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FMSH

Langue :
Français
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Paolo Mancosu (Intervention)
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©FMSH
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Droit commun de la propriété intellectuelle
Citer cette ressource :
Paolo Mancosu. FMSH. (2022, 8 avril). Matières premières avec Paolo Mancosu. [Podcast]. Canal-U. https://www.canal-u.tv/135048. (Consultée le 19 septembre 2024)

Matières premières avec Paolo Mancosu

Réalisation : 8 avril 2022 - Mise en ligne : 23 novembre 2022
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Descriptif

Pourquoi devient-on chercheur ou chercheuse ? Comment se dessinent les trajectoires de celles et ceux qui consacrent leur vie à comprendre le monde ? Que cherchent-ils ? et Pourquoi ? Cette collection de podcasts intitulée Matières Premières nous ouvre les portes de leur intimité : leur jeunesse, leur parcours, leurs choix, leurs rencontres. Et avec leurs histoires, nous voulons rapprocher les univers des citoyens et citoyennes de ceux de la recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales. 

 

Intervention
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Transcription du podcast

Matières premières avec Paolo MANCOSU

 

Pourquoi devient-on chercheur ou chercheuse ? Comment se dessinent les trajectoires de celles et ceux qui consacrent leur vie à comprendre le monde ? Que cherchent-ils, et pourquoi ? Cette collection de podcasts, intitulée Matières premières, nous ouvre les portes de leur intimité, leur jeunesse, leur parcours, leurs choix, leurs rencontres. Et avec leurs histoires, nous voulons rapprocher les univers des citoyens et citoyennes de ceux de la recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales. Aujourd’hui, nous écoutons Paolo Mancosu. Il est philosophe des sciences et étudie l’infini en mathématiques. Il est né en 1960 à Oristano, une ville de 40 000 habitants de la Sardaigne.  

