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Langue :
Français
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UTLS - la suite (Production), Pierre Carli (Intervention)
Conditions d'utilisation
Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/njnf-hy83
Citer cette ressource :
Pierre Carli. UTLS. (2004, 20 janvier). La gestion médicale des catastrophes et des situations d'urgence , in Les nouvelles thérapies, soigner demain. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/njnf-hy83. (Consultée le 18 mai 2024)

La gestion médicale des catastrophes et des situations d'urgence

Réalisation : 20 janvier 2004 - Mise en ligne : 20 janvier 2004
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Descriptif

La constatation que les services d'urgence et les hôpitaux pouvaient avoir à faire face inopinément à de nombreuses victimes s'est imposée non seulement aux personnels médicaux mais aussi aux décideurs politiques. Les évènements du 11 septembre 2001 à New York, l'accident de l'usine AZF à Toulouse, illustrent la pertinence de ce risque dans une grande ville. L'épidémie de SRAS, la canicule en sont d'autres exemples. L'utilisation de moyens non conventionnels à des fins terroristes (arme NRBC : Nucléaire, Radiologique, Biologique et Chimique) souvent appelés armes de destruction massive par les anglo-saxons est aussi devenue une probabilité plus qu'un scénario de science fiction. Dans un contexte accidentel naturel ou technologique les structures de soins sont au minimum des « victimes » de la catastrophe. Pour le terrorisme ce sont même de véritables cibles car leur désorganisation crée un sentiment d'insécurité majeur. En conséquence l'organisation des structures de soins est le principal enjeu de la catastrophe ou de l'attentat. Développée par la circulaire « Afflux de victimes » de mai 2002 la stratégie de prise en charge de victimes du terrorisme NRBC en France est une variante du dispositif de prise en charge des victimes multiples. Elle repose sur une utilisation en réseau des capacités de soins et d'expertise au cours de l'évènement. Ce réseau est constitué à froid et part de chaque établissement de santé pour s'étendre territorialement jusqu'à la zone de défense. Il illustre le fait que la prise en charge de victimes en grand nombre dépasse les possibilités d'un hôpital et nécessite une coordination étroite pendant l'événement de tous les services d'urgence impliqués ou susceptibles de l'être. L'objectif de cette conférence est d'expliquer les bases de la médecine de catastrophe ainsi que l'organisation du dispositif de prise en charge des victimes dans diverses circonstances, aussi bien à l'extérieur de l'hôpital que dans les structures de soins hospitalières. Les spécificités françaises de cette organisation sont l'objet d'un développement particulier. Les limites du dispositif et l'évolution souhaitable du cadre réglementaire sont discutées. Références : Bozeman WP, Dilbero D, Schauben JL. Biologic and chemical weapons of mass destruction. Emerg Med Clin N Am 2002 ; 20 : 975-93 Circulaire DHOS/HFD N° 2002/284 du 3 mai 2002 relative à l'organisation du système hospitalier en cas d'afflux de victimes

Intervention
Thème
Documentation

Transcription de la 523 e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 20 janvier 2004

Pierre Carli « La gestion médicale des catastrophes et des situations d'urgence »

En terme médical, en terme de prise en charge de soins, l'apparition d'un grand nombre de victimes à la fois est quelque chose qui conduit à une désadaptation temporaire de notre possibilité de soin - une désadaptation entre la demande et l'offre. Ceci porte davantage sur l'aspect quantitatif que sur la qualité. Il est très rare que la complexité des soins nous dépasse, il est beaucoup plus fréquent qu'alors qu'on sait ce que l'on peut et ce que l'on doit faire, on n'arrive pas à le faire à ce moment-là parce qu'il y a beaucoup de chose à faire à la fois. Ceci pose donc un défi organisationnel majeur pour les hôpitaux.

Principes fondamentaux de la médecine de catastrophe

Revenons aux bases de la médecine de catastrophe et dans ce contexte à quelques notions inventées par des Français. Le baron Larrey, le général Percy pendant les guerres napoléoniennes - la guerre étant à cette époque une catastrophe sanitaire évidente - ont compris très rapidement que ce qui devait guider les soins quand il y avait de nombreuses victimes et de nombreuses personnes à prise en charge, c'était essentiellement la gravité de leur atteinte. Peu importe que le blessé soit général ou capitaine s'il est gravement atteint. On soignera d'abord un jeune sergent s'il est plus gravement atteint. Cette notion de faire passer le grave avant ce qui l'est moins est totalement d'actualité aujourd'hui. Pour nous elle repose souvent sur une classification binaire : il y a des urgences très graves qu'on appelle urgences absolues et des urgences moins graves qu'on appelle urgences relatives. Ceci est directement lié à ce que Larrey et Percy faisaient il y a plus de trois siècles. Sur une gravure (fig. 1), on voit un blessé pris en charge sur un champ de bataille par une ambulance avec un médecin, un chirurgien et tout ce qu'il y avait à l'époque de possibilités techniques. Nous sommes en 1794. A côté, on voit aussi une équipe chirurgicale qui se rend directement sur le champ de bataille, directement au contact des blessés et des victimes graves : ce sont les ancêtres du SAMU. Ils développaient une idée simple, c'est que les soins spécialisés doivent aller au plus près des victimes. C'est un deuxième principe essentiel dans la prise en charge des urgences collectives. Le troisième principe après le principe de tri, le principe du rapprochement des soins, c'est leur standardisation. Dans le combat inégal qui nous oppose à de multiples victimes avec un nombre restreint de médecins et de moyens, nous n'avons qu'un seul avantage qu'il ne faut surtout pas perdre : c'est que le diagnostic est plus simple et que les soins peuvent être standardisés parce que l'ensemble des victimes, qu'ils soient malades ou blessés, ont été touchés par le même phénomène, par la même cause. Une fois le diagnostique effectué, alors, on peut mettre en place un même traitement pour tous, en l'adaptant, bien sûr, à la gravité qui va être le facteur discriminant entre ces différentes victimes. Standardiser les soins cela signifie bien souvent les résumer à un dossier extrêmement simple. La figure 2 reproduit la fiche médicale remplie sur le terrain et qui suivra une victime jusqu'à son hospitalisation et même après puisqu'elle constitue bien souvent la preuve qu'une personne a été impliquée dans un tel phénomène.

