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Français
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UTLS - la suite (Réalisation), UTLS - la suite (Production), Yves Lagane (Intervention), Bertrand Caillet (Intervention)
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/32rt-qg49
Citer cette ressource :
Yves Lagane, Bertrand Caillet. UTLS. (2007, 26 juin). La sauvegarde de la vie en mer : aujourd'hui et dans l'avenir - Yves LAGANE , in L'Homme dans les conditions extrêmes. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/32rt-qg49. (Consultée le 18 mai 2024)

La sauvegarde de la vie en mer : aujourd'hui et dans l'avenir - Yves LAGANE

Réalisation : 26 juin 2007 - Mise en ligne : 25 juin 2007
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Descriptif

La planète bleue est un univers merveilleux et passionnant lorsqu'on le pratique avec humilité et que l'on fait l'effort de l'apprendre. Ce milieu reste néanmoins délicat, voire hostile et dangereux pour l'homme, nous en avons des exemples tous les jours. On pense bien sûr à quelques noms qui ont fait la une dans le passé ou plus récemment comme « TITANIC », « ESTONIA », « AMOCO CADIZ », « ERIKA » ou « PRESTIGE ». Les premiers rappellent des naufrages dramatiques qui ont entraîné un grand nombre de décès. Les derniers sont de gigantesques accidents de mer qui ont provoqué des pollutions majeures sur nos côtes sans disparitions de personnes.

Ces « évènements de mer » - c'est l'expression pudique utilisée par les gens de mer pour les décrire - font partie de l'univers des populations littorales. Depuis la nuit des temps, l'accident, le drame, la mort ou la disparition du marin font partie du quotidien des familles de marins. C'est presque la fatalité : « la mer nous l'a pris ». Au dix-neuvième siècle, les tempêtes d'hiver déciment la communauté maritime. On dénombre certaines années plusieurs milliers de disparitions sur nos côtes. Aujourd'hui, la pratique de la mer est statistiquement beaucoup moins meurtrière. Environ 300 personnes perdent la vie chaque année dans nos approches maritimes nationales. Les loisirs nautiques sont sources d'accidents graves, mais les professionnels de la mer les plus qualifiés, paient également un lourd tribut. Plusieurs équipages de chalutier disparaissent chaque hiver. La mort récente d'Edouard Michelin dans le Raz de Sein en compagnie d'un des pêcheurs les plus qualifiés de la région rappelle que, quelle que soit notre niveau de préparation, la mer peut parfois nous dépasser totalement : la houle, les vagues, le vent, les courants, les récifs, le bateau…. sont parfois les plus forts. Le phénomène dépasse également les Etats, car hier comme aujourd'hui, un dispositif de secours efficace sur l'ensemble de nos côtes et suffisamment réactif représente un investissement considérable. L'unité de temps est ici la demi-heure, parfois moins, à toutes heures du jour et de la nuit !

C'est dans ces perspectives la tradition de solidarité entre gens de mer prend tout son sens. A l'échelle d'un village, puis d'un canton, d'une région et finalement d'un pays, se développent au cours des siècles des organisations structurées et performantes, fonctionnant sur le principe de l'engagement bénévole au service de la sauvegarde de la vie humaine en mer. Au départ, ce sont souvent les pêcheurs qui s'organisent pour porter secours aux pêcheurs. En France, de nos jours, c'est une association régie par la loi de 1901, la SNSM, qui porte ces valeurs et ce projet. Ce principe de l'engagement bénévole dans les missions qui impliquent des prises de risques surprend le citoyen du 21° siècle. Il soulève même souvent la perplexité: « Dans la société d'aujourd'hui qui refuse le risque ou l'erreur et porte le moindre contentieux devant la justice, votre projet associatif n'a aucun avenir ! ». Il est vrai que, d'une certaine manière, il confronte l'homme à des situations extrêmes à deux titres : - Celui du marin qui doit affronter les éléments physiques qui peuvent le dépasser ; - Celui du bénévole qui , paradoxalement, accepte « pour rien » d'engager sa responsabilité et parfois sa vie au service de l'autre, dans un environnement qui, à bien des égards, ne lui fera pas de cadeau ; bien au contraire ! Nous faisons le pari que cette magnifique forme d'engagement perdurera dans l'avenir pour le bien de tous. C'est la réflexion que nous vous proposons ensemble.

