Conférence
Chapitres
Notice
Langue :
Français
Crédits
UTLS - la suite (Réalisation), UTLS - la suite (Production), Claude Herrmann-Origet du Cluzeau (Intervention)
Conditions d'utilisation
Droit commun de la propriété intellectuelle
DOI : 10.60527/xs60-fd25
Citer cette ressource :
Claude Herrmann-Origet du Cluzeau. UTLS. (2006, 12 janvier). Le tourisme culturel - Claude ORIGET DU CLUZEAU , in Déplacements, migrations, tourisme. [Vidéo]. Canal-U. https://doi.org/10.60527/xs60-fd25. (Consultée le 19 mars 2024)

Le tourisme culturel - Claude ORIGET DU CLUZEAU

Réalisation : 12 janvier 2006 - Mise en ligne : 11 janvier 2006
  • document 1 document 2 document 3
  • niveau 1 niveau 2 niveau 3
Descriptif

Le tourisme culturel tient une place exceptionnelle tant dans l'activité touristique en Europe que dans l'audience des musées, monuments et évènements culturels. Les contenus des séquences culturelles donnant lieu à des déplacements vacanciers se sont d'ailleurs remarquablement enrichis depuis une vingtaine d'années, et les modes de visite des touristes ont beaucoup évolué. Le tourisme étranger en France en est une vivante illustration. En effet, la culture, tant dans ses différents « objets » que dans sa représentativité globale des identités nationales et régionales, est une puissante force d'attraction pour un territoire et elle seule est capable de créer le « génie du lieu », autour duquel les visiteurs se retrouvent, apprennent, s'émeuvent et se différencient.

Toutefois, afin de ne pas attendre du tourisme culturel des impacts irréalistes, il convient d'en situer les contours et les limites, notamment à l'échelon du touriste culturel, esthète passionné ou adepte occasionnel : l'analyse attentive des pratiques culturelles réelles pendant les vacances, la difficulté de la culture à conquérir de nouveaux publics, les attentes et contenus de l'imaginaire culturel et les offres de loisirs concurrentes ou de substitution sont autant de paramètres à prendre soigneusement en compte pour mesurer le phénomène et évaluer son potentiel de développement dans les années à venir. A cet égard, la manière dont les professionnels de la culture et du tourisme sauront, dans le contexte français et européen, faire fructifier ensemble leurs savoirs respectifs, est l'une des clés de l'avenir du tourisme culturel.

Intervention
Thème
Documentation

Le tourisme culturel est une expression très employée, souvent par une extrapolation erronée dun phénomène plus global qui est celui de la fréquentation des sites culturels. Le tourisme culturel est en effet dabord un déplacement touristique, impliquant des personnes qui passent au moins une nuitée hors de leur domicile, pour des motifs de découverte culturelle. Cest dans ce sens seulement que lon peut qualifier de culturel le tourisme pratiqué ; cependant, lusage professionnel a voulu que lon y inclut aussi un tourisme occasionnellement culturel, pratiqué par ceux qui se déplacent pour diverses raisons, mais qui profitent de cette occasion dêtre « ailleurs » pour se livrer à une activité culturelle. On se propose donc de définir le tourisme culturel comme « une pratique culturelle qui nécessite un déplacement, [dau moins une nuitée], ou que le déplacement va favoriser ». Cette définition englobe donc les vacanciers assidus de la culture, comme ses occasionnels.

LA PLACE DU TOURISME CULTUREL DANS LE PAYSAGE TOURISTIQUE

Le tourisme culturel est presque la plus ancienne forme de tourisme ; le pèlerinage la cependant précédé. Si on situe à 1860 les débuts véritables du tourisme, pratiqué par les jeunes britanniques faisant leur apprentissage au travers dun « tour » dEurope « tour » qui a donné son nom au tourisme- et par la bonne société du Second Empire qui partait en villégiature, en villes deaux notamment, le tourisme de découverte culturelle a été pratiquement lune des seules formes connues de tourisme pendant des décennies. On situe aussi sa naissance à 1890, date à laquelle sest ouvert le premier Syndicat dInitiatives à Gérardmer ou à Grenoble, la question est controversée-. Ce nest donc que peu à peu que les formes de tourisme se sont diversifiées, et continuent de le faire dans toutes les variétés quon lui connaît aujourdhui : tourisme daffaires, de rencontres familiales et amicales, de cure, de vacances à la mer à la montagne à la campagne ou à la ville, et& de découverte culturelle dun site ou dune destination. Parallèlement, le tourisme culturel lui-même sest aussi diversifié, tant dans ses « objets » que dans ses formules. On traite ce point infra, au paragraphe sur loffre de tourisme culturel.