Du plan rouge au plan blanc

L'application de ces principes au cours des vingt cinq dernières années a donné lieu à la mise en place de plans : le plan rouge et un précurseur du plan blanc surtout en région parisienne. L'objectif de ces organisations médicales était de faire face à ce qui apparaissait à l'époque comme un nombre important de victimes, quelques centaines ou quelques dizaines, que nous rencontrions de manière relativement exceptionnelle lors d'un accident de train, d'un carambolage d'autoroute, lorsqu'il y avait un incendie dans un grand immeuble, une explosion accidentelle ou terroriste comme les attentats perpétrés dans les années 1995 ou 1996. Notre stratégie jusqu'à il y a quelques années était fondée sur ces expériences qui étaient exploitées de manière tout à fait efficaces. Dans ce contexte la stratégie typiquement française avait pour but d'éviter de déplacer la catastrophe vers l'hôpital et d'éviter de le déplacer en transportant d'une manière qui peut être anarchique, rapide et non programmée, l'ensemble des victimes vers l'hôpital le plus proche. L'objectif de cette stratégie était de fragmenter ce flux et surtout de permettre de maximiser la qualité des soins pour chacun afin de se rapprocher le plus possible d'une prise en charge individuelle des victimes.

Cette approche est à l'opposée de celle développée dans les pays anglo-saxons, qui consiste, lors d'une catastrophe, à transporter le plus rapidement possible les victimes vers le, ou éventuellement les deux ou trois hôpitaux les plus proches. Dans ces hôpitaux, se met en place un plan spécial d'afflux pour prendre en charge les victimes. Bien souvent, l'hôpital est dépassé et dans les heures qui suivent on organise le transfert vers d'autres établissement - transfert qui ne se fait pas dans des conditions simples surtout si l'on est dans un contexte d'attentat. C'est ce qui s'est passé par exemple lors de l'attentat d'Oklahoma City en 1995 qui fit trois cents victimes. Dans la première heure qui suivit l'explosion environ 140 patients furent transportés vers les deux hôpitaux de la ville qui étaient les structures les plus proches. Parmi ces patients plus d'un tiers avait une détresse vitale qui nécessitait des soins immédiats. La stratégie américaine, on le voit, consiste à transporter immédiatement les victimes vers les structures hospitalières les plus proches sans essayer d'endiguer le flux des patients et de leur donner des soins au plus près de l'endroit où ils ont été blessés. Des études montrent que de nombreuses victimes doivent être retransférées et la qualité des soins s'en ressent. En effet, la réduction des transferts est un élément essentiel en terme de qualité de soins.

En France, la manière d'aborder les attentats de 1995-1996 (4 attentats qui ont fait plusieurs dizaines de victimes) a été totalement différente. Contrairement au schéma anglo-saxon, on voit un sigle : le PMA. Il s'agit du poste médical avancé qui est une unité de soins sur le terrain. Les SAMU, les SMUR, les pompiers vont travailler dans une unité qui va permettre ensuite d'utiliser d'autres ressources que l'hôpital le plus proche. On assiste, en effet, à une utilisation maximum de ce qui est à portée en termes de soins, en termes d'hôpitaux, en termes de réanimation, en termes de services d'urgence.

Cette stratégie - plan rouge, plan blanc - a deux points forts : le poste médical avancé et la possibilité de coordonner le départ des patients, c'est-à-dire de réguler médicalement les blessés. Le but est de fragmenter l'afflux initial pour se rapprocher le plus vite possible de conditions où la prise en charge est presque individuelle. Dans un poste médical avancé on apporte du matériel, on amène des médecins, des équipes, on pratique la distinction entre ceux qui sont gravement atteints, ceux qui le sont moins, on leur donne des soins médicaux et on les évacue de manière contrôlée vers des hôpitaux. Ce travail d'évacuation contrôlée est fondamental parce qu'il va permettre d'envoyer un grand nombre de victimes non pas vers un seul hôpital mais vers plusieurs. Il s'agit, autant qu'il est possible de traiter les victimes en fonction de leur pathologie et de la gravité, de proposer à chaque fois une prise en charge particularisée et spécialisée.

Parmi ces soins spécialisés, il y en a un qu'il faut souligner, c'est la prise en charge psychologique. Nous sommes un des seuls pays capable sur le terrain, pour les personnes impliquées dans un phénomène de catastrophe, pour celles qui sont légèrement blessées d'abord, puis plus tard pour celles qui sont plus gravement blessés, d'offrir une prise en charge psychologique. C'est important, car cela permet de savoir ceux qui vont avoir des séquelles psychiques traumatiques importantes et ceux qui ont immédiatement des signes aigus pour lesquels il y a des traitements, notamment des médicaments.

Lorsque l'on va effectuer le transfert des victimes du lieu de la catastrophe vers les hôpitaux, ce transfert sera régulé médicalement. Cela signifie que les hôpitaux non seulement auront été prévenus et pourront s'organiser, mais également que le nombre des victimes à hospitaliser sera fragmenté en fonction du nombre des structures hospitalières à disposition. Ainsi, si l'on doit transférer une centaine de victimes et que vous disposez de 10 hôpitaux, chaque hôpital verra affluer de manière contrôlée une dizaine de victimes. En outre, cela permet de transférer les victimes dans l'hôpital adéquat afin qu'elles puissent y être soignées au mieux, sans avoir à être transférées de nouveaux vers une structure plus adéquate.

