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Langue :
Français
Crédits
Mission 2000 en France (Production), UTLS - la suite (Réalisation), Christophe Thurieau (Intervention)
Conditions d'utilisation
Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/nqeg-yt60
Citer cette ressource :
Christophe Thurieau. UTLS. (2000, 21 décembre). Les techniques des biotechnologies , in questions de Sciences. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/nqeg-yt60. (Consultée le 19 mars 2024)

Les techniques des biotechnologies

Réalisation : 21 décembre 2000 - Mise en ligne : 21 décembre 2000
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Thème
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Texte de la 356e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 21 décembre 2000.

Les nouvelles technologies en recherche biologique
Par Christophe Thurieau
Introduction
Un médicament contient une ou plusieurs molécules actives qui, administré à l’homme, provoque des modifications d’un état précédemment pathologique ou normal. Le concept de la clef et de la serrure, selon lequel un médicament actif se lie spécifiquement à une cible biologique, est ancien, et lié à Emile Fisher en 1894. Il a fallut attendre les années 60 pour que ce modèle soit enfin appliqué de façon remarquable par le pharmacologue britannique Sir James Black (devenu depuis prix Nobel). En effet, à partir de ses observations, notamment, en partant du constat que l’adrénaline, hormone surrénalienne déjà identifiée avait sur le cœur 2 catégories d’effets parfaitement distinctes, dits ? et ?, il a émis l’hypothèse que ces effets résultaient très probablement de l’action sur des récepteurs spécifiques et différents. De ces recherches, sont nés le premier ?-bloquant (anti-hypertenseur) et plus tard le premier anti-H2, la cimétidine, apport majeur au traitement des ulcères gastro-duodénaux. Dès lors une approche réellement rationnelle de la mise au point du médicament s’est établie.
Avec les progrès de la biologie cellulaire, incluant notamment la culture de lignées cellulaire et l’application du concept clef serrure, des techniques d’évaluation du niveau d’association d’un ligand avec sa cible (un récepteur ou une enzyme) dites techniques de binding (ou tests de liaison) ont pu être réalisées et permettre ainsi d’identifier des composés chimiques lorsque ceux-ci empêchent la fixation du ligand naturel.
Cependant, le point de départ de la recherche pharmaceutique a toujours été la connaissance d’un ligand (clef), qu’elle soit issue d’un produit naturel, ou qu’elle soit le résultat d’une synthèse chimique, la cible étant soit inconnue, soit identifiée tardivement dans le développement, voire après celui-ci. Aujourd’hui, les méthodes biotechnologiques permettent l’inversion de ce processus, en identifiant souvent les cibles avant même que soit connu le ligand naturel qui y est attaché. Cette approche nécessite la mise en place de concepts et d’instruments entièrement nouveaux.
En effet, les avancées scientifiques et techniques considérables de ces dernières années en biologie moléculaire, biologie cellulaire et biochimie permettent de découvrir un grand nombre de composants biologiques nouveaux dont la fonction physiologique n’est pas connue. La découverte de ces nouvelles entités biologiques génère de nouvelles cibles ou pistes potentielles de recherche.
Ces technologies innovantes, devenues progressivement disponibles depuis le début des années 90, sont en train de révolutionner les processus de découverte en biologie et en conséquence les stratégies de recherche de nouveaux médicaments.
La nouvelle stratégie de découverte des médicaments.
L’accès à ces données, l’identification de la fonction de ces acteurs bio-moléculaires fait appel aujourd’hui à un panel de technologies nouvelles résultant du mariage de techniques propres à l’informatique, la chimie, la microélectronique et de la bio-robotique.
La génomique
La génomique peut être définie comme la discipline dédiée à l’identification de l’ensemble des gènes du patrimoine génétique (le génome) et à l’élucidation de leur fonction. On parle aujourd’hui de génomique structurale (connaissance de la séquence des gènes) et de génomique fonctionnelle (analyse de la fonction). Le challenge est énorme car il s’agit de pouvoir comprendre l’organisation et la fonction de plus de 100 000 gènes et plus encore de déterminer comment les produits de ces gènes que sont les protéines interagissent pour assurer le fonctionnement d’une cellule.
Pour traiter cette augmentation exponentielle et complexe de données, des technologies révolutionnaires, les puces ADN, sont développées (Figure 1). L’étude de la dynamique de la cellule et du génome impose en effet de pouvoir analyser simultanément un mélange complexe de plusieurs dizaines de milliers de gènes dont les niveaux d’expression varient de 1 à 10 000 transcrits (ARNm) par cellule. Les puces à ADN résultent de la combinaison des techniques de miniaturisation propres à la microélectronique, de la chimie, de la biologie moléculaire et de l’informatique.
Figure 1 Les puces à ADN- Analyse de l’expression d’un grand nombre de séquences.