Je suis un jeune homme de la mer. Oristano, c’est à neuf kilomètres de la mer. Alors j’ai grandi avec la mer, oui. On passait pas mal de temps en été, parfois deux, trois mois, quand j’étais en vacances de l’université, par exemple, je les passais à la mer. Je travaillais, j’étudiais, mais j’étais là. Quand je suis un jeune homme à Oristano, je suis entouré d’amis, effectivement. Je fais beaucoup de choses. Je suis très engagé même dans des activités sportives, d’athlétisme. J’ai fondé les premières équipes de baseball. C’était une chose surprenante parce qu’effectivement, on ne jouait pas au baseball en Italie. Je crois y voir l’origine, d’une certaine façon, de ma recherche. C’est-à-dire, moi, j’ai toujours aimé faire des choses qui ne sont pas les choses que tout le monde fait. S’il y a des champs où il y a trop de monde, je préfère faire autre chose. Bien évidemment, il faut connaître aussi ce que font les autres, mais je reconnais ce trait dans l’attitude que j’ai. Ça commençait même avec le sport en Sardaigne. Après, j’ai décidé d’apprendre un instrument qui n’est pas commun. Je joue du bandonéon. C’est l’instrument des tangos argentins. C’est un instrument à soufflet. Et j’aime bien cette partie aussi, parce que c’est quelque chose d’unique. Ma mère était enseignante à l’école élémentaire, l’école primaire. Mon père était ce qu’on appelle en italien un géomètre, c’est-à-dire quelqu’un qui travaillait beaucoup sur les aqueducs. J’ai grandi dans une situation très confortable. C’est un milieu de petite bourgeoisie. Le premier voyage, c’est vraiment un long voyage. C’est cette année que j’ai passée aux États-Unis, pour faire une année de lycée. J’étais très intéressé à une expérience de ce type. Heureusement, mes parents m’ont encouragé. Ça a été très dur, parce que je ne maîtrisais pas l’anglais, et j’ai choisi un programme très lourd parce que je ne voulais pas avoir de problèmes une fois rentré en Italie après. Et en même temps, je devais maîtriser l’anglais. Et ça m’a coûté beaucoup d’énergie. Mais j’ai aussi pensé que, ou bien, je m’engageais au début avec beaucoup d’efforts ou sinon je pourrais perdre l’année, d’une certaine façon. Je me souviens très bien de certaines choses que disait mon père, que j’ai pris à cœur, sur l’importance de travailler bien, soigneusement et tout ça. Ce sont des enseignements très banals, mais qui sont importants pour un enfant, et qui sont restés avec moi. Aussi, il m’aidait à faire des mathématiques quand j’étais à l’école. Je voyais comme il était soigneux. Et tout ça, c’est resté avec moi. Il n’y avait pas vraiment de grandes ambiances intellectuelles aux États-Unis. J’étais très polémique avec la façon dont on enseignait l’histoire. Il n’y avait pas de philosophie, il n’y avait pas des choses comme on fait au lycée en Italie. Par contre, cette expérience même m’a poussé, peut-être, à réfléchir sur moi-même, sur ma situation… je ne sais pas. Et une fois que je suis retourné en Sardaigne, ça a été une amitié qui m’a poussé beaucoup vers l’idée d’aller étudier en dehors de Sardaigne et puis de poursuivre des intérêts comme la philosophie, les sciences. Alors, la dernière année de lycée a été centrale pour moi. C’est vraiment là que tout s’est joué. Parce que jusqu’à la dernière année de lycée, mon idée, c’était de faire des études d’ingénierie, et en particulier d’ingénierie minière. Enfant, j’aimais les minéraux, les choses comme ça. Et puis ça a été un tournant important, cette décision d’étudier la philosophie, la logique. Mes parents, au début, étaient bouleversés par cette décision, parce qu’ils s’attendaient à quelque chose de beaucoup plus solide, au moins du point de vue de la perspective de trouver un boulot et tout ça. Mais, au final, quand ils ont vu que j’étais passionné et que je faisais bien les choses, ils sont devenus des supporteurs. Et là, on arrive à Milan. C’était la dernière année de mon lycée. Et avec cet ami qui a joué un grand rôle dans ma vie intellectuelle, on a commencé à explorer des domaines d’intérêt commun. Par exemple, on était très intéressés à ce qui se passait en France pendant la période structuraliste, les nouveaux philosophes, c’était la fin des années 70. On a découvert ensemble Michel Foucault, Lévi-Strauss. On achetait toutes les traductions. En Italie, on publiait beaucoup sur ce qui se passait en France… Jacques Lacan… C’est vraiment toute la période structuraliste. Moi, je l’ai découverte en dernière année de lycée. Les nouveaux philosophes, c’était aussi important parce qu’ils venaient de sortir avec une importante polémique contre la gauche et tout ça. Alors là, j’avais des passions scientifiques. J’allais très bien en mathématiques, par exemple. J’avais de grands intérêts philosophiques. Et au dernier moment, il fallait choisir que faire et quoi faire. J’ai décidé qu’effectivement, étudier la philosophie me donnait une liberté intellectuelle que d’autres disciplines ne pourraient