Malgré la place relative, et même modeste, quoccupe aujourdhui le tourisme culturel dans lensemble de lactivité touristique, il nen reste pas moins le leader incontesté du secteur, à plusieurs points de vue.
Tout dabord, le tourisme culturel a une longue histoire, il est un socle sur lequel dautres formes de tourisme ont pu se greffer. Cest lui qui confère son image particulière aux destinations nationales et urbaines, les sauvant à la fois de la banalisation et de la « délocalisation » que subissent certaines destinations de ski et de plages : vu le caractère similaire de leurs offres, elles sont en compétition, parfois féroce ; si elles nont pas de ressources culturelles pour les distinguer, elles doivent se battre sur le terrain de la facilité daccès, de la qualité des services sur place, et, de plus en plus, sur le terrain des prix.

Le tourisme culturel nest certes pas exempté de ces considérations, et, avec la montée en charge des offres, il arrive à certaines destinations culturelles de se trouver en concurrence sérieuse avec dautres perçues comme de même intérêt culturel : par exemple Vilnius et Riga peuvent être concurrentes aux yeux des touristes ouest-européens, mais aussi Rouen et Amiens « destinations cathédrales »- pour les visiteurs Européens. Mais il nen reste pas moins que la culture confère à chaque destination une image singulière, et un marqueur identitaire, fondés sur des objets culturels villes, villages, monuments, églises, musées&-, ainsi que sur un patrimoine immatériel : sa langue, ses habitus, ses savoir faire (dont le moindre en France nest pas la gastronomie), ses évènements et festivals, son atmosphère particulière (Cf sur ce dernier point latout de lIrlande).

On en veut pour preuve la communication touristique, sur toutes formules de séjours confondues, qui met immanquablement laccent sur les monuments-phares des destinations, y compris quand elle cherche à vendre bien autre chose que du séjour culturel.

Lun des autres atouts du tourisme culturel dans lactivité touristique réside dans son caractère intersaisonnier, ce qui le met en grande partie à labri des aléas de la météo : le tourisme culturel en Europe se déroule principalement aux franges de lété, plutôt au printemps et à lautomne, sans que lhiver en soit exclu. Et les musées des régions Atlantique font le plein les jours de pluie !

Enfin le tourisme culturel est la forme de tourisme privilégiée par la plupart des primo-visiteurs, et notamment ceux des marchés lointains : cest à une visite de découverte culturelle quaspirent les visiteurs dAustralie, de Californie ou du Japon, qui viennent en Europe pour la première fois ; cest au même type de tourisme quaspirent aujourdhui les touristes des marchés émergents comme ceux de lEurope de lEst, du Brésil, de la Chine et dInde.

c Image unique, marqueur identitaire qui met raisonnablement à labri de la concurrence, inter-saisonnalité, attractivité auprès des marchés émergents, sont donc autant de raisons de conférer au tourisme culturel une place de leader dans lensemble de lactivité touristique, dont il est ainsi le moteur et le facteur permanent de renouvellement.

On examine à présent si ce service insigne rendu par la culture au tourisme fait lobjet dune réciprocité.

LAPPORT DU TOURISME A LACTIVITE CULTURELLE

Toute lactivité culturelle nest pas, et de loin, concernée par le tourisme : ni les activités personnelles (telles que la lecture ou les cours de danse), ni les lieux culturels non équipés pour recevoir du public quelle quen soit la raison (caractère privatif, accès dangereux, fragilité du site, manque despaces daccueil&) ne sont destinés au tourisme. Les activités culturelles matérielles concernées par le tourisme sont donc essentiellement les lieux de visite organisés à cet effet musées, monuments, centres archéologiques&- ainsi que les urbanisations dintérêt culturel villes, villages, quartiers&-. Parmi ces lieux culturels, on constate que certains sont informels et à entrée libre -comme les églises ou les centres villes-, tandis que dautres sont à entrée payante.