Intervention
Thème
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Texte de la 637e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 26 juin 2007

Yves Lagane et Bertrand Caillet : « Les bénévoles sauveteurs en mer au 21e siècle ».

Les bénévoles sauveteurs en mer en environnement extrême : Yves Lagane.

La planète bleue est un univers merveilleux et passionnant lorsqu'on le pratique avec humilité et que l'on fait l'effort d'apprendre à le connaître. J'irai jusqu'à dire, même si cela peut paraître prétentieux, lorsqu'on essaie de l' « apprivoiser ». Ce milieu reste néanmoins délicat, voire hostile et dangereux pour l'homme, nous en avons des exemples tous les jours. On pense bien sûr à quelques noms qui marquent nos mémoires comme « TITANIC », « ESTONIA », « AMOCO CADIZ », « ERIKA » ou « PRESTIGE ». Les premiers rappellent des naufrages dramatiques qui ont entraîné un grand nombre de décès. Les derniers sont de gigantesques accidents de mer qui ont provoqué des pollutions majeures sur nos côtes sans disparitions de personnes. Ces « évènements de mer » - c'est l'expression pudique utilisée par les gens de mer pour les décrire - font partie de l'univers des populations littorales. Depuis la nuit des temps, l'accident, le drame, la mort ou la disparition du marin font partie du quotidien des familles de marins. Dans une moindre mesure, c'est toujours vrai aujourd'hui. C'est presque la fatalité : « la mer nous l'a pris ».

Au dix-neuvième siècle, les tempêtes d'hiver déciment la communauté maritime. On dénombre certaines années plusieurs milliers de disparitions sur nos côtes. Aujourd'hui, la pratique de la mer est statistiquement beaucoup moins meurtrière. Environ 300 personnes perdent la vie chaque année dans nos approches maritimes nationales. C'est trop, mais c'est relativement peu quand on considère qu'un français sur deux pratique la mer au moins une fois dans l'année, pour son loisir ou dans le cadre d'une activité professionnelle, à partir du littoral ou plus au large. Les loisirs nautiques sont sources d'accidents graves, plus particulièrement la baignade et les sports pratiqués à proximité immédiate de la côte. Mais les professionnels de la mer les plus qualifiés, paient également un lourd tribut. Plusieurs équipages de chalutier disparaissent chaque hiver. La mort récente d'Edouard Michelin dans le Raz de Sein en compagnie d'un des pêcheurs les plus qualifiés de la région rappelle que, quel que soit notre niveau de préparation, la mer peut parfois nous dépasser totalement : la houle, les vagues, le vent, les courants, les récifs, l'avarie du bateau.... sont parfois les plus forts. Le phénomène dépasse également les Etats, car hier comme aujourd'hui, un dispositif de secours efficace sur l'ensemble de nos côtes et suffisamment réactif représente un investissement considérable. L'unité de temps est ici la demi-heure, parfois moins, à toutes heures du jour et de la nuit !

C'est dans ces perspectives que l'esprit de solidarité entre gens de mer prend tout son sens. A l'échelle d'un village, puis d'un canton, d'une région et finalement d'un pays, se développent au cours des siècles des organisations structurées et performantes, fonctionnant sur le principe de l'engagement bénévole au service de la sauvegarde de la vie humaine en mer. Au départ, ce sont souvent les pêcheurs qui s'organisent pour porter secours aux pêcheurs. En France, de nos jours, c'est une association régie par la loi de 1901, la Société Nationale de Sauvetage en Mer (SNSM), qui porte ces valeurs et ce projet. Comme nous le verrons, elle tient une place centrale dans le dispositif de sauvegarde de la vie humaine en mer.

Ce principe de l'engagement bénévole dans les missions qui impliquent des prises de risques surprend le citoyen du 21e siècle. Il soulève même souvent la perplexité chez nos interlocuteurs. « Dans la société d'aujourd'hui qui refuse le risque ou l'erreur et porte le moindre contentieux devant la justice, votre projet associatif n'a aucun avenir ! ».

