Entretien
Chapitres
Notice
Lieu de réalisation
Institut National des Etudes Démographiques
Langue :
Français
Crédits
Hélène CHALLULAU (Réalisation), FMSH-ESCoM (Production), Xavier Thierry (Intervention)
Conditions d'utilisation
Tous droits réservés.
DOI : 10.60527/6knp-vq36
Citer cette ressource :
Xavier Thierry. FMSH. (2004, 9 novembre). Flux d'immigration en France , in THIERRY Xavier. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/6knp-vq36. (Consultée le 17 mai 2024)

Flux d'immigration en France

Réalisation : 9 novembre 2004 - Mise en ligne : 9 novembre 2004
  • document 1 document 2 document 3
  • niveau 1 niveau 2 niveau 3
Descriptif

Xavier THIERRY est démographe de formation. Il travaille à l'Institut National des Etudes Démographiques (INED).Il est spécialisé dans les flux migratoires en France.

Intervention
Thème
Documentation
Partie 1 : Le fichier des étrangers en France   Haut

Dana Diminescu : Xavier Thierry, vous travaillez à l’INED (Institut national d’études démographiques), vous êtes démographe de formation, et votre spécialité concerne les flux migratoires en France.

Xavier Thierry : Oui, c’est un domaine sur lequel je travaille depuis sept à huit ans. Avec peu à peu un élargissement aux différentes formes de mesures des flux migratoires en Europe. Il s’agit d’une compétence très axée sur les problèmes d’observation, de méthodologie et de sources. Je consacre une partie de mon temps au développement des données de permis de séjour du ministère de l’Intérieur. J’en suis l’un des développeurs en France.

Dana Diminescu : vous êtes pratiquement le seul chercheur qui a eu accès au fichier des étrangers en France.

Xavier Thierry : Oui, à ma connaissance, je suis le seul effectivement à les traiter. Ce n’est pas un monopole. Les données ne sont pas réservées à l’INED. Il se trouve que nous sommes les seuls à en faire la demande régulière et à en faire la base de publications (cf. bibliographie des références se rapportant à AGDREF). Cet intérêt particulier pour cette source d’information s’explique par les missions de l’INED. L’INED a été créé il y a une soixantaine d’années, avec pour mission d’informer les pouvoirs publics sur l’évolution de la population française. Donc il analyse en partenariat avec l’INSEE des statistiques relatives aux naissances et aux décès L’INSEE est chargé de collecter ces dernières, et pour ce qui est des migrations, l’INSEE ne collectant pas de données sur les migrations internationales, l’INED apporte sa contribution directe grâce au partenariat établi avec le ministère de l’Intérieur, qui nous confie ses données, pour que nous l’exploitions comme il nous semble qu’elles doivent l’être. L’ensemble de ces données, naissances, décès et mouvements migratoires composent le bilan démographique annuel. Les statistiques d’immigration étrangère qui découlent de l’analyse du fichier des étrangers, se retrouvent notamment dans le rapport au Parlement établi par l’INED conformément à nos missions. Nous avons, dans les textes, une obligation de fournir chaque année un rapport au Parlement sur l’évolution de la population française. J’établis cette composante migratoire. De façon imparfaite, en réalité, du fait de notre incapacité à quantifier les mouvements de Français. On fait un peu comme si, en France, les Français naissaient et mouraient sur le territoire français. On est un peu forcé de faire cette hypothèse car nous n’avons aucune information sur les mouvements de Français. Le système statistique français est marqué aussi par une lacune sur l’observation des départs d’étrangers. On espère la combler un jour. Donc la seule composante que l’on essaie de mesurer le mieux possible, ce sont les entrées d’étrangers. Pour ce faire, les fichiers du ministère de l’Intérieur s’avère être une source d’information complète et plus fiable que les données de l’Office des Migrations internationales, sur lesquelles on se fondait jusqu’en 1993. Mon embauche à l’INED en 1997 est intervenu pour prendre la relève de Michèle Tribalat qui avait eu cette activité sur les flux pendant une vingtaine d’années et qui souhaitait, naturellement, passer un peu à autre chose. Donc j’ai été engagé à l’INED pour m’occuper de ces questions de flux migratoires avec, au moment de mon recrutement, la question de l’AGDREF (Acronyme de « Application de Gestion des Dossiers de Ressortissants Etrangers en France ».) qui était en ligne de mire. Ma connaissance d’AGDREF a été acquise à l’occasion d’une mission que le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, avait confié en 1998 à l’INED et à l’INSEE pour faire le diagnostic de cette source ( NEYRET Guy, THIERRY Xavier, TRIBALAT Michèle, 1998, Rapport final de la mission statistique sur les ressortissants étrangers au Ministère de l'Intérieur, INED-INSEE, rapport officiel, 195 p. ).



Partie 2 : Contexte de création du fichier AGDREF   Haut


Dana Diminescu : Pouvez-vous préciser justement, le contexte dans lequel ce fichier a été mis en route ?

Xavier Thierry : L’acte de naissance c’est un décret, en date du 29 mars 1993 qui instaure AGDREF. AGDREF a plus de dix ans maintenant. En fait AGDREF existait sous une autre forme avant. Si l’on veut vraiment avoir les origines du fichier des permis de séjour en France, il faut remonter à plus loin. Sylvia Preuss-Laussinotte, dans l’ouvrage qu’elle a consacré aux fichiers sur les étrangers, a retracé la genèse légale d’AGDREF. Je suppose que c’est assez fidèle. Elle explique justement que les premières idées de fichier des étrangers ont germé à la fin des années 1970, début des années 1980. A l’époque on n’avait pas la préoccupation de constituer un fichier des étrangers. On avait plutôt un projet de faire un fichier unique sur les personnes résidentes en France, Français inclus, intégrant à la fois les cartes d’identité et les titres de séjour. Au début, c’était un fichier commun qui était visé. Ce n’est qu’ensuite que les deux projets se seraient séparées et qu’un fichier des étrangers à proprement parler aurait émergé. Il y a tout un contexte aussi dans les années 1970, une pléthore de projets de fichage, qui a abouti à la création de la CNIL en 1978. Cela correspond à la période d’essor de l’informatique, d’un processus sans doute pas encore très bien maîtrisé par les pouvoirs publics. Ce projet de fichier des étrangers, ainsi que celui d’une base de données des cartes d’identité, est à replacer dans ce contexte. Il faut imaginer que jusqu’au milieu des années 1970, les fiches sur les étrangers c’étaient des petits cartons. Si l’on a AGDREF aujourd’hui, c’est grâce au progrès de l’informatique.

Donc l’acte de conception d’origine du projet de fichier des étrangers, bien avant l’AGDREF de 1993, remonte au 30 septembre 1982 qui instaure le principe d’un fichier qui centralise les informations sur les titres de séjour. C’est du moins la date citée par Sylvia Preuss-Laussinotte dans son ouvrage. D’ailleurs, je crois que ce fichier qui préexistait à AGDREF s’appelait le fichier T.S.E., vraisemblablement acronyme de « Titre de Séjour des Etrangers ». Il est très difficile de retrouver les documents d’origine pour retracer l’histoire. Pourtant, j’ai eu à fréquenter l’administration du ministère de l’Intérieur. Parfois on dit aussi Levallois aussi, parce que Levallois, c’était le lieu où étaient fabriqués les titres de séjour à l’époque. En 1982, avec TSE, se trouve créé pour la première fois, un fichier qui centralise les références des titres de séjour et de leur titulaire. Mes informations sur l’origine du fichier des étrangers différent un peu de celles de Sylvia Preuss-Laussinotte car d’après d’autres documents que j’ai pu consulter, c’est autour de 1986 qu’en pratique le fichier TSE se constitue.