Dans les premiers, des observations sur la fréquentation dorigine touristique et des estimations sont faites, dans les seconds, cette fréquentation est plus précisément comptée, et, dans certains, la part des touristes y est connue ; celle-ci est évidemment variable dun établissement à lautre, selon sa localisation, sa notoriété et sa thématique. La part des entrées liées au tourisme varie grandement dun site à lautre, et peut atteindre les 85 %. Toutefois, la DMF/Direction des Musées de France a pu établir une évaluation nationale dans ses établissements : 60 % de leur fréquentation émanerait de touristes, dont 26 % de touristes domestiques et 34 % de touristes étrangers . Même si cette statistique ne concerne que les musées contrôlés par la DMF, il est clair que le tourisme tient une part prépondérante dans les effectifs de fréquentation de tous les sites et manifestations culturels. La survie de certains dépend dailleurs entièrement du tourisme. A ce stade, il importe de préciser que ce phénomène nest pas toujours un constat ex post : de plus en plus souvent, des créations et des rénovations de sites culturels ont été menées en raison de leur potentiel dattractivité touristique : elles ont été conduites, ou particulièrement renforcées, là où pré-existait un flux touristique important. Larrière-pays méditerranéen en fournit de nombreux exemples. Ce phénomène de création culturelle impulsée par un potentiel de fréquentation touristique nest dailleurs pas toujours dune qualité irréprochable : collections et/ou thématiques pauvres, authenticité historique ou scientifique non avérée&

A cet égard, on peut aussi bien affirmer que la culture est venue au secours du tourisme pour conférer une dimension identitaire, prestigieuse et inter-saisonnière à une destination, ou que la présence dune clientèle touristique a fourni les moyens et lopportunité dune effervescence culturelle qui ne se serait pas manifestée avec les seuls résidents du territoire. Avec cette activité culturelle renforcée par le tourisme, les territoires à tous les échelons administratifs trouvent de belles opportunités de créer du consensus local, de valoriser leurs équipements et leur qualité de vie, et de rayonner hors de la région et/ou du pays. Des festivals comme ceux dAvignon (théâtre) ou de Marciac (jazz), des musées comme le Guggenheim de Bilbao ou le Musée Matisse du Cateau-Cambrésis témoignent de ce phénomène.

Toutefois, il faut souligner que des opérations comme celle de Bilbao, ou celle des Expositions Florales de la ville post-industrielle de Stoke-on-Trent (GB), avec lapport dune action culturelle totalement novatrice, sont assez rares dans le registre des initiatives dinspiration touristique ; laction la plus fréquente est celle qui consiste à créer ou stimuler des marqueurs identitaires pour le territoire, essentiellement le patrimoine. Dans ce contexte, cest toute lEurope des flux touristiques et des rapprochements entre les peuples qui y trouve son compte : lEurope se bâtit sur le respect et le renforcement des identités locales que le tourisme contribue non seulement à faire connaître des voyageurs, mais aussi à financer, en dernier ressort.

c Le tourisme, depuis quil se généralise en Europe, donne ainsi une impulsion sans précédent aux activités culturelles qui lui sont ouvertes. Les nouveaux venus à la pratique touristique, et surtout à la pratique du tourisme transfrontalier, témoignent de leur intérêt pour les marques culturelles des territoires, dans leurs applications culturelles les plus variées.

Aussi la culture peut-elle sérieusement se poser la question de savoir si le tourisme laide à remplir lune de ses missions fondamentales, -la culture pour tous- ? Lexamen du comportement du touriste peut éclairer ce point.

QUI EST LE TOURISTE CULTUREL ?