Il est vrai que, d'une certaine manière, il confronte l'homme à des situations extrêmes à deux titres :

- Celui du marin qui doit affronter les éléments physiques qui peuvent le dépasser ;

- Celui du bénévole qui, paradoxalement, accepte « pour rien » d'engager sa responsabilité et parfois sa vie au service de l'autre, dans un environnement qui, à bien des égards, ne lui fera pas de cadeau ; bien au contraire !

Nous faisons le pari que cette magnifique forme d'engagement perdurera dans l'avenir pour le bien de tous. C'est la réflexion que nous vous proposons d'aborder avec vous ce soir.

Dans un premier temps je vous présenterai brièvement l'histoire de la SNSM, son action, ses résultats, sa place dans l'organisation des secours en mer et les principales évolutions du contexte dans lequel nos sauveteurs interviennent.

Après une courte présentation vidéo d'une action de sauvetage, Bertrand Caillet sauveteur bénévole au Havre vous décrira deux ou trois interventions difficiles et les problèmes que l'on peut rencontrer localement pour recruter, organiser, fidéliser et manager une équipe de bénévoles engagés dans une mission opérationnelle.

En conclusion, je reprendrai la parole pour vous proposer quelques pistes pour pérenniser ce véritable trésor que constitue aujourd'hui l'esprit de l'engagement bénévole dans les situations extrêmes.

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Présentation générale de la SNSM et de ses principaux enjeux. (Yves Lagane).

La Société Nationale de Sauvetage en Mer est une association loi de 1901 qui perpétue les valeurs de plusieurs associations créées dans la deuxième partie du 19° siècle pour porter secours aux marins en difficulté en mer. Son projet est fondé sur l'engagement bénévole au service de la sauvegarde de la vie humaine en mer. Ce sont en effet plusieurs milliers de bénévoles qui se mobilisent au service de trois missions :

- 3500 d'entre eux sont organisés dans chacune de nos 232 stations littorales en métropole et outre mer pour assurer une permanence à 20 minutes d'appareillage, de jour comme de nuit, pour porter secours aux personnes en difficultés en mer. Ces bénévoles « sauveteurs embarqués » s ont des acteurs importants du dispositif permanent d'action de l'Etat français en mer. Sous l'autorité des Préfets Maritimes, ils sont mis en Suvre par les Centres Régionaux des Opérations de Surveillance et de Sauvetage (CROSS) aux côtés des différents administrations de l'Etat qui ont vocation à aller en mer : Marine Nationale, Affaires Maritimes, Douanes, Gendarmerie, Sécurité Civile,......Ils interviennent dans 60% des opérations de secours aux naufragés ;

- Au sein de trente centres de formation répartis sur l'ensemble du territoire métropolitain près d'un millier de bénévoles conduisent la formation et l'entraînement des quelques mille trois cent jeunes volontaires nageurs sauveteurs que nous mettons à la disposition des maires pour assurer la sécurité d'un tiers de nos plages pendant l'été. Ces derniers exercent leur activité sous l'autorité des maires et, en cas d'accident, avec le soutien des Centres Opérationnels Départementaux d'Incendie et de Secours de la Sécurité Civile (CODIS) ;

- Tous ensembles, ils s'efforcent enfin de diffuser un message de prévention sécurité auprès des « usagers de la mer ».

Nos résultats opérationnels parlent d'eux même. Tous les ans, les sauveteurs en mer portent secours à près de dix mille personnes, ils assistent environ cinq mille navires et ils sauvent entre six à sept cent personnes d'une mort certaine. Par leur action, ils contribuent ainsi à diminuer d'un facteur quatre le nombre d'accidents graves affectant les personnes dans nos approches maritimes.

Notre budget annuel est d'environ dix-huit millions d'Euros, consacrés pour un quart au renouvellement de notre patrimoine de 180 canots et vedettes et près de 400 pneumatiques. Nos ressources proviennent pour 35% de l'Etat et des collectivités territoriales (régions, départements et municipalités) et pour 65% d'origines privées : adhésions, dons, partenariats avec les entreprises, legs, indemnités d'assistances de navires (le sauvetage des vies humaines est toujours gratuit).