Dans les années 1995-1996 notre système nous paraissait non seulement efficace mais approprié aux situations de catastrophes que nous rencontrions. La prise en charge préhospitalière, permettant une fragmentation du flux, semblait suffisante dans la majorité des cas. Il y eut pourtant des prémices pour nous indiquer que les situations pouvaient être plus difficiles à gérer. Ce fut le cas lors de l'effondrement d'une tribune dans le stade de Furiani en 1992. Les victimes furent transportées à l'hôpital de Bastia qui se trouve dans la même rue. En outre, Bastia ne dispose que d'un hôpital et d'une clinique, ce qui limitaient les solutions pour répartir des blessés. Dans le cas d'une catastrophe à la porte d'un l'hôpital, ou quand il n'existe qu'un seul hôpital, malgré le dispositif préhospitalier, on se retrouver dans des circonstances où un afflux considérable de victimes arrive à l'hôpital, avec ce que cela signifie en termes de débordements et de saturation des services médicaux.

C'est aussi ce qui est susceptible de se produire lorsque le nombre des victimes est extrêmement important. On pense à l'attentat du 11 septembre 2001, avec près de 3500 victimes. En France, l'explosion de l'usine AZF nous a placé dans une situation de ce type avec plus de 3 500 victimes. Ces victimes étaient éparpillées dans la ville, ce qui est la situation la plus difficile pour essayer de les prendre en charge dans des conditions pré-hospitalières, avec, très rapidement, des victimes qui pouvaient donc marcher, se déplacer et qui sont allées tout naturellement, avec bon sens, vers l'hôpital le plus proche de l'endroit où elles se trouvaient. Les services d'urgence de ces hôpitaux ont été rapidement surchargés par ce nombre de victimes. Cette situation nous a obligé à réviser considérablement notre pensée. A Toulouse, on s'est rendu compte de la chose suivante : de manière instinctive, mais somme toute très efficace, les gens des hôpitaux, des SAMU, des SMUR, des services d'urgence ont compris que la solution c'était de travailler ensemble et de se mobiliser dans un même objectif. Ils ont donc participé très largement, bien en dehors de la ville de Toulouse, bien en dehors du département, au niveau de la région, voire même plus encore, à la prise en charge de ces victimes. Cette notion est essentielle car elle donne la clé de l'organisation lorsqu'il y a de très nombreuses victimes : c'est la coopération entre les services et l'utilisation de toutes les ressources à notre disposition.

L'enseignement de Toulouse fut pour nous le suivant : les victimes iront là où elles veulent (en fait là où elles peuvent), on les prendra en charge là où elles sont, et la réponse à l'afflux de victimes c'est un réseau dans lequel chacun a un rôle à jouer, avec le SAMU dans un rôle de coordination.

Le plan blanc

La constatation qu'avec un très grand nombre de victimes (auquel nous n'étions pas préparés) l'hôpital pouvait être débordé malgré un dispositif préhospitalier musclé, a conduit à une révision très claire de la stratégie qui s'est traduite assez vite par une circulaire en 2003 qui est une véritable obligation pour les hôpitaux de s'organiser et qui demande à toutes les structures de santé, quelle que soit leur taille, de pouvoir réagir dans ces circonstances. Ce fut un véritable choc culturel puisque auparavant cela concernait quelques gros hôpitaux et essentiellement les gens qui travaillaient dans les SAMU et dans les services d'urgence.

Le terme qui est employé ici est celui de plan blanc. Comme son nom l'indique, le plan blanc hospitalier a pour but de configurer l'ensemble de l'hôpital dans une seule direction : la prise en charge des victimes d'un événement unique important. Cette utilisation maximales des ressources hospitalières se fait aux dépens de l'activité programmée de l'hôpital. Dans le cadre du plan blanc on ne prend en charge que les victimes de la catastrophe. L'hôpital change complètement de figure : il devient une énorme unité d'urgence.

Le plan blanc hospitalier ne remet pas en question la prise en charge préhospitalière. Ce n'est pas parce que les victimes peuvent être partout et qu'elles peuvent venir à tous les endroits que le dispositif préhospitalier n'a pas son rôle à jouer. Au contraire, si l'on observe ce qui s'est passé à Toulouse, on dénombre en fait deux flux de victimes. Le premier est immédiat, spontanée et anarchique : ce sont les gens qui sont peu blessés et qui vont pouvoir marcher jusqu'à l'hôpital par leur propre moyen (peu blessés, peu intoxiqués, peu malades). Le second flux est constitué par les blessés qui sont pris en charge par le dispositif préhospitalier. Ce sont des victimes régulées et certainement plus gravement touchées. On voit apparaître une notion de double prise en charge pour laquelle on va arrêter les activités chirurgicales, on va mobiliser des locaux et on va augmenter le personnel de l'hôpital.

Augmenter le personnel

Cela n'a rien de simple mais on a pu tester ce que cela signifie en grandeur réelle.

La première chose à faire est de maintenir le personnel qui est déjà sur place. A l'hôpital généralement les équipes changent toutes les huit heures, or pour faire face à un phénomène de cette envergure, l'équipe doit rester. Cela pose tout un ensemble de problèmes notamment de logistique. Par exemple quand une infirmière reste à son poste pour faire face à un afflux de blessés et répondre à un surcroît de travail, une des questions qui peut se poser est : que va-t-on faire pour ses enfants qui sont à la crèche ? Dans les plans d'urgence, maintenir les crèches ouvertes est un des éléments essentiels si l'on veut pouvoir disposer de l'ensemble du personnel. Voilà un exemple de mesure tout à fait simple mais importante.