Peut-être doit-on retenir une date intermédiaire dans cette genèse du fichier des étrangers, c’est 1984, la disposition juridique qui unifie les titres de séjour et les autorisations de travail, c’est-à-dire qu’à une époque, les étrangers pouvaient séjourner en France avec un titre de séjour, mais s’ils souhaitaient travailler ils devaient également obtenir un titre de travail. Auparavant, il y avait deux administrations qui avaient en charge les étrangers. Avec l’unification du titre de séjour et du titre de travail, ce qu’on appelle le titre unique, en 1984, le ministère de l’Intérieur va se retrouver au centre du dispositif et va devenir le seul organisme en France à délivrer, à fabriquer des titres de séjour. Sauf exception, les titulaires d’un titre de séjour sont autorisés à travailler, à temps complet ou à temps partiel. La notion de permis de travail n’existe pas en France. Alors ce changement-là rend précieux le fichier des étrangers au ministère de l’intérieur.

AGDREF prend la place de cette application TSE, dans un souci de modernisation. Je pense que le fichier TSE était devenu insuffisant dans ses performances, dans ses capacités à lutter contre les risques de falsification des titres de séjour, par exemple. On a cherché à avoir un outil plus performant, plus en phase avec les possibilités de l’informatique de l’époque car, on va le voir justement, dans AGDREF, il y a beaucoup plus de ressources que dans le fichier TSE.

Depuis le décret du 29 mars 1993, qui institue AGDREF, son histoire est assez monotone. En apparence il ne se passe plus rien. Il n’y a pas eu de nouveau décret ; celui-ci fixe les quatre finalités suivantes:
  • améliorer les procédures relatives au règlement de la situation administrative d’un étranger
  • assurer un mode de fabrication des titres de séjour et des récépissés qui évite les risques de falsification
  • permettre la vérification par les agents de l’autorité de la régularité du séjour d’une personne,
  • et enfin, permettre l’établissement de statistiques selon les modalités fixées par le ministre.

Quatre fonctions se trouvent ainsi récapitulées, dont deux d’entre elles sont des mesures de police. Eviter la falsification des titres de séjour, donc sécuriser les titres de séjour, et permettre le contrôle de la situation d’un étranger en tout point du territoire, c’est-à-dire pas simplement dans les préfectures, mais faire en sorte que, pour tout étranger interpellé à n’importe quel endroit du territoire, la police et les magistrats puissent interroger le ficher AGDREF et connaître la situation de cette personne : le titre de séjour présenté est-il un titre de séjour authentique ? La personne qui dit ne pas avoir de titre de séjour sur elle en a-t-elle effectivement un ? On a là des fonctions de contrôle. Ne nous voilons pas la face, AGDREF est aussi un outil de police. C’est un instrument qui vise à améliorer le service public auprès des étrangers, mais c’est aussi un outil de contrôle de l’immigration. La fonction de gestion administrative, c’est la première finalité qui a été citée : améliorer les procédures relatives au règlement de la situation administrative d’un ressortissant étranger en France, donc permettre une meilleure gestion, une modernisation du service public, j’y reviendrai tout à l’heure. Et puis enfin, utiliser ces données administratives pour dresser des statistiques sur l’immigration en France.

Ce décret est toujours en vigueur, il a pas été modifié. Depuis plusieurs années, est évoquée l’idée d’une rénovation d’AGDREF, c’est-à-dire d’une réécriture, d’un nouveau schéma informatique de l’application. On parle d’AGDREF2. Mais cela tarde à venir, sans doute par manque de budget et un problème de priorité interne au ministère de l’Intérieur.

Voilà, donc c’est cela un peu le contexte juridique de la création d’AGDREF.



Partie 3 : Fichier informatique et fichier papier   Haut


Alors on doit peut-être revenir un petit moment sur les raisons administratives de la création, parce que cela donne quand même une indication sur ce qu’est ce fichier, avant de regarder vraiment ce qu’il y a dedans. Il faut comprendre qu’à une certaine époque, donc avant l’existence de fichiers informatiques sur les étrangers, les titres de séjour étaient fabriqués de manière manuelle, et c’est cette édition manuelle que l’on voulait voir abolir. Et les documents, aussi bien les vrais titres de séjour que les récépissés, pouvaient être édités en de nombreux endroits, c’est-à-dire aussi bien dans les préfectures, bien sûr comme aujourd’hui, mais aussi en mairie, au commissariat de police. Cette multitude de lieux de fabrication représentait un risque. Avec cette application TSE-Levallois, on va avoir une responsabilité totale des préfectures dans l’ordre donné de fabriquer un titre de séjour. Ensuite, la deuxième raison de ces fichiers, c’est, il me semble, le souci de moderniser les méthodes de gestion dans les préfectures. A l’époque, on se plaignait beaucoup des délais, des lenteurs. Un étranger qui demandait un titre de séjour devait attendre assez longtemps, délai qui n’était pas lié simplement aux délais de fabrication, mais qui étaient lié aux délais d’instruction, au maniement de dossiers papier... Donc on a pensé que l’informatisation, comme d’ailleurs elle infiltrait partout dans toute la société, conduirait à des gains de productivité en préfecture. C’est une des raisons importantes de l’informatisation : la reprise des dossiers manuels et leur informatisation. Il y a aussi une chose qui a dû favoriser la création d’un fichier national des étrangers et des titres de séjour, c’était la mobilité géographique des étrangers, sans doute de plus en plus forte, et lorsqu’un étranger déménage d’un département à l’autre, ou d’une personne qui est résident d’un département donné et qui est interpellé ou qui est contrôlé dans un autre, il importe de connaître sa situation. Le fichier national permet d’avoir une vision générale. Donc c’est cela le principe de la nationalisation.

On a toujours conservé, et encore aujourd’hui, en préfecture, un double registre papier et un dossier informatique. Les préfectures ont à la fois, l’AGDREF aujourd’hui, ou le TSE hier, et puis les dossiers papier des étrangers. Il y a toujours cette double référence.

Dana Diminescu : Donc, il y a deux stockages différents ?

Xavier Thierry : Oui, il y a deux stockages différents. Le dossier papier doit comporter les pièces essentielles, c’est-à-dire la trace des grandes décisions. Donc un nombre limité de choses, et il va contenir de moins en moins d’information, à mesure que les préfectures enregistrent des informations dans AGDREF vu qu’elles peuvent consulter AGDREF à tout moment du jour et presque de la nuit maintenant.

Dana Diminescu : Donc ce n’est pas un fichier consultable en permanence ?

Xavier Thierry : Cela dépend de quel fichier. Il y a plusieurs fichiers AGDREF en fait. Il y a le fichier national et les fichiers départementaux. Les services de police n’a pas accès à toute l’information. Le fichier national je pense qu’il est consultable à toute heure du jour et de la nuit, mais les préfectures ont accès au fichier départemental qui contient le dossier des ressortissants domiciliés dans leur circonscription, mais je ne pense pas qu’elles puissent l’interroger la nuit. A une époque ce n’était pas possible le dimanche par exemple, cela posait des problèmes. Elles ont accès à ces documents informatiques et les capacités de mémorisation de l’information aujourd’hui sont telles que de grandes quantités de données peuvent être conservés. AGDREF est une base de données de plus en plus complètes tandis que, probablement de moins en moins d’éléments figurent dans les dossiers papier. Je pense essentiellement les formulaires CERFA, par exemple. Quand il y a une demande de titre de séjour, il y a ce qu’on appelle un formulaire CERFA, c’est-à-dire un document administratif certifié. Donc celui-ci doit figurer dedans. Les pièces administratives clefs, les grandes décisions. Par exemple un étranger qui demande l’asile, on va probablement avoir la trace de sa premier APS (autorisation provisoire de séjour), qui lui donne droit de présenter sa demande à l’OFPRA, qui instruit sa demande. Le premier APS a une durée de validité d’un mois, qui lui donne juste le temps de faire son dossier et de l’envoyer à l’OFPRA. Mais bien sûr, à la réception de ce dossier, l’OFPRA va prendre un certain temps pour répondre et donc le demandeur d’asile devra renouveler son autorisation de séjour auprès de la préfecture aussi longtemps que dure cette instruction. Les demandes d’asile étant assez longues à aboutir, les préfectures ont à produire pour un même individu toute une collection de récépissés de demande de carte de séjour. Donc, par intervalles de trois mois, il va rester sur le territoire français pour une durée totale variable. Tout ces récépissés renouvelés, je suppose, mais ce serait à vérifier, qu’ils ne figurent pas dans le dossier papier de la personne. En revanche, tous ces documents intermédiaires figurent inévitablement dans AGDREF. Dans le dossier papier, on aura probablement la première APS et puis la décision finale, mais je suppose que ce n’est pas le cas des autres, parce que cela serait un travail en double. Justement, les instructions mini du ministère de l’Intérieur aux préfectures c’est de privilégier le remplissage d’AGDREF et d’éviter de faire du travail en double, de remplir les écrans et puis en même temps d’éditer, d’imprimer, de faire des choses pour mettre dans le dossier papier. Justement, on essaie plus ou moins de faire tomber en désuétude le dossier papier. Néanmoins les préfectures peuvent avoir des pratiques différentes.