pas me donner. Je suis arrivé, effectivement, à Milan, avec l’idée de faire de la philosophie des sciences. L’autre chose qui me paraît intéressante et amusante sur cette situation-là, c’est pourquoi aller étudier à Milan plutôt que de rester en Sardaigne. J’avais envie, peut-être à cause des expériences déjà faites aux États-Unis, d’explorer d’autres réalités. Je savais que des universités, comme l’université de Milan, avaient des enseignants très connus qui m’intéressaient. Mais il y avait le problème que ma famille disait : "non, mais pour aller à Milan à étudier à l’Université d’État, il y a l’Université d’État aussi en Sardaigne, à Cagliari". Et la seule façon de contourner cette objection, c’était de trouver des universités qui étaient reconnues par tout le monde comme les meilleures universités d’État. En Italie, à ce moment-là, il y en avait deux. Il y avait la Normale de Pise et il y avait la Catholique de Milan. J’ai été admis à l’Université Catholique de Milan. À ce point-là, mes parents ont dit : "bon, OK, l’université est meilleure, ça se justifie." Et je suis allé à Milan comme ça. Mais je me souviens très bien de tout ce problème de contourner l’objection de l’université d’État. Ce n’est pas un hasard si je suis arrivé à faire de la philosophie des sciences, parce qu’effectivement, il y avait un enseignant au lycée qui faisait de la physique, mais il aimait parler de la philosophie de la physique. Il passait beaucoup de temps à essayer de nous expliquer pourquoi la physique était importante d’un point de vue conceptuel. Et avec lui, j’ai découvert Bachelard et Popper. Là, je trouve la racine de cet intérêt pour continuer à faire de la philosophie des sciences. Sur la question politique et vie intellectuelle, les intellectuels français, c’est vrai qu’il y avait cet engagement, par exemple, à partir de Foucault. Mais il n’y a pas vraiment de contradictions avec l’intérêt pour les sciences, la philosophie, même sans l’engagement politique, pour la seule raison que quand on regarde le structuralisme, effectivement, c’était une attente de trouver des modèles scientifiques pour les sciences humaines. Même Foucault, par exemple, le Foucault que j’aimais beaucoup et que je continue de fréquenter, c’étaient Les Mots et les choses. C’était toute la partie épistémologique de Foucault, c’est-à-dire la réflexion sur la médecine, sur l’histoire de la folie. Et l’institut avec lequel je travaille, c’est-à-dire l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences de la Rue du Four, était l’institut où travaillait le maître de Foucault, c’est-à-dire Georges Canguilhem. J’aime bien ce mot d’émulation. Je l’ai souvent utilisé. J’aime bien regarder les choses,… j’aime bien reconnaître des modèles. Je ne sais pas comment l’expliquer. Il y a des gens que j’admire, et ce n’est pas de l’envie, au contraire. C’est vraiment, parfois, de l’émulation, c’est-à-dire qu’ils font les choses tellement bien que j’aimerais bien les faire aussi bien. Cette idée d’émulation pour moi a été importante. C’est-à-dire, ce n’est pas copier, c’est vraiment reconnaître les vertus intellectuelles ou bien d’autres vertus chez les autres, et parfois les émuler dans le sens où on se dit que ça serait vraiment bien et qu’on pourrait faire les choses comme ça. Mais ça m’arrive, par exemple, dans la musique, il y a une partie d’émulation, j’ai des héros en musique. Ce sont des modèles inachevables parce qu’ils sont tellement… ! Alors est-ce que l’infini a à voir avec la mer ? D’une certaine façon, oui. Il y a plein de chansons qui parlent de la mer infinie. Je me souviens d’une chanson d’un chanteur italien qui s’appelle Guccini, qui m’a toujours plu, sur la mer infinie. On a grandi aussi avec les poèmes de Leopardi, un autre poète italien qui a écrit un très grand poème qui s’appelle L’Infini : cet effroi d’un type pascalien sur les étoiles infinies, le ciel infini et tout ça. Oui, on commence à être fasciné comme ça. Je ne sais pas si effectivement ce s’est passé comme ça pour moi. C’est plutôt à partir de la réflexion sur les mathématiques où l’infini joue un rôle très important. Au moment où on commence à faire des mathématiques, on peut penser immédiatement à la suite des nombres naturels qui n’ont pas de fin. On dit qu’ils sont infinis parce qu’on peut toujours continuer dans la suite. Et ça, c’est le début, effectivement, de l’infini. Un type d’infini qu’on pourrait nommer "potentiel" dans le sens où, en puissance, on peut toujours continuer à augmenter. De la même façon, en géométrie, on peut penser à des segments de droite toujours plus longs. Hélas, on est encore dans ce qu’on appelle l’infini potentiel. C’est ce que les romantiques allemands appelaient le mauvais infini. Il y a aussi une réflexion sur l’infini que pendant l’histoire a été mélangée avec la théologie, la philosophie et tout ça. Là où on pense à l’absolu, on concède à la totalité, l’absolu. Là, même les romantiques