On peut également avoir à rappeler des gens par téléphone. Pour cela, il faut que les listings aient été réactualisés.

Enfin, il y a surtout des gens qui reviennent spontanément à leur poste. Cela doit avoir été pensé à l'avance. Ainsi dans les services d'urgence un point de ralliement précis a été déterminé. Lorsque les personnels reviennent ils vont vers une fonction précise qui a été déterminée à l'avance, ce qui fait gagner beaucoup de temps et d'efficacité.

Configurer l'hôpital

Dans ces situations d'urgence, l'ensemble de l'hôpital a été configuré ou plutôt reconfiguré. Qu'est-ce que cela signifie ?

Après l'anesthésie, on emmène les malades dans une salle de réveil. Cette salle de surveillance postinterventionnelle est un endroit où l'on a de quoi monitorer le cSur, éventuellement assister la ventilation, la circulation, les fonctions vitales, etc. Lors d'un phénomène d'afflux de victimes et en cas de déclenchement du plan blanc, cette salle devient une unité de réanimation où l'on admet directement des patients qui viennent de l'extérieur. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'un endroit où on a du matériel, des compétences, du personnel, des médecins anesthésistes, des infirmières qui ont l'habitude des personnes qui sont dans un état éventuellement critique. On reconfigure rationnellement et pragmatiquement les différents lieux d'un hôpital.

Il en va de même pour l'hospitalisation. Au cours d'un plan blanc, on peut très bien hospitaliser des victimes de traumatisme dans un service de chirurgie, mais ça peut être un service de chirurgie cardiaque ou un service de médecine. L'utilisation de tous les lits disponibles dans l'établissement au moment où est déclenché le plan devient légitime. Cette adaptation des structures est faite d'un ensemble de petits détails et de réflexions qui, en pratique, évitent à la machine hospitalière de se gripper dans ce dispositif rapide de mobilisation. Par exemple, tout le fléchage a du être repensé et adapté à ce type de situation : si les salles n'ont plus leur fonction habituelle alors il faut remplacer le panneau par un autre. Il faut aussi penser à la circulation des ambulances qui doivent pouvoir toutes rapidement accéder à l'hôpital, etc. Ce sont des choses absolument évidentes, rudimentaires mais il faut les faire vite.

Le pré-équipement des salles ou des locaux est un aspect important. C'est pourquoi, souvent dans le hall d'entrée d'un hôpital on trouve des prises qui amènent de l'oxygène, du vide, des équipements médicaux ; c'est pour le plan blanc, c'est pour utiliser cette place d'une manière différente en cas de nécessité.

Les risques NRBC

Avec le plan blanc l'hôpital dans son ensemble se mobilise et se reconfigure. Il entre dans une phase critique où en quelques dizaines de minutes il doit modifier complètement son fonctionnement pour faire face à un afflux de victimes. Cet afflux de victimes prend une dimension très particulière quand on rentre dans le cadre des risques NRBC. Ce sigle signifie nucléaires-radiologiques, biologiques et chimiques. C'est une triade infernale qui peut provoquer de très nombreuses victimes. Bien souvent quand elle est évoquée dans la presse ou les médias, c'est de manière inappropriée et sans tenir compte des spécificités de ces différents problèmes.

NRBC c'était avant tout des armes utilisées par des militaires dans des guerres. Mais ces armes si elles sont utilisées à faible concentration sur une population civile, simplement en répandant des produits toxiques ou en créant une explosion avec des matières contaminantes, produisent de très nombreuses victimes. Il ne s'agit pas toujours des victimes graves. De ce point de vue l'appelation d'origine anglo-saxonne d'armes de destruction massive ( weapons of mass destruction), n'est absolument pas justifié. Elles ne détruisent pas, elles désorganisent en créant de nombreuses victimes et en produisant un climat de grande panique simplement parce qu'elles frappent une population qui n'est pas préparée.

Dans ce contexte, les victimes sont souvent, pour l'hôpital, le premier signe annonciateur d'un tel phénomène. Ces victimes vont se concentrer très vite sur les endroits où on peut les prendre en charge. Très clairement, la qualité de cette prise en charge est l'élément essentiel de la réponse du système. Si on ne sait pas prendre en charge les victimes il y a un vrai risque pour elles (graves séquelles voire mort), alors que, si l'on sait s'organiser et les soigner, on a toutes les chances de faire quelque chose de positif pour elles et d'en sauver le plus grand nombre. On voit bien que l'enjeu organisationnel peut devenir vital.

Pour bien se représenter ce qui peut se produire dans une telle situation, il suffit de se reporter à la figure 3 qui représente les afflux de victimes dans les hôpitaux selon les types de problèmes rencontrés. La courbe rose indique l'afflux de victimes à l'hôpital lorsqu'on est face à un phénomène d'intoxication aiguë par un composé chimique. Dans un laps de temps relativement court (qui n'est pas indiqué parce qu'il dépend de l'agent chimique en cause) de très nombreuses victimes vont se précipiter dans un certain nombre de services d'urgence. Une pression énorme est exercée sur ce service avec pendant quelques heures un afflux majeur de victimes. C'est très différent lorsqu'il s'agit d'un modèle épidémique, par exemple d'une contamination bactériologique. Au départ on ne dénombre que quelques cas. Le problème dans ce cas n'est pas de gérer une pression soudaine et importante, mais de repérer le phénomène pour agir et si possible pour agir avant que le phénomène ne prenne trop d'ampleur, c'est-à-dire avant de voir apparaître un trop grand nombre de victimes. Autrement dit, si vous ne parvenez pas à identifier le problème, si vous ne le savez pas, si vous ne le voyez pas, si vous ne pouvez pas l'arrêter et s'il s'agit d'une maladie contagieuse, il n'y a pas de limite, ça peut aller très loin, vers des phénomènes très difficilement contrôlables en terme de santé. L'hôpital est le siège d'un impact fort. Cet impact fort dépend de plusieurs facteurs. Certains ne dépendent pas de l'hôpital dans ces circonstances, ils dépendent par exemple de la rapidité de la spécificité de l'alerte, de la prise en charge préhospitalière, etc. On peut aussi envisager la possibilité de renforts : si l'hôpital reçoit de nombreuses victimes, on peut non seulement utiliser le personnel mais aussi projeter devant l'hôpital du matériel (de décontamination dans le cas d'intoxication chimique) ou des équipes de réanimation qui viennent assister cet hôpital à l'endroit où les victimes se concentrent. Les facteurs de l'hôpital lui-même jouent un rôle dans la gestion de ce phénomène et dans l'impact qu'il va avoir. Si l'hôpital est à la porte de la catastrophe, il peut être pris de court. Si l'afflux de victimes dépasse de dix fois les capacités de l'hôpital, la situation est évidemment d'autant plus grave. La préparation opérationnelle des équipes est un facteur qui lui joue en faveur même si la circonstance dépasse largement ce qui était prévu.