Dana Diminescu : Est-ce que les documents informatisés de ce fichier a la même valeur de preuve, que ceux que nous connaissons sur papier ?

Xavier Thierry : C’est une question importante effectivement, à savoir si l’information dans AGDREF peut être modifiée à n’importe quel moment, de sorte à opposer à l’étranger une situation qu’il n’aurait pas connue, au motif qu’elle est inscrite dans AGDREF. Certes on peut aussi falsifier des documents papier, mais probablement qu’on peut plus aisément falsifier des informations électroniques que des informations papier La traçabilité de l’information est attestée par les dates de saisie dans AGDREF ; en jargon AGDREF, cela s’appelle des codes « mouvements ». Il faudrait regarder dans le détail les informations saisies dans AGDREF pour lesquelles on connaît la date de saisie et celles pour lesquelles on ne les connaît pas, ces dernières pourrait permettre d’antidater des informations. Il y a des informations qui figurent dans AGDREF qui ne peuvent plus être modifiées, une fois qu’elles sont saisies, vous ne pouvez plus revenir en arrière, d’autres oui.

Dana Diminescu : Y-a-t-il eu des attaques de ce fichier ?

Xavier Thierry : Je n’en ai pas eu connaissance.

Dana Diminescu : Vous n’avez pas posé la question ?

Xavier Thierry : Non, je n’ai pas posé la question, mais aurais-je eu des réponses ?

Dana Diminescu : Il y a une sécurisation de ces données ?

Xavier Thierry : Evidemment, il y a une sécurisation du système, comme l’ensemble des systèmes d’information de l’administration. Imaginez, c’est un fichier colossal, qui comportent des données personnelles. Plus de cinq millions de personnes sont répertoriées dedans, c’est quand même une composante essentielles de la société française.



Partie 4 : Contenu du fichier AGDREF   Haut


Dana Diminescu : Que contient ce fichier ?

Xavier Thierry : Ce fichier, jusqu’en 1993, avant AGDREF, on disposait du fichier TSE-Levallois, qui contenait uniquement les titres de séjour en cours de validité. Point. Et avec AGDREF, justement par les progrès de l’informatique, on va être en mesure de conserver l’historique des documents délivrés sans se limiter au titre en cours. L’on va donc avoir, pour chaque étranger, l’ensemble des titre de séjour qu’il a obtenu, ou qu’il a demandé, depuis son entrée en France. Donc ce n’est plus la photographie à un moment donné de sa situation administrative, mais sa situation administrative effectivement au moment t, mais avec en plus une possibilité de remonter dans le passé, de considérer l’enchaînement des événements de son séjour. On a deux fichiers. On a ce qu’on appelle le FNE, autrement dit le « Fichier national des étrangers », qui, lui, est un peu un fichier type TSE. Il fournit la photographie, à tout instant, des personnes qui sont titulaires d’un titre de séjour. Voilà, tout simplement. Et ce fichier national des étrangers, il est consultable par n’importe quelle préfecture et les agents assermentés de la force publique : gendarmerie, police et les magistrats dans une certaine mesure. Existe également un deuxième fichier qu’on appelle les fichiers C2I, pour « Centre interdépartemental informatique », qui, eux, contiennent ces fameux historiques. Pour chaque étranger, on a donc la compilation de toutes les démarches qu’ils ont effectué. Alors ces fichiers C2I , ces fichiers interdépartementaux, ils ne sont accessibles qu’aux préfectures dont l’étranger est ressortissant. Par exemple, pour l’étranger titulaire d’un titre et résident dans les Bouches-du-Rhône, son curriculum administratif ne peut être connu que de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Mais pas des autres préfectures. C’est elle qui gère sur le fond son dossier. S’il vient à déménager, à changer de département et si bien sûr il signale son changement d’adresse, son dossier sera transféré. Aussi bien son dossier papier, mais plus rapidement encore son dossier informatique, changera d’administration. Donc il y a des procédures de transfert. L’information contenue dans ces fichiers départementaux est très riches, mais elle n’est consultable que par un nombre plus limité de personnes. Ce sont ces fichiers départementaux, très approfondis, qui alimentent le fichier national des étrangers. Donc le fichier national des étrangers, il est le reflet à tout moment de ce qui se passe dans les fichiers départementaux. Il en est le reflet justement parce que toutes les nuits les fichiers départementaux sont inaccessibles à la consultation ; on ne peut plus les ouvrir, on ne peut plus entrer en écriture, on ne peut plus modifier, parce que justement, le fichier national des étrangers (FNE) est en train de se recharger.

Dana Diminescu : On a combien d’étrangers, en totalité, dans un fichier et dans l’autre, et dans son ensemble ?

Xavier Thierry : Alors si on faisait la somme de tous les fichiers interdépartementaux, on n’aurait pas la somme du FNE. Parce que le FNE ne contient, me semble, que les étrangers en situation régulière. Mais ce serait une chose à vérifier. Alors que les fichiers départementaux contiennent, et c’est une très grande différence, tous les étrangers qui sont, qui ont eu un contact avec l’administration. Qu’ils soient en situation régulière ou qu’ils ne le soient pas. Qu’ils l’aient été mais qu’ils ne le soient plus, qu’ils aient souhaité l’être mais qui ne l’aient jamais été. Qu’ils aient été simplement interpellés, et donc à ce moment-là ils ont eu un contact avec l’administration. Ou tout simplement qu’ils aient fait une demande de titre de séjour qui a été refusée. Donc l’information contenue dans les fichiers interdépartementaux est très vaste. On dénombre plus de 5 millions de personnes qui sont dans les fichiers interdépartementaux, bien plus que les 3,2 millions d’étrangers comptabilisés au recensement de 1999. Je pense que le FNE contient moins d’individus, parce que les étrangers qui n’ont eu qu’un simple contact n’y sont pas. Je pense, mais ça serait à vérifier, car je n’ai jamais travaillé sur le FNE, mais seulement sur les fichiers interdépartementaux.

Dana Diminescu : Vous avez travaillé sur les deux fichiers ?

Xavier Thierry : Non, je ne travaille pas sur le FNE. Je ne travaille que sur les fichiers historiques des C2I. C’est cela qui me donne des possibilités. Sinon, sur le FNE, on ne ferait pas grand-chose. Avant la création d’AGDREF et de ces fichiers, on avait l’application TSE-Levallois, mais on n’a jamais véritablement élaboré une statistique à partir des fichiers Levallois.

