Conférence
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Français
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Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/d31d-tx46
Citer cette ressource :
Pour un partage des savoirs. (2015, 21 octobre). Forum Nîmois - Charles GIDE - Régis DEBRAY - 21 octobre 2015. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/d31d-tx46. (Consultée le 2 juin 2024)

Forum Nîmois - Charles GIDE - Régis DEBRAY - 21 octobre 2015

Réalisation : 21 octobre 2015 - Mise en ligne : 22 octobre 2015
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Descriptif

L’activité de notre association Charles Gide reprend, pour son cycle de conférences "le forum Nîmois Charle GIDE" Jean MATOUK président de l'assosiation et professeur des universités recoit, le 21 octobre 2015, à la maison du protestantisme à Nîmes Régis Debray.

Nous t’accueillons, Régis, avec d’autant plus de joie que tut’es fait rare ces dernières années. On comprend d’ailleurs cette rareté, à lafois en raison de tes publications très nombreuses – tu en es, je crois, à 57livres- mais aussi quand on les lit, parce qu’on constate la distancecroissante que tu prends vis-à-vis d’un nombre important  des totems de notre époque. J’ai repris deuxde tes phrases dans l’interview récente que tu as accordée à Marianne :

 

« Il serait tempsqu’arrivent des gens qui vivent contre leur temps et même à contre temps »

Ouencore

« Si l’époque a tort, unpseudo républicain peut lui faire des pieds de nez. C’est son droit de l’homme,son devoir et son plaisir »

Dans cette époque de narcissisme aigu, et du paraître commeconstante comportementale l’un d’ailleurs ne va pas sans l’autre- et Facebookest un des nouveaux totems, tu préfères te retirer, en plébéien moderne, mêmesi tu es un patricien des idées, sur ton Aventin littéraire

Mais pour nous cette rareté nous laisse un manque. Après taconférence de 2008 sur «  Un candide en terre sainte », tu es revenuune fois, en 2013, pour la semaine de la Fraternité qu’avait organisé le PréfetBousiges.

Tu combles notre manque ce soir, disons le modestement,parce qu’Olivier Abel, ici présent, et que je salue très chaleureusement, t’ainvité et que tu as bien voulu nous proposer de venir aussi devant notre Forum.

Je ne crois pas qu’il soit utile de te présenter. Tonparcours aussi brillant que varié  estconnu de la majorité des présents dans cette salle. Il est d’ailleurs retracé,par touches successives, dans le livre que tu viens d’écrire, « Madame H », dans lequel lesétapes de ta vie, dans un désordre savant, et avec ton style si particulier,empreint d’un humour presque churchillien, scandent les grands évènements donttu considères qu’ils constituent l’Histoire avec un grand H, celle de Clio,celle que tu vois aujourd’hui, en un sens, terminée ou évanouie.

Disons même, si tu permets, ta fin de l’Histoire, ou ce quetu considères, tu vas nous l’exposer,  comme la fin d’une Histoire. Des « fins »de l’Histoire, nombre de tes ancêtres philosophes en ont définies à partir de ce qu’ils vivaient. Un de tesanciens à l’Ecole Normale supérieure, Bernard Bourgeois, a  même écrit une « Histoire de la penséede la fin de l’Histoire » en 2000. Kant la situa  dans  l’Etat républicain qui réalisa, selon lui,  la raison pratique. Hegel  la vit arriver avec Napoléon défilant sur soncheval devant sa fenêtre au soir de la victoire de Iéna, incarnant à ses yeux l’Etatrobespierrain-bonopartiste. Marx prévoyait la sienne avec le  communisme.  Comme il serait malheureux d’en constater l’absence.Sauf, comme Badiou, à envisager de tout recommencer à partir du Manifeste.

Plus récemment, pour le philosophe russe Kojève, devenu enfin de vie, un de mes brillants collègues et qui porta le GATT sur les fontsbaptismaux, rien de nouveau ne peut plus arriver tant la réalité est devenuerationnelle. Enfin, le nippo-américain Fukuyama voit la fin de l’Histoire sous la forme du couple démocratie-marchéqu’il croit en train de se mondialiser après la chute du mur en 1989. Lui aussia dû d’ailleurs en revenir : Bosnie, Ukraine, en Europe, les Intifadasuccessives  et l’opération Plomb durcien Palestine, les détestables interventions, suivies de guerres civiles, enAfghanistan, Lybie,  Irak, descanonnières en mer de Chine, la  sombre menacede ce qu’Alexandre Adler appelle le Califat du sang.