Notre premier et principal défi actuel est de préserver notre projet associatif fondé sur l'engagement bénévole au service de la sauvegarde de la vie humaine en mer, dans un contexte qui, à maints égards, pourrait s'y opposer. Je souligne en particulier :

- Une exigence croissante de qualité et un refus de plus en plus net du risque et de l'erreur de la part des usagers de la mer ;

- Une tendance lente mais inexorable à la judiciarisation des contentieux ;

- Une technicité croissante des équipements mis à la disposition de nos sauveteurs ;

- Une diminution relative du nombre de professionnels de la mer parmi nos bénévoles sauveteurs (entre 30 et 40%) ;

- L'émergence d'un nouveau profil de plaisancier que l'on pourrait qualifier de « consommateur de loisirs nautiques », que tout à convaincu que l'on pouvait prendre la mer sans préparation particulière.

L'orientation stratégique que nous prenons au sein de notre association pour répondre à cette évolution est de développer une action importante de formation de nos bénévoles, de manière à leur garantir une qualification de « quasi professionnels ». Le maintien d'un bon taux de recrutement de bénévoles dans de telles conditions est le fruit d'un fragile équilibre entre les contraintes et ce que l'association leur apporte en retour : D'un côté une disponibilité exigée et l'acceptation de s'engager dans des missions qui peuvent comporter des risques ; de l'autre, des marques de reconnaissance, la valorisation des acquis de l'expérience, la mise à leur disposition d'équipements modernes et performants l' esprit amical d'une famille de marins solidaires.

A court terme, nous ne prédisons pas de difficultés de recrutement de bénévoles. Mais il convient d'être très vigilants ! A cet égard, notre capacité à pouvoir continuer dans l'avenir à recruter des marins professionnels, plus particulièrement du monde de la pêche, est essentielle. Connaissant parfaitement les caractéristiques nautiques de leur zone d'action, ces derniers sont en effet, au cSur du domaine d'excellence reconnu de nos sauveteurs en mer.

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Film de 5 mn sur une action de sauveteurs en mer ;

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Le point de vue de Bertrand Caillet, patron de la vedette SNSM du Havre.

Certaines interventions peuvent être difficiles et représenter un engagement très important de la part des sauveteurs :

- Le 25 janvier 1999, le vent souffle en tempête à 110 Km/h. Une plateforme de sondage est ancrée dans les approches immédiates du port du Havre pour faire les sondages préparatoires pour les travaux d'extension du port (Le Havre 2000). Dans la zone de ressac proche des jetées du port, la mer est hachée et très courte. Elle menace l'intégrité de la plate-forme sur laquelle se trouvent cinq personnes. L'accostage direct de la plate-forme par la vedette est impossible à cause de la mer. Il faut donc mettre à l'eau l'embarcation pneumatique dans des conditions particulièrement délicates. Les cinq personnes sont débarquées acrobatiquement de la plate-forme en deux rotations espacées d'une demi-heure. Les conditions météorologiques interdisent de réembarquer le pneumatique à bord de la vedette à l'issue de l'opération. Il est pris en remorque pour le retour. Le lendemain matin la plate-forme était détruite. Ses passagers n'auraient pas survécu.

- Le 3 mars 2007, le CROSS appelle la vedette du Havre pour une inquiétude sur le comportement d'un remorqueur passant au large du Havre. Plusieurs appels du CROSS sont restés sans réponse. La route du remorqueur est incohérente et dangereuse. Les conditions météorologiques sont exécrables. La visibilité est réduite. Le patron de la vedette de sauvetage craint pour la sécurité de son équipage et hésite longuement avant de partir. Le transit est long, face à une mer très forte et très formée. Le vent souffle à 55 nSuds. En arrivant à proximité du remorqueur, son officier de quart, probablement réveillé par les nombreux appels, finit par répondre et sort sur l'aileron de passerelle pour se signaler avant de corriger sa route. Le retour au port mer de l'arrière dans des déferlantes est également très délicat. Au bilan cette sortie délicate aura également été utile. Elle aurait néanmoins pu être évitée si l'officier de quart du navire avait su rester vigilant....

D'autres pourraient, dans le futur, démobiliser les sauveteurs bénévoles si elles se multipliaient.