La puce ADN est constituée d’un réseau dense et régulier de micro surfaces, les unités d’hybridation (UH) gravées sur un support plan. Chaque UH est greffée avec des molécules simple brin d’ADN. Le rôle de chaque UH est de reconnaître, dans un mélange appliqué sur la surface de la puce, une séquence particulière, par réaction d’hybridation entre séquences complémentaires (base de la biologie moléculaire). Les molécules greffées sur la puce constituent les sondes et les ADN en solution, marqués par exemple par fluorescence, sont les cibles. A l’issue de chaque réaction d’hybridation, les signaux émis sur chaque UH sont mesurés et analysés. Le traitement des données d’intensité permet l’évaluation de la concentration des cibles cellulaires. Les plus hautes densités réalisées à ce jour sont d’environ 105 à 106 UH/cm2 (UH de 30 à 10 ?m de côté) et sont adaptées à la quantification de l’expression d’un grand nombre des gènes d’un type cellulaire donné (10 000 à 50 000 gènes exprimés). Les applications actuelles (séquençage du génome, analyse des transcrits, criblage de mutations) sont déjà révélatrices des immenses potentialités des puces ADN et de l’avenir promis à ces technologies.
Des applications futures très prometteuses verront très probablement le jour avec principalement :
- Études sur la diversité génétique humaine et l’histoire des migrations des populations.
- Recherche accélérée dans les maladies d’origine génétique ; Etudes d’association et recherche de facteurs de risques
- Analyses du spectre d’action de nouveaux médicaments (potentiel thérapeutique, effets secondaires, définition des doses, diagnostic…).
La génomique a permis l’éclosion de nouvelles disciplines dont la pharmacogénétique, étude des variations héréditaires de la réponse aux médicaments en terme d’efficacité et de toxicité. De grands programmes de pharmacogénomique sont aujourd’hui engagés, ayant pour objectif de différencier des populations d’individus répondeurs ou non répondeurs à un médicament. Cette nouvelle discipline nécessite le recours à une carte physique ultra fine du génome humain. La recherche de populations « génétiquement homogènes » est un enjeu majeur qui donnera un avantage compétitif considérable dans l’établissement d’une telle carte.
La Protéomique
Le développement des techniques de purification et d’analyses biochimiques permettent aujourd’hui d’envisager l’étude des produits des gènes que sont les protéines (Figure 2).
Figure 2 : La Protéomique- Séparation et identification des protéines cellulaires.
Il s’agit de pouvoir développer des cartographies de ces acteurs moléculaires au sein de la cellule. Les protéines contenues dans un extrait cellulaire sont séparées selon leur poids moléculaire et leur charge nette globale par électrophorèse bidimensionnelle. L’identification de ces protéines est réalisée par élution de celles-ci des gels d’électrophorèses, digestion enzymatique et analyse en spectrométrie de masse des fragments obtenus. Une comparaison des spectres obtenus avec des banques de données spectrales permet de déterminer si ces protéines sont connues.
Une image de la « population » protéique en réponse à un état cellulaire déterminé, est ainsi obtenue. Il est possible de réaliser et de comparer un grand nombre de ces cartes dans le but de repérer, et de lier une production anormale de certaines protéines à une situation pathologique.
La chimie combinatoire
Avant l’ère de la chimie combinatoire, les capacités de synthèses chimiques étaient limitées à une ou quelques molécules par semaine pour un chimiste, alors que pour obtenir un médicament candidat, il fallait disposer de plusieurs dizaines voire centaines d’analogues de la molécule active de départ.
La chimie combinatoire consiste à synthétiser en parallèle, et par des moyens très automatisés, des familles de produits ou chimiothèques (libraries), construites par assemblage de blocs de construction (building blocks pour les Anglo-saxons) ou monomères qui portent des fonctionnalités chimiques qui vont interagir avec la cible. Ces techniques permettent de générer un grand nombre de molécules et d’augmenter considérablement leur diversité.
Cette approche peut être comparée à un immense jeu de cubes, de couleurs et de tailles différentes. Chacun de ces cubes est disponible en quantité infinie et le joueur effectue, une multitude de combinaisons entre ces cubes. Parmi l'ensemble des combinaisons possibles, il retiendra la construction conforme à un objectif déterminé. Le joueur éliminera toutes les autres constructions inutiles. En prenant par exemple comme cubes des acides aminés, naturels ou artificiels, avec 20 éléments de base, les possibilités de combinaisons sont égales à 20n, n étant le nombre d'acides aminés de la construction, autrement dit, de la molécule. Pour une molécule constituée de 2 acides aminés, le nombre de possibilités d'organiser ces 20 acides aminés est de 20 x 20. Si c'est une molécule de 3 acides aminés, ce nombre passe à 20 x 20 x 20 etc.… A la différence du jeu de cubes, en laboratoire, la synthèse automatisée et systématique d'un grand nombre de molécules est réalisée en parallèle et en simultané. Les molécules ainsi construites, ainsi « synthétisées », sont toutes conservées dans des bibliothèques chimiques, ou « chimiothèques ». Chaque molécule, chaque « construction », est ensuite testée vis à vis de cibles biologiques (enzymes, hormones, récepteurs membranaires…) à l’aide de systèmes robotiques de mesure ultrarapide, appelé « criblage à haut débit ».