parlaient du bon infini. Alors, en mathématiques, on est d’une certaine façon entre les deux. On a besoin de quelque chose de plus que l’infini potentiel. C’est-à-dire, on travaille avec des ensembles, des collections d’objets qui sont infinis, et on les maîtrise et on l’utilise en tant qu’objet infini, contenant d’objets infinis. Par exemple, il n’y a pas seulement la suite des nombres naturels, il y a aussi quelque chose qui s’appelle l’ensemble des nombres naturels. Et ça, c’est un ensemble infini, parce qu’il contient tous les nombres naturels. Mais là, on est déjà dans l’infini, c’est ce qu’on appelle actuel, en utilisant une terminologie d’Aristote. Et l’infini actuel, effectivement, c’est quelque chose où toutes les entités de l’ensemble sont déjà données. Par contre, dans l’infini potentiel, on peut toujours dire qu’on est toujours dans le fini, mais avec cette possibilité de continuer, mais à chaque moment, on est dans le fini. Ce n’est pas comme ça dans les mathématiques qui utilisent l’infini actuel, parce que là, il faut vraiment concevoir des ensembles qui contiennent un nombre infini de membres. C’est comme ça qu’on construit les nombres réels. Ce passage de nombres naturels au nombres réels, c’est le clivage entre rester dans le potentiel ou bien s’engager beaucoup plus avec l’infini. Et le problème avec l’infini, bien évidemment, c’est qu’il y a des paradoxes qui surgissent immédiatement aussi tôt qu’on commence à travailler avec l’infini. Et c’est ça qui donne beaucoup de travail aux philosophes et aux mathématiciens en même temps, parce qu’il faut essayer de résoudre ces paradoxes de concevoir des théories mathématiques cohérentes qui peuvent effectivement échapper à la contradiction, à l’incohérence. Et c’est ça toute la fascination pour cette partie de la philosophie. J’aimerais parler des éclairages conceptuels. C’est-à-dire, on est toujours dans un état de confusion. Même quand on travaille avec des sciences comme les sciences exactes où le mot "exactes" peut donner l’impression qu’on est toujours dans la clarté, mais ce n’est pas comme ça. Chaque science pousse la limite des choses qu’on connaît. Et chaque fois qu’on pousse dans ces frontières, il y a des choses qu’on ne comprend pas. Et le philosophe, pour moi, a le rôle de penser cette situation et de, si possible, clarifier les choses. Bien évidemment, au moins c’est ma position, avec un respect suprême pour l’importance et pour les résultats que nous offrent les sciences. Dans le cas, par exemple, de la logique mathématique dont je m’occupe avec la philosophie des maths, il y a eu beaucoup de situations où, en essayant de clarifier notre concept de base en logique, on est arrivé tout droit à la contradiction. C’est-à-dire que, des idées qui semblaient être vraiment claires et anodines, en effet, se sont révélées être très difficiles à maîtriser. Ça a pris beaucoup de temps, effectivement, une aventure intellectuelle incroyable. Je pense ici, par exemple, à la formalisation de la logique, qui est passée au début du 20e siècle à travers des contradictions comme les paradoxes de Russell et tout ce qu’on a fait pour essayer de résoudre ces contradictions. Ce sont des choses qui ont donné vraiment une aventure intellectuelle à la pensée et dont nous nous occupons encore. Les choses dont je m’occupe maintenant, dans le cadre de la Chaire Pascal, par exemple, ce sont des contradictions entre des intuitions très puissantes que, je crois, nous avons tous à propos de l’infini, et j’essaierai d’expliquer très brièvement de quoi il s’agit. Quand on fait des comptages dans le fini, on peut dire, par exemple, que le nombre de tables dans cette salle est égal au nombre de chaises dans la salle. Si on peut les associer d’une façon, c’est ce qu’on appelle 1 à 1. Si j’ai pour chaque chaise une table et pour chaque table une chaise, on dit qu’il y a les mêmes nombres. On n’a même pas besoin de dire quel est le nombre. Mais il y a aussi un autre principe qui est très important, qu’on appelle le principe du partie-tout. C’est-à-dire que si on assemble des choses qui sont une partie propre d’un autre ensemble, le nombre de ces choses est plus petit que le nombre de l’ensemble plus grand, la partie est plus petite que le tout. Et une fois qu’on essaie de généraliser à l’infini, ce qui se passe, c’est que là où dans le fini on peut satisfaire ces deux principes ensemble, il n’y a pas vraiment d’opposition entre les deux, une fois qu’on arrive à l’infini, si on essaie de généraliser le principe de correspondance 1 à 1 et le principe partie-tout, ils donnent des réponses différentes aux problèmes de taille des ensembles. Pour donner un exemple qui a été discuté déjà chez Galilée, on peut regarder l’ensemble des nombres naturels, zéro, un, deux, trois, quatre, l’ensemble des nombres pairs, zéro, deux, quatre, six et tout ça. Si on prend comme critère la correspondance 1 à 1, on dit qu’il y a le même nombre de