait cinq quintaux à lhectare, cétait bien un ancêtre du blé, cétait bien du blé, au sens de Linné, au sens de lespèce, mais cétait un type de blé qui navait probablement pas les capacités de production dans un milieu entretenu par lhomme quont les blés daujourdhui. Donc, les généticiens, les sélectionneurs, ceux qui améliorent les plantes, les agriculteurs, les paysans ont fait depuis de nombreuses années un travail. Ils gardaient leurs semences, plus ou moins habilement. Quelquefois, ils étaient obligés de les manger : cétait la disette. En 1920, la France fut parmi les premiers pays à développer un cadre juridique en instituant les certificats dobtention végétale qui témoignaient de la qualité de ce quun producteur de semences vend, avec reconnaissance du travail dagriculture fait. Tout ce système sest développé de 1920 jusquà nos jours. Il existe aujourdhui une législation parfaitement bien encadrée et une Union pour la protection des obtentions végétales, reprise par la FAO, sans dailleurs que tous les pays aient adhéré. En 1966, à une période de gloire et dactivité économique, lEtat français de lépoque a fait une loi sur lélevage et lencadrement de linsémination artificielle. Notre pays a fait ainsi de la génétique animale et a encadré sa production laitière et sa production de viande dans des systèmes réglementaires où les outils de contrôle démocratique devraient pouvoir sexercer.

Pour ce qui concerne le monde microbien, les choses sont différentes parce que ces petits objets vivants, bien quils représentent en masse la moitié du protoplasme vivant sur la Terre sont si petits que nous ne les voyons pas avec nos yeux. Nous ne nous y sommes donc pas intéressés comme aux lapins ou aux chênes. Depuis très longtemps, ils sont cependant soumis aux droits de brevets. Ils ont vécu une vie juridique, depuis la fin du siècle dernier jusquà récemment, différente de celle des plantes et des animaux. Cest la vie juridique des microbes.

Aujourdhui se produisent des conflits. Nous venons de vivre, disons, une quinzaine dannées durant lesquelles jai le sentiment davoir vécu trois événements majeurs. Dabord, même si elle est incomplète, la maîtrise des gènes. De la matérialité de lADN aux technologies classiques de génétique et de génie génétique, on est passé à la brevetabilité des séquences, des procédés et à une évolution du concept de ressource génétique, puisque, si vous pensez en termes de gènes, vous pouvez vous interroger. Quelle est la ressource ? Est-ce la plante ? Est-ce lADN ? Est-ce le procédé ? Est-ce celui qui a acheté le procédé ? Cest le débat aujourdhui. A Seattle, on en a entendu parler.

En parallèle, nous avons vécu une révolution de notre perception du statut juridique du monde biologique. Avant 1992, dans tous les textes du type de ceux de lUnion pour la protection des obtentions végétales, mais aussi dans les plans daction de la FAO ou dans dautres, y compris dans les plans daction dérivés des programmes de la Banque mondiale, la diversité biologique était définie comme un patrimoine commun de lhumanité. LUNESCO la écrit ainsi dans ses chartes. Vient 1992, la conférence de Rio : la biodiversité est en danger. Parmi les nombreux alinéas de la Convention, qui a force de traité international, il y en a un qui est important. Je dois dire quen tant quindividu, je ne men suis pas rendu compte tout de suite. Il ma fallu cinq ans pour le comprendre, mais je ne suis pas juriste. Peut-être aussi avais-je les yeux volontairement fermés par mes propres idées. Un alinéa dit en effet que « les Etats voient leur souveraineté reconnue sur la diversité biologique qui est sur leur territoire ». Ce qui veut dire que ce nest plus un patrimoine commun de lhumanité. Il est vrai que le mot « souveraineté » ne veut pas dire « propriété ». Doù un champ de conflits extraordinaire. Mais cest ça que nous vivons aujourdhui, qui plus est exacerbé par la mondialisation. Quest-ce quon vend ? Quest-ce quon échange ? Qui a les objets ? Qui a les droits ? Qui échange les droits et selon quels régimes ? Donc, propriété intellectuelle, structures économiques multinationales et puis les débats de Seattle. Vous les avez entendus.

Nous vivons donc une nouvelle situation, mais une situation où sont apparus aussi des espaces de liberté nouveaux.

Dabord, pour les Etats. Les Etats ont vu leur souveraineté reconnue. Je ne dis pas si cest bien ou mal, je le constate. Cest une situation où linnovation développée par les individus, développée par les entreprises, développée par les structures institutionnelles se voit ouvrir un champ daction beaucoup plus grand à des niveaux dorganisation du vivant, sur des échelles de temps et sur des valeurs bien différentes de ce que nous connaissions quand jétais à lEcole agronomique.

Pour les citoyens, il y a aussi un nouvel espace de liberté. Ils ont à agir, mais il faut quils se mettent au clair sur leur projet de société en fonction de ce quils pourront connaître, comprendre, accepter, refuser, de ce qui leur est proposé.

Dans cette nouvelle situation, je vois trois tendances se dessiner.

La première tendance est celle du biologiste qui sintéresse à ses petites plantes ou à ses petits animaux et qui constate leffacement de lidée de conservation statique avec une priorité donnée à une conservation dynamique qui peut être relayée et entraînée par le concept de ressource et celui dinnovation. Notre société va déjà dans ce sens-là.

Dautre part, ce sera à nous de faire ce quil faut éventuellement. Et dans ce « faire ce quil faut », nous aurons à nous poser la question : où sont, dans ce futur, la justice et léquité ? Comment sont partagés les pouvoirs des individus, les pouvoirs des faibles et les pouvoirs des puissants ? Qui prendra en charge les coûts ? Qui gérera le patrimoine ?

Enfin, il ny a rien là à déplorer. Il y a eu un réel progrès des connaissances, que lon a vu se matérialiser récemment sur les gènes mais les gènes ne sont pas tout. Ce ne sont pas les gènes qui font les hommes ni les citoyens. Les gènes font partie des hommes et des citoyens et ne sont pas les seules choses à faire les hommes et les citoyens. De ces connaissances qui sont sorties sur les gènes comme de celles qui vont sortir à propos du fonctionnement des organismes ou de lécologie, nous aurons besoin pour construire nos ingénieries, pour construire nos projets - et aussi pour tout le temps pouvoir les remettre en cause.

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