Le touriste culturel, au sens puriste du terme, est un voyageur qui effectue son déplacement pour satisfaire une curiosité dordre culturel. La découverte, ou la pratique, culturelle constitue ainsi le motif principal de son voyage. Son profil est à peu près le même que celui de la majorité des visiteurs de musées et monuments : il sagit dun public avec un bon niveau dinstruction, et cette caractéristique est son principal discriminant avec lensemble des autres touristes. Dans la mesure où niveau dinstruction et niveau de revenus sont souvent corrélés, mais pas toujours (Cf les instituteurs et les étudiants), on trouve souvent parmi les pratiquants du tourisme culturel des publics dotés dune bonne aisance financière, et des membres des professions intellectuelles. Il faut rappeler à cet égard que seuls un tiers des Français de plus de 15 ans vont dans un musée une fois par an, et cette proportion est stable depuis plusieurs décennies. Parmi les quelques 167 M de séjours touristiques (tous motifs confondus) effectués par les français en France en 2004, et les 75 M de séjours détrangers en France, on évalue à seulement 6 à 7 % ceux que lon peut qualifier de séjours de touristes culturels stricto sensu, cest-à-dire des touristes pour qui la culture est le principal motif du déplacement.

Mais, en plus de ces touristes dont le déplacement est explicitement motivé par des considérations culturelles, la France accueille des flux venus pour bien dautres motifs (famille, détente, sports, cure, affaires&) mais qui en profitent opportunément pour y introduire des séquences culturelles disponibles sur leur territoire de séjour : cette séquence peut être une simple sortie parmi dautres, ou une expérience plus particulièrement valorisée parce quelle est culturelle. Les vacances offrent de telles opportunités en raison de la disponibilité de temps, dun état desprit souvent plus détendu et plus ouvert, et dun budget moins serré que dans la vie quotidienne. Pour les sites et les évènements culturels, les touristes constituent donc des publics potentiels nombreux, souvent bon enfant, et moins difficiles à conquérir que les résidents permanents. Au surplus, on constate souvent que lexpérience culturelle vécue en vacances, favorise une fierté civique et une réappropriation du patrimoine culturel sur le lieu de résidence, au retour de vacances.

Assidus ou occasionnels, les touristes culturels ont des attentes qui se répartissent entre didaxie (autodidaxie ou didaxie des enfants que lon emmène avec soi), et plaisir, avec toutes les nuances et combinaisons possibles entre ces deux paramètres. Ce qui émerge clairement des comportements observés, cest que, à tous âges et dans toutes CSP, les visiteurs et spectateurs, désireux dapprendre et/ou de se faire plaisir, sont de plus en plus autonomes, acteurs de leur démarche, et vivent leur expérience en esthètes qui décident par eux-mêmes de ce qui est beau et admirable, ou pas : les références à une culture « révélée », apprise ou dominante, sont moins prégnantes que naguère, plus souvent remises en question pour privilégier lavis ou le ressenti personnel. Le touriste culturel fait son propre chemin, entre lésotérisme des Suvres et leur exotérisme, entre ce quil comprend, et ce quil ne comprend pas. A cet égard, dans le groupe -restreint à deux personnes ou riche de 50 personnes- que forment des visiteurs ou des spectateurs venus ensemble, on échange, ce qui donnent une tonalité particulière à lexpérience culturelle vécue.

Il nen demeure pas moins que, dans limaginaire du tourisme culturel des publics européens, on peut identifier certains grands axes communs de curiosité et dattentes :
§ une sensibilité à « lexotisme » et à lidentité locale (qui donne tout son sens au déplacement),
§ la quête de sens de la vie ou de lhistoire à laquelle lexpérience culturelle peut apporter des éléments de réflexion,
§ la curiosité alertée par certains faits tirés de lactualité politique, sociale, artistique (livres, films&).
Dans ce contexte, léloignement du contexte de vie habituel est un fort catalyseur de ces tendances et des envies de les satisfaire. Quelle que soit la fréquence des voyages, on observe peu de touristes culturels blasés, la pratique nourrissant le besoin dune pratique ultérieure.