Alors ces fichiers AGDREF contiennent des informations sur les titres de séjour, bien entendu, mais aussi sur certaines procédures qui peuvent conduire à leur délivrance. Un étranger peut avoir un titre de séjour parce qu’il a eu un visa long séjour à l’étranger, donc il se présente avec son visa et cela lui donne droit au titre de séjour. Mais il peut aussi avoir accès au titre de séjour par des procédures particulières, qui sont par exemple l’asile ou bien le regroupement familial. Un étranger est déjà en France et demande à ses enfants, son conjoint, de le rejoindre. On dispose aussi des éléments sur ces procédures de regroupement familial ou bien de l’asile qui sont antérieures à la délivrance du titre de séjour, du fait que les préfectures jouent un rôle dans ces domaines. Par contre, les informations du ministère des Affaires étrangères sur la délivrance des visas ne sont pas connectées à celles d’AGDREF. On ne dispose pas non plus d’informations sur les procédures d’introduction des travailleurs. On a les titres de séjour qui sont délivrés aux travailleurs, bien entendu, mais on n’a pas les informations de procédure qui sont de la compétence unique des Directions départementale du travail et de l’emploi. Pas non plus d’information pour les étudiants étrangers, sur l’autorisation d’inscription préalable accordée par l’université avant toute demande de titre de séjour. On a des informations sur les retraits de titre de séjour, puisque les étrangers acquièrent des titres de séjour, mais ils peuvent aussi les perdre, pour prendre un terme générique. Il existe différentes formes de pertes. Soit parce que les personnes deviennent françaises ; dans ce cas on a des éléments sur la procédure d’acquisition de la nationalité française. On a des éléments sur les mesures de reconduite à la frontière, les mesures d’expulsion, puisque ceci occasionne aussi une perte du bénéfice de la carte de séjour. On a des éléments en principe sur les décès : le fait de décéder fait sortir de la population étrangère. Alors, donc on va avoir, comme cela un chaînage d’informations pour chaque étranger, ses titres de séjour, son parcours, jusqu’à sa sortie physique du territoire ou du statut juridique d’étranger.



Partie 5 : Immatriculation   Haut


AGDREF couvre les ressortissants étrangers en France, et non pas les ressortissants étrangers en situation régulière en France. Le système de données contient beaucoup plus que les étrangers en situation régulière en France, puisque l’étranger est enregistré dès qu’il a un contact avec l’administration, soit dès lors d’une demande de titre de séjour, ou bien lors d’une interpellation débouchant sur une mesure de reconduite à la frontière. Il est susceptible alors de figurer dans AGDREF, et d’y figurer pour longtemps. On va revenir plus loin sur les règles de purge qui permettent de sortir du fichier. Chaque étranger est immatriculé dans le fichier AGDREF. Immatriculé, cela signifie l’attribution d’un numéro personnel et invariable dans le temps. Chacun sait que tout résident français dispose d’un numéro de sécurité sociale, cela s’appelle le NIR, pour « numéro d’identification au répertoire », commençant par 1 pour les hommes et 2 pour les femmes. Les étrangers, pour ce qui concerne leur existence dans AGDREF, ont aussi un numéro d’identification, mais ce n’est pas un numéro de sécurité sociale, il ne commence pas par 1 ou 2. Sa séquence débute par le numéro du département qui l’a enregistré pour la première fois. Donc un numéro AGDREF qui commence par 75 c’est que manifestement l’étranger a été enregistré pour la première fois par la Préfecture de police de Paris.

Dana Diminescu : Donc grosso modo, chaque étranger a un code, un numéro.

Xavier Thierry : Un code unique, individuel et permanent. C’est-à-dire que ce numéro ne sera jamais changé. Il le conservera jusqu’à la fin de son existence, sauf s’il vient à sortir du fichier AGDREF, mais comme cela sera dans très longtemps, vraisemblablement, il n’aura qu’un seul numéro. Il y a sans doute des cas, indénombrables, d’étrangers qui ont un deuxième numéro. Il existe dans AGDREF des procédures de recherche d’alias. En principe on conserve le même numéro. C’est cela qui fait la possibilité de retracer le parcours administratif de l’individu parce que c’est toujours sur ce même numéro que l’ensemble des événements administratifs sont enregistrés. Ce numéro AGDREF commence par le numéro du département, et la suite n’a aucune signification. Autant notre numéro de sécurité sociale a une signification, vous savez qu’il contient votre mois de naissance, votre commune de naissance…, le numéro AGDREF est un numéro tout à fait aléatoire, qui se construit dans l’ordre d’apparition des étrangers. Donc il n’a pas…

Dana Diminescu : …d’autre composition

Xavier Thierry : oui, il n’est pas informatif. Donc le fichier contient d’abord cette racine, en fait, ce numéro d’étranger, et puis plusieurs aires, plusieurs domaines d’information, qui sont séparés, sans doute pour des raisons de volumétrie, car on ne peut pas mettre tout dans le même fichier, parce que cela fait des millions d’enregistrements. En tout cas, on a une première aire qui contient, pour chaque étranger, un certain nombre de caractéristiques individuelles. Des informations sur son identité bien entendu, la nationalité de la personne, son pays de naissance, son année de naissance, et maintenant même sa date de naissance, donc une date en jour/mois/année, le sexe de la personne, l’état matrimonial et jusqu’au numéro AGDREF de son conjoint s’il a un conjoint étranger. Donc une possibilité de connexion, de rapprochement entre deux dossiers d’étrangers. On a bien entendu aucune information sur l’origine ethnique des personnes, et probablement pour éviter tout classement ethnique, la connaissance du lieu exact de naissance n’est pas recueillie non plus, car par exemple dans certains pays africains, le lieu précis de naissance pourrait donner une indication sur l’origine ethnique. Les informations sur son histoire migratoire se limitent à l’année d’entrée en France, ainsi qu’une indication sur le fait que la personne est entrée régulièrement ou irrégulièrement dans le pays. Mais cette dernière information pouvant être mise à jour par les préfectures, elle renseigne de moins en moins sur la situation au moment de l’arrivée en France à mesure que le dossier est ancien. On dispose également d’informations qui sont susceptibles d’évoluer dans le temps, par exemple l’adresse postale. Autour de ce fichier central sur les individus, gravitent des fichiers qui sont relatifs à des procédures. Environ 5 ou 6 aires, pour les plus importantes. Je n’ai personnellement pas exploité toutes les aires, parce que je ne me suis pas intéressé pas à tout. Mes travaux ne me conduisent pas à m’intéresser aux mesures d’expulsion par exemple. Mais les aires qui sont les mieux renseignées, sont celles sur lesquelles je travaille à l’INED. La première répertorie l’ensemble des demandes de séjour, c’est-à-dire les demandes exprimées et enregistrées ; la seconde les titres effectivement délivrés. Ce ne sont pas les mêmes. Quelqu’un peut faire une demande et ne pas obtenir de titre.

AGDREF porte, vous l’avez compris, sur les personnes étrangères, en situation régulière, comme sur une partie des personnes en situation irrégulière, puisque les demandes peuvent ne pas aboutir ; une mesure de reconduite à la frontière peut ne pas aboutir, c'est-à-dire que la personne ne sera pas reconduite, et restera sur le territoire. Donc on a une accumulation d’informations au fil du temps pour les étrangers, aussi bien en situation régulière que les déboutés. Et cela fait donc d’AGDREF l’un des rares fichiers de population existant en France. Si peut-être à l’origine on a eu l’idée de créer un fichier commun des cartes d’identité et des cartes de séjour, comme cela a été dit plus haut, en fait c’est le seul qui ait vraiment déboucher sur un instrument de connaissance. S’il y a une catégorie de personnes sur laquelle nous pourrions connaître beaucoup de choses, c’est bien sur les étrangers en fait, surtout si l’on se donnait la peine de mieux exploiter cette source. Il est regrettable que le ministère de l’intérieur accorde si peu d’intérêt à cette source, et soit plus prompt à dénigrer son outil qu’à le perfectionner. Pour les Français, il n’y a pas une base de données équivalente, de nature exhaustive, qui permette de les suivre au fil du temps. La France n’a pas de registre de population contrairement aux pays nordiques, qui basent leurs statistiques sur leur registre de population, mais on a ce registre de titres de séjour qui est bien documenté, par le fait qu’il y a toute cette profondeur historique. En dehors de l’INED, il n’a pas encore reçu l’attention des statisticiens de l’INSEE, qu’il mériterait.