Dans des circonstances NRBC, qu'est-ce qui fait la différence par rapport aux situations vues précédemment ? Le nombre des victimes probablement. Mais il y a un risque supplémentaire et ce risque est majeur pour l'organisation et la compréhension du public. Il y a dans un phénomène NRBC des victimes primaires : des gens qui viennent à l'hôpital parce qu'ils se sont retrouvés pris dans cet événement, mais ces victimes peuvent devenir elles-mêmes un agent vulnérant, elles peuvent être contaminantes et de ce fait créer des victimes secondaires parmi les personnels de secours et de santé. Pour prendre en charge les victimes, il faut aussi savoir se protéger en tant qu'équipe soignante. Un attentat ou un accident NRBC peut transformer l'hôpital en une véritable cible. On peut même se demander dans le contexte du terrorisme si ce n'est pas l'objectif : toucher au cSur notre société, toucher le système de santé lui-même, c'est-à-dire la possibilité de prise en charge et de réaction.

Comment organiser une réponse adéquate ? Il y a une double composante, d'une part médicale (il faut des connaissances spéciales dans ce contexte nucléaire, radiologique, chimique) et d'autre part organisationnelle (organiser l'hôpital pour faire face à quelque chose qui peut contaminer et incapaciter les équipes soignantes).

Dans ce cadre on doit déterminer des niveaux de compétence : tout le monde ne peut pas intervenir de la même façon. Chaque établissement hospitalier a la mission, à l'heure actuelle, de déterminer quel est le rôle dans la prise en charge des victimes (rôle spécialisé ou non). Il faut déterminer les services qui sont désignés pour accueillir les victimes et la mise en place de procédures spécifiques. Tout ça est envisagé non seulement au niveau des établissements hospitaliers mais également au niveau des départements. L'ensemble des hôpitaux et des structures de soins du département sous le contrôle du préfet pendant la crise se retrouve à mettre en place un schéma organisationnel qui va permettre de répartir les victimes en utilisant au mieux les ressources de chaque établissement. Par exemple on ne demandera pas à une petite clinique spécialisée dans l'ophtalmologie de prendre en charges les réanimations, en revanche elle recevra un rôle adapté à ses compétences et à ses structures.

Cette organisation dépasse même le cadre du département pour s'étendre jusqu'à la zone de défense. Les zones de défense (CF. fig. 4), ce sont des fragments du territoire national qui peuvent devenir en cas de nécessités complètement autonomes. Des préfets de zone de défense désignent avec les professionnels, les médecins des SAMU, les DASS, les ARH, les hôpitaux qui vont prendre en charge les victimes et les hôpitaux qui vont organiser le réseau lors d'un problème nucléaire, chimique ou biologique.

Le risque Chimique

Le risque chimique est omniprésent. Des camions de matière dangereuse il en passe tous les jours sur le périphérique, certains même traversent Paris, il y a des usines dans les départements de la petite couronne, certaines grandes villes françaises comme Lyon ont des pôles chimiques en plein centre ville... Ce n'est donc absolument pas un risque hypothétique, et l'on peut avoir une même réponse pour l'attentat terroriste et pour l'accident industriel. Cela a un gros avantage, cela permet d'avoir une communauté d'actions, une communauté de matériel, une communauté de protocole pour la prise en charge des patients.

Pour avoir une idée de la dimension que peut prendre un tel phénomène, il faut se remémorer l'accident de Bhopal en décembre 1984. L'explosion de cette usine chimique est survenue à la suite d'une petite erreur de manipulation qui va entraîner l'explosion d'une cuve. Un nuage extrêmement toxique d'isocyanate de méthyle va être projeté dans l'atmosphère (42 tonnes vaporisées en quelques minutes) et se répandre sur la ville laquelle est surpeuplée et peu développée. L'effet sur la population est catastrophique. De très nombreuses victimes dans les rues se précipitent en suffocant vers le seul hôpital de la ville, un hôpital mal équipé avec peu de matériels, peu de personnel médical, etc. Aucune prise en charge préhospitalière n'est mise en place. De nombreuses personnes vont mourir par défaut de soins.

Les professionnels de la médecine de catastrophe ont tiré de l'accident de Bhopal des enseignements importants : un enseignement concernant la prévention, qui n'est pas un enseignement médical mais certainement l'enseignement le plus important, et un enseignement quant à l'organisation médicale. L'organisation médicale face à un risque toxique aussi violent est fondamentale car la lourdeur du bilan va être la conséquence directe de l'absence de prise en charge, notamment des grandes détresses vitales. Dans le cas de Bhopal c'était la suffocation.