Un imaginaire du tourisme culturel préexiste à la décision de partir ou deffectuer une visite culturelle, nourri par les connaissances et expériences antérieures, mais il peut être en sommeil : il est (ré)activé passivement, de façon imprévisible, par un fait de la vie quotidienne proposition de parents et amis accompagnants potentiels, évènement se déroulant sur une destination, actualité dun thème, disponibilité dun budget ou dun billet de transport&-, ou activement par une investigation volontaire dans des guides touristiques, sur internet&- ; la publicité touristique ne fait dailleurs rien dautre que de réveiller cet imaginaire et lui proposer des solutions réalistes pour vivre une expérience culturelle plus ou moins lointaine.

Les touristes étrangers en France sont, plus souvent que les nationaux, des touristes culturels, de même que les Français en séjour à létranger : le passage de frontière est le fait de catégories économico-culturelles plus élevées, et la première visite dans un pays ou une contrée étrangère saccompagne, ou relève, dune volonté de découverte, dans un contexte relativement exceptionnel et de durée limitée. Ce phénomène est encore plus intense chez les visiteurs « long courrier », même si, dans leur vie courante, ils ne sont que des occasionnels de la pratique culturelle. Aussi les plus actifs des touristes culturels sont les primo-visiteurs dune destination ; inversement, pour de nombreux touristes, plus les séjours se multiplient sur un lieu, moins ils sont intenses en contenu culturel ; les festivaliers fidèles à un site et à sa manifestation font cependant exception. Les secondes et énièmes visites sur une destination se déroulent donc davantage comme une ré-appropriation, une forme de résidentialité temporaire, où le visiteur tend à se fondre dans la population locale plutôt quà découvrir les lieux.

Outre cette forme daccoutumance et de familiarité avec la destination, on observe dautres limites à la pratique culturelle en voyage :
§ le coût de lacheminement et du séjour, mais dont on sait combien les catégories les plus cultivées, même peu argentées, savent se débrouiller depuis des décennies ; les « petits futés européens », fins internautes et astucieux détecteurs de bonnes adresses bon marché, se multiplient et sont imités par des catégories plus solvables ;
§ les accompagnants du déplacement, qui, tels les enfants en bas âge, ne sont pas tous adeptes des séquences culturelles ; avec eux, des arbitrages et compromis sont nécessaires ;
§ les thématiques culturelles déployées par une destination ne sont pas attractives à tous, notamment aux « occasionnels de la culture » en séjour touristique : ainsi St Paul-de-Vence accueille moins damateurs dart du XX°ème siècle illustré à la Fondation Maeght- que dadmirateurs de son village et de ses animations de rue ;
§ enfin il importe de savoir tenir compte, prosaïquement, des limites physiques et intellectuelles des visiteurs ; à cet égard, toutes les enquêtes le confirment : au bout dune heure trente, les visiteurs en position debout sont fatigués physiquement, et ils ont du mal à sapproprier de nouveaux « objets culturels ».

Pour faire face à ces deux dernières contraintes, beaucoup de sites culturels font des efforts remarquables pour se rendre plus compréhensibles et pour ménager des plages de repos au cours des visites (Cf la multiplication des cafés au sein du Musée du Louvre) ; les grands voyageurs culturels gèrent eux-mêmes leur temps pour maximiser leur plaisir et les voyagistes (notamment les autocaristes) optimisent aussi leurs programmes en fonction de cette donnée incontournable : par des durées de visite limitées, par la variété des activités proposées pour éviter toute lassitude mentale et par la qualité de la logistique touristique. En effet, les touristes culturels, assidus ou occasionnels de ce type de formule, ont besoin, comme tous touristes, dun minimum de logistique touristique (dont traite le paragraphe qui suit).

c Les touristes instruits et assidus de la culture constituent un fond de clientèle acquise au tourisme culturel : leur pratique actuelle alimente leur pratique future, mais dans un contexte où loffre sintensifie. Avec les occasionnels de la culture que constituent la grande majorité des touristes, la culture a de belles opportunités de conquérir plus durablement des publics nouveaux.