Partie 6 : Les aires concernées   Haut


Dana Diminescu : vous pouvez être très concret sur les domaines ? Je sais pas, est-ce qu’il y a des indications sur le nombre de domaines ?

Xavier Thierry : Je les énumère, et puis après je vais rentrer un peu plus dans le détail. Donc une aire sur les demandes de séjour, une aire sur les titres de séjour effectivement délivrés, une aire sur les procédures de regroupement familial, une aire sur l’asile, une aire sur les modes d’acquisition de la nationalité française, une aire sur les mesures d’expulsion. Voilà, c’est à peu près tout.

Dana Diminescu : Dans le cadre de ce fichier AGDREF, pour récapituler, il y a cinq aires ?

Xavier Thierry : Oui, enfin, il y en a un petit peu plus puisqu’il y a les mesures de réadmission qui sont dans une aire un peu spécifique.

Donc dans l’aire demande de séjour, on va disposer d’information sur le déroulement du séjour de l’étranger. En effet, l’une des richesse d’AGDREF réside dans le fait qu’elle est très bien fournie en dates, et que l’intégralité des étapes sont conservées. Pour les demandes, ce sera la date de la première demande, la date de la deuxième demande, la date de la troisième demande et ainsi de suite. Et pour chacune des demandes, on va trouver la date de la demande, la date de la décision, la nature de la décision, le motif de délivrance. En fait, cette aire demande, c’est l’aire qui porte sur l’instruction d’une demande jusqu’à la décision. Si l’issue est positive, on bascule dans l’aire des titres délivrés. Dans ce dernier cas, tous les titres de séjour délivrés sont répertoriés, du premier au dernier, donc vous pouvez en trouver des dizaines, si l’on entend par titre de séjour, aussi bien les titres provisoires valable un mois, y compris même des convocations de quelques semaines, jusqu’à des titres de séjour de plus grande valeur juridique, d’une durée de validité de plus de 6 mois à dix ans. Donc c’est un fichier qui à lui seul comporte près de 20 millions de lignes aujourd’hui. En moyenne, un étranger capitalise sur son compte près de 4 documents de séjour Un demandeur d’asile peut en avoir reçu un grand nombre. Quelle que soit leur durée, on dispose pour chacun de la date de délivrance, de sa durée de validité, et donc de la date de fin de validité, la type de ce titre à savoir s’il s’agit d’un titre provisoire, APS ou récépissé, d’une carte de résident, d’une carte de séjour temporaire.

Et donc la grande possibilité d’analyse c’est que l’on peut ré-assembler tout cela, grâce au numéro individuel AGDREF qui figure dans chacune des aires. Au stade de l’analyse, en s’intéressant à un groupe d’étrangers donné, on peut sélectionner ce groupe d’étrangers et puis après, au moyen de requêtes informatique, aller chercher les informations relatives à cet étranger ou à ce groupe d’étrangers dans l’aire titre, dans l’aire demande, dans l’aire asile, dans l’aire regroupement familial, afin de recomposer la trajectoire de la personne, en remettant les choses dans le bon ordre, les dates dans le bon ordre. Ou inversement, et c’est ce que l’on fait à l’INED, identifier un ensemble de titres délivrés au cours d’une certaine période, et ensuite enrichir cette extraction d’informations extraites dans les autres aires. La mesure des flux d’immigration étrangère repose sur ce type de démarche qui consiste à identifier, dans les historiques de titres de séjour délivrés, l’ensemble constitué par les premiers titres de séjour délivrés une année donnée. Donc on peut ainsi faire des opérations d’appariement des divers morceaux d’informations relatifs à un même individu mais aussi pour un individu donné relier les différentes demandes qu’il a formulé et les divers titres de séjour qu’il a reçu, grâce, là encore, à un système de numérotation propres aux documents. Donc considérant, mettons, la troisième demande : est-ce que la troisième demande à un titre correspondant. Vous pouvez ne rien trouver. Vous pouvez presque en déduire qu’il y a eu un rejet sur cette demande. Donc l’on a de grandes possibilités de combinaisons.

Dana Diminescu : Moi j’appelle cela la traçabilité migratoire , un historique informatisé du migrant

Xavier Thierry : Oui, c’est cela, sauf qu’elle est retracée a posteriori de manière collective. Ce n’est pas l’individu qui nous intéresse, mais le destin de groupes de personnes. Pour les agents en préfecture, c’est au niveau individuel que les affaires sont appréhendée. Chaque jour en recevant des étrangers. Ils instruisent des demandes, cherchent des procédures, donc remplissent des champs. Quand un étranger se présente en préfecture et montre son numéro d’étranger, on peut donc plus ou moins afficher cet historique, dans sa préfecture, j’ai bien dit dans sa préfecture, parce que dans une autre préfecture, ce ne sera pas possible puisque l’accès au dossier n’est possible qu’à la préfecture qui gère le dossier. Celle-ci peut regarder le profil, c’est-à-dire l’ensemble des événements qui lui sont arrivés. Pour elle c’est très utile et source de gain de temps car vous avez un étranger qui se présente à vous, vous n’avez pas besoin d’aller chercher le dossier papier. Auparavant c’était le cas.



Partie 7 : Les informations manquantes   Haut


Dana Diminescu : est-ce que pour le fichier qui porte sur la nationalité, il y a aussi, il y a des données sur la profession , les impôts par exemple ?

Xavier Thierry : Non, il y a effectivement beaucoup d’informations qui ne figurent pas, du moins qui manquent pour le statisticien. Il y a peut-être des gens qui pensent qu’elles ne devraient pas y figurer, que c’est aussi bien ainsi, mais il y a des informations qui manquent. C’est vrai que sur la profession on n’a rien, par exemple.

Certaines informations viennent à disparaître aussi. En effet, il y a des facteurs d’amnésie dans AGDREF, c'est-à-dire des règles d’archivage et de purge. Les étrangers ne sont pas destinés à rester jusqu’à leur mort dans le fichier AGDREF. S’ils cessent d’être étranger en devenant Français, s’ils n’ont plus de titre de séjour en cours de validité ou s’ils quittent le territoire, ils finiront pas être radiés. Il y a également des informations qui sont écrasées lors des mises à jour. Ceci c’est plus dommageable. Les caractéristiques de l’étranger au moment de son immatriculation, par exemple son état matrimonial, indiquent en fait son état matrimonial au moment de l’arrivée en France. Mais l’état matrimonial peut changer dans la vie de l’individu et cette information peut être introduite dans AGDREF. Cette mise à jour est une bonne chose car elle fournit un reflet de la situation réelle de la personne, mais c’est tout de même regrettable de ne pas conserver en mémoire l’état matrimonial d’origine. Donc si la personne se marie, on va voir qu’elle est mariée, mais on ne pourra pas reconstituer qu’elle était célibataire avant d’entrer en France par exemple. Il faudrait dans l’idéal posséder les deux informations, notamment pour étudier la nuptialité des célibataires après être arrivés en France. Il y a des informations comme cela qui sont écrasées. C’est la même chose pour le nombre d’enfants par exemple. Le nombre d’enfants est déclaré à l’entrée en France, mais par la suite, le nombre d’enfants d’origine n’est pas conservé, il est modifié en permanence par les actualisations qui interviennent, d’ailleurs de manière aléatoire, à l’occasion notamment des renouvellements de titres de séjour.

Dana Diminescu : De quel âge à quel âge on va classer un étranger dans ce fichier ? Est-ce que vous avez vu des enfants  étrangers fichés ? Est-ce que vous avez vu des personnes à la retraite ?