Un autre exemple beaucoup plus récent peut être donné. Il s'agit de l'attentat dans le métro de Tokyo au gaz sarin en 1995. Le sarin sous forme liquide va être vaporisé à 8 heure du matin, à une heure de pointe, et va provoquer de très nombreuses intoxications. Cet attenta far 12 morts, et près de 5000 victimes, dont un millier seront hospitalisées. Le lieu où s'est déroulé l'attentat est important : c'est un grand centre, un grand nSud ferroviaire qui a été touché. A L'attaque a lieu à 7h55. Dans les minutes qui suivent de nombreuses victimes vont affluer dans les hôpitaux et notamment à l'hôpital Saint-Luc, qui est un hôpital moderne, comptant 700 lits. Ces victimes arrivent à pied aux urgences, seules, en pleurant et en se couvrant les yeux. Quelques minutes plus tard, arrivent des ambulances avec des victimes plus graves qui sont allongées. En une heure les urgences de l'hôpital Saint-Luc reçoivent 500 victimes, dont la majorité sont arrivées seules. Il n'y eut pas, ou peu de décontamination prévue à l'extérieur de l'hôpital. L'attentat et le sarin ont été identifiés très tardivement, on n'a pas pu utiliser les médicaments qui pouvaient stopper l'intoxication. Personne ne savait qu'il fallait se protéger des victimes. En conséquence, le personnel du service d'accueil s'est contaminé en donnant les premiers soins. Dix minutes plus tard, l'ensemble du personnel d'accueil était incapable d'accomplir sa fonction. Ces gens ne sont pas morts, mais ils ont été malades durant plusieurs jours, incapables d'exercer leurs fonctions et de prendre en charge les victimes plus touchées.

Les messages de Tokyo ont guidé notre action. Dans un pays moderne où la qualité des soins est importante comme au Japon, où l'accès aux soins est à peu près identique à celui qu'on a en France, les victimes se sont précipitées à l'hôpital qui n'était pas prêt pour les prendre en charge. Ces victimes contaminées ont contaminé l'hôpital, les hôpitaux ont été submergés et incapacités dans l'heure qui a suivi un tel phénomène.

La réponse au risque chimique est donc vraiment la réponse la plus difficile. C'est ce qui peut arriver de plus complexe, de plus brutal et probablement toucher le plus de monde. Il faut donc réagir sur le site de la catastrophe, s'organiser pour prendre en charge les victimes au plus près, il faut utiliser les hôpitaux qui ont l'expertise et qui donc peuvent se protéger notamment et disposer des médicaments et des moyens qui permettent de détecter le phénomène et il faut réfléchir au réseau entre ces hôpitaux pour que toutes les structures puissent participer.

En termes pratiques, qu'est-ce que cela signifie ?

Sur le terrain on va baliser une zone d'exclusion. Les gens vont être pris en charge à l'intérieur de cette zone. On va mettre en place de chaînes de décontamination des victimes, afin d'ôter le toxique sur place et faire en sorte que les victimes qui arrivent à l'hôpital ne soient plus contaminantes. Conjointement, on prépare l'hôpital à l'accueil. Le personnel médical doit par exemple revêtir un équipement spécifique prévu pour ce type de contamination. Cela signifie aussi qu'ils doivent pouvoir accomplir les gestes classiques de soin avec cet équipement. D'une manière générale, l'hôpital dans son ensemble doit acquérir une culture « militaire » et l'adapter à sa culture médicale.

Le risque biologique

Un autre risque est le risque biologique. La France s'est doté du plan Biotox. Quelle est sa traduction concrète au niveau des hôpitaux ? De très nombreux agents peuvent être utilisés pour créer une épidémie artificielle. Certains ont déjà connu une médiatisation extrême et malheureusement ont fait des victimes. La réponse médicale dans ce contexte est une réponse qui là aussi doit prendre en compte le fait que les victimes peuvent propager le phénomène et propager la catastrophe. La progression se fait de façon assez lente au départ pour ensuite devenir explosive. La réponse à ce risque fait appel à des principes simples. Il s'agit d'hospitaliser les premières victimes dans des hôpitaux qui savent les prendre en charge et qui savent reconnaître l'aspect exceptionnel de la maladie qui les touche, et donc qui peuvent très rapidement l'augmentation des victimes dans les jours qui suivent. Il faut aussi se protéger. Les tenues qui seront revêtues sont plus proche des tenues que l'on rencontre dans les services de réanimation et les services de maladies infectieuses. De ce point de vue le personnel médical et soignant retrouve une culture qu'il connaît et maîtrise. Cette protection est essentielle car le personnel peut devenir le vecteur de propagation de l'infection.

Dans ce contexte, ce qui est problématique c'est la gestion de la montée en puissance. On n'assiste pas à un afflux initial important au départ, mais à la prise en charge de quelques patients hospitalisés, mis à l'isolement dans des services spécialisés. Puis avec l'augmentation du nombre de victimes on va recruter un certain nombre de services (services de maladies infectieuses dans ce contexte), puis tous les hôpitaux qui s'orientent avec le plan blanc vers la prise en charge de ces victimes et enfin s'il le faut tous les hôpitaux de la zone de défense. Le SAMU joue un rôle important car les premiers cas vont pouvoir être repérés au téléphone. Si les premiers cas sont rapidement repérés, ils vont être transportés avec un maximum de sécurité et amenés tout de suite vers le bon hôpital, c'est-à-dire l'hôpital référant, celui qui a l'expertise, qui va analyser le cas et va donner à la fois les meilleures chances au patient et également les meilleures chances pour bloquer la survenue de l'épidémie.