Le champ d’application de la chimie combinatoire s’étend d’ores et déjà au-delà du domaine des sciences de la vie. En chimie minérale, des banques combinatoire d’oxydes mixtes ont été réalisées, et ont permis de découvrir des composés magnéto résistants et supraconducteurs entièrement nouveaux.
Le criblage pharmacologique à haut rendement
Le criblage systématique de molécules d’origines diverses (chimie de synthèse, produits naturels, micro-organismes…) sur des cibles biologiques a toujours constitué une approche de choix utilisée par l’industrie pharmaceutique dans la découverte de nouveaux médicaments. De nombreux médicaments comme l’anticancéreux « Taxol », l’immunosuppresseur « Cyclosporin » ou l’antihyperlipidémiant « Sinvastatin » illustrent les succès obtenus par cette approche.
Les développements récents de la chimie combinatoire générant un nombre important de molécules avec un haut degré de diversité structurale et les progrès en robotique et en informatique scientifique, ont placé les techniques de criblage à haut rendement (HTS pour High Throughput Screening) au centre du procédé de découverte de molécules actives sur ces nouvelles cibles.
Les tests biologiques, mis au point à partir de la cible identifiée, ont ainsi évolué dans des formats permettant la mesure rapide d’activité de quelques milliers de molécules par jour au milieu des années 1990 à plusieurs dizaines de milliers par jour aujourd’hui.
Cette augmentation importante des capacités de tests est liée à une progression très rapide de la miniaturisation des technologies de détection et de prélèvement de liquide qui permettent d’assurer la manipulation avec reproductibilité de volumes de l’ordre du millionième de litre.
Figure 3 : Plate forme robotique de test biologique à haut débit
Ce criblage à haut rendement n’est possible que par la mise en place d’un laboratoire faisant appel aux derniers développements de la robotique et de l’informatique (Figure 3). L’unité de base de travail du système est une plaque de microtitration qui suivant la configuration permet le test de 96 à 1034 produits de façon simultanée.
Le protocole correspondant au test à effectuer est programmé grâce à un logiciel spécialement développé. Chaque étape de ce protocole est apprise par le système et la localisation précise et l’accessibilité des différents appareils est définie pour le bras robotique. Ces systèmes effectuent les tâches répétitives d’un test biologique comme la distribution des réactifs et des composants biologiques, les incubations, la filtration le séchage, et la lecture des résultats et assure le débit de plusieurs milliers de mesures par jour sur une cible biologique sélectionnée. Grâce à un outil informatique puissant l’analyse du flux très important d’informations provenant de ces programmes de criblage permet d’établir des corrélations rapides entre structures chimiques et activité biologiques.
Les molécules actives ainsi identifiées lors de ces premiers tests sont utilisées comme modèle pour concevoir et synthétiser de nouvelles familles de molécules plus actives et plus sélectives pour la cible biologique considérée. Cette approche itérative est effectuée jusqu’à l’obtention de composés ayant le profil d’activité recherché. L’objectif est d’identifier rapidement un candidat médicament qui pourra être testé sur des espèces animales et éventuellement lors d’essais cliniques chez l’homme.
Les technologies de test à haut débit sont en pleine évolution et aujourd’hui elles s’étendent à des domaines de complexité croissante. En effet, l’objectif est de pouvoir réaliser des mesures d’activités d’une même molécule sur différents paramètres cellulaires avec la même rapidité et reproductibilité que sur des composants biologiques isolés comme les récepteurs et les enzymes. Ces techniques sont basées sur de l’application des marqueurs de fluorescences dans les tests biologiques et sur le développement d’algorithmes de traitement d’image. En réponse à des stimuli particuliers plusieurs mécanismes intracellulaires peuvent être analysés comme l’internalisation de récepteurs, le trafic intracellulaire, l’activation de certains gènes et bien sur la viabilité et la motilité cellulaire.
Conclusion
Les informations provenant des programmes de séquençage du génome humain nous permettent de prédire que celui ci est composé de 100 000 à 120 000 gènes. L’identification de la structure et de la fonction de ces gènes représente un challenge sans précédent. De l’étude de leur structure et de leur fonction pourront naître 5 000 à 10 000 nouvelles cibles biologiques potentielles pour le développement de futurs agents thérapeutiques. C’est pour pouvoir relever ce défi, que les laboratoires de recherche s’emploient à développer et à mettre en place un grand nombre de technologies innovantes.

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