Xavier Thierry : Le fichier AGDREF est le reflet de la législation. La législation française prescrit que toute personne majeure, ou d’au moins 16 ans si elle désire travailler, est tenue d’avoir un titre de séjour pour un séjour d’au moins trois mois. En conséquence, le fichier AGDREF contient toutes ces personnes. Jusqu’au 1 er janvier 2004, il contenait tous les étrangers séjournant, sans exception de nationalités et de situation professionnelle. Il y a quelques dérogations, comme par exemple des étudiants étrangers venus étudier pour un semestre et à qui l’on délivre un visa valant titre de séjour, ou les diplomates qui sont exonérés de toute démarche pour circuler et séjourner. Ces exceptions sont toutefois limitées. A partir de 2004, la loi du 26 novembre 2003, dite loi Sarkozy fait que les étrangers ressortissants des Etats membres de l’Union européenne (UE-15), sont dispensés de titre de séjour. Ils peuvent en obtenir un s’ils le souhaitent, mais ils n’ont plus l’obligation d’en avoir. Donc à partir du 1 er janvier 2004, cette catégorie d’étrangers n’y figureront plus systématiquement. C’est une situation nouvelle. Alors s’agissant des mineurs, ils ne sont pas dans l’obligation de détenir un titre de séjour. Ils ne figurent donc pas dans AGDREF de manière nominative. Ils n’y figurent que de façon indirecte. C’est-à-dire qu’une demande de regroupement familial qui les concerne conduit à leur enregistrement dans AGDREF. En revanche, il n’y a pas de limite d’âge supérieur pour détenir un titre de séjour. Par conséquent les retraités séjournant régulièrement en France figurent en théorie dans AGDREF. D’ailleurs la loi du 11 mai 1998, dite loi Chevènement, a créé un nouveau type de titre de séjour, destiné aux personnes retraités ayant exercé une partie de leur activité professionnelle en France et qui n’y résident plus de manière continue, mais sont susceptibles d’y venir pour de courts séjours. Ce titre est une sorte de visa permanent de libre circulation. En conséquence, ses bénéficiaires figurent dans AGDREF, bien que ne vivant pas officiellement en France. Le principe de la territorialité est mise en défaut dans ce cas précis.

Dana Diminescu : Les mineurs délinquants aussi ?

Xavier Thierry : Un délinquant mineur ? Non je ne crois pas car on ne peut pas délivrer de titre de séjour à des mineurs. Mais ce serait à vérifier.

Dana Diminescu : Un enfant qui va à l’école ?

Xavier Thierry : Je suis mal placé pour répondre, puisque j’exploite surtout les aires titre de séjour, je peux pas savoir pour les enfants de moins de 16 ans, car ils n’ont pas de titres de séjour. Je ne vois d’ailleurs pas à quel endroit, ni de quel droit, ils figureraient dans AGDREF

Dana Diminescu : Mais un enfant qui va à l’école ? Parce qu’il a tous les droits d’aller à l’école, malgré cela les parents peuvent être invisibles dans ce fichier.

Xavier Thierry : Il n’a pas de titre de séjour… Si l’enfant va à l’école et que les parents sont en situation irrégulière ?

Dana Diminescu : Oui, invisibles, s’ils sont des circulants

Xavier Thierry : A plus forte raison, il n’y sera pas. Si ses parents sont en situation irrégulière, ils auraient pu faire une demande, sur le fait qu’ils soient en situation irrégulière, ils auraient pu faire une demande de regroupement familial par exemple. A ce moment-là l’enfant serait apparu dans le fichier, mais…

Dana Diminescu : C’est clair, on va plus avoir des migrants sans papiers, on va aussi avoir des gens sans fichier.

Xavier Thierry : Ceux-là n’ont pas d’existence, ces enfants-là, ces personnes-là… Mais de toute façon, quand je dis que cela comprend aussi bien les étrangers en situation régulière que les étrangers en situation irrégulière, il faut bien entendre étrangers en situation irrégulière qui ont été signalés, qui se sont signalés. Les clandestins absolus sont inconnus. Et les mineurs pour lesquels il n’y a pas eu de démarche de regroupement familial, par exemple, c’est la seule procédure en fait qui permette de les connaître, sinon ils sont absolument inconnus. Revenons aux informations qu’on ignore. J’en ai noté quelques-unes, qui me soucient beaucoup. Par exemple, on n’a pas d’information sur le pays de provenance des personnes. On a des informations sur le pays de naissance, sur le pays de nationalité, mais rien sur le pays de provenance. Donc ceci représente un problème, notamment parce qu’Eurostat (Office statistique de l’Union européenne) nous demande de faire des tableaux sur l’immigration en fonction du pays de provenance, et cela nous serait indispensable pour vraiment juger de la circulation européenne. Les étrangers ressortissants d’un pays tiers, qui viennent en France ne sont pas nécessairement entrés directement dans l’Espace européen par le biais de la France, ils peuvent avoir d’abord séjourné dans un autre pays de l’Union. Or nous n’avons pas la donnée pour partager les entrées en France qui sont des premières entrées dans l’espace européen de celles qui sont les deux à la fois. On aimerait bien connaître cette circulation-là. Pour ma part, je milite pour l’introduction de cette information dans AGDREF2. Ce n’est pourtant pas grand-chose. Il se trouve qu’elle ne figure pas sur le document CERFA. Toutes les informations qui figurent dans AGDREF sont des informations qui sont nécessaires à l’instruction des dossiers. A partir du moment où une information n’est pas nécessaire au travail administratif, comme AGDREF a été créé pour faire des gains de productivité, il n’est pas jugé utile de la rajouter en demandant des éléments qui ne servent pas l’instruction administrative. La fonction statistique a donc de la peine à se justifier aux yeux de l’administration.

On ne connaît rien non plus sur le niveau d’instruction des personnes. Ou leur profession par exemple. Donc nous sommes extrêmement démunis, en France, mais aussi dans beaucoup de pays, pour dire si vraiment l’immigration est de plus en plus qualifiée. Il semble que ce soit le cas, mais pour le mesurer précisément, on a vraiment beaucoup plus de mal à l’affirmer, parce que tout simplement, dans AGDREF, l’on n’a pas la volonté aujourd’hui d’introduire une variable, un élément, qui serait demandé au moment de la délivrance du premier titre pour être inscrite dans AGDREF, sur le niveau d’instruction, sur le type d’emploi recherché, etc.

On a aussi des informations qui sont très incomplètes dans AGDREF, des informations qui figurent, mais qui sont mal renseignées, notamment les refus de séjour. Il y a une variable pour les refus de séjour, mais les préfectures ne remplissent pas forcément très bien ce champ, parce que cela n’a pas de conséquence pour elles. Les préfectures sont d’abord intéressées à délivrer des titre de séjour, c’est leur activité principale. S’il y a un refus de séjour, elles vont prononcer une invitation à quitter le territoire, une IQF, mais comme une IQF peut être prononcée sans avoir rempli la case refus de séjour, beaucoup de refus de séjour ne sont pas signifiés dans l’application. Donc quand le ministère va essayer de publier des chiffres sur les refus de séjour, il les sous-estime beaucoup ; d’ailleurs il s’est bien gardé d’avancer un chiffre pour le moment. Donc si l’on veut vraiment établir des données plus fiables sur les refus de séjour, il faut s’y prendre autrement. Et c’est là qu’on arrive sur les problèmes d’analyse.

Voilà, donc beaucoup de choses manquent dans AGDREF par défaut de pilotage véritable de l’outil. Même des choses indispensables comme les acquisitions de nationalité française ou les décès ne sont pas très bien connues. Il se trouve que l’on recense dans AGDREF des étrangers qui ne devraient plus y figurer. On a des immortels, et on a des gens qui sont probablement français. Par défaut de radiation. Parce que les préfectures ne font pas le travail jusqu’au bout, on peut toujours les excuser, mais c’est un problème d’organisation du système et de mise à jour du fichier. Donc finalement, ce fichier AGDREF est utile pour la mesure de certains phénomènes, absolument pas pour dénombrer les stocks de population, il y a 5 millions de personnes qui sont enregistrées dans AGDREF, cela ne veut absolument rien dire. Même si l’on ne regarde que les seules personnes qui sont en situation régulière, cela ne veut rien dire non plus. J’avais fait une communication il y a deux ans à Eurostat, si l’on compare l’effectif de population au recensement avec l’effectif de population dans AGDREF titulaire d’un titre en cours de validité, on tombe sur des incohérences. C'est-à-dire que l’on a davantage d’étrangers dans AGDREF qu’il n’y en a en France, alors que les irréguliers peuvent être inclus dans les chiffres du recensement. On se serait attendu à un écart de sens opposé. En fait il y a des gens qui restent dans le registre alors qu’ils ne devraient plus y figurer. Donc pour purger un peu tout cela, le ministère a prévu des règles de purge, mais ces purges concernent pour l’essentiel des étrangers qui ne sont plus titulaires d’un titre de séjour. On prend rarement le risque de purger un individu qui a dossier actif.