Le charbon (ou anthrax en anglais) rentre dans cette catégorie d'agents infectieux biologiques. Cette maladie qui touche la peau et surtout le poumon est une pneumonie mortelle qui peut être propagée par le courrier. C'est ce qui s'est produit aux USA ou des lettres pleines de bacilles d'anthrax ont été envoyées et ont provoquées la mort de plusieurs personnes. En France, des lettres suspectes ont du être traités mais aucun bacille d'anthrax n'a été découvert. En revanche, cela nous a fournit un exercice grandeur nature. On a pu se rendre compte de ce que pourrait être une infection et de ce que pourrait être la prise en charge dans nos services. Cela nous a permis de tirer plusieurs leçons.

Un autre exemple a aussi été très significatif. Il s'agit de l'épidémie du SRAS. Il s'agit d'une épidémie naturelle mais qui se rapproche de manière étonnante de ce qui pourrait se produire par exemple lors d'un attentat biologique. La France a joué un rôle très particulier dans l'épidémie de SRAS. Dans les premiers jours de l'épidémie, à l'hôpital français d'Hanoï il y a eu un appel au secours et le gouvernement français y a envoyé une mission constituée de médecins. Nos équipes sont restées plusieurs semaines dans cet hôpital, enfermées avec les patients, à mettre au point un traitement qui a été repris ensuite par l'ensemble des structures qui ont reçu ces patients. Très rapidement en France, on était informé du problème et surtout de la contagiosité et du fait que les premières victimes après les premiers patients étaient les médecins et les infirmières. Ceci a conduit à une réponse médicale tout à fait particulière assez voisine de celle qu'on aurait utilisée en cas d'attentat avec une épidémie.

On a donc utilisé ce plan avec un contrôle des admissions des patients suspects extrêmement sévère, c'est-à-dire qu'on a amené les gens dans les hôpitaux à l'isolement qui étaient les hôpitaux référents pour ce risque. On ne les a pas amenés n'importe comment, avec n'importe quelle ambulance, mais avec des gens qui connaissaient le risque, qui étaient protégés en conséquence et qui ont organisé les transferts dans les meilleures conditions possibles. Ceci était à la fois rassurant pour les victimes qui comprenaient parfaitement qu'elles étaient prises en charge par un dispositif efficace et extrêmement sûr. Ceci a certainement joué un rôle majeur dans le contrôle de l'épidémie sur le territoire française. En effet, à Toronto l'organisation médicale a été différente et les victimes ont été plus nombreuses. Les canadiens ne possèdent pas de SAMU, ils n'avaient pas d'hôpital référent, et ils ont mis les victimes dans tous les hôpitaux. Cela a eu comme conséquence d'augmenter le nombre de malades dans tous les hôpitaux et de contaminer les médecins et les infirmières. On voit bien que dans un pays dont les structures médicales sont très développées la moindre erreur ou le moindre retard dans les réactions peut entraîner une augmentation importante de l'épidémie. La marge de sécurité est extrêmement faible. Le risque biologique nécessite une organisation très spéciale. Le seul avantage de ce risque, c'est qu'il est proche de la connaissance et de la culture médicale, ce qui procure un gros avantage en terme de sécurité.

Le risque nucléaire

Le risque nucléaire et radiologique est probablement l'un des risques qui effraye le plus. Le cas que nous allons étudier est celui d'une dirty bomb, c'est-à-dire d'un explosif standard autour duquel sont placées des matières radio-contaminantes, c'est-à-dire des déchets nucléaires ou éventuellement quelque chose qui dans d'autres circonstances pourraient provoquer une explosion nucléaire si on atteignait la masse critique pour créer la réaction de fission nucléaire. On peut aussi exposer les gens à une source de radiothérapie provoquant des rayons extrêmement forts. Evidemment, le cas d'une mini bombe atomique est envisageable et provoquerait des dégâts absolument faramineux. Néanmoins, la dirty bomb représente aujourd'hui un risque réel car elle est plus facile à réaliser.

Une action terroriste qui utiliserait une telle bombe provoquerait non seulement une explosion qui blesserait des individus, mais en outre une matière contaminante se répandrait, particulièrement dangereuse dans le cas d'une contamination par voie interne. Tant que la matière contaminante reste à l'extérieure de l'organisme, on peut l'enlever, notamment au moyen d'une douche. Dès lors qu'elle vient à se fixer sur les organes elle va provoquer une activité nucléaire dans l'organisme conduisant à des lésions importantes.

La réponse à ce type de risque consiste d'abord à tout faire pour éviter la contamination. Les gens peuvent être blessés, mais ce qui rend la situation plus critique et létale c'est la contamination.

On met donc en place sur le terrain des moyens pour limiter ce phénomène de contamination. On utilise tout un système de détection des taux de radioactivité. On contrôle la zone d'explosion, on monte des douches gonflables qui permettront de décontaminer les gens, et on traite au plus vite dans les hôpitaux les mieux équipés les urgences les plus graves. L'hôpital jouera, comme dans le risque chimique, un rôle important dans la décontamination des victimes avec là une toxicité qui est bien moindre puisque la radioactivité elle-même ne donnera des signes chez ces patients que des jours, des mois, voire des semaines après. A l'inverse du risque chimique, le risque nucléaire n'est pas un risque vital immédiat.

Décontaminer les victimes peut être extrêmement simple dans ce contexte. Ainsi, par exemple, on va déshabiller avec une certaine technique, en évitant que les poussières radioactives rentrent dans ses voies aériennes, donc en lui mettant un masque. Le simple fait d'ôter les vêtements élimine 90 % de la radioactivité externe. Si en plus on dispose d'une douchette proche avec un peu d'eau et de savon, on supprime encore 8 % de contamination. Les moyens sont à la fois simples et efficaces.