LOFFRE DU TOURISME CULTUREL

On appelle logistique touristique lensemble des services permettant le déplacement et le séjour : transport, hébergement, restauration, activités sur place& A cet égard, le tourisme culturel se compose indissociablement d « objets culturels », matériels ou immatériels, et de logistique touristique. Dans ce duo quelque peu incongru du « produit touristique culturel », la culture est le moteur du déplacement, tandis que les services ne sont quun accompagnement de la démarche ; mais, paradoxalement, cest aux seconds que reviennent lessentiel du chiffre daffaires.

A côté des objets culturels, la nécessaire logistique touristique tend timidement à jouer son rôle dans la continuité de lexpérience de découverte. La restauration de terroir, particulièrement en France, apporte sa contribution. Mais des efforts sont également notables dans lhébergement touristique où, du palace historique au modeste Logis de France, du gîte rural à la « chambre dhôtes au château », on peut expérimenter un séjour où la culture locale est perceptible aussi sur le lieu de résidence. Les transports sur place, sous forme de calèches, de randonnées cyclistes urbaines, de petits trains touristiques, de tramways aux grandes baies vitrées, dautocar de grand tourisme& jouent aussi leur rôle de facilitateur de visites. Toutefois, ces prestations relèvent dentreprises séparées : la coordination entre leurs services est difficile à obtenir et beaucoup daméliorations sont à opérer dans ce sens.

Les formules de voyage du tourisme culturel sont essentiellement de deux ordres : le circuit et le séjour.
§ Le circuit consiste à changer dhébergement tous les soirs, et à se déplacer à pied (en randonnée) à vélo, en car, en voiture, en camping-car ; une autre modalité est celle du circuit « en étoile » où, à partir dun même hébergement, on fait chaque jour une excursion différente ; les seniors plébiscitent cette seconde formule, moins fatigante ; une situation équivalente à celle du circuit en étoile se retrouve avec la croisière fluviale ou maritime et ses escales, permettant de dormir chaque soir dans le même lit.
§ Le séjour culturel est généralement court et répétitif pour ses adeptes ; ces dernières années ont été le témoin dune formidable montée en charge des courts séjours urbains, dans les villes européennes, et plus récemment dans celles dEurope de lEst. Il sagit de séjours généralement assez intenses, souvent déclenchés par une exposition ou un évènement, tel Lille 2004 - Capitale Européenne de la Culture.

Les voyagistes du tourisme culturel en France sont relativement peu nombreux à proposer une prestation complète, avec guides accompagnateurs, et chacun fait voyager ainsi un nombre modeste de clients : entre 5 000 et 60 000 par an pour des tour-opérateurs comme La Fugue, Clio, Intermèdes ou Arts & Vie. Ces chiffres sont à comparer avec les effectifs annuels de voyagistes généralistes tels que Fram (plus de 500 000 par an), ou Nouvelles Frontières (plus dun million). Cette performance modeste est due à un ensemble de facteurs : dabord la faible demande pour des prestations totalement culturelles, ensuite le fait que les touristes culturels sont souvent assez individualistes : ils font appel à un voyagiste lors de leur premier séjour dans un pays ou une contrée, mais organisent eux-mêmes leurs programmes lors des déplacements suivants. On voit ainsi beaucoup de Japonais, de Canadiens& se rendre pour la première fois en France en groupe avec un forfait complet, puis, au second séjour, ne réserver à lavance que le vol et la voiture louée. Seuls demeurent attachés à un voyagiste les véritables adeptes des voyages organisés, et notamment ceux qui, fidèles et confiants, font appel à des autocaristes. A cet égard, il faut souligner le rôle primordial que jouent ces autocaristes pour amener au tourisme culturel des catégories de visiteurs qui en sont a priori assez éloignées : personnes âgées, à niveau dinstruction moyen, vivant en petites villes ou à la campagne.