Partie 8 : La purge des fichiers   Haut


Dana Diminescu : Il y a les 5 millions d’individus dans AGDREF, mais les anciens dossiers des étrangers en France ont-ils été numérisés et introduits dans AGDREF ?

Xavier Thierry : Oui. Quand AGDREF s’est créé en 1993, on a récupéré le fichier Levallois, il a été repris, il a migré en fait dans la nouvelle application. On n’a pas eu à renumériser, si vous voulez. Car comme ce fichier existait depuis 1986, en 1993, cela faisait déjà sept ans. Donc il n’y avait que les gens qui avaient eu un titre avant 1986, qui n’était pas informatisé, qui ont obtenu ce premier titre après 1994. J’avais réfléchi à ce problème à l’époque, je me souviens plus de la solution, je ne pourrais plus vous redonner le raisonnement exact. On a déjà récupéré l’existant, mais évidemment le problème : est-ce qu’on a numérisé les titres délivrés avant 1986 ? Je sais pas répondre. Je me souviens plus.

Dana Diminescu : Qu’est-ce qu’on jette à la poubelle ?

Xavier Thierry : Donc des règles de purge sont mises en place qui s’appliquent aux différentes catégories d’étrangers. Le ministère a prévu des mécanismes de radiation, qui sont programmés sur les dossiers obsolètes. Cela se concrétise par des purges périodiques. La règle générale, c’est cinq ans. On élimine le dossier des personnes qui sont décédées après cinq ans.

Dana Diminescu : Seulement les dossier des personnes décédées ?

Xavier Thierry : Non, pas seulement, bien entendu. Le titres expirés, pareil. On les conserve pendant trois ans en position active, et puis après ils passent pendant deux ans en archive, et puis après seulement ils sont purgés.

Dana Diminescu : C’est-à-dire…

Xavier Thierry : C’est-à-dire qu’ils sont effacés de l’AGDREF, ils ne sont plus réactivables. Donc cela ça vaut pour les titres expirés, mais pour quelqu’un qui a demandé un titre de séjour et qui a reçu un refus. Ce n’est pas parce qu’il a eu un refus de séjour qu’il va disparaître, il va rester cinq ans aussi.

Dana Diminescu : Sur quoi vont travailler dans le futur les historiens ? d’ici cinquante ans, tous ces spécialises qui vont s’intéresser à l’histoire des migrations, ils ne vont plus avoir de quoi travailler…

Xavier Thierry : Cinq ans cela vous paraît trop court ?

Le délai de purge est accru en cas d’expulsion. Les personnes sont conservées pendant trente ans. Les historiens pourront s’amuser, mais bien sûr cela représente une toute petite catégorie de personnes et pour l’aide au retour par exemple, la date limite de conservation est portée au 60 ans de la personne. C’est dire qu’elle est supposée ne pas être versée deux fois à la même personne, donc on la conserve jusqu’à ses 60 ans, pour vérifier que si jamais elle se repointe et redemande une seconde aide au retour, ou qu’elle revient tout simplement sur le territoire. Si on l’a aidé à retourner, ce n’est pas pour qu’elle revienne. Là est la raison officielle de cette règle de purge. Pour tous les autres cas, le critère des cinq ans s’applique. On se demande franchement pourquoi on garde les personnes qui sont décédées pendant cinq ans. Mais pour les titres expirés et les titres refusés, on les garde parce que les personnes sont susceptibles de revenir, et cela veut dire que si elles reviennent, on reprend leur numéro d’étranger.

Alors, avec de telles règles de purge, cela explique qu’on a de tels écarts entre le nombre de personnes qui sont dans le fichier et le nombre d’étrangers qui sont effectivement en France si on en croit les recensement. Heureusement, les décomptes d’étrangers qui sont fait sur le fichier AGDREF le sont sur la population titulaire d’un titre en cours de validité. Mais cela ne règle pas tout. Par exemple, une personnes qui obtient une carte de résident, puis qui décède le jour d’après, ou qui finalement a sa carte de résident mais en fait souhaite finalement ne pas résider en France, elle va rester quinze ans dans le fichier. Sa carte va continuer à courir pendant dix années, et puis son dossier encore cinq ans. C’est pour cela qu’on a un excès de population étrangère, une surestimation, du fait que ces délais de purge sont de cinq ans, et que, en plus, de nombreux titres sont très longs. Alors pour les cartes d’un an, les cartes de séjour temporaire d’un an, le problème est moins important, mais enfin cela fait tout de même six ans.

Alors, quel est le problème pour les historiens, de la conservation de l’information pour l’avenir ? Evidemment, les dossiers informatiques dans AGDREF, ils sont perdus à jamais. Quand il y a purge, c’est irrémédiable. Pour vous rassurer, il continue d’exister dans les copies d’AGDREF que le ministère effectue, ce qu’il appelle des extractions. Mais c’est récent, cela ne date que de 2000.

Dana Diminescu : Voilà une information précieuse.

Xavier Thierry : En effet, il fait des copies de ces fichiers. J’ignore dans quelle mesure elles seront conservées ou versées aux archives. Je sais que lorsqu’un étranger est purgé d’AGDREGF, les préfectures sont avisées. Elles doivent le savoir car son dossier papier doit partir aux archives.

Dana Diminescu : Mais vous avez dit que le dossier papier est beaucoup plus pauvre

Xavier Thierry : J’imagine qu’il est beaucoup plus pauvre maintenant, parce que cela me paraît être la logique, si on a créé AGDREF c’est justement pour éviter du travail en double, donc il est beaucoup plus pauvre.

Il me semble qu’un effort de mémoire qui peut être fait, c’est justement d’analyser un maximum ces informations, afin de publier un maximum ces informations, sous des formats assez détaillés. Et c’est pour cela que je présente, par exemple, sur le site Internet de l’INED des statistiques d’immigration, de façon très détaillée, par nationalité, par sexe, par âge, par motif, par département…

Dana Diminescu : Elles sont déjà traitées ?

Xavier Thierry : Elles sont déjà traitées, mais elles permettraient à des historiens dans le futur de retrouver des informations détaillées. Cela éviterait à un historien justement de devoir remonter les fichiers, les bandes et tout pour trier des choses. Donc il y a déjà quelque chose qui peut être trié. Mais c’est tout à fait un exemple, parmi d’autres, pour moi qui m’intéresse aux flux migratoires, mais il y a toutes sortes d’angles d’analyse encore que l’on pourrait prendre sur AGDREF. Je pense qu’une forme de conservation, c’est le travail du statisticien, cela consiste à produire, à publier justement des statistiques de façon détaillée possible pour constituer une forme de sauvegarde. Donc il faut vous renseigner sur la manière dont ces copies sont conservées. Pour l’instant elles permettent de répondre à des besoins de l’instant.

Dana Diminescu : Mais il y a plusieurs copies, ce n’est pas seulement celle dont dispose l’INED ?

Xavier Thierry : Mais je connais aucune autre institution qui en fasse la demande.

Dana Diminescu : Donc vous connaissez pas la procédure de stockage.

Xavier Thierry : Non. …



Partie 9 : Le stockage des fichiers   Haut


Dana Diminescu : Excusez-moi aussi, je voulais demander une information très précise : quelle est la taille et sur quel support se pratique ce stockage ?