- Le 6 août 1994, la vedette est mise en alerte de jour pour porter assistance à un navire de plaisance à bord duquel se trouvent trois équipiers complètement inexpérimentés. Partis par beau temps, ils sont désemparés dès que le vent force et que la mer commence à se lever. Ces « consommateurs de mer » n'ont aucune connaissance de leur bateau. Ils sont partis sans la moindre préparation. Ce type de sortie peut faire vaciller la motivation des sauveteurs qui doivent prendre sur leur temps de travail pour conduire une intervention que l'on peut qualifier « d'opération de confort » .... On estime aujourd'hui qu'environ un tiers des appels de plaisanciers vers les CROSS sont des appels « de confort ».

Plusieurs facteurs contribuent à la réussite opérationnelle de ces missions parfois délicates mises en Suvre par des bénévoles qui ne sont pas tous des professionnels de la mer :

- La capacité à anticiper de l'équipage pour maîtriser des situations délicates ou imprévues. Elle s'acquiert par la pratique régulière de la mer, la formation, l'entraînement régulier et l'exploitation du retour d'expérience recueilli à la suite des réussites ou des échecs opérationnels ;

- Le niveau de préparation du bateau est également un élément très important. Ce dernier fait l'objet d'un soin jaloux de la part de l'équipage de bénévoles qui met un point d'honneur à le maintenir toujours au plus haut niveau de préparation.

- La connaissance très pratique des particularités de la navigation dans les approches de chaque station est également un véritable trésor de la SNSM. Cette connaissance est souvent acquise et transmise par les pêcheurs.

Face à ces situations extrêmes, le rôle du patron est d'apprécier justement où se trouve la limite à ne pas dépasser pour qu'extrême ne rime pas avec extrémité ! Il s'agit de ne pas engager l'équipage et le navire dans une situation inextricable. C'est là, la tâche la plus difficile qui lui incombe

En tant que patron, deux citations peuvent illustrer mon propos. L'une appartiendrait, sous toute réserve, à V. Hugo et souligne que : « La mer est un espace de rigueur et de liberté. Celui qui oublie la rigueur y perdra sa liberté ». Beaucoup attribuent les succès de Nelson au fait qu'il avait beaucoup de chance. Il répond à cela q' « avant toute décision il cherche à évaluer quelle place il peut laisser au hasard ! »

La sélection de l'équipage de bénévoles est une responsabilité essentielle du patron de vedette ou de canot de la SNSM.

La connaissance pratique et le sens marin ne sont pas nécessairement les critères les plus importants pour recruter des sauveteurs bénévoles. Il vaut mieux qu'ils manifestent une grande aptitude à apprendre, à s'adapter aux conditions d'exécution des missions ou de l'entraînement et à s'intégrer dans le groupe. En général, l'âge, la maturité dirons nous, sied bien au sauvetage. Il ne s'agit pas de recruter des « Rambos » mais plutôt de rechercher des personnes endurantes et équilibrées dans leur fonctionnement tant personnel que dans leur acquis spécifiques. La féminisation est encore bien timide. Elle favorise pourtant, à mon avis, une meilleure prise en compte des assistés qui sont plus fragilisés par les fortunes de mer que ne l'étaient les utilisateurs professionnels d'antan.

Le recrutement se fait au gré des départs individuels. Le plus souvent par cooptation mais pas uniquement. Le choix des futurs sauveteurs nous conduit à éviter de prendre des personnes qui s'inscriraient dans une adhésion trop en lien avec l'imaginaire du sauvetage. Ces « vocations » sont de courte durée et les désillusions rapides et souvent cruelles.

J'ai l'habitude de dire que le plus difficile pour les sauveteurs ne sont pas les sorties extrêmes comme celles que j'ai évoquées précédemment. Celles-ci nécessitent un engagement complet de notre part qui évite de se poser trop de questions. Le côté le plus éprouvant est l'aspect qui rappelle « le Désert des Tartares » : rester vigilant et prêt quand rien ne se passe ! Ici l'entraînement tient une place primordiale. Il nous permet de revenir périodiquement sur les fondamentaux comme un concertiste refait tous les jours ses gammes.

Entretenir la motivation des équipiers dans l'esprit du projet associatif est également une lourde responsabilité. Il faut tout à la fois : susciter le travail en équipe ; favoriser l'établissement de liens amicaux dans le groupe (La bande de copains) ; créer des activités de cohésion autour de la station hors de sorties en mer ; apporter régulièrement des marques de reconnaissance internes et externes à cette magnifique forme d'engagement au service de l'autre ; permettre à chacun de trouver à sa manière un véritable sens à sa vie dans la mise en Suvre de cette mission au cours de laquelle on partage des moments très forts.