Après cet énoncé, une première question est : cetteMadame H, qui selon toi nous a quittés, en même temps que les « grandshommes » que semblent générer les évènements majeurs, est-elle européenneou occidentale, de cet « Occident dont tu as disséqué  les restes avec le journaliste  Renaud Girard l’an passé ? Ce peut-il  doncqu’une « Madame H » nouvelle, orientale et extrême orientale,  soit en train de s’écrire – ou plutôt seréécrire puisque nous européens, en avions déjà écrit un mauvais chapitre, avecle colonialisme,  au-delà  de la méditerranée et du Bosphore ou dans cequ’on appelle la « méditerranée chinoise ».

Tu le dis d’ailleurs dans un passage de ton échangeépistolaire avec le philosophe chinois Zhao Tingyang, ton avant dernierlivre : Du ciel à la terre »,je te cite « Nos derniersrévolutionnaires sont devenus des acteurs sans texte et sans public, du moinsau nord de la Méditerranée. Dans nos sociétés post-industrielles, il y a desindignés, ou, des grévistes, des contestataires, mais bien rares sont ceux quiparlent encore de faire la révolution, comme en mai 1968, qui fut à cet égard,le chant du cygne des espérances de révolution. Fin des grossessesnerveuses »

Evidemment, je vais simplifier à l’extrême, pour teprovoquer, mais ta Madame H n’est-elle pas la fille de Marianne et deMars ? Je ne parle évidemment pas de la Marianne qui trône aujourd’huipaisiblement dans  nos Mairie, mais decelle de Delacroix, menant le peuple à l’assaut.

Le gréco-américain Robert Kagan, en appui au dangereux imbécilequ’était  Bush junior, a déclaré, pourstimuler le bellicisme américain, après avoir fustigé le (relatif) pacifisme deClinton, que les américains venaient de Mars et les européens de Vénus. Il voulaitévidemment dire que les premiers étaient nés pour continuer l’histoire du mondepar la force et la guerre, tandis que les européens – par parenthèse il vit àBruxelles, prudemment, au sein de ces méprisables pacifistes- n’en étaient pascapables et ne le souhaitaient pas. En 2008, il a persisté en ce sens dans sonlivre : Le retour de l’Histoire et la findes rêves ».

Finalement, Régis, « ton » histoire n’est-elle  pas celle de Mars et Marianne,  et notre époque n’en fais plus partie parcequ’elle est veuve des grands hommes que tu pleures : De Gaulle, Churchill,Mitterrand, mais aussi, alors, Mao et Staline, ou Trotski. Considères tu que tun’es plus dans l’histoire depuis que tu as quitté la Bolivie ou tu tentais avecle Che d’introduire le « focisme », concept dont tu es l’auteur.  Faut-il que tu « pleures », comme tul’avouais l’autre soir, dans la nouvelle émission de Franz Olivier Giesbert,« Les grandes questions », en compagnie d’Edgar Morin, pour qu’unévènement soit historique.

Je craindrais, si c’était le cas, mais tu vas sûrement nousrassurer, que ton histoire soit alors purement évènementielle, homologue àl’histoire par les dates,  assez loin del’école des annales, et de ta révérence à Marc Bloch ou Lucien Fèvre ?  Même si personnellement, je pense que ladatation est très importante surtout quand elle est comparée.

Avant de te passer la parole, je ne résiste pas à te citerune dernière fois, en lien direct avec ce qui précède. C’est l’épigraphe del’un de tes autres derniers livres, Modernes Catacombes,  de janvier 2013. Une phrase de Chateaubriand,que je n’aurais pas trouvée tout seule :

« Pourquoi ais jesurvécu aux siècles et aux hommes à qui j’appartenais par la date de mavie ? Pourquoi ne suis-je pas tombé avec mes contemporains les derniersd’une race épuisée ? Pourquoi suis-je demeuré seul à chercher leur os dansles ténèbres et la poussière d’une catacombe remplie. Je me décourage dedurer »

En métaphore de Madame H, tu aurais d’ailleurs pu  titrer ce livre  «  Madame L nous a quittée , L étant lalittérature.

A toi Régis, à toi «  Old lonesome cow-boy » desprairies du passé !

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