Xavier Thierry : Maintenant cela tient sur un CD-Rom.. Ce sont des fichiers compressé, qui une fois repris leur taille normale ne sont pas installés sur mon ordinateur, mais sur des machines spéciales. Il y a des centaines de fichiers car chaque département est représenté par un fichier, puis il y a autant de fichiers que de domaines d’intérêt. Il faut donc fusionner plusieurs centaines de fichiers avant de commencer à travailler. Cela aboutit à des volumes de données très important.

V.B. : Cela tient sur un CD, mais il faut une énorme machine pour…

Xavier Thierry : Il faut une machine puissante pour pouvoir les décompresser. Par exemple le fichier des titres de séjour délivrés est formé de 20 millions de lignes. C’est forcément très lourd parce que sur chaque ligne (un titre), vous avez plusieurs variables pour décrire de titre.



Partie 10 : Evolution des méthodes de recherche dans le contexte des NTIC    Haut


Dana Diminescu : Une dernière question sur l’évolution de nos méthodes de recherche dans le nouveau contexte des TIC ?

Xavier Thierry : Ce qui a changé ce sont les modes de production statistique. Avec la loi Chevènement, c’est la première fois que dans une loi sur l’entrée et le séjour des étrangers, il y avait un article qui imposait au ministère de l’Intérieur de présenter chaque année un rapport au Parlement sur la statistique des titre de séjour. Donc comme AGDREF était fait pour cela puisqu’on l’a vu dans les quatre finalités d’AGDREF, la finalité statistique est inscrite, donc il n’y avait pas de plan de défausse. On pouvait pas se défausser en disant «  non, non, on n’a pas l’outil.. », l’outil ayant été créé pour cela. Donc, a été produit pour la première fois, grâce à cette disposition juridique, et grâce à cette base de données, un document intitulé « les titre de séjour des étrangers en France en 1998 ».

Avant ce premier rapport, la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, qui est la Direction au ministère de l’Intérieur qui gère AGDREF, avait bien réalisé des notes statistiques sur les délivrances de titre de séjour. Il y a eu notamment une note en 1996, mais qui est restée pour ainsi dire confidentielle. C’est la seule production statistique qui est sortie du ministère de l’Intérieur. Avec la loi Chevènement, le ministère de l’Intérieur s’est mis à communiquer sur le sujet des flux migratoires.

Pour établir ses statistiques, la méthode suivait des règles de programmation très peu transparentes afin de compter le nombre d’étranger à qui l’on délivre, pour la première fois, un titre de séjour. C’est cette première délivrance, ces primo-acquérants qui forment le flux d’étrangers en France. Ce n’est pas l’ensemble des étrangers à qui l’on délivre un titre de séjour parce que dans l’ensemble des titres de séjour délivrés une année donnée, un grand nombre de titres de séjour sont délivrés en renouvellement. Près 600 000 titres de séjour sont délivrés chaque année en France. Sur ces 600 000, vous n’en avez près de 150 000 qui sont délivrés à des primo-acquérants. La difficulté de l’exercice est qu’il faut trier et sélectionner dans ce flux de renouvellement pour identifier les premiers titres. Et justement, dans les premiers rapports au Parlement, les règles qui permettaient de trier ces premiers titres n’étaient pas écrites. Je n’ai jamais pu avoir les programmes. Donc les règles informatiques étaient de qualités assez douteuses. Dans les premiers rapports, les premiers titres comprenaient des personnes qui étaient nées en France. S’agissant d’évaluer l’immigration, il paraît élémentaire de compter des personnes qui sont nées à l’étrangers et qui sont venues en France, mais pas des gens qui sont nés en France et puis un jour qui ont besoin d’un titre de séjour. Le ministère prétendait ne pas être intéressé par la mesure des flux migratoires, mais seulement par une évaluation de l’activité en préfecture, ce qui le conduisait à n’exclure aucun type de titre. Depuis il a revu sa méthode sur ce point. On pourrait prendre d’autres exemples.

Les variables qui étaient utilisées étaient des variables non pertinentes. Il y avait beaucoup de problèmes. Et ces problèmes se sont de toute façon révélés à un moment donné lorsque le rapport de 1999, qui portait sur la situation de 1998, a commencé à circuler, notamment au sein du Groupe statistique du Haut Conseil à l’intégration, dont j’étais membre à l’époque. Le bilan statistique contenu dans ce rapport devait enregistrer les effets de la circulaire de régularisation exceptionnelle. Quand j’ai vu les premiers tableaux, c’était manifeste qu’il y avait un problème. Il manquait 50 000 titres. Il y a eu une vraie erreur informatique, qui montrait que la production statistique était mal contrôlée. Donc le rapport a été mis au pilon et on a refait un nouveau rapport. Et c’est là que le ministère de l’Intérieur a jeté l’éponge, et a dit en quelque sorte « puisque c’est comme ça, puisque vous êtes pas contents, la statistique, vous vous la ferez tous seuls ! » C’est à partir de ce moment-là que l’INED a eu les fichiers.

Dana Diminescu : Et chaque année vous recevez ces fiches ?

Xavier Thierry : Donc maintenant on a chaque année des copies des fichiers interdépartementaux AGDREF. Au lieu d’aller directement chercher les informations dans l’application, qui est vivante, qui ne s’endort que la nuit, le ministère procède des extractions, et ce plusieurs fois par an.

Dana Diminescu : Pourquoi ils en ont besoin ?

Xavier Thierry : Parce qu’ils ont toujours à faire un rapport. A partir du moment où j’ai eu ces fichiers pour la première fois en 2000, j’ai recalculé les flux 1994, 1995, 1996, 1997, que j’avais établi d’après les calculs du ministère, qui étaient inopérants, dont je ne connaissais pas les règles de programmation. Je me suis rendu compte alors que ce n’était pas juste. Donc j’ai tout recalculé, et puis maintenant, je tiens à jour chaque année, grâce aux extractions annuelles, les flux de l’année n-2. Là par exemple, je vais publier 2002, nous sommes fin 2004.
,

Ministère de l’intérieur, Les titres de séjours des étrangers en France, Ministère de l’Intérieur, DLPAJ, Rapports au Parlement, années 1998 à 2002.

Preuss-Laussinotte Sylvia, 2000, Les fichiers et les étrangers au cœur des nouvelles politiques de sécurité, Bibliothèque de droit public, 410 p.

Neyret Guy, Thierry Xavier, Tribalat Michèle, 1998, Rapport final de la mission statistique sur les ressortissants étrangers au Ministère de l'Intérieur, INED-INSEE, rapport officiel, 195 p.

THIERRY Xavier, 2000, Les entrées d’étrangers en France : évolutions statistiques et bilan de l’opération exceptionnelle de régularisation de 1997, Population (« Chronique de l’immigration »), 55/3, 567-620.

THIERRY Xavier, 2001, Les entrées d’étrangers en France de 1994 à 1999, Population (« Chronique de l’immigration »), 56/3, 421-448.

THIERRY Xavier, 2001, Fréquences de renouvellement des titres de séjour, Population (« Chronique de l’immigration »), 56/3, 449-466.

THIERRY Xavier, 2002, Peut-on compter sur les titres de séjour pour connaître la population étrangère?, Atelier Euro-Méditerranéen sur les sources statistiques et administratives pour les statistiques de migration, Atelier EUROSTAT MED-MIGR (Rome, octobre 2002).

THIERRY Xavier, 2001, The use of data from the ministry of the interior to measure inflows in France, Atelier Euro-Méditerranéen sur les sources statistiques et administratives pour les statistiques de migration, Atelier EUROSTAT MED-MIGR (Paris, Avril 2001).

THIERRY Xavier, 2004, L’utilisation des micro-données relatives à la délivrance des titres de séjour en France, un changement de cap ?, colloque international de l’AIDELF, Budapest, à paraître.

THIERRY Xavier, 2004, Evolution récente de l’immigration en France. Une comparaison avec le Royaume-Uni, Population, à paraître.




Sur le même thème