Notice
L’habitat urbain en Europe centrale et orientale - Les déjeuners de l'ISH et de l'ENS de Lyon
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Descriptif
Quelles dynamiques ?
Cette séance des « Déjeuners de l’ISH et de l’ENS LSH » est l’occasion de présenter au public les résultats d’une partie des recherches menées par l’auteur depuis une quinzaine d’années sur les transformations urbaines en Pologne et dans d’autres pays d’Europe centrale et orientale, sous l’angle de l’habitat. Marqueur du niveau de développement économique d’un territoire, des relations entre Etat et société, emprunt de codes et de valeurs individuels et collectifs, l’habitat offre une entrée complexe sur la compréhension des rapports entre espace et société – qui constitue le cœur de la démarche géographique. Au croisement entre réflexion diachronique (le rôle des grandes fractures historiques, la pérennité des héritages territoriaux) et synchronique (la démarche comparative, l’analyse multiscalaire), l’habitat est ici questionné plus particulièrement sous l’angle des modèles d’évolution urbaine en Europe centrale et orientale. Dans une première partie, l’habitat des villes de l’Europe qu’on appelait alors « socialiste » socialiste est présenté dans toute sa diversité. En effet, on a tendance à l’associer spontanément à l’image itérative et monotone du grand ensemble. Pourtant, cette apparence est trompeuse. D’une part, parce que cette forme architecturale et résidentielle s’est développée en Pologne et en Tchécoslovaquie entre les deux guerres, de manière expérimentale, avant que ces deux pays ne soient des pays « socialistes ». D’autre part, la résolution de la crise du logement grâce au recours à des formes architecturales « modernes » est un courant qui traverse toute l’Europe à cette même période, puis surtout après la Seconde Guerre mondiale.
La différence fondamentale entre l’Europe dite alors « de l’est » avec l’Europe occidentale est la pérennisation du phénomène à l’est, alors qu’à l’ouest, d’autres solutions de logement furent proposées aux ménages à partir des années 1970 alors que cette alternative ne fut que très rarement autorisée (en Hongrie notamment). Le grand ensemble dans les pays socialistes offrait en définitive la meilleure réponse technique aux présupposés économiques et idéologiques que les Etats s’y étaient fixés. Sa généralisation et le gigantisme paroxysmique avec lequel il s’est diffusé sont responsables de l’indigence paysagère de bien des villes à l’est de l’Europe. Mais paradoxalement, l’habitat dit « de masse » laissait les populations en situation de pénurie structurelle de logements.
Ce constat général doit être nuancé par le fait que ces orientations communes ont été mises en œuvre de manière finalement assez contrastée dans les différents Etats. Les populations y étaient toutes globalement mal logées à la fin des années 1980, mais selon des critères distincts : en Pologne, la pénurie quantitative était très marquée, en Roumanie la taille moyenne des logements était très basse, alors que les Bulgares étaient ceux qui devaient le plus souvent vivre dans des appartements communautaires. Autre différence marquante : le rapport à la propriété. La Bulgarie est un pays de propriétaires à plus de 90 % alors que c’est le cas de 40% des Polonais. Traditions historiques, choix politiques et économiques expliquent ces contrastes qui heurtent les idées reçues sur les éventuels choix idéologiques.
Enfin, les grands ensembles ne sont pas conçus comme de l’habitat « social » mais doivent loger la majorité de la population, dans toute sa diversité sociale. Cela n’abolit pas les différences de statut des quartiers d’habitat collectif, mais celles-ci sont fines.
Depuis les années 1990, les paradigmes politiques et économiques sont renouvelés : l’Etat s’est désengagé de la mission essentielle qu’il s’était fixée de contrôler l’offre de logements, et a reporté sur les communes une partie de ses compétences, comme l’offre de logements sociaux ; l’économie de marché exerce désormais ses lois sur le marché foncier notamment, et de nouveaux opérateurs économiques augmentent la part du privé dans l’offre de logements. Pour autant, 15 ans d’économie de marché n’ont pas du tout résolu le manque quantitatif de logements, ne serait-ce que parce que les investisseurs se sont d’abord intéressés à des secteurs économiques à plus forte rentabilité (immobilier d’affaires, tourisme). D’autre part, les ménages ontété fragilisés économiquement et socialement, ce qui a freiné la demande. Le rattrapage n’est donc pas fait, quantitativement. En revanche, l’amélioration qualitative de la construction est réelle : l’architecture est plus différenciée, et les matériaux de meilleure qualité. Dans les capitales, qui enregistrent le plus fortement les dynamiques et réagissent comme des miroirs grossissants – ou déformants, parfois -, l’habitat évolue là encore selon des logiques très différentes. En Hongrie, en Pologne, elles jouent un rôle de tête de pont des dynamiques économiques et profitent nettement de la situation en concentrant depuis la fin des années 1990 une part sensible des investissements dans l’immobilier résidentiel. Il n’en est rien en Roumanie, ni en Bulgarie. Le marasme s’y perpétue : à Bucarest seuls les populations les plus aisées se font construire des logements - très vastes -, et en Bulgarie, Sofia est délaissée, au profit de l’urbanisation touristique littorale. Spatialement, les dynamiques de l’habitat produisent des situations qui demandent des lectures interprétatives croisées. D’un côté, les dynamiques en cours montrent des traits de convergence avec des trajectoires urbaines « européennes » : le retour vers un certain interventionnisme étatique à la fin des années 1990, des politiques publiques territorialisées vers les quartiers les plus en difficulté en témoignent dans certains Etats. Mais d’autre part, la tendance des élites à s’enfermer dans des quartiers préservés tandis que se forment des poches de pauvreté à base ethnique (rom) dans certains quartiers péricentraux ou dans des grands ensembles (Hongrie, Slovaquie, Bulgarie) évoquent plus des processus d’« américanisation ». En ce sens, les villes d’Europe centrale et orientale indiquent une voie de développement hybride.
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