Entretien
Notice

MARCEL OTTE (LIEGE, 2022)

Réalisation : 21 juin 2022 - Mise en ligne : 31 décembre 2022
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Descriptif

MARCEL OTTE, Après André Leroi-Gourhan

Historien paléoanthropologue belge, Marcel Otte est Professeur Ordinaire Émérite de Préhistoire à l'université de Liège, en Belgique, et Correspondant, Institut de Paléontologie Humaine, Paris.

 

" Comme les armes modernes, « mon déclic » fut tiré en rafales. À l’instar d’Obélix, je suis tombé dans la marmite à ma naissance : avant de savoir écrire, mes cuisses de gamin étaient blessées par les cailloux, investis de rêves, mais cruellement déchirants au travers les poches trouées de mes courtes culottes. Les découvrir, les récolter, les « sentir », leur transmettre mes illusions, prit la place des jeux de billes et de foot, considérés avec méfiance. Les rôles joués par mes grandes sœurs ont peut-être allumé cette sensibilité et ce goût aux rêves, à la beauté. Cette enfance fut consolidée par un « parrain » cultivé, amoureux de la nature, des roches et des fleurs. Cette nature où je me réfugiais m’a offert une connivence compensatrice à la fréquentation humaine, ressentie comme vaguement triste.

L’adolescence fut plongée dans la musique, la philosophie et la littérature : toutes formes de beautés profondes où je me sentais nager, libre comme un poisson. Sartre, Gide, Brel, les Beatles, tous à la fois, offraient une consistance profonde à l’appel troublant vers la nature et la destinée humaine, par conséquent au passé pressenti dans les cailloux de mon enfance : pourtant aucun d’eux n’en parlait, comme s’ils étaient seulement aspirés vers le futur. Un sombre abîme devait logiquement se placer entre mes pierres et leurs beautés intellectuelles.

Plus de choix possible donc : à dix-sept ans je devais faire de la Préhistoire ! Les strates de l’enfance et de l’adolescence superposées constituaient un socle inébranlable. À la Faculté, la rencontre avec mon professeur, Hélène Danthine, puits de science et de sensibilité, fut explosive. Cette Dame d’un autre âge offrait toute sa passion, chargée d’une immense érudition, et sa personnalité rayonnante entra aussitôt en résonance avec la mienne, précisément parce qu’elle aimait aussi l’art, la pensée religieuse, la musique et la littérature.

Durant cette formation généreuse et stimulante, les rencontres avec André Leroi-Gourhan à Pincevent, François Bordes au Pech de l’Aze, Gerhard Bosinski à Gönnersdorf, Hallam Movius à Pataud, Semenov à Leningrad, Jacques Tixier à Ksar Aqil, et de plusieurs autres me firent oublier tout le reste des connaissances académiques. Plongé dans le bain à m’y noyer, il me restait à introduire la réflexion théorique dans tout cela, à savoir comprendre plutôt que seulement aimer. Le geste et la parole, âprement médité, m’y engagea d’emblée mais la fascination exercée par les avalanches de volumes lumineux comme ceux de Claude Lévi-Strauss, Mircea Eliade, Ernest Cassirer, André Malraux me poussèrent, via autant de « déclics », à grimper encore. L’accroche, subtile et parallèle, à la philosophie antique, aux conceptions religieuses orientales, l’attrait maladif aux voyages lointains, les chaleureux contacts avec les familles exotiques me montraient les voies du plaisir, de la tolérance et la saveur d’un passé aussi harmonieux qu’éternel. La préhistoire humaine était donc faite de cela : une succession de ces états, en parfait équilibre avec la nature et soi-même, via leur superstructure mythologique, à peine consciente, manifestée par les coutumes qui s’y accrochent, à travers les chants qu’elle suscite et grâce aux rêves, à la fraternité et à la chaleur qu’elle provoque, par à sa fonction rassurante."

« Les Déclics »,  Archeologia, 2015

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