Au-delà des produits forfaitisés, il faut prendre en considération les très diverses composantes culturelles de loffre. Les « objets culturels » concernés par le tourisme culturel sont tous les sites, et toutes les manifestations dans la mesure, et dans la seule mesure, où ils sont ouverts aux visiteurs extérieurs. Or, depuis une trentaine dannées, on assiste à une forte diversification des objets culturels ; longtemps limités aux musées des beaux-arts et à quelques grands monuments, ils se sont multipliés et élargis aux musées de société et écomusées, aux sites scientifiques et techniques, aux centres villes et à certains villages, aux jardins, aux centres dinterprétation, aux lieux de mémoire, aux sites archéologiques et surtout préhistoriques& Les objets du patrimoine immatériel, aujourdhui reconnu par lUNESCO, participent à cette diversification des centres dintérêt du tourisme culturel, avec les fêtes et célébrations, les stages artistiques et artisanaux, les spectacles& le tourisme culturel a ainsi évolué à linstar de la définition, aujourdhui élargie, de la culture, vers davantage déclectisme. Les objets culturels sont ainsi constitués de sites et manifestations formels, tels que musées et spectacles couverts, mais ils se présentent aussi sous des aspects informels, tels que les centres villes ou les animations de rue. Leur diversification a également été un facteur délargissement des publics : antérieurement plutôt féminins et âgés, les publics sont devenus plus souvent masculins, jeunes et étrangers, loffre actuelle répondant mieux à la demande de ces derniers.

Dans le foisonnement de loffre culturelle, il est clair que le tourisme distingue particulièrement ce que lon appelle les marqueurs identitaires de la destination, et tout ce qui tend à la rendre unique. Tant et si bien que la demande touristique observée, et la demande espérée, influent significativement sur le choix des actions de création ou de mise en valeur culturelle : les patrimoines les plus représentatifs de la destination sont privilégiés, suscitent des financements et la fréquentation touristique contribue ainsi à la préservation ou même à la création de sites ou de manifestations culturels. Le pourtour méditerranéen en est lexemple type : la pré-existence dune forte fréquentation touristique y a favorisé la mise en valeur des villages et monuments, la création de musées et de festivals. On peut sans exagération évoquer une « culturalisation » des territoires touristiques. Tandis que, de leur côté, des territoires à forte densité culturelle se sont peu à peu « touristifiés », comme la Vallée de la Loire.

Lactivité touristique représente aujourdhui 7 % du PIB en France, mais, dans certaines micro-régions, ce pourcentage peut être décuplé ! Or, dans ce contexte, la forme culturelle du tourisme est un gage de durabilité, et dintersaisonnalité. La mise en valeur culturelle et touristique associée peut donc constituer un enjeu territorial crucial.

Des voix sélèvent pour sinsurger contre le développement du tourisme culturel ; ces voix proviennent dailleurs du monde de la culture ainsi que dadeptes du tourisme culturel peu enclins à partager la jouissance de sites et manifestations avec dautres touristes réputés incultes, envahissants et/ou carrément prédateurs. Pourtant
§ On a pu constater, supra, la part finalement modeste de la culture dans lactivité touristique globale ;
§ Seuls 8 sites culturels en France atteignent ou dépassent le million de visiteurs annuels , et 125 en reçoivent entre 100 000 et 900 000 (il existe quelques 10 000 musées et lieux de visite culturelle en France) ;
§ Les cas de dégradation de sites liés à une sur-fréquentation existent, mais ils ont toujours suscité les moyens de pallier cette dégradation, et les exemples de préservation grâce au tourisme sont aujourdhui légion ;
§ Aucune collectivité territoriale nest demandeur dun allègement de sa fréquentation touristique, bien au contraire (même à Venise). LEtat et lEurope se montrent de leur côté toujours en faveur déchanges et de brassages entre touristes de différentes provenances.
Cest pourquoi, hormis sur les sites à entrées limitées (comme les salles de spectacles), la notion de « capacité de charge » peine à simposer : il sagirait de limiter les visiteurs présents simultanément en fonction de critères de conservation et/ou de confort de visite.

c Sous limpulsion du tourisme, loffre culturelle sest considérablement étoffée, renouvelée et diversifiée. Mais sa complémentarité avec les autres composantes logistiques du voyage est difficile à assurer, même par des voyagistes de talent. De fait, loffre du tourisme culturel est entre les mains de professionnels dont les compétences et les objectifs sont loin dêtre harmonisés.