nombres naturels et de nombres pairs. Parce qu’on fait une association entre un et deux, deux et quatre, et ainsi de suite. Par contre, si on prend le principe partie-tout, puisque les nombres pairs sont un sous-ensemble propre d’un nombre naturel, il y a beaucoup moins de nombres pairs qu’il y en a des nombres naturels. Et vous voyez que ça donne des réponses complètement différentes au problème de taille, à l’infini. Par contre, dans le fini, ces problèmes ne se posent pas, parce que les deux principes sont complètement conciliables l’un avec l’autre. J’ai souvent ce type de questions qui est posé par les étudiants quand j’enseigne la logique élémentaire. À quoi ça sert ? Je dis que la logique étudie, par exemple, les formes des raisonnements que nous utilisons pour notre vie sociale, dans les sciences, dans la vie ordinaire et tout ça. Puisque nous sommes des êtres humains et la rationalité, c’est une partie très importante de nous, il me paraît justifié de savoir comment on raisonne, quels sont les raisonnements valides, quels sont les raisonnements qui ne sont pas valides et tout ça. Si on pousse un peu plus, c’est à partir de l’étude de fond des raisonnements qu’on est arrivé effectivement à penser la logique mathématique qui s’est développée dans les premières trois décennies du 20e siècle et à la théorie, par exemple, de la computabilité. La théorie de la computabilité, on l’a utilisée pour faire tout ce qu’on fait en informatique aujourd’hui. L’ordinateur, la façon digitale dont on utilise les sons et tout ça, ça vient d’un développement qui au début commence avec la réflexion sur les fondements des mathématiques et de la logique. Et la réflexion sur les fondements de la mathématique et de la logique, c’est en grande partie une réflexion sur l’infini. Parce que l’infini, effectivement, donne beaucoup de problèmes théoriques. C’est comme ça qu’on arrive vraiment plus tard à utiliser, même d’une façon pratique, les choses qu’on découvre et qui au début sont essentiellement des expérimentations conceptuelles, si vous voulez. Mais il faut aussi comprendre qu’on ne peut pas faire de la recherche avec un regard trop étroit sur ce qu’on va gagner avec ça immédiatement. On a développé la théorie des coniques dans le monde grec. On ne les a pas vraiment utilisées en sciences. Puis, avec Kepler et l’astronomie moderne, les coniques sont devenues très importants. Alors il faut, dans la recherche, avoir le courage d’explorer des choses qui peuvent paraître être très loin de notre vie ordinaire. Je sais que c’est très difficile, quand on est dans un environnement très compétitif, de prendre des risques, parce qu’au début de sa carrière, il faut même être soigné avec les projets qu’on poursuit, mais je trouve que c’est aussi important de se laisser transporter par l’instinct, par l’intuition. Et ça m’est arrivé exactement cette année. Je suis en sabbatique maintenant, en 2021, 2022, ici à la Maison Suger, dans le cadre de la Chaire Pascal. Et j’ai trouvé 15 pages que j’avais écrites sur un philosophe du Moyen Âge qui s’appelle Grosseteste, qui a fait des choses sur l’infini. J’ai regardé ces 15 pages et je me suis demandé : qu’est-ce que je fais ? Je les jette à la poubelle ou je passe encore un petit peu de temps avec Grosseteste pour voir s’il y a effectivement des choses qui valent la peine d’être publiées ? Et la philosophie du Moyen Âge, ce n’est pas la période dans laquelle je suis spécialiste. Je me suis lancé sur cette chose et j’ai bien fait. L’intuition ne m’a pas trahi parce qu’effectivement, j’ai terminé un livre sur l’émergence au Moyen Âge latin de la notion d’infini mathématique. Et pas seulement chez Grosseteste, mais j’ai découvert quelqu’un qui était complètement méconnu dans cette perspective, qui est un voisin, d’une certaine façon. C’est Guillaume d’Auvergne, qui était évêque de Paris et qui certainement se promenait pas très loin d’ici. La découverte de Guillaume a été incroyable parce qu’il n’y a pas du tout des publications sur l’importance de Guillaume d’Auvergne sur la question de l’infini mathématique. Ça a été vraiment une découverte bouleversante et très originale avec les mathématiques, la philosophie et tout ça. Je trouve qu’il faut éduquer l’intuition, il faut travailler l’intuition, et après, on voit des choses qui effectivement nous donnent ce sens de la beauté. Pour moi, le seul conseil qui vaut quelque chose, c’est : suivez votre passion. Seulement, quand on est passionné par quelque chose, on arrive à faire des choses qui valent la peine de faire. Pour moi, c’est la seule recette pour aller quelque part. Oui, être passionné.  

Depuis près de 60 ans, la Fondation Maison des sciences de l’homme soutient, valorise et diffuse les connaissances en sciences humaines et sociales. Ce podcast a été produit et réalisé sur une idée originale par la mission Médias et Sciences de la FMSH.

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