Il est néanmoins nécessaire de se protéger contre les sources nucléaires, et la meilleure protection est le plastique. On va donc, par exemple, couvrir de plastique les pièces de soins ou encore les brancards. Il en va de même pour le personnel médical dont la tenue sera plastifiée.

On le voit, le risque nucléaire, psychologiquement effrayant, est en réalité plus facile à gérer pour les services d'urgence. Il n'a pas beaucoup de spécificité thérapeutique. Les moyens de décontamination sont simples (la protection peut être rapidement efficace à l'hôpital ; ce n'est pas tout à fait vrai sur le terrain où les pompiers doivent se protéger un peu différemment). Il n'y a pas de risque vital immédiat. Là encore le plan prévoit un volet précis expliquant comment ce type de victimes doit être pris en charge à l'hôpital, quels sont les matériels dont on a besoin, quels sont les médicaments, où sont-ils rangés, etc. ?

La prise en charge psychologique

Toute catastrophe dès lors qu'on y est impliqué provoque un stress énorme. Quand en plus on vous explique qu'il y a un risque de contamination, que l'on voit apparaître le personnel médical dans des tenues spécifiques (masques, tenues de protection, etc.), cela crée une panique supplémentaire. Il est donc important de pouvoir prendre en charge psychologiquement l'ensemble des individus en leur expliquant la nature du risque et la réalité du danger auquel il sont confrontés (par exemple dans le risque nucléaire, si on ne respire pas, qu'on garde juste sa bavette et surtout qu'on ne va pas se traîner par terre, on ne risque quasiment rien). Il faut inciter les gens à adhérer à la prise en charge et à ses procédures spécifiques. Par exemple, il est important que la file d'attente soit organisée (et que son organisation soit acceptée par l'ensemble des personnes) afin que les victimes les plus gravement touchées soient traitées en priorité. Or dans un tel contexte cela n'a rien d'évident. Cela nécessite un entraînement, une prise en charge spécifique du personnel médical et paramédical.

Une deuxième chose essentielle est l'information. Il est fondamental que dans les minutes qui suivent et dès que l'on commence à comprendre ce qui se passe, on puisse utiliser les médias avec des procédures spéciales pour limiter le phénomène de panique et de rumeur. Cela sert par exemple à orienter au mieux, c'est-à-dire vers la filière qui pourra les prendre en charge, les personnes impliquées. Enfin, éventuellement cela permet d'inciter les gens à réaliser de mesures simples. En cas de contamination par des matières radioactives, le préfet de police de Paris demanderait à tous les gens qui sont passés à proximité du lieu de la contamination d'ôter ses vêtements, de les mettre dans un sac et de se doucher. Pour que ce message, qui s'il est appliqué permettra de limiter considérablement les dégâts, soit entendu, tous les moyens des médias pourront être utilisés.

Conclusion

Dans la gestion médicale des catastrophes nous sommes en fait loin du domaine médical classique. Aussi y a-t-il un enjeu de formation majeur pour les personnels médicaux. Nous formons en France à l'heure actuelle les médecins, en fonction des zones de défense et des hôpitaux, aux procédures à mettre en place dans les situations que je viens de détailler. Cette formation se déroule sur plusieurs jours et comprend des travaux pratiques et du maniement.

Le problème dans les situations de catastrophe consiste, on l'a vu, à gérer l'afflux de victimes. Il y a des limites à cette gestion qui ont été particulièrement visibles avec la période caniculaire lors de l'été 2003. En cinq jours les hôpitaux à Paris ont reçu plus de 2 000 victimes et malheureusement beaucoup de personnes sont décédées à l'hôpital. Cette catastrophe était tout à fait inattendue. On possédait des plans qui ont été mis en Suvre, mais la réponse médicale n'était pas suffisante. L'afflux de victimes à l'hôpital était une conséquence déjà dramatique de quelque chose qui aurait dû être pris en charge préalablement et notamment sur un dispositif social de prévention, ce que savaient nos collègues américains puisqu'ils avaient connu un phénomène similaire quelques années auparavant.

Ceci montre bien que l'organisation de l'hôpital pour répondre à l'afflux de victimes est importante mais ce n'est pas le seul problème ; notamment il y a des problèmes en amont en terme organisationnel et c'est de la cohésion de ces différents dispositifs que vient l'efficacité. Il faut comprendre que le plan blanc n'est pas la réponse à tous les phénomènes de saturation des hôpitaux. Utiliser sans frein le plan blanc est dangereux : mobiliser tout un établissement dans un dispositif visant à prendre en charge un seul type de victimes et abandonner les autres types de soins, n'est pas satisfaisant. Certains soins peuvent, par exemple, être temporairement reportés mais cela ne peut ni durer ni se répéter trop souvent. Le plan blanc permet de faire face à une catastrophe mais il a un coût non négligeable en matière d'organisation hospitalière. Il se paie cher parce qu'il désorganise durablement l'hôpital qui ensuite doit rattraper le retard. D'autre part, le déclenchement intempestif du plan blanc lui fait perdre de sa force. C'est une arme quasi absolue qui va permettre de mobiliser tout le monde mais qui ne doit être utilisé que vraiment lorsqu'on est en face d'une catastrophe et avec parcimonie. On ne peut pas mobiliser à chaque fois de cette manière l'ensemble des personnels et des infrastructures. Il est et doit rester la réponse aiguë à un phénomène aigu, catastrophique, un phénomène de mobilisation majeure.

Ce plan blanc est en pleine évolution. A la suite de la canicule, le législateur se penche sur le plan blanc de manière efficace. La loi de santé publique modifie le plan blanc. On prévoit l'extension de son domaine, des mesures plus spécifiques, des possibilités de mobilisation partielle pour éviter justement que le prix à payer par l'hôpital soit trop lourd en terme organisationnel. C'est donc un sujet qui est loin d'être clos.

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