GENS DE CULTURE ET GENS DE TOURISME

Cest un lieu commun, mais il importe de rappeler que les sites et manifestations culturels sont entre les mains de professionnels de la culture qui, en France particulièrement, sont des spécialistes chevronnés dans leur domaine. Malheureusement, beaucoup dentre eux sont encore peu sensibles aux publics, et notamment aux occasionnels de la culture. La qualité de leur accueil sen ressent. Au surplus, ils se sentent souvent débordés par les initiatives des professionnels du tourisme : leur communication, leur organisation des flux, leurs offres forfaitisées, leur préemption de sites pour des manifestations queux-mêmes ne maîtrisent pas&Doù des difficultés qui se sont parfois traduites par des conflits, ou par une ignorance mutuelle et, heureusement de plus en plus souvent, par des collaborations fructueuses, respectueuses des critères et des savoirs des uns et des autres.

Lun des plus rudes débats actuels entre culture et tourisme tourne autour des « techniques dinterprétation » : il sagit de formes multiples de médiation culturelle, de moyens divers employés pour rendre compréhensibles lobjet culturel à son visiteur : laser, réalité virtuelle, bornes interactives, projections, panneaux explicatifs& Or ces techniques sont parfois empruntées aux dispositifs mis en place dans les parcs récréatifs qui, de facto, sont souvent des concurrents des sites culturels dans les loisirs des touristes et des résidents.

c On ne fera pas ici darbitrage entre gens de tourisme et gens de culture sinon pour constater que, si le tourisme a dopé la demande culturelle, il a aussi, indirectement, multiplié les offres sous forme de créations comme de rénovations. Les publics touristiques contribuent ainsi singulièrement à la raison dêtre des sites et manifestations culturels.

IMPACTS DU TOURISME CULTUREL

Les retombées économiques du tourisme culturel sont considérables, mais essentiellement indirectes : le coût daccès aux sites et manifestations culturels est dérisoire dans le budget journalier dun touriste (3 % selon une enquête récente à Montréal) ; par contre, selon que le déplacement est entièrement ou seulement partiellement déclenché par la perspective de lactivité culturelle à destination, il est clair que la totalité ou seulement une part de la dépense touristique peut lui être imputée.

Mais, au-delà de cette analyse de la dépense touristique, il faudrait évaluer le rôle joué par limage culturelle globale dune destination sur son attractivité touristique et ses conséquences économiques. Les retombées économiques du tourisme culturel ne sanalysent pas seulement en termes de hausses de chiffres daffaires et demplois, mais elles peuvent aussi porter sur une hausse des prix des services, des biens, du foncier et des salaires. Elles peuvent, dans des cas comme celui de Venise, aboutir à une mono-activité locale, néfaste au développement harmonieux et durable du territoire.

A cet égard, lenjeu du développement de certaines activités culturelles, -celles des grandes manifestations (par exemple le Bi-Centenaire de la Révolution Française) et celles des grands musées (par exemple les Guggenheim de Bilbao, Rio et Mexico)- dépasse largement léchelon touristique : elles sinscrivent dans la compétition internationale que se jouent les grandes villes sur divers plans : notoriété globale, positionnement dans la modernité et dans la culture de haut niveau, communication, attractivité auprès des entreprises et des pôles de compétitivité, urbanisme&Même les classements comme ceux des Capitales Européennes de la Culture ou du Patrimoine Mondial de lHumanité de lUnesco ont, au-delà de leurs dimensions touristiques et culturelles, un rôle pleinement politique. A ce jeu-là, le tourisme nest quune petite courroie de transmission du message de la ville, et un impact collatéral&

c La globalisation mondiale impacte donc aussi la culture et le tourisme culturel : il peut en résulter à la fois une standardisation des pratiques et des imaginaires collectifs, et en même temps une singularisation toujours plus poussée des destinations.

Université René Descartes Paris-5

Partenaire de l'université de tous les savoirs 2001-2002 Accueil dans ses locaux les conférences

CERIMES

Portail de ressources et d'informations sur les multimédias de l'enseignement supérieur

UTLS sur Lemonde.fr

Le monde

Le texte de la conférence du 120106 en pdf

partenaire des UTLS

Dans la même collection