Notice
MRSH Caen
La tradition : penser après et d’après
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Descriptif
Cette communication a été donnée dans le cadre du séminaire "Enjeux de l'écriture", séminaire conjoint des équipes ERLIS et Identité & Subjectivité hébergées par la MRSH Caen-Normandie.
De tout temps l’homme a écrit, même avant l’invention de l’écriture en tant que système graphique destiné à laisser les traces de son existence et de son histoire. Ainsi, l’homme comme être vivant s’est toujours situé, inscrit dans un lieu, dans un milieu qu’il a façonnés, agencés, aussi bien dans sa géographie que dans sa forme : les fouilles archéologiques sont là pour en témoigner, mais également les aménagements de l’espace au cours du temps dans la construction des implantations humaines ou dans les développements de ces mêmes espaces construits. L’homme laisse donc derrière lui des traces de son passage qui encore aujourd’hui s’appréhendent et s’interprètent au niveau de l’écriture : que ce soit du point de vue historique, archéologique, culturel, mémoriel, générique, voire numérique. Ce programme vise donc à bâtir une réflexion commune sur les enjeux de l’écriture dans ses diverses acceptions.
Jean-Luc Marion est membre de l’Académie française, professeur émérite à la Sorbonne et enseignant à l’Université de Chicago. Il est un spécialiste mondialement connu de Descartes et de la tradition cartésienne, tout en développant ses propres recherches philosophiques à partir de Husserl, Heidegger et Levinas. Son œuvre constituée par près de quarante livres, avec de nombreuses traductions, porte à la fois sur les grandes mutations de l’histoire de la métaphysique et sur le souci contemporain d’élucider la nature de l’expérience en tenant compte de ce qu’il nomme des « phénomènes saturés » : le tableau, la chair, l’icône, autrui, Dieu.
Résumé de la communication
Le terme de tradition est d’un usage fréquent en philosophie, et pourtant même là il se trouve rarement défini ; on peut même dire que très souvent le terme de tradition ne reçoit pas la dignité d’un concept, et sert avant tout d’arme idéologique. Ainsi, pour affirmer un nouveau commencement en philosophie, on cherche, par exemple, à faire table rase de la tradition passée. Autrement dit, on se donne souvent la facilité d’opposer le nouveau concept (de nature, d’histoire, d’homme, de société etc.) avec un concept « traditionnel » que l’on se garde bien de définir et qui devient en quelque sorte un fourretout. Cela souligne déjà qu’il ne suffit pas de tout ignorer pour pouvoir commencer quelque chose de nouveau. De ce point de vue, le rapport de la philosophie à la tradition peut servir d’analyse « exemplaire » pour tenter d’élucider le sens de la tradition en général, dans la mesure où la philosophie se comprend et se vit comme une tradition. En effet, afin qu’une pensée neuve puisse apparaître, il est nécessaire de parvenir à identifier, le plus clairement possible, la thèse que l’on veut réfuter, et dont la réfutation va servir de fondement à de nouvelles analyses. Il est alors possible de dire, au-delà du seul exemple de la philosophie, qu’il n’y a d’innovation possible qu’à partir d’une démolition radicale, et c’est pourquoi tout commencement est un recommencement. Néanmoins, une thèse nouvelle ne peut se poser qu’en constituant en plus une autre tradition dont elle va se comprendre comme étant l’aboutissement. Ainsi, par exemple, Emmanuel Levinas déconstruit toute l’histoire de la métaphysique comme pensée du Même, mais il se cherche également des prédécesseurs, notamment avec l’idée platonicienne du bien au-delà de l’être. En un sens, cela semble être une loi d’essence de toute pensée commençante qu’elle constitue deux traditions : celle qu’elle refuse et celle dont elle se réclame. Même si bien évidemment, dans les deux cas, la tradition passée peut être déformée à partir des questions présentes, quitte à projeter sur les textes des expressions anachroniques, comme par exemple quand on interprète l’idipsum, le nom de Dieu dans les Confessions de Saint Augustin, comme ipsum esse, qui relève d’une tradition bien plus tardive ; ou encore, quand on trouve l’analogie de l’être dans la pensée de saint Thomas d’Aquin alors qu’elle n’y est jamais développée. Néanmoins, c’est dans cette reprise, même déformante, que la tradition n’est pas la mémoire morte des vivants, mais la mémoire vivante des morts. De ce point de vue, il y a bien un lien d’essence entre innovation et tradition ; c’est même une exigence méthodologique de l’innovation que de se construire à partir de véritables désaccords, et non bien sûr à partir de simples disputes contingentes liées à l’air du temps. En fin de compte, il est possible de dire que dans tout acte de pensée véritable, il y a toujours trois traditions : celle que l’on refuse, celle dont on se réclame, et enfin celle qui se trouve ouverte. Ainsi, c’est à partir de l’avenir que le sens du passé peut-être constitué, et cela sans tomber dans un simple relativisme. En conséquence, ceux qui font abstraction de la tradition, ou qui ont un rapport très léger avec elle, ne font finalement que répéter ce qui a déjà été dit. Il n’y a pas de philosophie sans une authentique histoire de la philosophie. La question se pose alors de savoir s’il est possible d’avoir accès à l’origine d’une tradition et donc de savoir si une tradition est véritablement achevable, ou bien si le propre d’une tradition est d’être inachevable, même si elle meurt un jour.
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