Il est important que l'association puisse donner tout cela aux bénévoles en contrepartie d'une exigence de disponibilité et de qualification qui devient de plus en plus exorbitantes au 21° siècle dans une société « surprotégée »

Pérenniser l'esprit de l'engagement bénévole en conditions extrêmes : Yves Lagane

Bertrand Caillet a insisté sur la nécessité d'anticiper. L'anticipation c'est la « mise en confiance » :

- En donnant à chacun de nos bénévoles la certitude qu'il saura maîtriser les situations les plus difficiles qu'il est susceptible de rencontrer. C'est la formation, l'entraînement, l'exploitation du retour d'expérience issu de l'analyse des opérations ;

- En lui apportant, en retour de son engagement responsable, un soutien qui lui donne envie de rester fidèle au projet associatif. C'est la reconnaissance, le développement individuel, la qualité du matériel et des équipements mis à sa disposition, le soutien juridique, la couverture d'assurances, l'entretien de l'attachement et du sentiment d'appartenance à une maison commune.

Vous l'avez compris, l'accompagnement de cette forme d'engagement en situation extrême, suppose de répondre à une exigence de raison et de passion : il faut d'une part apprendre, former, entraîner, analyser rigoureusement, organiser, équiper.... ; mais il faut également répondre à une aspiration passionnelle difficilement quantifiable et prévisible.

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C'est la raison pour la quelle je vous propose en guise de conclusion une image construite à partir de deux évocations. La première est philosophique et extraite d'un livre d'André Maurois intitulé "Dialogue sur le commandement". La seconde est plus poétique.

Achevant une réflexion sur le thème du déterminisme et de l'action, André Maurois utilise l'image du pilote de la barque à voile dans la tempête, que je me permets de paraphraser en l'adaptant aux sauveteurs en mer.

"Il y a une image chère au philosophe, qui illustre bien ce beau problème du déterminisme et de l'action : C'est celle de l'engagement du sauveteur bénévole.

Les forces qui le menacent sont multiples: les vagues, le vent, les courants, les faiblesses structurelle de son navire, mais aussi les media, l'usager de la mer de plus en plus exigeant, l'expert technique, judiciaire ou médical. Chacune d'elle est infiniment plus puissante que lui et susceptible de lui dénier son aptitude à poursuivre son engagement. Pourtant c'est lui qui, le plus souvent, triomphera. Pourquoi ? Parce que ces forces sont aveugles ou voient à courte distance. Elles agissent chacune dans une direction différente. Elles sont, dans une certaine mesure, « calculables » ou prévisibles.

Il suffit donc pour que le sauveteur préserve la légitimité de son beau projet, qu'il découvre les lois de cet « environnement extrême » et qu'il sache le maîtriser en leur obéissant. En le fréquentant au quotidien, en échangeant avec lui, en cherchant à le comprendre, il apprendra progressivement à le respecter et à composer avec lui pour mener à bien son projet. »

A la réflexion, cette approche sur la maîtrise d'un environnement extrême serait parfaite si elle attribuait à l'homme un pouvoir qui pourrait également s'exercer autrement que par le calcul et la détermination de lois physiques et que seul le poète peut exprimer.

Il suffit simplement pour cela de reprendre l'analyse du philosophe en remplaçant «calculer" par "apprivoiser". Apprivoiser au sens que lui donne le renard dans sa réponse au petit prince de Saint Exupéry, c'est à dire "Créer des liens". A force de rencontrer, de découvrir, de débattre, d'échanger, de côtoyer l'équipage, les experts, les patrons, la mer, le vent, les courants, les machines rebelles, les médias, les inspecteurs, ..... se créent des liens entre le sauveteur et cet environnement extrême qui font naturellement tomber les obstacles à son projet, sans vraiment que l'on sache pourquoi. C'est peut être cela que Nelson appelle « la chance » ou « le hasard » : un subtil dosage de raison et de passion sans laquelle la vie aurait beaucoup moins de sel.

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