Notice
Le renouvellement et le détournement du folklore norvégien à travers l’exemple du peintre norvégien Theodor Kittelsen
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Descriptif
Présenté par Samantha Platevoet et Lucile Heilmann
Modération : Isabelle Colonges Grosbois
Theodor Kittelsen faisait partie du mouvement du romantisme national. C’était un mouvement culturel et idéologique très important en Europe entre la fin XVIIe siècle et le début du XXe siècle, qui s’est énormément exprimé à travers l’art. Les artistes romantiques nationaux avaient principalement pour but de renforcer ou d’aider à la construction de l’identité nationale de leur nation. Cela passait principalement par la reprise de symboles nationaux importants dans leurs œuvres : de la nature, aux créatures, aux drapeaux, à la population, ces symboles étaient multiples et variés. Le romantisme national, comme son nom l’indique, reprenait aussi les codes du romantisme, qui lui était un mouvement culturel et artistique européen très important au XIXe siècle. Le romantisme s’est construit en opposition au classicisme et mettait en avant les sentiments et les états d’âmes humains. Le rêve et le cauchemars étaient aussi des thèmes très importants de l’art romantique, et cela a ouvert la porte aux représentations de créatures folkloriques ou mythologiques locales.
C’est dans ce contexte artistique que Kittelsen a commencé ses études d’art en 1874, et à ce moment-là, la Norvège était sous le joug suédois. Elle avait sa propre constitution depuis 1814 mais n’était pas encore indépendante. Kittelsen a énormément peint le folklore norvégien, le remettant sur le devant de la scène, notamment en illustrant des livres de contes. Ce folklore n’était pas oublié, mais n’existant principalement que dans les cultures orales rurales, il n’était pas mis en avant. Et dans la Norvège colonisée les cultures mises en avant, surtout chez les élites, étaient la culture danoise, et la culture européenne. Le folklore norvégien était donc considéré par les élites comme une sous-culture. Les romantiques nationaux, dont Kittelsen, ont cherché à ramener cette sous-culture sur le devant de la scène culturelle norvégienne afin de la faire mieux connaître du public norvégien et de lui donner une légitimité qu’elle n’avait pas avant. On peut prendre pour cela l’exemple du troll qui est une créature que Kittelsen a beaucoup peint : les représentations les plus anciennes très connues et souvent sur lesquelles on se base pour représenter les trolls viennent de Theodore Kittelsen lui même, ou d’artistes de son époque.
Mais avec ce renouvellement est venu un détournement : en effet en tant qu’artiste romantique national Kittelsen utilisait ces figures folklorique pour aider à consolider l’identité norvégienne qui était encore toute nouvelle au moment où il peignait. Depuis le début du XIXe siècle les norvégiens indépendantistes, qui étaient majoritaires dans le pays, cherchaient à créer une identité norvégienne forte sur laquelle baser leur toute nouvelle nation. Cette identité passait par la langue, l’art, la culture, les habits, l’histoire commune. Tous ces éléments étaient utilisés pour rassembler la nouvelle nation et créer une identité forte et distinctement norvégienne. Créer cette identité était crucial pour le peuple norvégien qui espérait leur indépendance, surtout après la fin de la domination danoise sur la Norvège en 1814. Mais pour avoir son indépendance, la Norvège devait avoir son identité propre pour se distinguer des autres pays scandinaves et avoir une légitimité en tant que pays, et non en tant que province danoise ou suédoise. Et jusqu’à l’indépendance norvégienne, et même un peu après, il était important de mettre cette identité nouvelle en avant pour lui permettre de se consolider. C’est pour cela que les peintres romantiques nationaux ont beaucoup utilisé le folklore comme source d’inspiration : c’était un symbole national important qui venait des zones rurales et qui n’avaient pour la plupart pas, ou très peu, été en contact avec la culture danoise. Ils considéraient donc qu’il était resté réellement norvégien, à l’inverse de la culture dans les grandes villes. C'est ainsi que le folklore norvégien a été détourné pour devenir un outil politique.
On peut voir cela dans la peinture de Theodor Kittelsen à plusieurs reprises. En 1890 il a illustré de nombreuses scènes de la pièce de théâtre Peer Gynt de Henrik Ibsen écrite en 1866. Cette pièce est très importante en Norvège car elle aide justement à créer l’identité norvégienne. Dans cette pièce, on suit un personnage norvégien appelé Peer Gynt tout au long de sa vie. Ce personnage a une vie rocambolesque et, surtout au début de la pièce, on le voit arpenter les paysages norvégiens, au point même d’en croiser des créatures folkloriques comme des trolls, ou un bøyg (“celui qui est courbé”). Kittelsen en peignant ces scènes de cette pièce très importante et en représentant le roi des trolls et d’autres créatures, donne une image à ce folklore et renforce donc son importance et sa légitimité en tant que part de l’identité norvégienne.
Kittelsen a aussi créé des œuvres plus humoristiques mais qui ont aussi pour but de remettre le folklore norvégien dans un contexte évidemment norvégien. On le voit par exemple dans le tableau représentant un troll dans la rue Karl Johan à Oslo. C’est une rue centrale et très importante d’Oslo, car c’est celle qui mène au palais royal. C’est une rue très fréquentée et très populaire qui fait elle aussi partie des symboles norvégiens.
Kittelsen a également représenté d’autres figures emblématiques norvégiennes. Il a peint plusieurs tableaux de la légende du roi Valemon qui avait été changé en ours polaire. Et il a aussi représenté plusieurs fois la peste en lui donnant une forme humaine. La peste noire a décimé une partie de la population norvégienne au milieu du XIVe siècle, et est restée en Norvège un symbole de peur important pendant très longtemps. Kittelsen a peint de nombreux symboles et représentations de l’identité norvégienne, ces symboles étant variés et montrant bien les nuances d’une identité nationale.